B. UN CONTRÔLE EFFECTIF DU JUGE ADMINISTRATIF SUR LA PROPORTIONNALITÉ DES MESURES DE RESTRICTION EN PÉRIODE DE DÉCONFINEMENT
Compte tenu de la répartition des compétences juridictionnelles, le juge administratif a été en première ligne , notamment dans le cadre de procédures de référé-liberté ou de référé-suspension, pour l'exercice du contrôle de la légalité des mesures prises au titre de l'état d'urgence sanitaire.
La première phase de l'état d'urgence sanitaire s'est caractérisée par une certaine sécurité juridique. Les recours formés contre les mesures prescrites par les pouvoirs publics, au niveau national comme au niveau local, n'ont en effet donné lieu qu'à peu d'annulations , et ce alors même que certaines d'entre elles portaient une atteinte forte aux libertés publiques comme individuelles.
Au niveau national, aucun des recours formés devant le Conseil d'État contre les mesures prescrites par le Gouvernement n'a ainsi abouti. De même, ainsi que le relevait la mission de suivi dans son deuxième rapport d'étape, seuls deux arrêtés préfectoraux ont été suspendus pendant la phase de confinement, sur un total de vingt recours.
La période de déconfinement a soulevé , en revanche, des enjeux plus importants en termes de libertés publiques .
• Dans un contexte se caractérisant par une amélioration progressive de la situation sanitaire, plusieurs mesures restrictives de libertés imposées à la population ont été jugées illégales par le Conseil d'État , en raison de leur caractère non nécessaire et non proportionné.
Tel a tout d'abord été le cas de l'interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte . Dans une série d'ordonnances du 18 mai 2020, le juge des référés du Conseil d'État, saisi par plusieurs associations et requérants individuels, a en effet estimé que si les cérémonies de culte exposaient les participants à un risque de contamination élevé justifiant qu'il soit procédé à leur réglementation, des mesures d'encadrement moins strictes étaient possibles, à l'instar des régimes imposés dans le cadre des transports en commun, des magasins de ventes et centres commerciaux, des établissements d'enseignement et des bibliothèques.
Il a, dès lors, considéré que « l'interdiction générale et absolue (...) de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, sous la seule réserve des cérémonies funéraires pour lesquels la présence de vingt personnes est admise, [présentait] (...) un caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique et [constituait], eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière ».
Il a, en conséquence, enjoint le Gouvernement de modifier, dans un délai de huit jours, les dispositions du décret du 11 mai relatives à l'interdiction des réunions dans les lieux de culte, « en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de ?déconfinement?, pour encadrer les rassemblements et réunions dans les établissements de culte ».
Par un raisonnement similaire, le Conseil d'État a également suspendu, par une ordonnance du 13 juin 2020, l'interdiction générale et absolue de manifester sur la voie publique en vigueur depuis le début de l'état d'urgence sanitaire et qui était maintenue dans le décret du 31 mai 2020.
Tout en reconnaissant la complexité de faire respecter les « gestes barrières » dans le cadre des rassemblements sur la voie publique, il a en effet estimé que rien n'indiquait que ce fût impossible « en toute circonstance, sur l'ensemble du territoire de la République et pour toute manifestation, quelle qu'en soit la forme ».
Tenant compte de l'amélioration sensible de la situation sanitaire sur l'ensemble du territoire national et de la possibilité pour l'autorité administrative d'interdire, sur le fondement de dispositions législatives de droit commun 13 ( * ) , toute manifestation de nature à troubler l'ordre public, dont la salubrité publique est une composante, le juge des référés du Conseil d'État a considéré que l'interdiction générale et absolue des manifestations sur la voie publique « ne peut à ce jour être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée, et, ce faisant, proportionnée à l'objectif de préservation de la santé publique » et a, en conséquence, suspendu l'application de cette disposition.
Se fondant sur des arguments similaires, il a, par une ordonnance du 6 juillet 2020, suspendu le régime d'autorisation préalable des manifestations et des cortèges sur la voie publique , instauré par le Gouvernement au lendemain de la décision suspendant l'interdiction générale et absolue des manifestations. Il a considéré qu'en superposant ce régime d'autorisation préalable au régime de déclaration de droit commun et en ne fixant aucun délai au préfet pour prendre sa décision avant la date de la manifestation, il existait un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.
• S'agissant des mesures prescrites au niveau territorial par les autorités préfectorales, le nombre de recours a été relativement faible, comme pendant la période de confinement. Ainsi, sur les 7 845 arrêtés pris entre le 11 mai et le 14 juin, 29 seulement ont donné lieu à un recours devant le juge administratif .
Parmi eux, deux ont donné lieu à des annulations : le tribunal administratif de Paris a en effet annulé les arrêtés du préfet de police des 19 et 26 mai fermant le centre commercial de Beaugrenelle et le magasin Le Printemps.
* 13 En application des articles L. 211-1 et L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, les manifestations sur la voie publique sont soumises à une obligation de déclaration à l'autorité administrative. Lorsque la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, le maire, ou, à défaut, le préfet, peut l'interdire par arrêté.