II. OPPOSER SCHÉMATIQUEMENT NOUVELLES TECHNOLOGIES ET RESSOURCES HUMAINES NE POURRA QUE NUIRE AUX RÉSULTATS DU CONTRÔLE FISCAL

Dans les réponses reçues aux questionnaires envoyés dans le cadre du présent contrôle, ou lors de leurs auditions dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances, les rapporteurs spéciaux ont trop entendu l'idée selon laquelle les investissements technologiques et la sanctuarisation des effectifs dédiés au contrôle fiscal seraient deux axes entièrement incompatibles et donc substituables. Ils considèrent au contraire que les nouveaux instruments mis en oeuvre en matière de contrôle fiscal atteindront vite leurs limites s'ils ne s'accompagnent pas d'une politique de ressources humaines renouvelée.

A. FORMATION ET AFFECTATION DES AGENTS SONT DEUX DIMENSIONS SUR LESQUELLES IL FAUT AGIR POUR REDONNER DE LA FLEXIBILITÉ À L'ADMINISTRATION FISCALE

1. Les efforts de formation doivent être accrus et doivent tenir compte des évolutions les plus récentes en matière de programmation et de gestion des contrôles fiscaux

La formation des agents répond à un constat : l'évolution constante de la législation fiscale, la mise en oeuvre de nouvelles modalités d'accompagnement des contribuables, particuliers comme professionnels, et le développement des instruments et des outils numériques à destination des agents chargés du contrôle fiscal nécessitent une politique de formation exhaustive , tant dans son contenu que dans le périmètre des agents visés. Plusieurs exemples peuvent ainsi être retenus, dont la mise en oeuvre, à la suite de la loi pour un État au service d'une société de confiance 41 ( * ) (loi Essoc) d'incitations plus fortes à régulariser en cours de contrôle (cf. infra ). Selon les informations transmises aux rapporteurs spéciaux, plus de 2 000 séminaires et réunions ont été organisés dans la sphère du contrôle fiscal afin d'informer l'ensemble des agents concernés des nouveautés introduites par la loi Essoc ainsi que de la façon dont devraient être appliqués ses principaux dispositifs.

Les rapporteurs spéciaux insistent sur le fait qu'il faut renchérir les efforts en faveur de la formation aux outils numériques des agents de la DGFiP, et en particulier de ceux qui sont en charge du contrôle fiscal . Le rapport d'activité pour l'année 2019 de la DGFiP précise qu' un « passeport numérique » est désormais proposé aux agents, sur la base du volontariat . Les rapporteurs spéciaux estiment qu'une réflexion devrait être ouverte pour généraliser ce dispositif et astreindre les agents les plus concernés par l'utilisation de ces instruments numériques à se former à leur bon fonctionnement , pour mieux les comprendre. Cet effort de compréhension serait sans doute de nature à atténuer les tensions parfois constatées au sein des brigades locales entre la programmation centralisée, issue du recours aux nouvelles techniques d'analyse de données, et leurs propres méthodes de travail.

De manière similaire, dans le cadre de son rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires, la Cour des comptes avait relevé un effort de formation insuffisant , « qui ne permet pas toujours de disposer des compétences les plus utiles là où elles seraient nécessaires » 42 ( * ) . Elle ajoutait que le nombre d'heures de formation a sensiblement diminué ces dernières années et que l'offre de formation restait limitée dans des domaines essentiels comme l'analyse-risque, les compétences informatiques, la programmation ou encore l'examen des comptabilités informatisées . Le Gouvernement avait quant à lui répondu que l'effort de formation avait augmenté de 7 % pour les vérificateurs chargés du contrôle sur place. Les rapporteurs spéciaux prennent acte de cette volonté, qui va dans le sens de leur recommandation n° 6, qui entend généraliser cet effort de formation technique à l'ensemble des personnels en charge du contrôle fiscal.

Recommandation 6 (les moyens humains et technologiques) : généraliser, au sein de la direction générale des finances publiques, le « passeport numérique », afin d'assurer la formation aux outils numériques et aux nouvelles techniques d'analyse des données de l'ensemble des agents du contrôle fiscal.

Dans le cadre du transfert progressif du recouvrement, de la gestion et du contrôle de certaines taxes de la DGDDI à la DGFiP 43 ( * ) , la formation conjointe de certains agents de ces deux administrations sera indispensable pour assurer un contrôle équivalent et une transition fluide pour les professionnels . Ainsi, selon les informations transmises aux rapporteurs spéciaux, il est prévu que quelques douaniers soient formés à la procédure fiscale et que, réciproquement, plusieurs agents de la DGFiP soient accompagnés au contrôle de la taxe générale sur les activités polluantes, de la taxe sur les boissons non alcooliques ou encore de la TVA sur les produits pétroliers. Les rapporteurs spéciaux estiment qu'il faudra faire particulièrement attention, lors du transfert de ces compétences, aux procédures de contrôle afin de garantir un niveau équivalent de protection. À cet égard, selon le responsable de la mission unification du recouvrement fiscal, la mise en place de mécanismes d'auto-liquidation permettra d'assurer une transition plus simple : avec ces mécanismes, les conditions et les modalités du contrôle se rapprochent des dispositifs DGFiP de contrôle fiscal et s'éloignent de ceux d'un contrôle marchandise.

2. L'affectation et la répartition des agents chargés du contrôle fiscal est un levier majeur pour assurer l'adaptabilité des services de contrôle aux évolutions économiques et fiscales

Les rapporteurs spéciaux considèrent également qu' une réflexion devrait être engagée sur l'affectation des agents dans les brigades et services du contrôle fiscal . Ils reconnaissent que c'est un sujet sensible, comme l'ont illustré les premières discussions autour des règles de mutation et d'accompagnement des mobilités géographiques et de services. Il s'agit néanmoins d'un sujet incontournable dans toute réflexion sur la rationalisation de l'organisation du contrôle fiscal et sur son adaptation au tissu fiscal local réel. Cette rationalisation ne pourra avoir lieu si les demandes d'affectation ne se traitent qu'en tenant compte de l'ancienneté des agents et de leurs demandes.

Certes, certains progrès informatiques ont permis de repousser ce débat . Le développement de l'examen de comptabilité « à distance », par le biais de la transmission informatisée de la comptabilité, a par exemple permis de remédier partiellement à cet écart entre la répartition des effectifs sur le territoire et la densité du tissu économique et fiscal à contrôler . Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 44 ( * ) , les rapporteurs spéciaux avaient jugé inquiétante la baisse des effectifs chargés du contrôle fiscal de « proximité » , notamment dans les brigades départementales présentes dans les territoires les plus attractifs économiquement. Ils relevaient que cette diminution devait être limitée, du fait de ses conséquences en termes d'efficacité ou d'égalité devant l'impôt.

À défaut d'une sanctuarisation des effectifs du contrôle fiscal par catégorie ou par service, les rapporteurs spéciaux préfèrent une flexibilité et une capacité à se transformer, pour répondre aux nouveaux enjeux en matière de contrôle fiscal . Cela ne signifie pas une diminution des effectifs, mais une réallocation à travers le territoire et entre les services . La sanctuarisation ne doit donc pas être appréhendée à l'échelle de la brigade mais à l'échelle de la capacité du service, avec les effectifs en présence, à traiter des dossiers les plus complexes, sans pour autant laisser s'éteindre un maillage fin du territoire en matière de contrôle fiscal. Privilégier les dossiers à enjeux ne doit pas signifier la fin de toute action auprès des cas de fraude les plus répandus et les plus simples.


* 41 Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

* 42 Cour des comptes, La fraude aux prélèvements obligatoires (novembre 2019), p. 17.

* 43 Article 184 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020. Pour une description détaillée de ce transfert, se référer au commentaire de l'article 61 du projet de loi de finances pour 2020 (Rapport général n° 140 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019).

* 44 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017. Annexe 15 des rapporteurs spéciaux Thierry Carcenac et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

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