TRAVAUX EN COMMISSION

Réunie le jeudi 4 juin 2020, la commission des affaires économiques a adopté le plan de relance de la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation du secteur « Numérique, télécoms et postes ».

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui une série de trois réunions de restitution des travaux des cellules sectorielles de suivi de la crise du Covid-19.

Nous allons écouter successivement les préconisations des sénateurs pilotes des cellules de suivi « Énergie », « Agriculture » et « Numérique, télécoms et postes ».

Je vous propose que nous procédions à des votes sur les différents plans de relance sectoriels et un plan de relance général, lors de notre dernière séance de restitution le mercredi 17 juin.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Quelques mots maintenant sur le numérique, sujet très vaste et que nous n'avons pas la prétention d'épuiser en quelques minutes ! On l'a bien vu d'ailleurs avec le débat en séance publique à l'initiative de mon groupe politique qui s'est tenu le 27 mai dernier. Les sujets étaient nombreux, les réponses étaient décevantes, en l'absence du secrétaire d'État au numérique. Nous avons pu constater l'absence de vision globale du numérique au sein du Gouvernement.

Notre orientation est claire : il faut faire du numérique une priorité de la relance. Le confinement a confirmé que le numérique est un support incontournable et essentiel à la reconstruction de notre économie.

Nous avons organisé nos réflexions en trois grands axes : réseaux, usages, produits et services numériques. Nous y avons ajouté un volet régulation, tant les manques en la matière sont aujourd'hui criants et peuvent nuire au développement de champions numériques.

Le premier axe porte sur les réseaux. Notre orientation en la matière est la suivante : aller plus loin dans la couverture du territoire. Les réseaux sont l'infrastructure de base du numérique, ce qu'Al Gore appelait dans les années 1990, les « autoroutes de l'information ». Ils sont la condition sine qua non de la numérisation de nos territoires, de notre industrie, de nos commerces, de nos mairies, de nos écoles, de nos hôpitaux, et de l'ensemble des services essentiels. La crise a montré à quel point ces infrastructures sont vitales pour la continuité du pays, sa résilience et le rebond de notre vie économique et sociale.

Il y a eu deux sujets à traiter d'urgence : s'assurer que les réseaux tiennent face à l'accroissement continu des usages et éviter un effondrement de la filière industrielle qui remettrait en cause les capacités de déploiement des infrastructures.

Afin de s'assurer que les réseaux ne risquaient pas une saturation globale, le Gouvernement a mis en place un suivi de la capacité des réseaux en lien avec l'Arcep et les opérateurs. Mais une telle entreprise s'est effectuée dans l'urgence, sans cadre préétabli. C'est pourquoi il nous semble nécessaire, pour l'avenir, d'élaborer un plan de résilience des réseaux permettant de mieux anticiper les risques et ce sur l'ensemble du territoire.

S'agissant du soutien à la filière, qui avait réalisé la performance de déployer près de cinq millions de prises l'année dernière, l'arrêt de nombreux chantiers et le renchérissement des coûts risquent de mettre à terre les éléments les plus fragiles de la filière - les sous-traitants de deuxième et troisième rang. Certains grands opérateurs ont semble-t-il été solidaires. Pas tous. Nous estimons que, là où cela est nécessaire pour éviter un effondrement de la filière, une avance des fonds du plan France très haut débit devrait être envisagée - restera à déterminer les conditions de mise en oeuvre de ces avances, afin qu'il n'y ait pas de difficulté avec comptables publics locaux.

Mais au-delà de l'urgence, lors de cette crise, les inégalités de couverture ont constitué une double peine inacceptable pour les entreprises et nos concitoyens. Avec cette crise, la fracture numérique s'est muée en véritable gouffre. Je vous rappelle que 60 % des zones rurales ne sont pas couvertes en très haut débit fixe et 80 % en fibre optique jusqu'à l'abonné. En 2018, la France était le dernier pays de l'Union européenne en couverture en très haut débit fixe. Et il reste des milliers de zones à couvrir en très haut débit mobile.

Il est donc urgent d'aller plus loin sur la couverture numérique du territoire, pour assurer l'accès de nos concitoyens au numérique sur tout le territoire, mais également pour garantir l'égalité des chances économiques. Cela pourrait passer par une loi de programmation des infrastructures numériques, qui fixerait les objectifs à atteindre à moyen terme sur le fixe et le mobile et inscrirait une trajectoire financière. Le Gouvernement n'a pas de stratégie claire sur le fixe d'ici à 2025, et n'est pas prêt à mettre les moyens : nous l'avons constaté lors du débat sur la loi de finances 2020. Les collectivités estiment les besoins pour parvenir à une société du gigabit
- l'objectif européen en 2025 - à 680 millions d'euros. Nous pensons que ce défi doit être relevé, d'autant plus suite à la période de confinement que nous avons connue. Sur le mobile, cette loi de programmation permettrait d'associer davantage le Parlement aux décisions prises. Bref, il faut sortir du flou et mettre les moyens une bonne fois pour toutes. Je salue ici les travaux d'Élisabeth Lamure sur l'accès des entreprises à la fibre optique, sujet crucial pour la compétitivité de nos territoires.

M. Marc Daunis . - Le deuxième axe porte sur ce qu'on appelle les usages. Notre orientation en la matière est la suivante : accompagner massivement nos entreprises et nos concitoyens dans la transition numérique.

Nos concitoyens d'abord, car ils sont 13 millions à être éloignés du numérique. La fracture sociale numérique est violente ! Et je vous rappelle que, dans le même temps, le Gouvernement souhaite passer au 100 % numérique dans les démarches administratives en 2022 ! Il faut donc renforcer l'ambition et les moyens du plan pour l'inclusion numérique. Ce plan a le mérite d'exister, mais il est clairement insuffisant. Cet effort supplémentaire pourrait passer par l'aide au financement du premier équipement numérique, et l'amplification des efforts en matière de formation aux usages, autour des maisons « France Services ». Je salue les collègues qui participent à la mission d'information du Sénat sur l'illectronisme, qui a la lourde tâche d'approfondir ce sujet.

J'en viens aux entreprises. Je crois que les « pilotes » des cellules « Commerce » et « Industrie » ne nous contrediront pas si nous disons que la numérisation de nos entreprises doit être un levier absolument fondamental du plan de relance. Les entreprises, exsangues, n'auront pas les moyens d'investir. C'est dans ce type de situations que l'État - c'est son rôle - doit envoyer un signal sans ambigüité et particulièrement fort. Cela pourrait prendre la forme d'un crédit d'impôt à la numérisation des entreprises. Les aides apportées par l'État et les collectivités territoriales aux différents secteurs économiques pour les accompagner dans la sortie de crise devraient également être orientées vers la transformation numérique, consacrant ainsi une forme de conditionnalité numérique comme on parle d'éco-conditionnalité.

Enfin quelques mots sur les collectivités locales : un signal de même nature devrait leur être envoyé, tant pour l'organisation interne que pour fournir de nouveaux services à la population, à travers un dispositif incitatif d'investissement dans le numérique intégré au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée et le renforcement de l'offre d'ingénierie de la Banque des territoires pour accompagner les collectivités dans la transition numérique, en particulier en matière de cybersécurité.

Le troisième axe porte sur les produits et services du numérique. Nous retenons deux orientations en la matière : renforcer le soutien aux technologies clés et aux champions numériques français et européens, et promouvoir une société numérique de la confiance.

Afin de garantir la croissance de demain, la France doit être au rendez-vous des technologies clés : je pense par exemple à l'intelligence artificielle, au calcul quantique ou encore à la blockchain . La mise en place d'un fonds dédié à la consolidation des acteurs de ces technologies clés devrait être étudiée rapidement. Ce fonds concernerait aussi bien les secteurs où nous avons du retard que ceux où nos acteurs disposent déjà d'une certaine avance - je pense notamment à l'internet des objets, comme l'a souligné en audition le président-directeur général de Schneider Electric. C'est une nouvelle phase de la révolution du numérique où il conviendrait de mettre les bouchées doubles, plutôt que de s'épuiser pour rattraper notre retard. Cela pourrait prendre la forme de projets importants d'intérêt européen commun, sur le modèle du plan Nano pour la filière microélectronique.

Ce soutien aux technologies clés doit être conçu pour favoriser la croissance de notre pays et nos emplois, mais également pour assurer notre autonomie stratégique sur les produits et services numériques critiques, c'est-à-dire ceux pour lesquels une rupture d'approvisionnement aurait des effets désastreux sur notre économie. Cela passe par un recensement exhaustif de ces produits et services permettant ensuite de déterminer une stratégie de diversification des sources d'approvisionnement et de relocalisation des activités.

Par ailleurs, nous devons poursuivre les efforts en faveur de l'émergence de champions numériques européens, en soutenant les entreprises technologiques - les start-ups - et les investisseurs. Le levier de la commande publique est absolument essentiel et reste insuffisamment mobilisé en soutien aux start-ups . Pour soutenir l'acte d'investissement, une réflexion sur le renforcement de l'IR-PME devrait également être engagée. La formation initiale et professionnelle doit enfin être orientée massivement vers le numérique : sans former les nouveaux talents, nous ne parviendrons pas à relever le défi !

Enfin, la numérisation de notre pays et l'émergence de produits et services numériques nouveaux ne sauraient se faire sans une pleine confiance de chacun en ces solutions. Le virage numérique nécessite la confiance dans le numérique. Les conditions de la confiance concernant la 5G peuvent être créées en objectivant les données du débat quant aux effets sanitaires de cette technologie. Mais au-delà des enjeux sanitaires, les solutions numériques de confiance sont un enjeu de souveraineté : on le voit avec les débats en interne sur les logiciels de visioconférence que nous utilisons. La promotion de solutions de confiance, dans la logique de ce que le Gouvernement a initié en matière de cloud , et à travers des certifications délivrées par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information et la Cnil, est un outil à développer.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Quelque mots enfin sur les aspects de régulation du numérique. Nous en avons déjà amplement parlé à l'occasion de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Mais le constat est là : les géants du numérique, déjà ultra-dominants, sortiront renforcés de cette crise et à même de poursuivre leurs stratégies agressives d'investissement. Pourtant, ils n'ont pas fait preuve d'une grande solidarité avec leur immense tissu de partenaires économiques français.

Mais au-delà de cette considération de court terme, si l'on souhaite l'émergence de géants numériques européens, il faut revoir la régulation de ces plateformes structurantes. Le Digital Services Act de la Commission européenne doit être l'une de ses priorités. Comme la présidente l'a fait remarquer lors du débat sur StopCovid, qui a permis à toutes les sensibilités de s'exprimer et sur lequel je ne reviendrai pas, le Gouvernement s'est retrouvé dans une position très délicate face à Apple et Google quand il s'est agi d'élaborer cette application - ce qu'il aurait pu éviter si la proposition de loi, qui proposait de consacrer ce qu'on appelle la « neutralité des terminaux », avait été adoptée !

Par ailleurs il faut muscler nos outils de cybersécurité, aussi bien dans les entreprises que dans les administrations publiques. Les cyberattaques ont explosé durant le confinement. Il est absolument nécessaire de sécuriser l'outil numérique en parallèle de son développement. Je salue l'annonce franco-allemande de ce jour sur la création tant attendue d'une plateforme européenne de données, Gaïa X.

Enfin, on l'a vu, le numérique a représenté une formidable opportunité pour nos commerçants de proximité de poursuivre au moins une partie de leur activité pendant le confinement. Il faut assainir le commerce en ligne en étant plus vigilant à l'encontre des places de marché qui se réfugient derrière le statut d'hébergeur pour proposer des produits frauduleux et s'assurer que les places de marché vertueuses envers le consommateur le soient également envers leurs partenaires commerçants
- c'est l'objectif de la transposition du règlement « Platform to business ». À ce titre, et je crois que les membres de la cellule « Commerce » nous rejoindront, la promotion et l'accompagnement de plateformes mettant en valeur le commerce de proximité, comme « Achatville » des chambres de commerce et d'industrie ou « Ma ville Mon Shopping » de La Poste, devraient être renforcés.

M. Marc Daunis . - En conclusion, nous regrettons l'absence de stratégie globale sur le numérique dans notre pays, alors pourtant que la Commission européenne a adopté une telle stratégie en février dernier. Cela peut s'expliquer par une gouvernance éclatée du numérique au sein du Gouvernement, qui ne facilite pas la vision transversale. Le secrétaire d'État au numérique ne dispose pas d'une administration centrale dédiée. Cela peut paraître anecdotique, mais on sait l'importance à disposer d'une capacité de frappe autonome sur les sujets stratégiques ! Peut-être que cela explique pourquoi la politique numérique du Gouvernement apparaît encore brouillonne. La relance, elle, ne se satisfera pas d'une stratégie brouillonne. C'est pourquoi nous appelons le Gouvernement à faire clairement du numérique une priorité de la relance !

Mme Sylviane Noël . - Avez-vous traité de la question de la sécurité des plateformes ? Je pense notamment à la plateforme Zoom que nous avons beaucoup utilisée durant le confinement.

M. Marc Daunis . - La cybersécurité et la promotion des solutions de confiance font partie intégrante de nos travaux. Nous avons notamment auditionné l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Ce sujet est très largement sous-estimé, et il convient de mettre les bouchées doubles. Il est inconcevable que le Gouvernement et le Parlement français n'aient pas à leur disposition des outils qui soient totalement sécurisés. Cela vaut pour les institutions, mais aussi pour les entreprises ! Les données stratégiques représentent un enjeu considérable. Nous sommes d'une coupable légèreté en la matière.

Mme Élisabeth Lamure . - Je partage pleinement le point de vue des rapporteurs quant à l'importance de la numérisation des entreprises. C'est un sujet à propos duquel j'ai déjà eu l'occasion de travailler dans le cadre de la délégation aux entreprises. Pour numériser nos entreprises, encore faut-il qu'elles aient accès dans de bonnes conditions au très haut débit, ce qui n'est pas le cas dans un certain nombre de nos territoires ! Les grandes entreprises n'ont pas ce souci puisqu'elles peuvent avoir accès à des réseaux dédiés. Les petites entreprises situées dans des zones de réseaux d'initiative publique n'ont également pas ce problème. Mais partout ailleurs, les opérateurs intégrés ne font absolument pas l'effort de les connecter. Parfois même, ils évitent les lieux où sont implantées les entreprises, ou leurs proposent des solutions à des coûts excessifs. C'est pourquoi il faut laisser une vraie place au marché de gros à destination des entreprises, et particulièrement aux TPE et PME qui en ont besoin. Nous avons travaillé avec Patrick Chaize et nous allons de façon imminente déposer une proposition de loi dans ce cadre. La loi de programmation numérique qu'a souhaitée Anne-Catherine Loisier serait bienvenue, mais nous risquons de l'attendre longtemps.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Il faut que nous intégrions davantage la culture de la cybersécurité. La solution la plus pratique, vers laquelle nous allons spontanément, n'est pas toujours la plus sécurisée !

Nous visons tous sur nos territoires les difficultés d'accès des petites entreprises aux réseaux à très haut débit. Des progrès ont pu être faits dans certaines zones d'activité, mais la marge de progression est importante. Le véritable enjeu aujourd'hui et pour les commerces et artisans, plus dispersés géographiquement. Les opérateurs doivent adapter leurs offres aux besoins de ces petites entreprises.

M. Marc Daunis . - Si on ne devait retenir qu'une chose de notre rapport, c'est la nécessité d'une loi de programmation des infrastructures numériques !

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci beaucoup à tous nos pilotes qui démontrent la capacité des sénateurs à travailler ensemble au-delà des appartenances politiques.

Réunie le mercredi 17 juin 2020, la commission des affaires économiques a adopté le rapport de la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation du secteur « Numérique, télécoms et postes ».

Mme Sophie Primas , présidente . - Puisque notre configuration nous le permet, je vous propose d'organiser un vote global sur les rapports des cellules « Énergie », « Industrie », « Numérique, télécoms et postes » et « Tourisme » qui vous ont été précédemment présentés, si vous en êtes d'accord.

Les rapports des cellules « Énergie », « Industrie », « Numérique, télécoms et postes » et « Tourisme » sont adoptés à l'unanimité.

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