III. L'HEURE DE VÉRITÉ
A. DES CHOIX POLITIQUES QUI DÉFINIRONT L'AVENIR
La BITD est un cas d'école de la politique industrielle, ou plutôt, du risque que l'absence d'une politique industrielle claire, assumée et consensuelle peut faire peser sur la Nation. Si nous avons encore une BITD, alors que nous avons perdu de larges pans de notre industrie, c'est parce que notre souveraineté exige que nous gardions une capacité de produire nos propres armes pour nous défendre.
Mais, dans un contexte d'accélération de l'innovation, notre BITD ne peut se maintenir que si elle a un marché suffisant pour amortir ses coûts de développement. Cela suppose :
- un effort d'investissement de défense important de l'État ;
- et la capacité à exporter, car même en progression, les achats de l'État sont loin de permettre, à eux seuls, d'équilibrer le business plan .
1. Oser poser l'équation politique de la BITD
Les entreprises naissent et croissent pour répondre à une demande. La demande qui justifie l'existence de la BITD est très particulière : c'est le besoin opérationnel des forces. Ce besoin opérationnel découle lui-même de décisions qui sont entièrement de nature politique : dans le système français actuel, c'est le Président de la République, chef des armées, qui engage les forces.
Par conséquent, la BITD est à la fois une conséquence et un instrument de la souveraineté. Ce qui donne à la BITD son importance vitale pour la Nation, ce n'est pas son poids économique (certes considérable) ou son excellence technologique (qui nous place encore, dans ce domaine, parmi les meilleurs au monde) : l'importance de la BITD vient de ce qu'elle est un élément indispensable de notre liberté.
Notre liberté repose sur trois piliers :
- une volonté politique de préserver à tout prix les intérêts vitaux de la France ;
- des forces armées composées de femmes et d'hommes ayant consenti par avance au sacrifice ultime pour accomplir la mission. Et nul ne peut douter de la détermination des soldats, marins et aviateurs français , que nous voyons jour après jour exposer leur santé et leurs vies en opérations, pour la défense de la France et la protection des Français. Nous leur exprimons ici notre immense gratitude ;
- un équipement des forces qui leur permette d'accomplir la mission. La BITD existe pour cela, et il n'est que de visiter n'importe quel usine ou laboratoire de notre industrie de défense pour mesurer cette tension vers le besoin opérationnel.
Il faut rappeler tout cela, car ce fondement politique de notre effort de défense est trop souvent oublié dans le débat public, en particulier au moment d'allouer des crédits que l'affaiblissement de nos finances publiques rend trop rares.
2. La question des exportations
Le deuxième moyen de financer la R&D de notre BITD est de trouver des clients à l'export. Il s'agit d'un sujet qui est trop souvent réduit à sa seule dimension économique. Les exportations d'armements seraient justifiées par l'activité économique et la contribution positive à la balance commerciale qu'elles induiraient.
Ces éléments sont exacts, mais ils ne forment pas l'essentiel. Les exportations d'armements sont d'abord justifiées par le fait qu'elles sont indispensables au financement des investissements qui permettront d'assurer à nos forces de conserver, à l'avenir, l'avantage technologique , ou du moins de ne pas avoir de handicap technologique.
Le marché national ne peut permettre d'amortir les coûts de développement des matériels modernes (sauf à imaginer un doublement de notre budget de défense). A l'heure actuelle, le marché européen n'offre pas non plus de débouchés suffisants, car beaucoup de nos partenaires européens achètent en priorité du matériel américain (outre ce qu'ils sont éventuellement en capacité de produire eux-mêmes). Sur ce plan, des améliorations sont néanmoins possibles à moyen terme. On pourrait imaginer qu'avec la constitution progressive d'une véritable BITD européenne (BITDE), dont le FEDef est peut-être l'embryon, les Européens fassent reposer leur défense sur du matériel européen.
Enfin, s'ajoute à la nécessité de fournir à nos forces du matériel du meilleur niveau l'importance des marchés d'armement dans les partenariats stratégiques, voire les alliances que la France noue avec certains pays amis.
3. La prise en compte des enjeux de souveraineté : l'exemple américain
Lorsque l'on compare le cadre légal et réglementaire de protection de la souveraineté en France et dans d'autres pays amis, comme les États-Unis ou même le Royaume-Uni ou l'Allemagne, on a parfois l'impression d'une troublante innocence française.
La France aurait tout à gagner à développer un ou plusieurs fonds souverains à vocation stratégique, pour permettre la croissance de ses pépites technologiques.
Il pourrait également être fructueux de s'inspirer des dispositifs existant aux États-Unis pour dissocier la possession d'une entreprise stratégique du contrôle des éléments intéressant la souveraineté.