II. LIMITER LE RENOUVELLEMENT DES TERMINAUX, DONT LA FABRICATION ET LA DISTRIBUTION REPRÉSENTENT 70 % DE L'EMPREINTE CARBONE DU NUMÉRIQUE EN FRANCE
Les terminaux sont à l'origine d'une très grande part des impacts environnementaux du numérique. Cela est vrai à l'échelle mondiale : selon le GreenIT.fr 36 ( * ) , ils représentent 63 % des gaz à effet de serre émis par le secteur, 75 % des ressources consommées , 83 % des consommations en eau .
À l'échelle de l'empreinte carbone nationale, cette proportion est encore plus forte puisque 81 % des émissions du numérique français proviennent des terminaux . Et c ette part pourrait s'accroître à 82 % en 2040 37 ( * ) .
Les terminaux sont d'autant plus émetteurs qu'ils sont très fréquemment renouvelés. Selon l'étude, la durée de vie actuelle d'un smartphone serait de seulement 23 mois .
Émissions de gaz à effet de serre du numérique en France, par sous-ensemble, valeur relative
Pour l'heure, ce sont les téléviseurs qui, en France, émettent le plus de carbone, avec près du quart des émissions totales liées aux terminaux numériques. On relèvera également que le regroupement des smartphones (13 %), des ordinateurs portables (14 %), des ordinateurs fixes (10 %), des écrans (11 %) représentent à eux quatre près de la moitié (48 %) des gaz à effet de serre des terminaux numériques. À horizon 2040, l'Internet des objets devrait croître considérablement, au point même de dépasser l'empreinte carbone des smartphones et des ordinateurs portables .
Émissions de gaz à effet de serre des
principaux terminaux en 2019,
en valeur absolue et en valeur
relative
Empreinte carbone des principaux terminaux en France, de 2019 à 2040
Autre particularité nationale : la phase amont (qui comprend la fabrication et le transport des terminaux) représente 86 % des émissions de gaz à effet de serre des terminaux .
Émissions de gaz à effet de serre des
14 terminaux de l'étude, distinguées
entre phase amont et
phase utilisation, en valeur relative
Autrement dit, la fabrication et la distribution des terminaux constitue 70 % de l'empreinte carbone du numérique en France, contre seulement 40 % à l'échelle mondiale . Cette singularité s'explique essentiellement par la faible carbonation de l'électricité française , qui amoindrit l'impact carbone de l'utilisation des terminaux, des réseaux et des data centers .
Il découle de ces constats que la part de l'empreinte carbone du numérique en France relève principalement de l'étranger (80 % en 2019, taux qui devrait rester relativement stable dans le temps) , et notamment de l'Asie du Sud-Est, où sont construits l'essentiel des terminaux utilisés par les Français.
Répartition de l'empreinte carbone du
numérique en France,
entre émissions domestiques et
émissions à l'étranger
Les implications de ces quelques constats sont majeures. La
réduction de l'empreinte carbone du numérique en France devra
tout particulièrement passer par une
limitation de
renouvellement des terminaux
. Il s'agit là d'un
impératif environnemental mais aussi
économique
: en passant du tout-jetable
- alimenté par des imports qui grèvent la balance
commerciale du pays - à un modèle circulaire
- s'appuyant sur un écosystème industriel capable de
proposer des terminaux reconditionnés et d'offrir des solutions de
réparation - les politiques publiques peuvent
favoriser
l'implantation durable d'emplois non délocalisables, et implantés
dans les territoires
. À cet égard, la réduction
de l'empreinte environnementale du numérique en France constitue
également un acte de
souveraineté
économique
.
A. EN TAXANT LES EXTERNALITÉS NÉGATIVES LIÉES À LEUR FABRICATION : INTRODUIRE UNE TAXE CARBONE AUX FRONTIÈRES EUROPÉENNES POUR INTERNALISER LE COÛT ENVIRONNEMENTAL DES TERMINAUX IMPORTÉS
Une taxe carbone aux frontières européennes constituerait un premier levier de réduction de l'empreinte environnementale du numérique, en ce qu'elle rendrait plus onéreuse l'acquisition de terminaux - dont les émissions seraient intégrées dans le prix d'achat - et renforcerait parallèlement l'attractivité des terminaux issus des activités de reconditionnement 38 ( * ) et le recours à la réparation.
Comme le rappelle le rapport annuel du Haut Conseil pour le climat 39 ( * ) , si le grand débat a fait apparaitre des réticences envers la taxation environnementale sur le territoire national - s'appuyant aujourd'hui sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) portant directement sur les produits énergétiques, principalement d'origine pétrolière (essence, diesel, fioul...) - « une taxe environnementale aux frontières est populaire puisque 53 % des répondants [à la consultation se sont exprimés] pour taxer les produits importés qui dégradent l'environnement ». S'il faut se montrer prudent dans l'interprétation de ce résultat, du fait du caractère facultatif de la consultation, il semble attester d'une certaine acceptabilité sociale de cette modalité d'imposition environnementale.
Cette acceptabilité pourrait s'expliquer par le caractère moins régressif d'une taxe carbone aux frontières . Dans une récente étude consacrée à ce sujet 40 ( * ) , l'Ademe considère en effet que « la tarification carbone aux frontières est relativement moins régressive que celle sur les émissions directes, le niveau de consommation de l'ensemble des biens et services étant plus corrélé avec le niveau de revenu que les consommations de produits énergétiques ». L'étude conclut par ailleurs à une plus grande efficacité de cette modalité d'imposition environnementale : « les comportements en termes de modification de consommation par la variation des prix est plus forte pour la tarification carbone aux frontières que celle sur les produits énergétiques, les valeurs d'élasticité étant en moyenne plus élevées que celle des produits énergétiques seuls. Cela induit donc qu'elle est plus efficace pour réduire les émissions de GES liées à la consommation des ménages, quand bien même celles-ci ne rentreraient pas dans le bilan des émissions nationales ».
Il convient de rappeler qu'une taxe carbone aux frontières européennes ne porterait pas uniquement sur les équipements numériques. Elle aurait vocation à s'appliquer à l'ensemble des produits manufacturés produits en dehors de l'Union européenne et importés dans notre pays . Cependant, eu égard à la nature très polluante des terminaux et au fait que la quasi-intégralité d'entre eux sont produits en dehors du territoire européen, il est certain que le numérique occuperait une place non négligeable dans l'assiette de cette taxe et orienterait de manière efficace les citoyens vers des modèles de consommation plus locaux et vertueux.
L'internalisation du coût environnemental des terminaux importés pourrait alternativement passer par un mécanisme d'inclusion carbone, proposé par la France à ses partenaires européens. « Un mécanisme d'inclusion carbone permettrait de tarifer les émissions de gaz à effet de serre associées aux produits importés depuis des pays hors de l'UE au même niveau que les produits issus de l'UE, couverts par le marché carbone européen (EU ETS) » 41 ( * ) .
Proposition n° 8 : Introduire une taxe carbone aux frontières européennes pour internaliser le coût environnemental des terminaux importés et renforcer l'attractivité des offres de terminaux reconditionnés.
* 36 GreenIT.fr , Empreinte environnementale du numérique mondial, 2019.
* 37 Étude réalisée pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat par Citizing et KPMG (juin 2020).
* 38 Le reconditionnement est l'opération visant à réparer ou remettre en état un terminal numérique, en vue de sa revente. Il constitue en cela une forme de réemploi. Le reconditionnement peut concerner la partie matérielle du terminal (remplacement d'une batterie, d'une pièce défectueuse...), ou sa partie logicielle (nettoyage, réinitialisation et effacement des données personnelles).
* 39 Haut Conseil pour le climat, Rapport annuel 2019, 2019.
* 40 Ademe, La fiscalité carbone aux frontières et ses effets redistributifs , 2020.
* 41 « La DG Trésor présente la logique économique du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'UE à ses homologues de l'UE »- 20 novembre 2019