LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ
Dans le rapport d'étape examiné par la commission le 29 avril dernier, les rapporteurs avaient formulé quatre observations principales concernant les établissements pénitentiaires :
- à cette date, l'administration pénitentiaire avait réussi à maîtriser la propagation de la covid-19 en détention ; le nombre de détenus contaminés était resté très limité, de même que le nombre d'agents touchés par la maladie ;
- après une période de tensions et de violences au début du confinement, le calme et la sécurité avaient été rétablis dans les prisons ;
- la population pénale avait été réduite de près de 11 000 personnes en six semaines, ramenant ainsi pour la première fois depuis trente ans le taux d'occupation carcérale aux alentours de 100 % ;
- l'activité des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) avait été perturbée en raison du manque d'équipements pour travailler à distance ; ils étaient néanmoins parvenus à accompagner la libération anticipée de plusieurs milliers de détenus.
Concernant les centres éducatifs fermés (CEF), gérés par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou par des associations habilitées, les rapporteurs avaient constaté que leur taux d'occupation avait baissé, certains jeunes étant rentrés dans leur famille, et ils avaient fait état des initiatives prises dans plusieurs structures pour adapter les conditions de prise en charge au contexte de la crise sanitaire.
Au sujet des centres de rétention administrative (CRA), ils avaient souligné que leur taux d'occupation avait été ramené autour de 10 % et que les personnes retenues avaient été regroupées en conséquence dans quelques centres, notamment ceux de Paris-Vincennes et du Mesnil-Amelot. Ils avaient recommandé de veiller au respect des conditions d'hygiène et des mesures barrières de manière à éviter la propagation du virus.
Au cours des mois de mai et juin, les rapporteurs ont poursuivi leurs investigations. Ils ont procédé à cinq auditions complémentaires, visité l'établissement pénitentiaire de Fresnes et obtenu des contributions écrites de la part de huit organisations syndicales représentatives des personnels de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Les informations recueillies ont confirmé leurs premières analyses et leur ont permis d'approfondir leur réflexion sur plusieurs points évoqués dans la suite de ce rapport.
Les établissements de santé mentale Les établissements de santé mentale sont une quatrième catégorie de lieux de privation de liberté puisqu'ils accueillent des patients souffrant de troubles psychiatriques hospitalisés, sans leur consentement, soit à la demande d'un tiers (membre de la famille, tuteur, curateur), soit d'office sur décision d'un médecin ou du préfet. La mission de suivi n'a pas examiné dans quelles conditions ces établissements s'étaient organisés pour faire face à l'épidémie, l'organisation des hôpitaux relevant du champ de compétence de la commission des affaires sociales. Elle a en revanche été attentive à la question du respect des droits des patients et a interrogé à ce sujet la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan. Adeline Hazan a estimé que les droits des patients n'avaient pas été la priorité dans la gestion de la crise. Alors que le Contrôle général a interrompu la plupart de ses déplacements sur le terrain au moment du confinement, il est intervenu en urgence au centre hospitalier de Moisselles, dans le Val d'Oise, après avoir été alerté sur une situation attentatoire aux droits des patients : les malades, en soins libres et en soins sans consentement, atteints de la Covid-19 ou soupçonnés de l'être, étaient enfermés à double tour, jour et nuit, dans leur chambre, le personnel soignant craignant qu'ils ne puissent assimiler le respect des gestes barrières. Une solution a été trouvée à la suite de l'intervention de la CGLPL : les portes ont été fermées sans être verrouillées et un travail d'explication a été mené auprès des patients pour leur expliquer les contraintes nouvelles, destinées à les protéger, découlant de la crise sanitaire. La CGLPL a également déploré que l'accès des patients au juge et à leurs avocats ait été, de fait, très restreint pendant la crise sanitaire. Les audiences des juges des libertés et de la détention (JLD) relatives aux mesures de soins sans consentement se sont déroulées au tribunal, sur dossier, avec un échange par visioconférence seulement lorsque le matériel technique était disponible. Les avocats ont par ailleurs cessé de se rendre dans les établissements de santé mentale, bien que leur visite auprès des patients ait été autorisée par exception à l'interdiction générale des visites décidée pour éviter la propagation du virus. |
I. LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES : DES MESURES DE PRÉVENTION EFFICACES ONT PERMIS DE CONTENIR L'ÉPIDÉMIE
A. UNE CRISE SANITAIRE MAÎTRISÉE
1. Une épidémie sous contrôle
Fin avril, les rapporteurs avaient constaté que le nombre de personnes en détention contaminées par le coronavirus était resté limité, inférieur à celui observé à l'extérieur, et ils avaient invité l'administration pénitentiaire à ne pas relâcher sa vigilance.
En ce début de mois de juillet, ce bilan positif n'a pas été démenti : il n'y a pas eu de flambée de l'épidémie en détention . Les rapporteurs en ont eu confirmation lors de leur déplacement du 12 mai dernier au cours duquel ils ont rencontré le directeur de l'établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF) : dès le mois de février, l'établissement a ouvert, sur la recommandation de l'Agence régionale de santé (ARS), une « unité covid » comptant vingt-six lits ; à aucun moment cette unité n'a accueilli plus de dix malades simultanément ; au moment de la visite, 31 patients seulement, presque tous issus des établissements pénitentiaires d'Île-de-France, étaient passés par cette unité 66 ( * ) .
Cette appréciation positive est partagée par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui indique dans un récent rapport que « partout la prévention a été efficace et que le nombre des contagions a été faible : le risque majeur de développement d'une épidémie dans la promiscuité des milieux clos et au sein d'une population que son état de santé rend souvent vulnérable a été évité » 67 ( * ) .
La suspension des parloirs et de la plupart des activités (formation, activités culturelles, travail en prison...) a permis d'éviter que le virus ne pénètre en détention. Les contacts entre détenus ont également été réduits : les promenades et les douches collectives ont été effectuées en petits groupes, toujours identiques, les détenus arrivants ont été placés en quatorzaine, des zones de confinement sanitaire ont été aménagées et des tests de dépistage ont été réalisés en lien avec les ARS.
Les rapporteurs déplorent toutefois l'arrivée tardive de certains équipements de protection, notamment des masques, et les discours fluctuants qui les ont accompagnés . L'administration pénitentiaire a fourni des masques à son personnel à compter du 28 mars, en les réservant d'abord au personnel en contact avec les détenus ; depuis le 11 mai, tous les agents en sont enfin pourvus. Mais au cours de la deuxième quinzaine de mars, les membres du personnel qui venaient travailler munis de leurs propres masques, souvent artisanaux, étaient rappelés à l'ordre. Le syndicat FO Direction indique que « certains agents, portant des masques personnels, ont même parfois fait l'objet de demandes d'explication (début d'une procédure disciplinaire) » 68 ( * ) . Cette attitude est regrettable alors que le port d'un masque artisanal apportait une protection supplémentaire, de nature à rassurer le personnel pénitentiaire comme les détenus, sans priver les soignants du matériel nécessaire.
2. Un calme rapidement revenu
Un deuxième motif de préoccupation des rapporteurs avait trait à la sécurité dans les établissements pénitentiaires. Dans leur rapport d'étape, ils avaient constaté que le calme était revenu après une période de tensions, marquée par des mutineries comme à Uzerches, Écrouves et Remire-Montjoly, consécutive à l'annonce de la suspension des parloirs. Aucun incident notable n'a été relevé au cours des mois de mai et juin.
Dans le rapport précité, la Contrôleure générale note que « la grande majorité des établissements contrôlés a indiqué que le confinement avait été une période calme : il y a eu très peu d'incidents et de violence entre personnes détenues comme à l'égard du personnel. Les incidents collectifs qui ont eu lieu mi-mars lorsque la suspension des parloirs a été annoncée ont été rapidement régulés » 69 ( * ) . Plusieurs organisations syndicales ont conforté cette analyse : au début du mois de mai, le syndicat national pénitentiaire Force ouvrière-personnel de surveillance (SNPFO-PS) considérait qu'il n'y avait « pas de tensions particulières », tandis que l'UFAP-UNSa-Justice écrivait que « la situation semble calme et actuellement sous contrôle, avec moins d'incidents que lors des premiers quinze jours » 70 ( * ) .
La suspension des parloirs a entraîné une réduction du trafic de stupéfiants en détention, qui a pu créer une situation de manque chez certains détenus, facteur supplémentaire de tensions ; l'action des unités sanitaires a toutefois permis d'accompagner le sevrage des détenus, ce qui a contribué à contenir ces difficultés.
Les témoignages recueillis par les rapporteurs font état d'une augmentation en parallèle des « projections » , qui consistent à lancer de la drogue ou d'autres produits par-dessus le mur d'enceinte de la prison afin qu'ils soient récupérés par les détenus dans la cour de promenade. À Fresnes, des personnes se sont par exemple introduites dans ce but dans un espace en travaux aux abords de l'établissement. Entendu par les rapporteurs, le directeur de la prison de Gradignan en Gironde avait également observé une recrudescence des projections. Ce constat montre que le problème de la sécurisation du périmètre des prisons n'est pas encore résolu , en dépit de la création des équipes locales de sécurité pénitentiaire, autorisées à intervenir sur l'ensemble du domaine pénitentiaire.
3. Un impact négatif sur le travail de réinsertion des détenus
Dans l'ensemble, le personnel pénitentiaire s'est mobilisé pour assurer la continuité de ses missions et cette implication mérite d'être saluée.
Si le taux d'absentéisme a certes augmenté, il est resté suffisamment limité pour ne pas mettre en danger le fonctionnement des établissements. Entendu le 29 avril 2020, le directeur de l'administration pénitentiaire (DAP), Stéphane Bredin, a indiqué que le taux d'absentéisme était alors proche de 22 %, contre 13,5 % à la même période de 2019. La suspension de nombreuses activités a en outre permis de redéployer les effectifs vers les tâches essentielles . Comme le note le SNDP dans sa contribution écrite, « un grand nombre de services ayant cessé de fonctionner, les agents qui y étaient habituellement affectés se sont trouvés disponibles pour effectuer d'autres missions ou renforcer leurs collègues ». Concernant les surveillants pénitentiaires, le syndicat UFAP-UNSa-Justice précise que leur travail « s'est concentré sur la gestion des unités de vie, des promenades et des douches ainsi que les transits à l'infirmerie ».
Deux facteurs principaux expliquent la hausse de l'absentéisme. D'abord, dès le début de la crise, la direction a donné comme consigne aux personnes vulnérables du fait de leur état de santé de ne pas venir sur leurs lieux de travail. Ensuite, beaucoup d'agents ont rencontré des difficultés liées à la garde d'enfants avant que le dispositif d'accueil dans les écoles ne leur soit élargi. Le personnel pénitentiaire n'a en effet pas été considéré d'emblée comme un public prioritaire pour l'accueil des enfants , ce que la mission de suivi juge surprenant et regrettable compte tenu des exigences fortes de continuité du service qui pèsent sur ces fonctionnaires.
Si les tâches essentielles ont donc été assurées, celles qui visent à préparer la réinsertion des personnes détenues - l'enseignement, la formation professionnelle, le travail en détention - ont en revanche été très perturbées.
Concernant le travail en détention, seules les activités liées au service général (entretien et fonctionnement de la prison) se sont partout poursuivies. Certains ateliers pénitentiaires ont par ailleurs été reconvertis dans la production de masques 71 ( * ) . En ce qui concerne les activités d'enseignement, une forme de continuité a été assurée puisque des cours écrits et du matériel pédagogique ont été transmis aux détenus par l'intermédiaire du personnel pénitentiaire ou des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse 72 ( * ) ; mais l'enseignement à proprement parler a été suspendu, l'absence de connexion à internet ne permettant pas de dispenser des cours à distance, et la qualité du suivi du travail scolaire semble avoir été très inégale selon les établissements.
L'organisation des activités dans les
établissements pénitentiaires
À la demande des rapporteurs, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a produit une note relative au maintien des activités proposées aux détenus incarcérés dans les six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Il en ressort que les éducateurs de la PJJ ont veillé à assurer une continuité de l'enseignement à partir des supports fournis par l'éducation nationale. A l'EPM de Lavaur (Tarn), les éducateurs ont toutefois noté que si le dispositif a plutôt bien fonctionné durant le premier mois de confinement, un relâchement important des mineurs a été perçu par la suite, leur manque d'autonomie dans le travail et leur besoin d'être accompagnés physiquement par un enseignant étant manifestes. Pour rompre la monotonie des journées passées en cellule, l'accent a également été mis sur la pratique sportive et les activités ludiques. L'EPM d'Orvault (Loire-Atlantique) a proposé des temps de course et de fitness avec un ou deux mineurs à la fois, accompagnés par un ou deux professionnels en extérieur ou en gymnase. L'EPM de Porcheville (Yvelines) a de même veillé à maintenir vingt-quatre créneaux de sport d'une heure chacun, ce qui a permis à chaque mineur d'accéder à deux séances par semaine. La présence d'un jardin dans certains EPM a été un atout : à l'EPM de Marseille, le jardin a servi d'aire de jeux et de lieu d'échanges, tandis que l'EPM du Rhône a proposé un atelier d'horticulture afin de sensibiliser les jeunes détenus aux techniques de production. |
L'activité des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) a également été fortement impactée par la crise sanitaire , comme les rapporteurs l'avaient déjà noté dans le deuxième rapport d'étape.
En milieu fermé, les entretiens en présentiel, de même que les prises en charge collectives, ont été pour l'essentiel suspendus pour être remplacés par des échanges par courrier ou par téléphone. Le syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap-FSU) a toutefois indiqué que dans plusieurs directions inter-régionales des services pénitentiaires (DISP) les entretiens arrivants, destinés aux personnes qui entrent en détention, avaient été maintenus en présentiel.
En milieu ouvert, l'accueil physique a été suspendu dès le 17 mars en application d'une note de la direction de l'administration pénitentiaire. Les entretiens avec les personnes placées sous main de justice se sont donc déroulés par téléphone, les agents travaillant depuis leur domicile, une permanence étant par ailleurs assurée, par roulement, dans les locaux du service. Les justificatifs ont été adressés aux SPIP par courrier ou par envoi dématérialisé.
L'efficacité de ce travail à distance a cependant pâti du manque de matériel adapté . Les rares ordinateurs portables disponibles ont souvent été réservés au personnel d'encadrement et des problèmes de connexion informatique ont été relevés. Beaucoup de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) ont donc travaillé avec leur matériel personnel. Les entretiens avec les personnes placées sous main de justice ont en conséquence été moins nombreux et souvent moins approfondis qu'à l'accoutumée.
Dans cet environnement dégradé, une partie du temps de travail des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) a en outre été consacrée à la préparation de la libération anticipée d'environ 6 000 détenus . Les CPIP ont notamment vérifié, sur la base de justificatifs, que les détenus disposeraient bien d'un hébergement après leur libération, comme le prévoit l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. La suspension des parloirs a aussi eu pour conséquence que les SPIP ont été très sollicités par les familles des détenus désireuses d'obtenir des nouvelles de leur proche.
* 66 L'activité de l'EPSNF ne donne qu'une vision partielle de l'épidémie puisque les malades peuvent aussi être accueillis dans les unités hospitalières sécurisées inter-régionales (UHSI) présentes dans certains hôpitaux. L'EPNSF n'est en outre pas équipé pour accueillir les patients en réanimation dont l'état est le plus grave. Le fait que son unité n'ait jamais été saturée est toutefois un indicateur du caractère contenu de l'épidémie en prison.
* 67 Cf . le rapport « Les droits fondamentaux des personnes privées de liberté à l'épreuve de la crise sanitaire -17 mars au 10 juin 2020 », page 2.
* 68 Citation extraite de la contribution écrite adressée aux rapporteurs.
* 69 Rapport précité, page 32.
* 70 Citations extraites des contributions écrites adressées aux rapporteurs.
* 71 À Arles, Rennes, Saint-Martin-de-Ré, Val-de-Reuil, Valence, Muret, Moulins et Châteauroux.
* 72 Les éducateurs de la PJJ interviennent dans les établissements pénitentiaires pour mineurs ainsi que dans les quartiers pour mineurs des maisons d'arrêt.