III. ENCOURAGER LA RÉINDUSTRIALISATION ET LA RELOCALISATION INDUSTRIELLE
8. Offrir aux territoires une « boîte à outils » pour encourager la relocalisation
La crise sanitaire, puis économique, liée à la pandémie de coronavirus a mis en évidence l'impératif de réindustrialisation de certains segments stratégiques, voire de relocalisation des activités déplacées sur un autre site de production. La France n'est pas le seul pays à réfléchir à la relocalisation : le Japon, par exemple, a annoncé en avril dernier dédier près de 2 milliards d'euros , dans le cadre du plan de relance, aux entreprises japonaises souhaitant rapatrier leurs productions depuis la Chine vers le territoire national. Les règles européennes relatives aux aides d'État ne permettent cependant pas le recours massif à des subventions, dont l'efficacité reste en outre discutée.
D'autres outils de relocalisation existent toutefois. D'abord, l'amélioration de la compétitivité de l'industrie française sera bien entendu le principal axe d'attractivité du territoire industriel français. Les réformes visant à égaliser le « level-playing field » entre les entreprises françaises et leurs concurrentes restent donc une priorité.
Ensuite, dans le cadre d'une politique volontariste de soutien à la relocalisation, la cellule « Industrie » propose par ailleurs la mise en place d'une « boîte à outils » dédiée, à la main des préfets et des collectivités territoriales. Au plus proche des réalités du terrain, les élus et les représentants de l'État pourraient par exemple être autorisés à consentir des dérogations limitées au droit de l'urbanisme, aux délais applicables, à intégrer ces projets aux pôles de compétitivité existants, ou encore à mobiliser certains leviers d'incitation fiscale, tels qu'une modulation temporaire des impôts ou une bonification du crédit d'impôt recherche conditionnée au maintien de l'activité sur le territoire.
Ces initiatives locales, sur la base du volontariat et en « mode projet », s'articuleraient très bien avec le programme « Territoires d'Industrie » lancé en 2018 , visant à accompagner les projets des entreprises industrielles à l'échelle intercommunale. Alors que certaines initiatives de « Territoires d'Industrie » ont été mises en pause durant la période de crise, il importe de les relancer au plus vite. Le dialogue entre l'État et les collectivités doit être une priorité pour que la relance pénètre au plus vite dans les territoires.
9. Supprimer au plus vite la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S)
Parmi les pistes d'égalisation des conditions de concurrence entre les entreprises françaises et leurs concurrentes - européennes ou internationales - figure la réforme de la fiscalité de production. En Europe, seule la Grèce prélève davantage, les impôts sur la production français représentant 3,6 % de la valeur ajoutée des entreprises contre 0,5 à 1,5 % en Allemagne ou aux Pays-Bas (Conseil d'analyse économique, 2019).
Le Gouvernement entend faire peser le coût de cette réforme sur les collectivités territoriales en ciblant la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la cotisation foncière des entreprises (CFE). Priver les collectivités territoriales de ces ressources, utilisées pour l'aménagement économique du territoire, les infrastructures, et le développement régional serait contre-productif.
En revanche, la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), assise sur le chiffre d'affaires, ne compte aucun équivalent en Europe. Perçue par l'État, elle représentait en 2019 près de 3,8 milliards d'euros de prélèvement sur les entreprises, pesant en majorité sur les entreprises de l'industrie manufacturière (à hauteur de 25 %) Alors que le Gouvernement s'était engagé à de nombreuses reprises à la supprimer, cette suppression n'est pas intervenue.
Facteur majeur de compétitivité, la suppression rapide de la C3S est considérée par la cellule « Industrie » comme une priorité. Elle permettra aux entreprises industrielles d'investir près d'un milliard d'euros supplémentaire dans la modernisation et la décarbonation de leur outil industriel ou dans l'innovation.
10. Promouvoir les projets importants d'intérêt européen commun (PIEEC)
Si dans certains cas, un effort important de compétitivité peut suffire à déclencher la relocalisation d'activités industrielles en France, il est d'autres cas où le développement d'une filière ne peut passer que par une politique industrielle volontariste, notamment lorsque les coûts fixes nécessaires au « rattrapage » des concurrents sont trop importants pour être supportés par une entreprise seule (création d'infrastructures, investissement de R&D, émergence d'un écosystème...). D'autre part, lorsqu'une filière équivalente existe déjà et est bien plus compétitive ailleurs dans le monde, les clients préfèrent se tourner vers l'importation à plus bas coût.
La puissance publique et toutes les parties prenantes industrielles intéressées doivent alors s'associer pour faire naître une telle filière, qui bénéficiera ainsi de la massification de la demande et de la mise en commun des investissements. Au vu des montants et des volumes en jeu, une telle stratégie doit être menée au niveau européen. Pourtant, le droit européen a longtemps limité les subventions publiques à l'industrie et les initiatives sectorielles.
La cellule recommande donc de poursuivre l'effort sans précédent mené au niveau européen dans le cadre des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) , récemment autorisés par la législation européenne. Dans les secteurs stratégiques identifiés, comme les nanotechnologies ou les batteries électriques, ils permettront de faire émerger des filières européennes compétitives. Le projet European Battery Alliance (EBA) bénéficiera par exemple de près de 8,2 milliards d'euros de financement européens, nationaux, et privés, afin de concurrencer les batteries automobiles asiatiques. La cellule recommande donc de répliquer rapidement ce modèle pour d'autres technologies stratégiques telles que l'hydrogène - à laquelle le plan de relance allemand a dédié 7 milliards d'euros - ou les procédés industriels bas-carbone. La France, elle, doit s'investir dans ces PIIEC pour défendre l'implantation sur son territoire des usines prévues dans leur cadre.
11. Favoriser la commande publique de produits locaux et nationaux
L'investissement public représente un levier fondamental de relance par la demande. Touchant aux secteurs de la construction, de l'équipement, de l'aménagement, il mobilise de nombreuses filières industrielles françaises. Outre un choc d'investissement par l'État et un soutien à la capacité d'investissement des collectivités territoriales frappées par la baisse des rentrées fiscales, la relance doit se saisir des opportunités offertes par la commande publique. Davantage d'achats publics en France, c'est davantage de marchés pour les entreprises françaises et de nouvelles opportunités de croissance.
Un recours plus stratégique à la commande publique est d'autant plus nécessaire que les grands blocs économiques concurrents de l'Union européenne, en particulier la Chine et les États-Unis, savent jouer de la préférence nationale pour favoriser leurs industriels. Le droit européen encadre fortement les clauses pouvant être insérées dans les appels d'offre passés par les personnes publiques, interdisant la discrimination par des critères de nationalité ou géographiques. À l'inverse, les grands constructeurs américains, notamment dans le secteur aéronautique, n'hésitent pas à écarter des entreprises européennes au profit de leurs fournisseurs locaux.
En l'attente d'un éventuel desserrement du cadre européen, les autorités publiques doivent exploiter toutes les marges de manoeuvre offertes par le droit existant . En particulier, les normes de qualité et de sécurité représentent un levier puissant, qui permet d'exiger des standards minimums établis au niveau européen. En outre, la loi dite « Économie circulaire » a récemment permis d'intégrer des critères environnementaux aux cahiers des charges. L'avantage comparatif de l'industrie européenne, et particulièrement française, en matière de décarbonation peut leur permettre d'emporter ces marchés face à leurs concurrents chinois ou américains. Enfin, la commande publique dans le secteur de la défense est un fort levier de soutien à la demande , un grand nombre d'entreprises actives dans le secteur de l'aéronautique, de la construction navale ou de l'électronique conduisant des activités duales, source de diversification.
La cellule « Industrie » propose donc de réaliser un effort de sensibilisation pour encourager la commande publique locale et nationale grâce aux possibilités existantes, tout en continuant à défendre auprès de l'Union européenne une évolution du cadre européen aujourd'hui trop restrictif. Les collectivités territoriales, qui portent près de 70 % de l'investissement public, seront à la tête de cet effort de soutien à l'industrie française.