B. LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE ÉCONOMIQUE LIÉE AU COVID 19 : L'ENJEU DES COMPÉTENCES EST CENTRAL POUR SAUVER LES ENTREPRISES ET LES EMPLOIS

1. Une crise sans précédent depuis 1929

Comme le rappelait le ministre de l'Économie lors de son audition en visioconférence par les sénateurs le 6 avril 2020, la crise que traversent actuellement non seulement la France mais le monde entier rappelle, par son ampleur, la crise économique de 1929. La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, confirme en évoquant « la plus grave crise économique depuis la grande dépression ». Comme le rappelle l'Insee dans sa note de conjoncture du 23 avril 2020, « quand on le compare aux épisodes de récession des dernières décennies, ce choc se distingue en effet par sa soudaineté et par son ampleur, qui découlent directement de sa nature très singulière : la mise à l'arrêt « volontaire » - faute de mieux pour lutter contre l'épidémie - d'une large partie de l'économie . »

Les conséquences économiques du confinement en France peuvent s'apprécier au regard de l'évolution des prévisions gouvernementales de croissance pour la France, présentées dans les deux premiers projets de loi de finances rectificative pour 2020, adoptés pendant les premières semaines de confinement : le recul du PIB était évalué à 1 point dans le premier PLFR 22 ( * ) , et il est passé à 8 points dans le deuxième 23 ( * ) . En un mois de confinement, c'est donc une chute de 7 points supplémentaires du PIB qui s'est imposée dans les prévisions économiques. Et à la veille de la publication du présent rapport, le Gouvernement annonce une récession de 11 % en présentant son troisième projet de loi de finances rectificative.

L'OCDE 24 ( * ) a fait part de ses prévisions : « le confinement conduit en moyenne à une chute du PIB annuel de 2 points par mois de confinement. Et ce chiffre semble plutôt un plancher car il ne prend pas totalement en compte les effets en cascade sur les chaînes de production ou la confiance des consommateurs » .

L'Insee, dans sa note précitée, précise que « pendant la période de confinement, la perte de revenu national aura été considérable : la majorité sera absorbée par la hausse du déficit public, mais une part non négligeable restera au compte des entreprises. Les ménages seront également affectés, même si leur taux d'épargne devrait grimper ponctuellement du fait de la baisse de la consommation pendant le confinement. À l'incertitude sur le scénario sanitaire, qui n'augure pas d'un rebond économique rapide, s'ajoute donc l'incertitude sur le comportement des ménages et des entreprises dans ce contexte inédit . »

La publication 25 ( * ) d'Eurostat en date du 15 mai 2020 montre en outre que le PIB baisse de 3,3 % dans la zone euro (3,8 % dans l'Union européenne) et l'emploi de 0,2 % au premier trimestre 2020 tandis que la France se démarque avec la plus forte baisse de PIB de toute l'Union, à hauteur de 5,8 %. La Banque de France estime que la chute du PIB pour l'année 2020 sera de 10,3% . Par ailleurs le ministre de l'Économie et des Finances, dans son allocution du 20 mai 2020 adressée à des membres de l'Assemblée nationale, a indiqué « une récession de la zone euro évaluée à 7,7 % : (...) C'est la première fois depuis la création de l'Union européenne que la zone euro subit un choc aussi brutal. »

L'ampleur et la soudaineté de la crise économique liée à la crise sanitaire du Covid-19 expliquent donc son caractère inédit et « catastrophique » selon le terme des représentants des TPE et PME entendus par les sénateurs en visioconférence depuis le début du confinement. Les conséquences de ce choc dévastateur vont être multiples.

L'un des premiers effets craints est évidemment celui du chômage de masse, en France comme dans le reste du monde. D'ores-et-déjà, l'Insee annonce pour la France 453 800 destructions nettes d'emplois au premier trimestre 2020, soit -2,3 %, avec une chute « inédite » de l'intérim de 37 % (l'emploi intérimaire n'avait baissé que de 13 % au plus fort de la crise économique de 2008/2009) . Le Gouvernement estime, à la mi-juin, que 800 000 emplois pourraient être supprimés d'ici la fin de l'année 2020 .

Les premiers chiffres produits par l'OCDE montrent que le chômage de la zone était en hausse à 5,6 % en mars 2020. « Le nombre de personnes au chômage dans la zone OCDE était en hausse de 2,1 million s, à 37 million s en mars. La hausse a été particulièrement marquée parmi les femmes et les jeunes de 15 à 24 ans ». Des données plus récentes pour le mois d'avril (se référant à la semaine se terminant le 18 avril) montrent une augmentation très forte du chômage aux États-Unis , à 14,7 %, le niveau le plus élevé depuis le début des publications en janvier 1948. Le directeur de la Banque centrale américaine valide quant à lui un scénario de hausse du taux de chômage à 25 % . La crise est donc mondiale.

En outre, la crainte de faillites en cascades pour les entreprises françaises, potentiellement confrontées à un « mur de la dette » à la suite de la période de confinement, fait planer la menace d'une hausse encore plus massive du nombre de chômeurs dans les mois à venir, dans un contexte qui était déjà très défavorable à la France par rapport à ses partenaires européens et étrangers.

2. Une crise qui nécessite d'aider les entreprises à rebondir rapidement

Deux dimensions ont immédiatement été prises en compte par le Gouvernement dans les décisions visant à soutenir les entreprises dès le début du confinement.

La première dimension est celle de l'emploi. Ainsi, par le décret n°2020-325 du 25 mars 2020, le dispositif d'activité partielle - chômage partiel -  a été renforcé afin de faire face à l'ampleur de la crise sanitaire.

Ce dispositif concerne les entreprises subissant une fermeture administrative, confrontées à une baisse d'activité ou des difficultés d'approvisionnement ou dans l'impossibilité de mettre en place les mesures de prévention nécessaires pour la protection de la santé des salariés. Placés en situation de chômage partiel, les employés perçoivent une indemnité équivalente à 70 % de leur salaire brut (soit environ 84 % du salaire net) et au minimum le SMIC net, dans la limite de 4,5 SMIC, versée par l'employeur mais compensée, dans un délai maximum de deux mois, par une allocation cofinancée par l'État et l'Unédic. Par ailleurs les entreprises ont bénéficié de la possibilité de reporter leurs cotisations sociales et leurs cotisations de retraite complémentaire en modulant leur paiement et ce depuis l'échéance du 15 mars 2020.

Ce dispositif est essentiel pour limiter les effets dévastateurs de la crise en termes de chômage, dans la mesure où il permet aux entreprises de traverser la période d'arrêt partiel ou total d'activité sans avoir à licencier les salariés.

La deuxième dimension concerne la trésorerie des entreprises .

Tout d'abord un fonds de solidarité à destination des entreprises (TPE, micro-entrepreneurs, indépendants et professions libérales comptant moins de 11 salariés, un chiffre d'affaires annuel inférieur à 1 million d'euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60000 euros) particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 a été créé par ordonnance le 25 mars 2020.

Au 22 avril 2020, on comptait près de 700 000 entreprises ayant bénéficié de ce fonds pour une aide de 937 millions d'euros et dont l'enveloppe totale s'élève à 7 milliards d'euros.

Un dispositif de prêt garanti par l'État , nommé PGE et reposant sur une garantie publique de prêts bancaires à hauteur de 300 milliards d'euros, a été mis en place depuis le 25 mars 2020 afin de soulager la trésorerie des entreprises impactées par la crise sanitaire. Il sera maintenu jusqu'au 31 décembre 2020.

Hormis les sociétés civiles immobilières et les établissements de crédit et sociétés de financement, toutes les entreprises, quelle que soit leur forme juridique, leur taille ou leur activité peuvent bénéficier de ce dispositif, y compris les entreprises faisant l'objet d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire au 24 mars 2020 ainsi que les entreprises en procédures amiables.

La garantie de l'État couvre 90 % du PGE pour tous les professionnels et pour toutes les entreprises sauf pour les celles qui, en France, emploient plus de 5 000 salariés ou réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 1,5 milliard d'euros, où la part du prêt garantie par l'État est de 70 % ou de 80 %.

Au 24 avril 2020, Bpifrance recense 44,4 milliards d'euros de prêts accordés dans les 16 000 agences bancaires et compte 291 000 entreprises bénéficiaires pour un moyen de 153 000 euros . La Fédération bancaire française évalue le taux de refus à 3 %.

Par ailleurs, le Gouvernement a demandé aux fournisseurs d'électricité et de gaz ainsi qu'aux bailleurs d'accorder des reports des loyers, des factures d'électricité et de gaz pour les TPE . L'ordonnance du n° 2020-316 du 25 mars 2020 en précise les modalités.

Enfin le ministère de l'Action et des Comptes publics et la DGFiP ont mis en place des mesures exceptionnelles pour accompagner les entreprises dans le paiement de leurs impôts. Il est possible pour les entreprises de demander le report sans pénalité du règlement de leurs prochaines échéances d'impôts directs (impôt sur les sociétés, taxe sur les salaires) et même le remboursement des échéances de mars qu'elles auraient déjà réglées.

Ces mesures, dont la présentation qui précède n'est absolument pas exhaustive mais davantage indicative, constituent une première réponse pour aider les entreprises touchées durement et soudainement par la crise ; l'accompagnement devra se poursuivre évidemment, notamment dans le cadre d'un plan de relance. Des plans de soutien sectoriels sont également en cours d'élaboration. Si « l'oxygène » apporté aux entreprises via ces aides était essentielles pour garantir leur survie, on ne peut aujourd'hui savoir lesquelles seront en mesure de poursuivre leur activité à moyen et long terme.

3. Une crise qui accentue l'impact des compétences
a) Plus que jamais, faciliter les embauches est une priorité pour la France

Compte tenu du changement radical de contexte économique, il convenait de s'interroger sur la pertinence du maintien des travaux relatifs aux difficultés de recrutement, dont l'urgence était initialement identifiée pour permettre aux entreprises d'accompagner la croissance et de se développer.

Mais l'impact attendu de la crise économique sur l'emploi est venu placer la question du recrutement et donc de l'emploi au rang des urgences pour les entreprises en France .

Plus que jamais il est urgent d'aider les entreprises à rebondir en leur permettant de recruter les bonnes personnes avec les compétences utiles pour leur activité. Plus que jamais il va falloir tout mettre en oeuvre pour que les actifs, tout au long de leur vie, mais aussi les jeunes, ne soient pas condamnés à l'exclusion lorsque leurs compétences ne sont pas ou plus en phase avec les besoins de l'économie . Plus que jamais il va falloir accompagner les uns et les autres pour que l'embauche ne soit plus associée à un parcours du combattant .

b) La crise remet en cause certains équilibres et accentue des déséquilibres du marché du travail

Ainsi que l'a rappelé le Commissaire général de France Stratégie, lors de son audition en visioconférence le 25 mai 2020, la crise va soulever de nouvelles difficultés de recrutement, comme cela est déjà le cas à court terme dans le secteur agricole, victime de pénuries de main d'oeuvre saisonnière -habituellement étrangère - pour effectuer les récoltes.

Par ailleurs les équilibres, parfois fragiles, permettant de rythmer la vie professionnelle des générations, vont être bouleversés. Certains secteurs ou métiers, traditionnellement plus faciles d'accès pour débuter dans la vie active, vont être durement affectés et ne pourront plus jouer ce rôle de sas d'entrée. On peut ainsi penser aux métiers de l'hôtellerie-restauration.

Les difficultés de recrutement déjà observées dans certains secteurs risquent d'être accrues . Ainsi, pour France Stratégie, ce peut être le cas du domaine de la rénovation thermique. En effet, la mise en oeuvre de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) devrait entraîner une augmentation massive du nombre de rénovations de logements sur le plan thermique ; étaient d'ores et déjà anticipées des vacances pour 300 000 à 400 000 emplois alors que le secteur est de surcroît aujourd'hui durement touché par la crise et les nouvelles contraintes sanitaires.

L'alerte lancée par de nombreux interlocuteurs concerne en outre l'impact de la crise sur l'apprentissage, dont la dynamique 26 ( * ) récente risque fortement d'être brisée . Les partenaires sociaux sont particulièrement inquiets et souhaitent que soient trouvées des solutions pour la génération de jeunes qui risquent de se trouver face à un mur alors que leur engagement professionnel était encouragé par la voie de l'alternance. L'UIMM prévoit ainsi une baisse de 20 à 40 % des alternants, notamment dans des filières telles que l'aéronautique et l'automobile.

Les projets de relocalisation rapide de certaines productions, notamment pour la production de masques mais pas uniquement, nécessitent évidemment d'apporter dans l'urgence une réponse locale aux besoins en compétences définis pour répondre à la crise. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la formation est une priorité pour des régions comme le Grand-Est , dont la vice-présidente en charge de la compétitivité, l'innovation et le numérique a évoqué auprès des rapporteurs les projets extrêmement dynamiques de relocalisation impliquant des PME ou ETI de divers secteurs et métiers.

De son côté, le syndicat représentatif des équipementiers automobiles, la FIEV, a appelé dès la fin du mois de mars à une réflexion sur « la mise en oeuvre d'un pacte de relocalisation associé à un plan de relance tourné vers les entreprises », afin de tirer les leçons des problèmes d'approvisionnement des équipementiers automobiles. Fin avril, ils étaient 64 % à déplorer de graves problèmes d'approvisionnement tandis que 70 % des sites étaient fermés. Et les exemples se multiplient.

Enfin l'un des changements les plus frappants initiés par la crise concerne l'organisation du travail, avec l'arrivée massive du télétravail qui désormais ne sera plus jamais considéré comme anecdotique mais bien alternatif ou complémentaire au mode de fonctionnement en présentiel pour bon nombre d'emplois. Cette nouvelle vision de l'organisation du travail et des entreprises va avoir un impact décisif sur la façon de faire interagir les salariés et sur les compétences requises pour mener à bien des missions dans ce contexte renouvelé.

Une enquête menée par La Maison des Entrepreneurs 27 ( * ) à la fin du mois d'avril 2020, auprès de dirigeants d'entreprises de secteurs et de tailles différents, confirmait déjà cette perspective : « Bien que tous les répondants n'aient pas subi les mêmes impacts économiques, tous les répondants, sans exception, sont convaincus que la crise va créer des changements durables au sein de leur société. Pour 63,8 % d'entre eux, il s'agira de nouvelles façons de travailler (et notamment de télétravailler), de nouvelles opportunités business pour 55 %, d'une adaptation de la stratégie de l'entreprise pour 45,6 %, d'une digitalisation renforcée pour 41,3 % mais également d'un renforcement du sens donné à leur business pour 33,8 %, d'une nouvelle posture de management pour 13,1 %, de l'apparition de nouveaux fournisseurs ou de potentiels licenciements pour 10,6 %. »

Pour survivre à la crise, les entreprises françaises devront ainsi impérativement s'adapter aux nouveaux défis et contraintes dans des délais très courts. Elles ne pourront le faire sans les compétences adéquates. De leur côté, les salariés qui auront malheureusement été privés de leur emploi auront également à coeur de répondre à ces nouvelles attentes afin de ne pas tomber dans le cercle vicieux de l'exclusion progressive et durable du marché du travail.


* 22 Loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 parue au JO n° 72 du 24 mars 2020

* 23 Loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 parue au JO n°0102 du 26 avril 2020

* 24 Laurence Boone, cheffe économiste de l'OCDE, 29 avril 2020

* 25 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/10294872/2-15052020-AP-FR.pdf/6b062d4e-2132-e528-6444-92b172d86189

* 26 Hausse de 321 000 contrats en 2018-2019 soit près de 5 % supplémentaires, même si une grande partie résultait de l'alternance dans l'enseignement supérieur et non dans les filières traditionnelles

* 27 https://www.affiches-parisiennes.com/la-vie-des-entrepreneurs-en-ces-temps-de-crise-sanitaire-10178.html

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