V. ENSEIGNEMENT AGRICOLE
Le groupe de travail « Enseignement agricole » de la commission de la culture animé par Antoine Karam (Guyane, apparenté LREM) est composé d'Annick Billon (Vendée, UC), Maryvonne Blondin (Finistère, socialiste et républicain) et Michel Savin (Isère, LR).
Afin de suivre les conséquences de la crise de Covid-19 sur l'ensemble des secteurs relevant de la compétence de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, son Bureau a décidé le mardi 14 avril de créer 12 groupes de travail transpartisans et animés par le rapporteur pour avis des crédits en charge du secteur.
Dans ce cadre, le groupe de travail « Enseignement agricole » a auditionné les principaux acteurs de cette voie de formation : représentants de syndicats enseignants agricoles, du conseil national de l'enseignement agricole privé, de l'union nationale des maisons familiales rurales (MFR), de fédération de parents d'élèves scolarisés dans l'enseignement agricole. Il a également eu un échange avec Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, dans le cadre de son audition par la commission de la culture le 7 mai dernier.
Il ressort de ces auditions 10 préconisations .
A. ÉTAT DES LIEUX DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
1. L'enseignement agricole fortement touché par la crise de Covid-19 en raison de ses spécificités
a) La spécificité des enseignements
L'enseignement agricole se caractérise par de nombreux cours « d'atelier » rendant difficile un enseignement à distance : les exemples sont multiples, mais on peut penser à des formations de la filière forêt-bois, l'élevage, les activités hippiques ou encore l'aménagement paysager.
Le groupe de travail souhaite rendre hommage à l'ensemble de la communauté éducative qui a su se mobiliser pour trouver des façons innovantes de poursuivre les apprentissages. Tel est le cas de cet enseignant de la filière cuisine-restauration qui proposait des cours en direct à ses élèves, de sa cuisine sur les différentes techniques culinaires. Toutefois, malgré cet investissement remarquable, les acquisitions pédagogiques en ont souffert .
b) Le rôle prépondérant des stages dans la pédagogie
L'enseignement agricole se distingue par la part importante jouée par les stages en entreprise. Si le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en lien avec le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur, a rapidement précisé qu'aucun élève ne pourra être empêché de se présenter aux examens au motif qu'il n'a pas complété l'ensemble de ses périodes de stage pour cause de confinement, il n'en demeure pas moins que ce temps passé en entreprise représente un moment important de la formation, permettant de se familiariser aux pratiques professionnelles et participe fortement à l'employabilité de l'apprenant .
Dans la filière des services aux personnes, de nombreux élèves devaient effectuer leurs stages dans des EPHAD. Or les conditions sanitaires strictes applicables dans ces établissements les ont rendus impossibles. De même, pour la filière agro-alimentaire, alors que le ministre de l'agriculture a fait un appel aux volontaires pour participer aux travaux agricoles, les stages des élèves ont été annulés.
2. Une forte mobilisation des « trois familles de l'enseignement agricole » pour assurer la continuité pédagogique des élèves
À l'annonce de la fermeture des établissements d'enseignement, les « trois familles de l'enseignement agricole » - enseignement agricole public, enseignement agricole privé sous contrat et maisons familiales rurales (MFR) - se sont mobilisées afin d'assurer la continuité pédagogique des enseignements.
En outre, l'enseignement agricole s'est greffé sur le service Docaposte mis en place par la Poste, permettant aux enseignants d'envoyer par courrier leurs cours aux élèves et à ceux-ci de retourner gratuitement leurs devoirs. Certains établissements ont accompagné cet envoi d'un appel téléphonique, afin de s'assurer de la bonne compréhension du cours et fournir des informations complémentaires.
a) Enseignement agricole public
AgroSup Dijon, institut d'appui à l'enseignement technique agricole - et éditeur des ouvrages « Educagri », a mis à disposition des enseignants, élèves et étudiants les versions numériques des ouvrages. Au final, près de 75 % des manuels utilisés au lycée étaient disponibles en ligne.
Par ailleurs, au 24 mars, soit moins de 15 jours après la fermeture des établissements d'enseignement, quelque 12 700 enseignants avaient créé des classes virtuelles sur les 15 000 enseignants exerçant dans les lycées agricoles publics, soit près de 85 % - au rythme accéléré d'environ un millier créées chaque jour.
b) Enseignement agricole privé
En ce qui concerne l'enseignement agricole privé, ce dernier a pu s'appuyer sur son centre de formation continue, qui proposait déjà avant la crise de Covid-19 des formations en ligne. Il a ainsi été mis à contribution pour mettre en relation des enseignants et des intervenants avec des groupes de jeunes, qu'il s'agisse ou non de leurs classes. En outre, la quasi-totalité des établissements agricoles ont mis en place, seuls ou dans le cadre d'un collectif territorial, une plateforme numérique.
c) Maisons familiales rurales
Le réseau des maisons familiales rurales s'est également fortement mobilisé pour accompagner leurs élèves pendant toute cette période. Le nombre d'espaces numériques de travail a augmenté de façon exponentielle, passant de 1 000 comptes ouverts avant la crise à plus de 15 000 comptes.
d) Malgré un investissement de la communauté éducative, un décrochage de certains élèves
Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation estime à 5 % le nombre de décrocheurs pendant la période de confinement, c'est-à-dire d'élèves, dont les établissements d'enseignement agricole sont sans nouvelles .
Toutefois, un certain nombre d'élèves « non-décrocheurs » - pour reprendre la terminologie - ministérielle ont connu des difficultés pour suivre un enseignement régulier à distance, pour diverses raisons, notamment matériels et d'infrastructures. Comme l'a rappelé le secrétaire général du CNÉAP, 40 % des élèves accueillis dans les établissements de son réseau sont boursiers, avec les difficultés socio-économiques que cela implique.
Pour sa part, le SNETAP-FSU estime à 25 % le nombre d'élèves désengagés de leur scolarité (manque d'assiduité aux cours ou dans la remise des devoirs notamment).
3. Préparer la reprise des cours avant les vacances d'été
L'ensemble des personnes auditionnées, ainsi que le ministre ont exprimé le souhait d'une réouverture des établissements d'enseignement avant les vacances d'été : « le retour des élèves doit être l'occasion de les remotiver, de faire le point individuellement avec eux sur les problèmes rencontrés dans leurs familles mais aussi en entreprise [pour les apprentis qui sont restés en entreprise] », ou encore « nous n'imaginons pas terminer l'année scolaire sans revoir nos élèves » .
Lors de ses auditions, le groupe de travail a noté un certain nombre de critiques, regrettant que les décisions affectant l'éducation nationale s'appliquent de manière « unilatérale » à l'enseignement agricole. Tel a été le cas des annonces du ministre de l'éducation nationale le 3 avril dernier sur les conditions de passation du baccalauréat 2020.
Le groupe de travail appelle le ministère a précisé rapidement les conditions de réouverture des établissements d'enseignement agricoles - ceci après une concertation avec l'ensemble des acteurs.
Or, si elle semble s'être renforcée au niveau national depuis début mai - le ministre ayant indiqué une forte concertation notamment via les réunions du CHSCTM, du CHSCT et du CTM -, le groupe de travail a noté des difficultés de concertation et d'information au niveau local .
Plusieurs personnes auditionnées regrettent des contacts parfois difficiles avec les DRAAF (direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt). Certaines DRAAF ont diffusé des informations en cours de validation par les ministères entraînant ainsi de nombreuses questions sur le terrain.
Lors de son audition le 7 mai dernier, Didier Guillaume a indiqué que « le déconfinement ne sera réussi que s'il est progressif, à l'inverse du confinement qui a été brutal » . Le groupe de travail partage cette analyse tout en précisant, qu'il doit se faire au niveau local en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés : DRAAF, chefs d'établissements, enseignants et intervenants, parents d'élèves. À titre d'exemple, la situation est très différente entre une MFR accueillant simultanément en moyenne des groupes de 15 à 25 élèves et un établissement agricole de grande taille.
Cette reprise des cours nécessite également de travailler avec les représentants d'associations d'élus locaux sur les questions liées aux transports scolaires, à l'internat et à la restauration collective . L'enseignement agricole se distingue par un bassin de recrutement de ses élèves étendu. Le représentant de la PEEP Agri a indiqué au groupe de travail que certains élèves habitent à plus de 150 km de leurs établissements. Les problématiques des transports scolaires, d'internats - 50 % des apprenants sont internes, cette proportion pouvant atteindre 80 % dans certains établissements, contre une moyenne de 10 % d'internes dans l'éducation nationale - et de restauration collective - avec trois repas par jour à organiser - sont essentielles. Rouvrir les établissements sans internat, ni cantine n'a aucun sens.
Enfin, le groupe de travail salue la volonté du ministère de l'agriculture et de l'alimentation de disposer d' une circulaire propre à l'enseignement agricole sur la réouverture des établissements. Comme l'a souligné Didier Guillaume lors de son audition le 7 mai dernier, « mettre en place nos propres directives, circulaires et guides de bonnes pratiques » permet d'être « agiles, mobiles et réactifs » .
Préconisations :
- Prévoir la réouverture des établissements d'enseignement en concertation avec l'ensemble des acteurs locaux
- Travailler avec les représentants des associations d'élus sur les questions liées aux transports scolaires, internats et restauration collective
4. Apporter un soutien scolaire et permettre un renforcement des apprentissages
Afin d'apporter un soutien scolaire aux apprenants de l'enseignement agricole pendant les vacances d'été, le groupe de travail propose la mise en place du dispositif « école ouverte » dans les établissements concernés , tenant compte à la fois des matières spécifiques enseignées, mais également des contraintes inhérentes au bassin de recrutement de l'enseignement agricole (internat).
En outre, le ministère de l'éducation nationale a annoncé la mise en place d'un dispositif « école ouverte », renforcé pour cet été tant sur le nombre d'élèves accueillis que de niveaux de classe concernés. Le groupe de travail appelle à la mise en place rapide d'une réflexion visant à permettre d'accueillir des élèves de l'enseignement agricole dans des établissements de l'éducation nationale proches de chez eux, pour qu'ils puissent bénéficier d'un soutien scolaire dans les matières communes avec l'éducation nationale (mathématiques, français, physique-chimie, langues vivantes, ...).
Par ailleurs, il lui semble également nécessaire de revoir le schéma prévisionnel d'emplois pluriannuel. Celui-ci prévoit, sur la période 2019-2022 la suppression de 300 ETP, avec une accélération sur les années 2021 et 2022.
Année |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Suppression d'ETP |
- 50 |
- 60 |
- 80 |
- 70 |
Or, ces diminutions ont des effets immédiats sur l'enseignement délivré, d'autant plus que les effectifs ont connu à la rentrée 2019 une augmentation, après plus de 10 années d'érosion. Le gel des suppressions d'ETP prévues en 2021 permettrait de maintenir un encadrement des élèves en petits groupes, plus propices au soutien scolaire et à l'individualisation des besoins de chacun d'entre eux.
Préconisations :
- Réfléchir à un dispositif « école ouverte » mutualisé, notamment pour les matières communes entre l'enseignement agricole et éducation nationale, afin de permettre aux élèves de l'enseignement agricole domiciliés loin de leurs établissements de pouvoir disposer d'un soutien scolaire pendant les vacances d'été
- Revoir le schéma prévisionnel d'emploi pour mettre fin à la baisse du nombre d'ETP, afin de permettre un accompagnement des élèves en petits groupes