V. DES FREINS DE NATURE VARIÉE

A. DES ÉNERGIES COÛTEUSES ET PEU RENTABLES QUI NÉCESSITENT DE GROS INVESTISSEMENTS

1. Un coût macroéconomique défavorable sauf à considérer toutes les externalités

Le rapport précité « Prospective Agriculture-Énergie 2030 » du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, publié en 2011, montrait déjà que malgré des objectifs ambitieux de développement des bioénergies, la production d'EnR dans le secteur agricole restait soumise à plusieurs incertitudes, toujours valables dix ans plus tard, notamment sous l'effet d'un déficit de rentabilité économique. Aucune filière d'EnR d'origine agricole n'est actuellement viable économiquement sans soutien public . Leur avenir dépend donc d'une amélioration de leur efficacité énergétique, d'une augmentation des prix des autres énergies (par un coût accru de l'émission de carbone par exemple) ou du maintien de politiques de soutien suffisamment incitatives. Par ailleurs, si le fait d' intégrer leurs externalités en particulier leurs externalités positives, plaide plutôt pour un soutien public , leur développement reste toujours soumis à la démonstration de leur réelle plus-value environnementale, encore sujette à controverses pour certaines filières, comme celles des biocarburants. De même leur coût macroéconomique est encore plus défavorable si elles conduisent à des conflits d'usage des sols et des productions alimentaires . C'est pourquoi il faut rester vigilant sur leur impact sur la sécurité alimentaire future : les productions d'électricité photovoltaïque au sol et, surtout, de biocarburants sont, par exemple, largement consommatrices de terres agricoles.

2. Des coûts microéconomiques paralysants

Au niveau microéconomique, les EnR représentent souvent des investissements élevés pour les exploitants agricoles, avec une rentabilité économique inégale et incertaine , qui ne se confirme qu' après plusieurs années. Ces coûts microéconomiques peuvent être paralysants et constituer un frein majeur à l'essor des EnR dans le secteur agricole.

L'investissement requis dépend de multiples paramètres mais les montants peuvent être élevés alors que les banques sont frileuses et que les risques financiers sont réels. La difficulté d'accès au financement , par prêts bancaires pour des projets dont la rentabilité est parfois incertaine, est un frein au développement des EnR et des programmes de financement dédiés, relayés par les banques, pourraient contribuer à lever ce frein. En Allemagne, la Rentenbank, banque de développement pour l'agriculture et les zones rurales, institution de droit public, propose ainsi un programme de crédits pour promouvoir la transition énergétique dans le secteur agricole, en subventionnant les PME du secteur agricole qui investissent dans les EnR. Ce programme est relayé par les banques de proximité telles que les Sparkasse. L'agriculture bénéficie actuellement d'incitations fiscales notamment sur l'amortissement du matériel, incitant fortement à des investissements importants (excédant parfois les besoins réels en matériel). Une fiscalité encore davantage orientée vers les EnR serait un signal incitatif important pour faciliter l'investissement des agriculteurs dans leur développement.

Le coût des investissements pour les installations photovoltaïques dépend du type et de la taille de l'installation comme le montre la CRE. Pour les installations mises en service en 2020, la fourchette de CAPEX se situe entre 800 euros/kWc pour les plus grandes centrales au sol et 1 200 euros/kWc pour les plus petites installations agrivoltaïques comme les ombrières qui nécessitent plus de structures, d'où des coûts de structures et de pose plus importants.

Dans le domaine de la méthanisation , plus la taille de l'installation est grande, plus le montant de l'investissement par Nm 3 de biogaz ou de kW sera bas. Comme ordre de grandeur, pour une installation moyenne de méthanisation dont le biogaz est valorisé par un moteur électrogène pour produite et injecter de l'électricité, le montant de l'investissement est de l'ordre 7 000 à 8 000 euros/kWé.

Le tableau ci-après illustre les montants d'investissements requis en fonction des puissances électriques des méthaniseurs.

Les investissements requis pour l'installation de méthaniseurs

Source : Ademe.

L'investissement est généralement supporté par l'agriculteur lui-même , qui bénéficie d'aides, le plus souvent de l'Ademe voire des régions, la production d'énergie par le secteur agricole reposant principalement sur les dispositifs d'incitation et les tarifs d'achat sans lesquels la viabilité ne serait pas atteinte pour nombre d'installations. Les projets collectifs permettent une mutualisation de l'investissement et donc du risque.

Le plus souvent, les agriculteurs ne disposent pas des fonds propres suffisants pour supporter les importants coûts d'investissement dans des installations de méthanisation agricole, souvent renchéris par le recours à des intrants de type effluents d'élevage (moins méthanogènes que les intrants habituels dans la filière industrielle), dont l'utilisation présente pourtant un très grand intérêt pour contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole et d'autres externalités négatives (odeurs, pollution des eaux...). Certaines installations peuvent pourtant être rentables , y compris dans la petite méthanisation, surtout si l'on prévoit un mécanisme d'accès au financement, en évitant que la valeur ajoutée produite ne risque de se trouver préemptée par des acteurs non agricoles.

La production directe d'énergie devrait en effet être profitable par rapport à la gestion déléguée à des énergéticiens ou à l'achat d'énergie sur le marché , mais chaque projet est spécifique et dépend fortement de son contexte : nature du gisement et de la source d'énergie, accessibilité et proximité de ce gisement, accès au foncier, proximité des réseaux, nature du porteur de projet (individuel, collectif, exploitant(s), collectivité, coopérative agricole...), capacité d'investissement... De manière générale, les exploitants agricoles préfèrent gérer et valoriser directement leurs ressources dans une logique de circuits courts, ce qui leur permet aussi d'être bénéficiaires d'une plus grande partie de la valeur produite, sans compter que plus le transport des déchets est long plus son coût pour l'agriculteur et ses externalités négatives pour la société sont élevés.

Si le photovoltaïque et l'éolien sont arrivés à un niveau de maturité industrielle et commerciale, avec un rôle central des énergéticiens qui captent aussi la valeur, les agriculteurs se contentant souvent de louer leurs terres, la méthanisation à l'échelle de l'exploitation pose encore des questions de R&D. Ainsi, le manque d'offres viables d'un point de vue microéconomique freine le développement de la petite méthanisation alors que le plus gros gisement de méthanisation en France se trouve dans le secteur agricole, dont les exploitations sont souvent éloignées des points d'injection dans le réseau de gaz. Les principaux axes de R&D devront porter sur la digestion et la valorisation du biogaz pour arriver à des solutions adaptées et conçues dans une logique d'optimisation de l'ensemble des coûts de la conception du produit à sa fabrication (« design to cost » ou conception à coût objectif). Des solutions de type « power to gas » ou des collectes par transport routier recourant à des énergies non fossiles.

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