IV. AXE N° 4 - RÉGULATION : UN NÉCESSAIRE APPROFONDISSEMENT DE LA RÉGULATION DES PLATEFORMES STRUCTURANTES

Au niveau européen, le Digital Services Act doit être une priorité de la Commission européenne. Au niveau français, un texte est déjà prêt sur la neutralité des terminaux. L'encadrement des places de marché pourrait également être renforcé.

A. STOPCOVID, DÉMONSTRATION DE LA NÉCESSAIRE « NEUTRALITÉ » DES TERMINAUX

Il ne s'agit pas ici de traiter de la pertinence du recours à l'application StopCovid : des positions diverses ont pu s'exprimer lors du débat dans l'hémicycle le 27 mai dernier.

Nous souhaitons en revanche souligner que le projet du Gouvernement de mettre en place une application de traçage numérique a été révélateur de la nécessité de consacrer un principe de « neutralité » des terminaux, prolongement de la neutralité du Net actuellement applicable aux réseaux numériques.

En effet, la mise en oeuvre de cette application s'est heurtée au refus, de la part des deux géants Apple et Google, de lever certaines barrières techniques de leurs systèmes d'exploitation. Cette situation est d'autant moins acceptable qu'elle aurait pu être évitée si un principe de neutralité des smartphones avait été consacré comme le Sénat l'a adopté dans une proposition de loi de la commission des affaires économiques votée à l'unanimité de tous les groupes politiques du Sénat le 19 février dernier. Il est urgent de poursuivre l'examen parlementaire de cette proposition de loi sénatoriale en vue d'une adoption rapide.

B. UNE RÉFLEXION À ENGAGER SUR LES MOYENS DE RENFORCER L'ENCADREMENT DES PLACES DE MARCHÉ

Le e-commerce et les places de marché sont avant tout une opportunité pour les entreprises qui prennent le virage numérique, comme la crise actuelle l'a montré 14 ( * ) . Mais une réflexion sur les ajustements normatifs en vue de mieux protéger le consommateur et d'assurer une concurrence équitable reste nécessaire, et pourrait porter en priorité sur deux points :

1. Les fraudes sur les places de marché en ligne posent la question de l'aménagement de la responsabilité des plateformes

La crise a été l'occasion pour de nombreux fraudeurs de tirer avantage du régime de responsabilité limitée 15 ( * ) des sites de commerce en ligne, et en particulier des places de marché en ligne : lampes quasi magiques, censées chasser le coronavirus, miel aux obscures vertus médicinales, faux médicaments...

La direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) est en première ligne et il faut saluer son action. Mais force est de reconnaître que cela relance la question d'une plus grande responsabilisation de ces plateformes quant aux contenus illicites qui s'y trouvent.

Les réflexions menées en France sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, et reposant sur la définition d'obligations de moyens sous le contrôle d'un régulateur, pourraient être élargies à l'ensemble des contenus illicites, et en particulier aux contenus frauduleux, qui sont dangereux pour les consommateurs.

2. Les relations entre petits commerçants et places de marché doivent être assainies

Sans l'apparition de la crise sanitaire, le Sénat aurait déjà examiné la transposition en droit français du règlement dit « platform to business » 16 ( * ) , qui entend assainir les relations entre les petits commerçants et les places de marché en ligne. Le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière prévoyait une telle transposition par ordonnance, alors que le règlement entrera en vigueur en juillet 2020. Il conviendra de reprendre rapidement son examen et ce sur la base de dispositions « en dur », c'est à dire directement insérées dans le texte et sans recours à une habilitation à légiférer par ordonnance. Le règlement étant issu d'une proposition datant déjà qu'il y a quelques années, et face à l'évolution rapide du marché, une réflexion sur une révision de ce règlement devrait être rapidement engagée.

Mesure n° 22 : promouvoir et accompagner la mise en place de plateformes locales référençant et favorisant les achats en ligne auprès de commerçants de proximité . La limitation de la dépendance des petits commerçants aux grandes places de marché en ligne peut également provenir de l'émergence d'alternatives locales. Des initiatives telles que « Achat ville » des chambres de commerce et d'industrie ou « Ma ville mon shopping » de La Poste gagneraient à être davantage promues.

3. Les Gafam, grands absents de la solidarité durant la crise ?

Aucun des géants du numérique n'a connu de véritables difficultés durant cette crise. À l'exception d'Apple, dont les recettes sont stables, tous les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont connu une croissance à deux chiffres sur le premier trimestre, et les indicateurs sont au vert pour le deuxième trimestre. Pour autant, les gestes de solidarité dont ils ont pu faire preuve ont été limités 17 ( * ) . Amazon n'a, contrairement à de nombreuses autres places de marché, pas proposé de réduction des tarifs pour accéder à sa plateforme. Au vu des circonstances, une solidarité entre tous les acteurs apparaîtrait légitime.

Cette solidarité pourrait passer par :

- une contribution au fonds de solidarité ;

- une contribution financière à la formation de nos concitoyens et des entreprises au numérique.

Mesure n° 23 : à court terme, appeler les géants du numérique à faire preuve de solidarité avec le tissu économique qui les fait vivre. Il est également impératif, pour s'assurer d'une saine concurrence, que les négociations en cours dans le cadre de l'OCDE sur une taxation plus équitable du numérique aboutissent rapidement.

***

Au terme de l'ensemble des auditions menées, c'est aussi le manque de stratégie globale sur le numérique dans notre pays qui nous a frappé. L'Europe a publié, le 19 février dernier, une stratégie numérique , qui aborde l'ensemble des sujets à traiter. Il faudrait un équivalent en France !

Cela nécessite également d'améliorer la gouvernance du numérique en France, actuellement trop morcelée, tant au sein du Gouvernement que des administrations. La création d'une administration centrale dédiée en charge de coordonner et de piloter l'ensemble des sujets numériques sous l'autorité d'un ministre du numérique nous apparaîtrait pertinente.

Mesure n° 24 : nommer un ministre du numérique doté d'une administration centrale dédiée et définir une stratégie numérique de la France .


* 14 Selon une enquête de Foxintelligence , pendant le confinement, la moitié des vendeurs sur les places de marché a vu ses ventes augmenter. La situation est bien sûr très contrastée selon les secteurs d'activité des vendeurs. Le tourisme a été touché de plein fouet alors que les ventes d'« IT grand public » ou d'imprimantes ont fortement augmenté durant le confinement, à tel point, selon l'Afnum, que la France a pu manquer de stock !

* 15 Issu de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur et de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 16 Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne.

* 17 Google a offert, au niveau mondial, 340 millions de dollars d'emplacements publicitaires, Facebook réfléchit à une aide de 100 millions de dollars...

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