DEUXIÈME PARTIE :
« ...À LA MONTÉE EN PUISSANCE DE L'INGÉNIERIE PUBLIQUE TERRITORIALE... »

I. DU POINT DE VUE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, L'ÉTAT A QUITTÉ LE TERRAIN ET ELLES ONT DÛ RÉPONDRE AU BESOIN

Le développement de l'ingénierie publique locale a été plus progressif que le retrait de l'État et a emprunté des voies juridiques diversifiées :

- la première solution peut consister en la constitution d'un bureau d'étude interne en régie, ce choix n'étant toutefois ouvert qu'aux collectivités d'une certaine importance ;

- une deuxième solution à laquelle les collectivités recourent est la mutualisation horizontale entre elles ou entre syndicats de gestion ;

- une troisième option, qui a connu un développement important, consiste en la création d'une agence départementale d'ingénierie fournissant aux collectivités adhérentes une offre d'ingénierie hors du champ concurrentiel.

En définitive, ces choix dépendent de l'analyse que les élus locaux font des besoins des collectivités et de la manière d'y répondre en fonction des ressources d'ingénierie publiques et privées locales.

L'ingénierie publique locale s'est principalement structurée autour des départements, notamment dans les domaines de l'aménagement, de la voirie, de l'eau, de l'assainissement, de la restauration et de l'entretien des milieux aquatiques, la prévention des inondations, de l'habitat. Elle est destinée aux communes et EPCI qui ne bénéficient pas de moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétences. D'autres acteurs territoriaux ont également participé à cette montée en puissance, notamment les intercommunalités (A).

Cependant, du fait de la diversité des situations locales, des moyens financiers et humains, l'essor de l'ingénierie publique locale ne couvre pas tous les besoins, notamment en ingénierie stratégique et de conception (B).

A. L'OFFRE D'INGÉNIERIE PUBLIQUE LOCALE S'EST STRUCTURÉE PRINCIPALEMENT AU NIVEAU DÉPARTEMENTAL, AVEC D'AUTRES ACTEURS TERRITORIAUX

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont constaté que l'état des connaissances sur l'ingénierie dans les territoires suscitait un intérêt croissant de la part des collectivités, au point de pouvoir en dresser un premier état des lieux :

- en 2014, l'Assemblée des communautés de France (AdCF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) ont réalisé conjointement une étude sur l'ingénierie au service de l'autonomie locale. Publiés dans un rapport intitulé « Territoires ingénieux », ces travaux, menés par les élèves administrateurs territoriaux de l'Institut national des études territoriales (INET), n'avaient pas pour objet de dresser un inventaire exhaustif des moyens des départements et des intercommunalités mais a permis de mettre en valeur la diversité des modèles d'organisation locaux. Tout en constatant que « la complémentarité entre les différentes offres d'ingénierie n'est pas toujours garantie », l'étude faisait émerger deux conclusions : le besoin d'articulation des acteurs est « de plus en plus ressenti » et « l'échelon du territoire départemental est reconnu comme pertinent pour penser l'organisation de l'offre » ;

- plus récemment, l'ADF a réalisé un « état des lieux de l'ingénierie au niveau national 2018 » sous la forme d'une enquête auprès des 101 départements. 77 d'entre eux ont apporté des éléments de réponses sur la nature juridique de leur offre d'ingénierie (agence, régie,...), la nature des prestations fournies et l'existence d'autres ressources locales (CAUE) ;

- l'Association nationale des directrices et directeurs d'agences techniques départementales (ANDATD) a réalisé un annuaire détaillé sous forme de cartographie nationale ( cf. infra ) et de fiches techniques par département (forme juridique, type de missions, effectifs et budget) dont il faut saluer le caractère quasi exhaustif et le travail d'actualisation ;

- enfin, l'Association des maires de France (AMF) avait informé vos rapporteurs qu'elle menait pour sa part une étude sur l'ingénierie et les communes, mais les conclusions de celle-ci ne devaient pas être disponibles à temps avant l'adoption du présent rapport.

Dix ans après le rapport d'information de notre collègue Yves Daudigny - qui rappelait que l'échelon départemental était le plus pertinent et qu'il était important de laisser la liberté à chaque territoire de s'organiser librement -, la multiplication des ATD vient confirmer le propos. À cet égard, il faut saluer le travail des associations d'élus et des fonctionnaires territoriaux qui contribuent à affiner l'état des connaissances sur les ressources locales d'ingénierie .

1. Les conseils départementaux sont des acteurs majeurs de l'ingénierie territoriale

D'après le recensement effectué par l'Association nationale des agences techniques départementales, 70 départements apportent une assistance technique, juridique ou financière dont :

- 55 départements sous forme d'agence technique départementale (48 sous forme d'EPA et 7 sous forme d'association, syndicat mixte ou SPL) ;

- 15 départements sous forme de régie.

Leurs moyens cumulés s'établissent à environ 70 millions d'euros et 860 agents. Plus de 10 000 conseils, assistances, missions d'AMO seraient fournis chaque année. Dans les départements où une ATD est constituée, entre 50% et 100% des communes sont adhérentes.

L'ingénierie territoriale au niveau départemental

Source : Association nationale des directrices et directeurs d'agences techniques départementales (ANDATD)

En outre, différents outils publics permettent aux collectivités de mettre en place d'autres types de structures d'ingénierie adaptées en complément de leur ATD ou en leur lieu et place (CAUE, SEM, agence d'urbanisme,...).

Pour l'ADF, l'essor de l'ingénierie départementale correspond à un niveau de proximité et de mutualisation des moyens adapté aux territoires ruraux, où le conseil départemental est souvent la seule collectivité suffisamment importante pour porter des projets structurants et organiser une offre d'ingénierie, les EPCI de moins de 40 000 habitants n'étant généralement pas autonomes sur le plan technique.

a) Les Agences techniques départementales : le modèle prédominant de structuration de l'ingénierie publique locale

Les Agences techniques départementales ont été créées par l'article 32 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions : « Le département, des communes et des établissements publics intercommunaux peuvent créer entre eux un établissement public dénommé agence départementale. Cette agence est chargée d'apporter aux collectivités territoriales et aux établissements publics intercommunaux du département qui le demandent une assistance d'ordre technique, juridique ou financier . »

Codifié en 1996 à l'article L. 3232-1-1 du CGCT, il s'est enrichi de nouveaux domaines de compétences : « Pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, le département met à la disposition des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale qui ne bénéficient pas des moyens suffisants pour l'exercice de leurs compétences dans le domaine de l'assainissement, de la protection de la ressource en eau, de la restauration et de l'entretien des milieux aquatiques, de la prévention des inondations, de la voirie, de la mobilité, de l'aménagement et de l'habitat une assistance technique dans des conditions déterminées par convention . »

L'ANDATD attribue le succès du modèle des ATD - les créations de nouvelles agences se poursuivent, par exemple en Côte-d'Or, en 2019 - pour plusieurs raisons :

- d'une part, son mode de gouvernance partagé entre communes/EPCI et département ;

- d'autre part, les services qui y sont développés sont ceux dont les territoires ont besoin. Ainsi l'assistance des agences techniques est-elle extrêmement variée et adaptée d'un département à l'autre (juridique, informatique, numérique, bâtiment, voirie, aménagement urbain, eau, assainissement, Gemapi, énergie, Satese, marchés publics, urbanisme, etc.).

L'élément de proximité le plus souvent cité est : les ATD « travaillent à la parcelle », sur une rue, à l'échelle de la commune ou de l'intercommunalité. Leurs interlocuteurs directs sont les maires, leurs adjoints et les directeurs généraux de mairie.

Ensuite, ces services d'assistance tels qu'ils sont présentés par les conseils généraux et leurs agences ont vocation à s'inscrire dans un rapport de neutralité par rapport aux attentes des élus. Lors de leurs déplacements, vos rapporteurs n'ont pas été sans ignorer la dimension politique qui peut animer les rapports entre élus locaux, mais ils ont constaté que deux points importants permettaient de les réunir :

- la diversité des collectivités adhérentes d'une ATD, en général plusieurs centaines ( cf. encadrés ci-dessous : 607 collectivités adhérentes en Haute-Saône, 203 dans les Côtes-d'Armor) garantit un égal accès des adhérents aux compétences d'ingénierie proposées par le département ;

- l'absence de tutelle, affirmée par tous les acteurs locaux, entre le département et la collectivité bénéficiaire.

Les deux déplacements effectués en Haute-Saône et dans les Côtes-d'Armor ont permis de rencontrer des acteurs locaux et des agences techniques départementales que l'on peut qualifier de « puissantes », avec des compétences très diversifiées. Malgré cela, les situations locales demeurent très contrastées : elles dépendent du niveau des agences locales, de leurs moyens, mais aussi du maillage territorial pertinent pour concevoir et développer les projets, de la connaissance des acteurs locaux entre eux et de leur volonté de travail en commun.

Dans certains cas, lorsque l'offre d'ingénierie est localement peu diversifiée, l'efficacité du service rendu repose, comme en Haute-Saône, sur une relation bilatérale étroite entre le conseil départemental et la collectivité bénéficiaire (le niveau communal semblant privilégié) des services d'une ATD elle-même solidement structurée sur des compétences du « quotidien » (voirie, aménagement) mais aussi sur de nouveaux besoins tels que l'informatique et les nouvelles technologies.


L'ingénierie territoriale dans le département de la Haute-Saône

Partant du constat d'une offre privée d'ingénierie extrêmement réduite, le conseil départemental a créé une agence technique, « Ingénierie 70 », proposant des prestations de maîtrise d'oeuvre et de maîtrise d'ouvrage déléguée.

L'agence est financée par le département et par les collectivités adhérentes via le versement d'une cotisation et la rémunération des prestations offertes. On dénombre 607 collectivités adhérentes (529 communes, 62 structures diverses, 15 communautés de communes et le département). Cette structure est chargée d'apporter aux collectivités territoriales et aux établissements publics intercommunaux du département de la Haute-Saône qui le demandent, une assistance d'ordre technique, juridique ou financière dans les trois compétences suivantes : aménagement, application du droit des sols et informatique.

L'agence départementale effectue les prestations suivantes dans le cadre de sa « compétence aménagement » : aide à la recherche de financement et au montage des dossiers de subventions, analyse de budget de l'opération, faisabilité, simulation financière, simulation d'emprunt, intégration du projet dans les différents budgets de la collectivité (amortissement, proposition tarifaire, TVA,...) et prospective financière.

Le cas du département des Côtes-d'Armor est différent dans le sens où, sur les mêmes fondamentaux précédemment cités - à savoir une ATD soutenue par l'association des maires du département et les intercommunalités -, l'offre locale d'ingénierie publique et privée semble plus développée et répartie entre plusieurs acteurs tels que le centre de gestion, l'agglomération de Saint-Brieuc mais aussi le bureau local du Cerema.


L'ingénierie territoriale dans le département des Côtes-d'Armor

L'agence départementale d'appui aux collectivités (ADAC 22) met à disposition de ses adhérents des compétences en ingénierie dans les domaines de la voirie, de l'aménagement des espaces publics, du bâtiment, de l'assainissement et de l'assistance aux territoires. L'agence accompagne plus de 230 adhérents dans les Côtes-d'Armor : communes, intercommunalités et établissements publics.

Créée en 2012 et cogérée par le département des Côtes-d'Armor et l'Association des maires de France 22, l'agence est un service public d'assistance aux collectivités locales pour un appui technique et juridique de leurs projets d'ingénierie.

L'ADAC 22 répond aux demandes des communes et des intercommunalités en matière d'assistance aux maîtres d'ouvrage publics. Cette assistance à maîtrise d'ouvrage est donc un service public départemental de solidarité et de mutualisation proposé aux collectivités.

L'ADAC 22 met à la disposition des communes et intercommunalités membres plusieurs compétences en matière de voirie, d'aménagement des espaces publics, de bâtiment et d'assainissement collectif.

La gouvernance des projets est partagée entre le département, l'AMF 22 et les collectivités adhérentes.

L'assistance au maître d'ouvrage peut être proposée dans plusieurs cas :

- études de faisabilité de projets (approche technique, financière et juridique) ;

- aide à la rédaction des documents liés aux obligations de la commande publique (cahiers des charges, règlement de consultation...) ;

- aide à l'analyse des offres ;

- conduite d'opération (suivi des travaux en lien avec les maîtres d'oeuvre et les prestataires).

La maîtrise d'oeuvre est exclue des missions actuelles. Toutefois, une mission simplifiée de maîtrise d'oeuvre pour les programmes d'entretien de voirie est proposée aux collectivités adhérentes. L'ADAC accompagne la collectivité pour éclairer ses choix, dont elle conserve l'entière maîtrise.

Les communes, les intercommunalités et les structures publiques de type syndicats ou EHPAD peuvent y adhérer.

Une fois le projet lancé, après sollicitation de l'ADAC, celle-ci intervient en direct avec les élus adhérents et les accompagne durant les phases d'étude et de travaux.

La constante qui se dégage des déplacements et des auditions est le besoin de renforcer la connaissance mutuelle des acteurs locaux sur l'offre d'ingénierie et les besoins des élus locaux. Parfois, certains acteurs d'un même territoire ne se connaissent pas ou ignorent que des compétences existent à proximité.

b) Des domaines d'activités de plus en plus diversifiés selon l'enquête de l'Assemblée des départements de France

La voirie, l'aménagement urbain, l'eau et l'assainissement, mais aussi les ouvrages d'art, constituent les domaines d'activités prépondérants des ATD.

Les domaines d'intervention des ATD (sur 46 réponses)

*

* » Autres domaines » : conseil en énergie, patrimoine historique, assistance informatique, énergie renouvelable...

Source : Assemblée des départements de France (ADF)

Les ATD mènent également d'autres missions importantes notamment dans les domaines suivants : conseil en énergie, patrimoine historique, assistance informatique, énergies renouvelables...

Les prestations fournies concernent très majoritairement l'assistance à maîtrise d'ouvrage, le conseil et la maîtrise d'oeuvre. Parmi les autres missions des ATD figurent également la formation, le dépannage, l'assistance, l'information et l'accompagnement technique.

* » Autres prestations » : dépannage, assistance, information, accompagnement technique...

Source : Assemblée des départements de France (ADF)

D'autres initiatives sont également citées telles que la production de guides d'ingénierie publique, de notices méthodologiques ou d'appels à projets communaux.

2. ...l'ingénierie est également portée par une pluralité d'autres acteurs locaux
a) Les intercommunalités : une bonne échelle de mutualisation des services

Un grand nombre d'EPCI fournissent aussi un appui à leurs communes membres (66% des établissements). Néanmoins, « cet appui est corrélé à la taille des communautés et à la typologie des territoires. Les communautés de plus de 30 000 habitants organisées autour de territoires urbains sont les plus engagées dans l'apport d'ingénierie. A contrario , les communautés démographiquement plus faibles et rurales sont moins présentes sur ce champ » 17 ( * ) . Les intercommunalités qui ne proposent pas ces services sont généralement les plus petites (celles entre 5 000 et 10 000 habitants). Selon l'étude de l'AdCF, 50% des collectivités de moins de 10 000 habitants ne disposent pas d'offre d'ingénierie. Au-delà de 20 000 habitants, l'absence d'offre d'ingénierie est relativement rare. Il y a donc une « relation positive entre la taille de la collectivité et la structuration d'une offre ». Le cabinet d'étude SEMAPHORES annonce que « les intercommunalités constitueront en effet les fondements des changements à venir, en assurant une mutualisation de premier niveau pour l'ingénierie opérationnelle mais aussi en garantissant le maintien d'une maîtrise d'ouvrage locale » 18 ( * ) .

Un exemple - étudié dans le rapport « Les collectivités territoriales, leviers de développement des ruralités » - est la communauté de communes du pays rethélois (Ardennes), qui a mobilisé de nombreux dispositifs contractuels territoriaux s'élevant à presque 10 millions d'euros pour une communauté de 30 000 habitants.

Citée dans le rapport « Territoires ingénieux », Saint-Brieuc agglomération a mis en place une ingénierie commune en régie, au service de son projet de territoire, avec une direction générale adjointe mutualisée sur les services techniques entre la ville centre de Saint-Brieuc et la communauté d'agglomération. Cette mutualisation est d'autant plus intéressante qu'a été associée dès le départ une Société publique locale d'aménagement (SPLA) communautaire : Baie d'Armor Aménagement (B2A), qui intervient pour les études pré-opérationnelles et opérationnelles, les travaux et la commercialisation d'opérations mixtes. Enfin, Saint-Brieuc agglomération ne disposant pas d'agence d'urbanisme, elle s'est rapprochée des agences d'urbanisme des deux « métropoles » bretonnes : Rennes Métropole (Agence d'urbanisme et de développement intercommunal de l'agglomération rennaise - l'Audiar) et Brest métropole océane (ADEUPa Brest, l'agence d'urbanisme du Pays de Brest), avec un système de mise à disposition réciproque.

b) Les régions : un niveau de coordination stratégique et financier

Les conseils régionaux ne sont généralement pas les premiers porteurs d'une ingénierie territoriale, mais viennent en appui. Ils agissent surtout sur la base d'une contractualisation d'objectifs inscrits dans un plan d'action et de subventions. Néanmoins, il s'agit d'un échelon de coordination des politiques locales qui, selon Régions de France, entendue par vos rapporteurs, présente deux avantages concrets :

- celui d'une connaissance plus globale des infrastructures et des réseaux de communication et de transport qui lui permette de mettre en relation les acteurs locaux entre eux. À titre d'exemple, en région Bretagne, sur une question soulevée par le département du Finistère pour l'entretien d'un pont, la région a pu identifier un interlocuteur compétent au sein de la direction territoriale OUEST du Cerema qui était intervenu sur une même problématique dans le département des Côtes-d'Armor ;

- celui d'un effet d'échelle permettant de traiter des problématiques de financement dans le cadre de tours de table plus larges. C'est d'ailleurs au niveau du préfet de région - nous le verrons par la suite - que l'ANCT a fixé le niveau de coordination en matière de financement.

c) Les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les agences d'urbanisme et les centres de gestion

Les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) sont des organismes départementaux créés à l'initiative des conseils départementaux et des services de l'État, présidés par un élu local . Les collectivités territoriales, l'État et les professionnels de la construction sont tous représentés dans les conseils d'administration.

Au nombre de 90 en France 19 ( * ) , ils sont issus de la loi de 1977 sur l'architecture. Le CAUE est un outil de conseil, à la fois aux particuliers, aux professionnels et aux collectivités. Il intervient dans la phase amont des projets et, plus largement, peut accompagner des réflexions sur les nouveaux enjeux de société. Ils sont tous essentiellement financés par une part de la taxe d'aménagement. L'apport des CAUE peut être différent d'un département à l'autre (urbanisme, aménagement ruraux et urbain, bâtiment, patrimoine, environnement).

Plusieurs CAUE sont dirigés par un directeur commun ATD/CAUE. La direction commune, dans 6 cas confiée au directeur de l'ATD, a permis de repositionner les CAUE en les développant, en leur donnant plus de proximité, en les rendant plus opérationnels.


Le cas de la Moselle - MATEC / CAUE - une direction commune

L'agence technique MATEC a dépassé les 550 collectivités adhérentes (soit plus de 75 % des collectivités) et fait bénéficier de son ancrage le CAUE de la Moselle, dont le nombre d'adhérents avait baissé à environ 150 en 2017 et qui dépasse aujourd'hui les 300 collectivités adhérentes. Le CAUE accompagne ainsi le début des réflexions de projet à l'échelle communale ou intercommunale, sensibilise les élus sur les enjeux futurs. L'Agence technique est dans l'opérationnel. Cela s'est traduit au niveau de la MATEC par plus de 200 projets accompagnés chaque année, conduisant, en termes de marchés publics, à plus de 40 millions d'euros de commandes pour l'économie locale. Son rôle de facilitateur permet ainsi de faire émerger les projets plus rapidement et avec une vision pragmatique des besoins. Cet accompagnement technique complète parfaitement le soutien financier du département auprès des collectivités, pour lesquelles il débloque chaque année une enveloppe de 25 millions d'euros d'aide à l'investissement.

Le CAUE sensibilise et initie les réflexions, la MATEC assiste à la mise en oeuvre des projets et apporte le soutien technique, le département apporte le soutien financier.

Les agences d'urbanisme sont au nombre de 53, « rassemblées dans un réseau national permettant d'échanger les expériences et de capitaliser les savoir-faire. Chaque agence est différente mais réunit en général les communes et les communautés, les EPCI spécialisés (SCOT, AOT...), la région et le département, l'État et ses services déconcentrés, les chambres consulaires, l'université, le port, les établissements publics, etc. ». 20 ( * )

Les centres de gestion , ou centres de gestion de la fonction publique territoriale, ont des compétences en principe limitées à la vie de la fonction publique territoriale, à l'organisation des concours, des conseils de discipline, en passant par la gestion de carrière (ressources humaines et formation). Ils ne sont a priori pas directement compétents en matière d'ingénierie territoriale. Indirectement, ils interviennent pour le recrutement des acteurs de l'ingénierie ainsi que pour la rédaction de certains actes. Il en va de même pour le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Toutefois, certains centres de gestion, par exemple à Saint-Brieuc, proposent des services en matière d'ingénierie administrative et d'accompagnement réglementaire, notamment dans l'administration du droit des sols.

Exemples de missions réalisées par le centre de gestion des Côtes-d'Armor

Missions obligatoires (collectivités de moins de 350 fonctionnaires)

Missions optionnelles (pour toutes les collectivités affiliées ou adhérentes)

• Organisation des concours et examens professionnels (à l'exception de ceux de catégorie A+)

• Publicité des créations et vacances d'emploi (Bourse de l'emploi)

• Gestion prévisionnelle des effectifs, emplois et compétences (GPEEC)

• Gestion des carrières

• Reclassement en cas d'incapacité physique

• Conseil juridique statutaire

• Secrétariat des instances paritaires

• Conseil de discipline

• Droit syndical

• Partenariat CNRACL

• Commission de réforme et Comité médical

• Missions temporaires

• Emplois partagés

• Actions de professionnalisation préalables à l'embauche (licences professionnelles, formation

• Métiers administratifs territoriaux)

• Médecine préventive

• Hygiène et sécurité au travail

• Inspection

• Assurance des risques statutaires

• Conseil juridique non statutaire

• Études et organisation

• Accompagnement des pratiques professionnelles

• Droit des sols et rédaction d'actes

• Conseil et assistance informatique

• Archives

d) L'ingénierie privée : une offre à prendre en compte dans la cartographie de l'ingénierie dans les territoires

Selon la fédération professionnelle Syntec-Ingénierie, l'ingénierie privée concentre 70 000 établissements, qui comptent près de 312 000 collaborateurs, répartis entre le secteur de la construction (qui couvre les infrastructures, le bâtiment, l'environnement, la gestion de l'eau, la géotechnique) et celui de l'ingénierie industrielle (qui intervient dans les domaines de l'automobile, de l'énergie, de l'aéronautique, du ferroviaire,...). Son activité concerne l'ensemble des prestations intellectuelles qui garantissent la conception et la mise en oeuvre des ouvrages et des process tout au long de la chaîne de valeur.

90% des établissements sont constitués de très petites entreprises ou d'indépendants, mais l'ingénierie privée compte aussi quelques grandes entreprises, également présentes à l'international. Plus de 65% des entreprises se répartissent sur l'ensemble du territoire, hors Ile-de-France.

L'ingénierie publique, qui s'est fortement développée dernièrement, intervient parfois dans le champ concurrentiel, de manière qualifiée de « déloyale » par la fédération professionnelle. Ainsi, les secteurs d'intervention traditionnels de l'ingénierie privée (bâtiment/patrimoine, voirie/ouvrage d'art, eau et assainissement) sont ceux où cette concurrence est ressentie le plus fortement.

Il faut toutefois relever un paradoxe : selon les élus locaux, le retrait de l'ingénierie d'État n'a pas conduit mécaniquement à l'augmentation de l'activité privée dans les mêmes proportions . Ceux-ci constatent même une défaillance de l'offre privée sur certains segments ou certains territoires, et donc un basculement partiel de certaines missions vers d'autres acteurs publics. Les intercommunalités, les pôles de mutualisation intersyndicaux et les agences techniques départementales sont des émanations de collectivités locales.

À cet égard, certains départements veillent à ne pas « fausser » la concurrence lorsqu'ils interviennent sur des prestations telles que l'informatique et le développement des nouvelles technologies (e-administration, archivage légal,...) en affirmant, comme c'est le cas en Haute-Saône, pratiquer des prix « au-dessus du marché », en tenant compte de la TVA, pour ne pas décourager l'offre privée.

Néanmoins, faut-il que le Syntec-Ingénierie puisse siéger au sein de l'ANCT, en tant que personnalité qualifiée, avec voix consultative, et que d'une manière générale, il puisse participer aux instances de gouvernance de l'ingénierie publique ? Si cette solution n'a pas été retenue au niveau national - le conseil d'administration de l'ANCT ne comporte pas de représentant du secteur privé -, la question peut se poser à l'échelon départemental où, à défaut de participation aux nouveaux comités locaux de cohésion des territoires constitués dans chaque département par le préfet, un recensement le plus exhaustif possible de l'ingénierie privée complèterait utilement la cartographie des ressources et compétences locales .


* 17 Étude, AdCF et ADF, Territoires ingénieux : l'ingénierie au service de l'autonomie locale, 2014.

* 18 SEMAPHORES, L'ingénierie publique locale : une contribution aux enjeux de mutualisation, 2015.vb.

* 19 « Au 1 er novembre 2010, 91 CAUE déploient leur activité en fonction des besoins et de la ressource, couvrant presque en totalité le territoire national. » (rapport d'information précité présenté par Pierre Jarlier).

* 20 Ibid.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page