LISTE DES DÉPLACEMENTS
SIÈGE DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA GENDARMERIE NATIONALE
ISSY-LES-MOULINEAUX
VISITE DU 27 FÉVRIER 2020
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
AUDITION DU 14 NOVEMBRE 2019
• M. Éric MORVAN , Directeur général de la police nationale
AUDITION DU 28 NOVEMBRE 2019
• M. Christian RODRIGUEZ , Directeur général de la gendarmerie nationale
AUDITION DU 30 JANVIER 2020
• M. Frédéric ROSE , Secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation
AUDITION DU 4 JUIN 2020
• M. Christophe CASTANER , Ministre de l'Intérieur
PRÉSENTATION DU
RAPPORT D'ÉTAPE
EN RÉUNION DE DÉLÉGATION, JEUDI
9 JUILLET 2020
M. Jean-Marie Bockel, président . - Corinne Féret et Rémy Pointereau nous présentent quelques constats et pistes à traiter, après avoir entendu Éric Morvan, à l'époque directeur général de la police nationale, le général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, Frédéric Rose, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), et Christophe Castaner, alors ministre de l'Intérieur.
Nous avons eu le plaisir de nous rendre, avant le confinement, au siège de la gendarmerie nationale à Issy-les-Moulineaux pour assister notamment à la présentation des brigades territoriales de contact et des nouveaux outils numériques de la gendarmerie.
Nous essayons de réaliser un travail de fond, au long cours, tout en restant en prise avec l'actualité. Les affrontements de Dijon, très particuliers, ne sont pas les premiers dans notre pays. Nous avons également à l'esprit la nécessaire relation de confiance entre forces de l'ordre et citoyens, dans un contexte de conflictualité sociale, avec notamment le mouvement des gilets jaunes ou la contestation de la réforme des retraites. Dès qu'une manifestation a lieu, on anticipe des risques sécuritaires qui n'ont rien à voir avec l'expression citoyenne qui justifiait la manifestation au départ. Ces phénomènes s'intensifient. Je pense aux répercussions françaises de l'affaire George Floyd ou aux critiques parfois systématiques des forces de l'ordre. Il faut faire la part des choses, entre le rappel du rôle des forces de sécurité et la nécessité de sanctionner les écarts, sans tomber dans la généralisation.
M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Avant de commencer mon rapport, je souhaite remercier le président pour son travail depuis six ans et lui dire tout le plaisir que j'ai eu à travailler avec nos collègues, d'abord en tant que premier vice-président chargé de la simplification et des normes, puis en tant que membre.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci. C'est ma dernière réunion en tant que sénateur.
M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Ce rapport d'étape sera complété par un rapport définitif publié d'ici la fin de l'année. Nous lancerons ensuite avec Corinne Féret un nouveau cycle d'auditions, afin d'entendre notamment le nouveau directeur général de la police nationale, les associations d'élus locaux, les syndicats de police et le ministère de la Justice. Nous envisageons des déplacements sur le terrain pour étudier les bonnes pratiques, fidèles à la tradition de notre délégation.
Lorsque nous avions commencé nos travaux, l'actualité était à la lutte contre le terrorisme. Désormais, la question des rapports entre la police et les citoyens se pose. Mais nous n'aborderons pas, à chaud, le sujet des techniques d'interpellation par exemple. Je rappelle que la commission des Lois a lancé une mission d'information sur le sujet, or nous savons travailler en bonne intelligence avec les commissions permanentes.
Que pouvons-nous dire de la sécurité sous le prisme des collectivités territoriales ? Plusieurs facteurs conditionnent l'ancrage territorial de la sécurité intérieure. D'abord, la présence de nos forces sur le terrain, c'est-à-dire la police et la gendarmerie, à la recherche d'une implantation équilibrée sur le territoire mais pas figée, puisque la territorialisation de la délinquance et de la criminalité a volé en éclats. Cela impose de sortir des schémas classiques et de s'émanciper parfois des frontières administratives pour coller aux bassins de délinquance. L'ancrage dépend de la complémentarité et de l'enracinement de ces deux forces dans tous les territoires.
Nous devons nous attacher à préserver leur maillage territorial. La mutualisation, notamment des patrouilles, nous inquiète, car elle peut se traduire par une diminution de la présence territoriale de nos forces, une plus faible connaissance du terrain et des élus locaux par les personnels, ou encore des délais d'intervention rallongés.
Il ne faut pas sous-estimer les difficultés de logement rencontrées par les agents et penser à l'attractivité de certains territoires, où les forces de police ne peuvent plus se loger.
Il faut disposer de forces de sécurité bien formées et ayant une stratégie bien définie.
S'agissant de la formation, l'ancien ministre de l'Intérieur, M. Castaner, avait réfléchi à une réforme qui allongerait la formation des policiers à 24 mois au lieu de 16. Surtout, la répartition entre formation initiale en école et périodes de stages sur le terrain serait inversée pour privilégier la formation continue. Nous ne pouvons qu'encourager cette piste de réforme, car il est indispensable que les agents déployés soient préparés à aller sur le terrain. Nous devons sortir du syndrome, qui existe à l'Éducation nationale, consistant à affecter les jeunes recrues aux terrains les plus difficiles. Ce n'est pas forcément la meilleure formule.
Vient ensuite la question des moyens. Les agents se plaignent de locaux vétustes, d'uniformes vieillissants, d'armes obsolètes, de véhicules dépassés, alors qu'en face, les criminels sont montés en gamme, avec des armes de guerre ou des berlines ultrapuissantes, ce qui a créé une dangereuse asymétrie des moyens. Même les casseurs qui infiltrent les mouvements sociaux depuis une dizaine d'années sont désormais suréquipés en casques ou protections en tous genres. Je crois qu'il y va de l'image de l'État régalien. Comment celui-ci peut-il imposer l'autorité s'il est en haillons ?
La stratégie nationale de prévention de la délinquance a su évoluer pour prendre en compte le caractère protéiforme des menaces. Nous avions auditionné le préfet Frédéric Rose, qui anime le fameux CIPDR, qui prend aussi en compte les dérives sectaires, puisqu'il a absorbé la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), la lutte contre la radicalisation et, plus récemment, la lutte contre l'islamisme et le communautarisme. Reste à s'assurer de sa mise en oeuvre, en lien avec les élus.
Nous avons un motif de satisfaction à ce stade, puisque la nouvelle stratégie 2020-2024 met l'accent sur le renforcement des actions partenariales avec les élus locaux selon quatre priorités : les jeunes, qui entrent de plus en plus tôt dans la délinquance ; les personnes vulnérables, qui nécessitent un accompagnement social ; le rapport à la population, avec des innovations telles que les Groupes de partenariat opérationnel (GPO), qui associent les habitants des quartiers, les élus, les bailleurs sociaux ; la gouvernance locale, notamment le couple préfet-maire, dont on a vu qu'il était fondamental lors de la crise sanitaire.
L'ancrage territorial de la sécurité impose de nouer des relations privilégiées avec la population et les élus locaux pour être au plus près des réalités des territoires.
S'agissant des relations avec les citoyens, je n'ai pas peur de dire que la sécurité doit être l'affaire de tous. Dans un contexte budgétaire et humain contraint pour l'État, les citoyens peuvent devenir des acteurs à part entière de la sécurité : songeons aux dispositifs « Attentifs ensemble » de la RATP, « Voisins vigilants » ou « Participation citoyenne » de la gendarmerie. Ces actions offrent un cadre institutionnalisé, car il faut justement éviter que les initiatives soient sauvages et conduisent aux milices ou à l'autodéfense, comme nous l'avons vu à Dijon récemment.
Nouer des relations avec les citoyens c'est aussi réinvestir les quartiers et la proximité. C'est le sens même des quartiers de reconquête républicaine, dont le but est de regagner la confiance de la population. Évidemment, la police de sécurité du quotidien (PSQ) s'inscrit aussi dans cet objectif. Nous pensons tous à la police de proximité créée par Jean-Pierre Chevènement et disparue en 2003. On nous a dit que la PSQ était une police sur mesure cette fois, adaptée à chaque territoire, bénéficiant d'une déconcentration opérationnelle et plus étroitement associée aux maires. Avec Corinne Féret, nous allons le vérifier.
La gendarmerie n'est pas en reste, puisqu'elle aussi a développé des dispositifs pensés pour renforcer la proximité avec la population : Brigades territoriales de contact (BTC), déployées dans la « France périphérique » ; Brigade du numérique (BNUM), inaugurée en 2018 montrant que l'ancrage territorial c'est aussi la capacité à s'adapter aux mutations de notre société. Elle a d'ailleurs connu un pic d'activité pendant la période de confinement. S'agissant ensuite des relations avec les élus locaux, la tendance est au partenariat opérationnel, voire à la contractualisation.
Bien sûr, le nerf de la guerre, c'est l'information : kit pour accompagner les élus ; vidéoprotection ; accès aux données et aux chiffres de la délinquance pour les élus. L'autre axe, c'est la coopération avec les services de l'État, au sein des Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). Sur l'information et la coopération, il faudra trancher la question de l'accès des élus locaux aux fichés S. Je rappelle que les maires peuvent déjà consulter le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT).
On peut, à ce stade, se féliciter que les élus soient associés aux Cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF), et pour certains territoires aux Cellules de lutte contre l'islam radical et le repli communautaire (CLIR), déjà installées dans 83 départements. Enfin, il faudra pérenniser les dispositifs de formation des élus locaux.
J'ai rencontré lundi dernier le commandant du groupement de gendarmerie de mon département - Corinne Féret a fait de même. Il a évoqué l'idée d'un schéma de cohérence territoriale de la sécurité, que j'ai trouvée tout à fait intéressante.
Mme Corinne Féret, rapporteure . - Au-delà de la question des périmètres de l'action publique et de celle du partage des tâches entre des acteurs multiples, la qualité de l'ancrage de la sécurité dépend aussi des capacités d'anticipation et de réaction de nos forces.
Il ne peut y avoir une réactivité satisfaisante sans d'abord un renseignement territorial de qualité. Les évènements récents de Dijon l'ont prouvé. Il faut une connaissance du terrain et des acteurs locaux. Les modifications successives et incessantes de l'architecture du renseignement territorial interrogent.
Au-delà du renseignement, la capacité de déploiement de nos forces de sécurité est devenue primordiale. Elles doivent être capables de réagir immédiatement, avec la même rapidité que les délinquants eux-mêmes, ce qui exige un maillage resserré. La puissance des réseaux sociaux est telle qu'elle permet la mobilisation expresse de groupes ou d'individus dangereux. Comme les Brigades mobiles de Clemenceau en leur temps, nos forces de sécurité doivent être adaptées aux mutations de la délinquance contemporaine.
L'autre grand sujet, à cheval sur la question des périmètres et des acteurs et sur les capacités de déploiement, c'est celui des polices municipales. Les maires sont des acteurs à part entière de la politique de sécurité. La montée en puissance progressive des polices municipales illustre cette prise de conscience. Elles se sont institutionnalisées, professionnalisées et banalisées dans le paysage policier français. Se pose bien sûr la question du rapport avec les autres forces régaliennes. Aujourd'hui, la rivalité est dépassée. C'est la complémentarité qui prime, car les policiers municipaux ont su trouver leur place. L'heure est à la consolidation de ces forces au sein d'un continuum de sécurité, et à la réduction de l'hétérogénéité entre les communes, qu'il s'agisse de l'armement, des moyens humains et matériels, des véhicules, voire de l'assistance de la vidéoprotection. Il faut poursuivre leur institutionnalisation et améliorer l'articulation avec les autres forces de police.
Enfin, pour terminer cette présentation du rapport d'étape, nous devons nous arrêter sur d'autres maillons qui conditionnent la solidité du chaînage de la sécurité intérieure, et d'abord les politiques publiques et les acteurs non étatiques. Travailleurs sociaux, médiateurs, personnels de l'Éducation nationale, administration de la jeunesse et des sports et de nombreux ministères et administrations participent déjà à la production de la sécurité de nos concitoyens. Tout ne dépend pas de la place Beauvau.
La sécurisation des espaces collectifs n'est plus l'apanage des seules forces de sécurité étatiques. La sécurisation de la RATP est dévolue au Groupement de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) tout comme au service de la Sûreté ferroviaire à la SNCF. Ce sont des personnels dont nous avons pu redécouvrir le rôle-clé lors de la crise sanitaire, au moment où il fallait faire respecter les consignes de port du masque par exemple.
De façon plus générale, on peut aussi mentionner la codépendance entre les besoins en sécurité intérieure et les politiques d'urbanisme.
D'autres forces se sont imposées depuis une vingtaine d'années dans le continuum de sécurité : les acteurs de la sécurité privée. Avec la montée du terrorisme, les besoins ont augmenté et ils sont devenus indispensables dans de nombreux secteurs. Au total, près de 175 000 salariés participent aujourd'hui à la sécurité quotidienne de nos concitoyens. C'est un gisement d'emplois considérable et un secteur en pleine croissance. À ce stade, nous avons identifié le besoin de renforcer les partenariats avec les forces régaliennes ; la nécessaire montée en gamme des agents de sécurité privée par une amélioration de la formation notamment ; et la poursuite de la régulation du secteur.
Dernier maillon de la chaîne de la sécurité, qui n'est pas le moindre même si on l'oublie souvent : la justice, car sans justice pénale ni sanctions, l'ancrage territorial de sécurité est inopérant.
À ce stade, nous devons pérenniser les outils de dialogue avec l'institution judiciaire : sur le partage d'information, dans le cadre de conventions avec la justice ou encore dans le cadre des maisons de la justice et du droit. Il faudra sans doute renforcer les outils partenariaux, poser la question des moyens de la justice ainsi que celle des réponses pénales jugées insuffisantes de la part de nos forces de police.
La crise de la Covid-19 a montré que la sécurité devait être appréhendée comme un sujet global, à construire avec les acteurs locaux. Ce que nous avons vécu est une preuve supplémentaire de la nécessité de poursuivre les coopérations et la territorialisation de nos politiques de sécurité. En un mot, nous avons besoin des collectivités - je sais que vous n'en doutiez pas.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci. Ce rapport d'étape est déjà important.
M. Christian Manable . - Je félicite nos deux collègues pour la qualité de leur travail et je remercie le président Jean-Marie Bockel, grâce à qui les sénateurs de la majorité et de la minorité ont travaillé ensemble de façon pointue et exhaustive. Notre délégation correspond tout à fait à l'esprit de la Haute Assemblée, représentante des collectivités territoriales. Tous ces rapports d'information constituent la plus-value intellectuelle qui est la marque du Sénat.
Les mots ont un sens. Je préfère personnellement l'appellation de « gardiens de la paix » à celle de « forces de l'ordre ». Cela reflète une philosophie différente.
Je regrette la disparition de la police de proximité dans les quartiers dits difficiles. On l'a critiquée en disant qu'elle passait son temps à jouer au football, mais elle avait la connaissance du terrain et sa présence générait une facilité relationnelle avec la jeunesse.
En milieu rural, la gendarmerie assure une présence auprès des maires et de nos concitoyens. Je salue les réunions annuelles des brigades et des élus, avec un temps d'échange, des mises au point, des informations.
Je souhaite aussi rappeler l'importance des médias. Les gendarmes doivent faire connaître les affaires résolues et les arrestations dans la presse locale, sinon un sentiment d'impunité se développe dans l'esprit de nos concitoyens.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci. J'ai un pincement au coeur au moment de quitter le Sénat, et en particulier notre délégation.
Je dirais « gardien de la paix » au singulier et « forces de l'ordre » au pluriel.
M. Rémy Pointereau, rapporteur . - Il est vrai qu'il est plus positif de dire « gardiens de la paix » mais ce terme s'applique plus à la police qu'à la gendarmerie.
Cette dernière a mené un effort considérable - que je salue - pour se rapprocher des élus, qui sont un relais important d'information sur les territoires. La gendarmerie a une volonté très forte de s'impliquer davantage sur le terrain.
Quant à la communication des interpellations, effectivement, il faudrait qu'elle soit faite. Il faudrait aussi que la justice donne suite aux plaintes, car nous avons peu d'informations et beaucoup de plaintes sont glissées sous le tapis.
Mme Corinne Féret, rapporteure . - On note un effort réel de la gendarmerie pour maintenir des liens réguliers avec les élus et assurer une présence auprès de la population, y compris dans un cadre informel. Dans mon département du Calvados, elle est très présente et très bien perçue. Elle montre son implication dans la vie du territoire.
Je suis moi aussi favorable à un retour de la police de proximité en zone urbaine.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Ce sujet m'a beaucoup tenu à coeur tout au long de ma vie politique - j'ai été maire de Mulhouse pendant 21 ans. La prévention de la délinquance, particulièrement de la part de la police, de la gendarmerie et d'autres administrations comme l'Éducation nationale et la Justice crée un climat de confiance. Ce qui fonctionne a besoin d'être revisité dans un monde mouvant.
Nous publierons un rapport intermédiaire pour tous nos collègues et montrerons également dans un document notre travail des trois dernières années.
J'ai été très heureux de présider cette délégation.