Rapport d'information n° 535 (2019-2020) de Mme Sophie PRIMAS , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 juin 2020
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N° 535
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juin 2020 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le plan de relance de la commission des affaires économiques ,
Tome I : Plan de relance de la commission des affaires économiques
« Remettre notre économie sur les rails :
u ne relance verte, décentralisée et européenne »
Par Mme Sophie PRIMAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool, vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard, secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, Guylène Pantel, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, Patricia Schillinger, M. Jean-Claude Tissot. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Au moment où, après des mois de confinement, la France est enfin passée intégralement « en vert », l'économie française semble elle rentrer « dans le rouge » pour une période indéterminée, avec une crise d'une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.
C'est pourquoi la commission des affaires économiques s'est mobilisée pour analyser la situation, comprendre les mécanismes de diffusion de cette crise afin de faire des propositions concrètes pour relancer l'économie française.
La commission s'est d'abord concentrée pendant les mois de confinement sur les mesures urgentes de sauvegarde de l'économie. Pour ce faire elle s'est constituée en cellules de veille, de contrôle et d'anticipation dans sept secteurs d'activité : agriculture ; PME, commerce et artisanat ; industrie ; tourisme ; télécoms/numérique/postes ; logement, urbanisme et politique de la ville ; énergie.
Ces cellules ont procédé à plus de 200 auditions par visioconférence de fédérations professionnelles, de chefs d'entreprise, d'administrations, d'associations pour bien mesurer la réalité de chaque secteur. En outre, tous les sénateurs de la commission ont été invités dans chaque cellule pour relater la situation dans leur département.
Ce fonctionnement a permis d'identifier les « trous dans la raquette », les effets de bord, les inégalités de traitement de façon à aider les pouvoirs publics à améliorer les dispositifs d'urgence et à les rendre plus efficaces.
C'est dans ce même état d'esprit que chaque cellule a été amenée à réfléchir à un plan de relance sectoriel avec des mesures très concrètes.
Dans cette situation unique, la politique de relance à mettre en place, tant au niveau national qu'européen, devait se fonder sur une analyse de la situation, des besoins des entreprises et des ménages, mais aussi de façon plus prospective sur les enseignements à tirer de cet épisode inédit, et les moyens d'accélérer les mutations nécessaires de l'économie français pour qu'elle soit plus prospère, plus durable et plus compétitive.
Dans cet exercice, la commission a fait appel à travers différentes tables rondes à des grands témoins, capitaines d'industrie, responsables politiques, économistes ou intellectuels d'horizon et de sensibilités différentes. Car rien ne serait pire que de dresser un mauvais diagnostic et d'en tirer les mauvais enseignements.
La sortie de crise doit être une opportunité pour moderniser notre économie et redessiner l'Union européenne.
Rater l'occasion qui nous est donnée d'accroître les capacités de résilience du pays face à ce type de crise, de tirer les conséquences de notre dépendance dans certains secteurs, d'investir dans les secteurs d'avenir, de combler les fragilités de notre appareil productif, d'accélérer la transition énergétique ou de renforcer le fonctionnement de l'Union européenne serait une grave erreur.
C'est en ce sens qu'il ne faut pas « gâcher » l'occasion donnée par cette crise ; celle?ci doit nous permettre de bâtir les fondations d'une économie plus solide, d'une croissance plus pérenne et d'une Union européenne plus forte.
L'ambition des différents tomes de ce rapport est en conséquence d'apporter un diagnostic d'ensemble, des orientations stratégiques et de proposer une série de 170 mesures très concrètes pour remettre l'économie française sur les rails.
Le premier tome sera consacré à une vision globale du plan de relance avec un diagnostic, des objectifs, un point de méthode et les principales mesures proposées par la commission. Vous trouverez également à l'issue de ce tome, un tome rassemblant l'ensemble des auditions plénières et des tables rondes réalisées sur la crise économique.
Les deux premiers tomes sont suivis par les différents plans de relance sectoriels proposés par les sept cellules de veille, de contrôle et d'anticipation de la commission.
C'est l'atout du Sénat que de pouvoir partir du terrain avec des sénateurs proches des collectivités dans tous les départements de France, de savoir rassembler des élus issus de tous les groupes politiques représentés au Sénat pour travailler ensemble. Ce rapport en est le fruit.
L'ESSENTIEL :
REMETTRE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE SUR LES RAILS
:
170 MESURES POUR UN PLAN DE RELANCE DE L'ÉCONOMIE
FRANÇAISE
I - La France passe au vert mais l'économie française plonge dans le rouge
1. Des conséquences économiques particulièrement importantes en France
La crise actuelle est inédite parce qu'elle résulte à la fois d'une crise sanitaire et d'une mise à l'arrêt volontaire de l'économie. Elle est planétaire et devrait se traduire, selon la Banque mondiale, par une diminution du PIB mondial de 5,2 % cette année ; elle est dramatique en France avec une prévision de - 11 % du PIB pour 2020, soit la plus forte récession dans notre pays depuis la Seconde Guerre mondiale.
Cette crise est plus accentuée en France que pour la majeure partie de nos voisins européens, notamment l'Allemagne, qui prévoit une diminution de son PIB de l'ordre de 6 %. Sans doute la spécialisation de l'économie française explique-t-elle en partie cette différence, avec le poids des services, notamment du tourisme, ainsi que certaines industries de l'aéronautique ou l'automobile, durement impactées.
Vraisemblablement, en Allemagne, un niveau de préparation différent a conduit à une stratégie de gestion de crise plus efficace. Seuls 15 % des chantiers ont continué dans notre pays pendant le confinement contre 80 % en Allemagne, si bien que l'activité du secteur de la construction a diminué de 80 % en France contre 3 % en Allemagne. Même si l'épidémie est jusqu'à présent maîtrisée, l'essentiel de ses conséquences économiques vont se faire sentir à la rentrée. Le chômage pourrait atteindre 11 % d'ici la fin de l'année. Il s'agit donc d'une crise majeure : c'est pourquoi la réussite du plan de relance est capitale sur les plans économique, social et politique.
2. Une dépendance vis-à-vis de certains fournisseurs qui illustre notre fragilité industrielle
Le premier enseignement de cette crise est une dépendance problématique vis-à-vis de certains fournisseurs. Les difficultés d'approvisionnement en tests, en principes actifs et en masques, particulièrement marquées en France, illustrent la fragilité du tissu industriel français dont la taille en proportion du PIB est deux fois moindre que celle de l'Allemagne. Un renforcement de la souveraineté économique française, mais aussi européenne, vis-à-vis de ses partenaires commerciaux passera par une diversification des chaînes de valeur et, lorsque cela sera pertinent, par une relocalisation de certaines activités essentielles.
3. Une mondialisation qui rend aujourd'hui difficiles l'anticipation et la gestion des crises
Le deuxième enseignement de cette crise est la difficulté des pouvoirs publics, en France comme ailleurs, à piloter dans la mondialisation actuelle des politiques de prévention et de gestion des risques en raison de la vitesse de diffusion des chocs, de la réduction des marges de manoeuvre de l'État, de l'absence de politiques publiques à l'échelle supranationale. Il en résulte un manque d'anticipation des pouvoirs publics, alors même que ce type de menace systémique était bien identifié.
4. Un confinement qui met en valeur le caractère stratégique du numérique
La période du confinement, avec l'essor du télétravail et du commerce en ligne, a illustré le caractère stratégique du numérique comme secteur d'activité mais également comme dimension essentielle de toutes les autres activités. Cette période a mis en lumière la faible numérisation de l'économie française et l'absence de champion européen dans ce domaine, révélant l'absence de souveraineté numérique européenne.
II - Faire de la sortie de crise une opportunité
La situation préoccupante de l'économie française impose de renouer avec un volontarisme économique audacieux et lucide. La sortie de crise doit être une opportunité pour moderniser notre appareil productif et changer les méthodes d'intervention économique des pouvoirs publics.
1. Approfondir la construction européenne pour peser dans la mondialisation
Plus que jamais l'Europe est l'échelon pertinent pour peser sur le monde. Cela exige une Europe plus ambitieuse à l'extérieur, avec une politique commerciale offensive et un « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures, plus autonome dans les domaines stratégiques comme le numérique, mais un marché intérieur plus intégré avec une plus grande harmonisation fiscale et sociale, une politique de la concurrence rénovée et des politiques de l'industrie et de l'innovation plus ambitieuses.
2. Améliorer la compétitivité des entreprises françaises
Si des plans massifs de relance de l'activité sont la bonne stratégie, tant du point de vue économique que budgétaire, la croissance et l'emploi sur le long terme ne proviendront que de l'amélioration de la compétitivité des entreprises françaises. La France est entrée dans cette crise avec un déficit commercial important. La relance économique doit se traduire par une relance vigoureuse des chantiers de simplification, d'investissement, d'innovation et de fiscalité.
3. Diversifier les chaînes d'approvisionnement et relocaliser certains centres de décision et de production critiques
Une stratégie de diversification et de relocalisation passe par un diagnostic national et européen. L'élément-clé d'une stratégie de relocalisation demeure une politique de compétitivité et d'innovation. Elle peut intégrer dans certains domaines critiques une politique plus volontariste de partenariats public-privé comme, par exemple, dans la fabrication de batteries ou de certains principes actifs pharmaceutiques. L'enjeu de la relocalisation de produits à faible coût de production pose la question de l'existence de modèles économiques viables.
4. Faire de la transition énergétique un levier prioritaire de la reprise
La mise en place du plan de de relance est une opportunité pour accélérer la décarbonation de l'économie française. La rénovation énergétique des bâtiments, l'essor des énergies renouvelables, la consolidation de l'énergie nucléaire tout comme la diffusion de véhicules et de carburants propres doivent être des éléments structurants de la relance. Loin des postures déclamatoires, les entreprises, les citoyens et les collectivités territoriales attendent de l'État des actions concrètes pour faire progresser la transition énergétique dans nos territoires, à commencer par des engagements financiers et un soutien administratif.
III - Changer de méthode : une relance partenariale associant l'Europe, l'État et les collectivités territoriales
1. Éloigner la pandémie
Un préalable à toute relance est la réussite du déconfinement et la maîtrise de la pandémie, afin d'éviter l'émergence d'une seconde vague.
2. Capitaliser sur l'énergie et l'agilité déployées pendant la crise
L'application du régime d'urgence sanitaire a poussé à son paroxysme la centralisation de l'économie française, dans un pays qui pratique déjà une conception très verticale du pouvoir. Ce modèle a montré ses limites mais les périodes du confinement et du déconfinement ont également prouvé l'existence, tant dans le secteur public que privé, d'une forte capacité de mobilisation et d'adaptation. Cette agilité et cette flexibilité méritent d'être conservées tout en revenant à un régime de droit commun. Il convient de capitaliser sur certains dispositifs, en particulier des partenariats public-privé qu'il serait utile de mettre à profit pour la relance.
3. Sortir du centralisme
Le temps de la relance devra être plus collectif en coordination avec, d'un côté, l'Union européenne et, de l'autre, les collectivités territoriales, en application du principe de subsidiarité. L'expérience de la crise a montré la nécessité de poursuivre la décentralisation et la déconcentration, en particulier dans le domaine économique. C'est pourquoi la commission appelle de ses voeux un plan de relance partenariale entre l'État, l'Europe et les collectivités territoriales.
4. Relancer l'économie mais rester lucide sur l'état des comptes publics
La préservation du tissu productif passe par un plan de relance budgétaire et son rôle contracyclique. Ce recours à la dépense publique a néanmoins des limites dans un pays qui est entré dans cette crise avec un endettement public proche de 100 % du PIB et un service de la dette qui représente le troisième poste budgétaire de l'État. En comparaison, l'Allemagne disposait avant la crise d'excédents budgétaires et d'une capacité de relance bien supérieure à la nôtre. Cette situation impose d'être sélectif dans le choix des mesures et d'évaluer leur application.
5. Soutenir davantage l'offre que la demande pour une croissance vertueuse
Si le pouvoir d'achat des Français a été affecté mais s'est globalement maintenu, en particulier grâce au chômage partiel, le niveau d'endettement des entreprises atteint aujourd'hui un niveau préoccupant. Cette situation justifie un plan de relance de l'offre et des dispositifs de relance de la consommation très ciblés sur certains secteurs, ou certains publics les plus en difficulté.
6. Piloter la relance par les résultats
Plus que jamais, le plan de relance doit être l'occasion de mettre en oeuvre un pilotage par les résultats : les politiques publiques doivent être adaptées en fonction des résultats observés sur le terrain.
IV - Dix orientations concrètes pour relancer la croissance
L'ensemble des plans sectoriels comporte plus de 200 mesures concrètes pour remettre l'économie française sur les rails de la croissance et de l'emploi. Ces mesures se distribuent autour de dix orientations majeures qui visent, au-delà de la préservation à court terme de notre tissu productif, à sa modernisation.
1. Alléger les charges pour relancer la compétitivité des entreprises et leur transmission
Une première série de mesures concerne l'allègement des charges pour relancer la compétitivité des entreprises. Dans cette catégorie se rangent des mesures d'allègement de la fiscalité sur la production, des propositions visant au renforcement des fonds propres des entreprises ainsi que des dispositifs de suramortissement pour les investissements relatifs à la numérisation des PME et au verdissement de l'appareil productif.
2. Soutenir l'investissement et l'innovation dans les secteurs d'avenir
La commission préconise de soutenir les 14 écosystèmes industriels identifiés comme prioritaires à l'échelle européenne mais également de relancer les pôles de compétitivité, en lien avec les collectivités territoriales et les acteurs économiques, ainsi qu'un certain nombre de mesures relatives aux investissements d'avenir et à la recherche.
3. Diversifier les chaînes d'approvisionnement et relocaliser certains centres de décision et de production critique
Au-delà de l'établissement d'une stratégie d'identification de secteurs-clés, la commission plaide pour une exonération temporaire de certains impôts et la mise en place d'une « boîte à outils » à la main des collectivités et des préfets afin d'encourager les relocalisations. Cette politique doit être pensée au niveau européen, en lien avec les différentes filières, en particulier les laboratoires pharmaceutiques. Outre des dispositions en faveur de relocalisations dans le pourtour méditerranéen, la commission préconise un renforcement du contrôle des investissements étrangers dans les entreprises françaises et que l'Europe se dote d'un dispositif comparable.
4. Prioriser la décarbonation de l'économie
La commission plaide pour faire de la « neutralité carbone » l'aiguillon du plan de relance, ce qui suppose au préalable l'application pleine et entière de la loi « Énergie-Climat » . Considérant que la massification des opérations de rénovation énergétique constitue la clef de voûte de toute relance verte, elle propose des mesures de soutien à destination des particuliers comme des professionnels. Afin de conforter notre souveraineté énergétique et d'intensifier la transition énergétique, elle préconise de renforcer la compétitivité de notre électricité décarbonée ainsi que de sécuriser le financement, de faciliter le déploiement et de relocaliser la chaîne de valeur des énergies renouvelables. Une attention spécifique doit être accordée aux énergies renouvelables les moins valorisées : les biocarburants, le biogaz et l'hydrogène.
5. Favoriser la numérisation des entreprises et la constitution de champions numériques
Plusieurs mesures sont proposées en faveur de l'accélération de la couverture du territoire en réseaux numériques performants, fonctionnels et abordables. Des dispositifs pour accompagner la numérisation des PME et des TPE et favoriser l'émergence de champions numériques sont également mis en avant.
6. S'appuyer sur la participation comme levier de croissance
La crise a creusé les inégalités mais aussi la distance, aussi bien physique que sociale, entre les travailleurs peu qualifiés et les cadres. De ce point de vue il est fondamental de relancer la participation et d'accroître le dialogue social dans les entreprises, en finalisant les accords de participation dans les entreprises de moins de 50 salariés.
7. Prendre des mesures de relance de la consommation ciblées sur les secteurs en difficulté
La commission propose une série de mesures en faveur du tourisme, de la restauration et du bâtiment, notamment à travers des chèques-vacances et des tickets-restaurants mais également à travers une réduction temporaire de la TVA.
8. Soutenir résolument l'insertion des jeunes sur le marché du travail
Pour limiter les conséquences de la crise sur l'insertion des jeunes sur le marché du travail, il est notamment proposé une mesure d'exonération des charges pour une embauche en premier CDI ainsi qu'un soutien élargi à l'apprentissage.
9. OEuvrer avec détermination et davantage d'efficacité pour un État moins bureaucratique
En matière de simplification pour les entreprises, la commission préconise de reconstituer un Conseil de la simplification afin d'évaluer et de prévenir les charges administratives nouvelles. Elle préconise également la constitution dans nos territoires de « task forces » pour la simplification administrative, destinées aux nouvelles implantations industrielles.
10. Réformer les politiques de l'Union pour plus et mieux d'Europe
En matière européenne, la commission des affaires économiques du Sénat propose une plus grande fermeté et une plus grande transparence dans la négociation des accords commerciaux, ainsi que la mise en place d'un « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures. Elle propose également une réforme de l'application du droit de la concurrence pour mieux prendre en compte les marchés pertinents à retenir et favoriser une politique industrielle plus ambitieuse. Dans le domaine agricole, la commission plaide pour une PAC volontariste orientée vers la souveraineté alimentaire et la transition écologique. Sur le plan numérique, la commission est en faveur d'une politique continentale à la hauteur des enjeux avec une taxe sur les GAFAM, un cloud européen, des normes garantissant la liberté du consommateur, l'interopérabilité des terminaux ainsi que la préservation des données individuelles et industrielles.
CHAPITRE 1 :
LA FRANCE PASSE AU VERT, MAIS L'ÉCONOMIE
FRANÇAISE PLONGE DANS LE ROUGE
I. DES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES PARTICULIÈREMENT IMPORTANTES EN FRANCE
La gestion de la crise sanitaire par les pouvoirs publics, face à la propagation du virus SARS-CoV-2a illustré les enjeux complexes de l'anticipation de la gestion des crises.
Chaque pays concerné a naturellement procédé selon ses institutions, ses traditions, son expérience, son système politique et la sensibilité de son opinion publique. Il est encore trop tôt pour comparer les différentes pratiques administratives et politiques, mais cette étude devra être conduite, notamment par la commission d'enquête du Sénat. Celle-ci devrait être riche d'enseignements sur les dispositifs et les pratiques qui se sont révélés les plus efficaces.
En France, cet épisode s'est, sur le plan juridique, traduit notamment par la loi du 23 mars 2020 qui a déclaré « un état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national ». Régime d'exception, l'état d'urgence sanitaire confère au Premier ministre et au ministre des solidarité et de la santé, aux seules fins de faire face aux situations de catastrophe sanitaire, de larges prérogatives, dont certaines d'ailleurs étaient susceptibles de porter une atteinte forte aux libertés publiques et individuelles et ont eu un impact majeur sur l'économie.
Déclinées dans le cadre du décret du 23 mars 2020 modifié et complété, les mesures prescrites par le Gouvernement pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 ont principalement consisté au confinement des Français à leur domicile, à la restriction des déplacements, à la fermeture des établissements recevant du public et des lieux de réunion.
L'état d'urgence sanitaire a également trouvé une importante déclinaison au niveau territorial. De manière à permettre une forme d'adaptation aux dispositifs nationaux, au plus proche du terrain, le Gouvernement a habilité les autorités préfectorales à prendre quelques mesures d'adaptation locale, néanmoins sous « surveillance » de l'État central.
Le choc mondial que constitue la pandémie, tout autant que les mesures de confinement, ont fait plonger la France, l'Europe et le monde dans une récession économique inédite. Ainsi, selon les prévisions de la Banque mondiale, le PIB mondial diminuera dans le monde de 5,2 % cette année, ce qui représente la plus forte récession planétaire depuis la Seconde Guerre mondiale.
Pour l'année 2020, le ministre de l'économie et des finances anticipe une chute du PIB national de 11 %, la Banque de France estimant la récession sur le second trimestre à - 15 % : des chiffres bien au-delà ce ceux observés à la suite de la crise financière de 2008, où l'exercice 2009 s'était conclu sur un recul annuel de 2,9 % et au-delà de la moyenne de la zone euro qui devrait atteindre 9,1 % en 2020 (Banque mondiale)
L'impact économique semble particulièrement marqué en France, comme en témoignent les comparaisons européennes.
Au premier trimestre 2020, le PIB national a plongé de 5,8 %, selon la première estimation de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), soit la plus forte baisse dans l'historique des évaluations trimestrielles du PIB depuis 1949. Sur la même période, les PIB italien et allemand se sont respectivement contractés de 4,7 % et 2,2 %, selon l'Institut national de statistique (ISTAT) et l'Office allemand de statistique (DESTATIS).
Au total, le PIB français devrait diminuer de plus de 11 % en 2020, contre 6,3 % outre-Rhin. Les spécificités de notre économie et l'état de nos finances publiques avant la crise nous ont, semble-t-il, rendu plus vulnérables à cette crise conjoncturelle.
"Un impact économique fortement plus marqué
en France
qu'en Allemagne ou en Italie."
Ces écarts de résultats économiques entre pays européens s'expliquent aussi, en partie par une réaction très différente des secteurs d'activité d'un pays à l'autre.
Ainsi, seuls 15 % des chantiers du BTP ont continué dans notre pays pendant la période de confinement, contre 80 % en Allemagne. En France, l'arrêt des chantiers a été préféré, notamment par crainte de ne pouvoir protéger les salariés et en raison des incertitudes qui pesaient sur la responsabilité des chefs d'entreprises. Au total, pendant le confinement, l'activité des secteurs de la construction et de l'automobile aurait diminué respectivement de 80 % et 60 % en France mais uniquement de 3 % et 30 % en Allemagne.
Tous les secteurs ont été touchés mais à des degrés variables. Ainsi, la paralysie du trafic aérien a mis à mal l'ensemble des compagnies aériennes, des constructeurs aéronautiques et des opérateurs de tourisme, tandis que le confinement et la fermeture des usines chinoises a déstabilisé une grande partie de l'industrie française, dépendante des pièces détachées importées. L'arrêt soudain de la vie économique s'est traduit en quelques jours par une baisse de moitié de l'activité industrielle du pays.
Par ailleurs, le secteur du tourisme a connu un choc d'une nature et d'une ampleur inédites et qui a mis un terme à dix ans de croissance ininterrompue du tourisme international. Fin avril, tous les pays du monde avaient adopté des restrictions aux voyages et 72 % avaient totalement stoppé les entrées touristiques en fermant leurs frontières, proportion s'élevant à 83 % en Europe. En France, le secteur connaîtrait une perte de 40 milliards d'euros sur le premier semestre, soit une baisse de 60 % par rapport à 2019. Durant le confinement, de nombreux professionnels ont dû arrêter leur activité et gérer exclusivement les annulations.
D'autres secteurs ont clairement moins souffert, mais ont été ponctuellement ou partiellement pénalisés comme l'agriculture. Les sénateurs pilotes de la cellule sectorielle « Agriculture » ont ainsi relevé que certaines productions, comme les ventes de fromages sous signes d'identification de l'origine et de la qualité (AOP ou IGP), de volailles ou de pommes de terre ont accusé des reculs de 50 à 70 % en raison du manque de certains débouchés, notamment celui de la restauration commerciale ou collective, des marchés de plein vent ou de l'export. Or les produits agricoles étant périssables, des quantités importantes ont été détournées vers d'autres circuits moins rémunérateurs, données ou détruites. Les exploitants ont donc dû supporter des charges sans aucune recette.
"Tous les secteurs ont été touchés mais avec une intensité variable."
Dans le secteur de l'énergie, la crise du Covid-19 s'est traduite par une chute massive et globale de la demande et du prix de l'énergie, ce qui déstabilise l'ensemble du secteur. Les prix de marché ont ainsi diminué de 42 % pour l'électricité, 39 % pour le gaz et 50 % pour le pétrole en un an (Indices SPOT, NYMEX et BRENT au 28 mai 2020). Ces évolutions pourraient avoir des effets de long terme sur notre économie, avec des reports ou des annulations d'investissements, y compris dans le domaine des énergies renouvelables, mettant à l'épreuve notre capacité à atteindre l'objectif de « neutralité carbone » issu de l'Accord de Paris de 2015.
C'est pourquoi les sénateurs pilotes de la cellule sectorielle « Énergie » ont formulé des préconisations pour relancer notre économie en accélérant sa décarbonation, ce qui passe notamment par un soutien à la trésorerie et aux investissements de nos énergéticiens ainsi qu'aux acteurs économiques de la transition énergétique (opérateurs de la rénovation énergétique, porteurs de projets d'énergies renouvelables, ménages soumis au risque accru de précarité énergétique en particulier).
Les mécanismes même de transmission de la crise, d'effet de cascade au sein de l'économie sont inédits.
La crise résulte, en premier lieu, d'une baisse sensible de la demande causée par la mise à l'arrêt volontaire de l'économie nécessaire à la préservation de la santé des citoyens. La mise au chômage partiel d'une partie de la population a entraîné de facto une perte de pouvoir d'achat pour une partie des Français, souvent les plus fragiles. Dans le même temps, la situation de confinement a naturellement contribué à la diminution globale de la consommation des ménages. Cette diminution a été enfin aggravée lourdement par une perte de confiance en l'avenir d'une partie de la population, qui favorise une nette augmentation de l'épargne de précaution.
Ainsi, selon le président de l'Office français des conjonctures économiques (OFCE) entendu par la commission, le revenu des ménages a décru de 7 % en moyenne, quand la consommation a chuté de 30 %, l'épargne augmentant de 80 milliards d'euros environ.
En outre, la crise mondiale a largement fait baisser la demande extérieure et, partant, les exportations, accentuant encore le déficit de la demande auquel devait faire face l'économie française.
À la baisse de la demande s'est ajoutée une contraction de la production, en raison des fermetures consécutives aux mesures de lutte contre l'épidémie et aux difficultés pour les producteurs restés en activité d'exercer, faute de salariés ou de biens intermédiaires de la part de leurs fournisseurs français ou étrangers. À titre d'exemple, 87 % des commerces de proximité d'Île-de-France ont été concernés par des mesures de fermeture administrative, 47 % des entreprises artisanales étant fermées sur décision administrative et 26 % en dépit de l'autorisation de maintenir leur activité.
Dans l'industrie, du fait de l'interdépendance des économies, le ralentissement de la demande mondiale a entraîné des difficultés conjoncturelles parfois brutales pour une grande partie des acteurs économiques et mis un coup d'arrêt à la production de biens et de services.
En conséquence, un grand nombre de salariés et d'indépendants se sont retrouvés au chômage partiel par suite de l'impossibilité de poursuivre leurs activités. Ils ont dû faire face à des pressions financières découlant d'une réduction du pouvoir d'achat et de difficultés à honorer certaines échéances, en particulier les prêts et obligations contractés. Les entreprises ont vu s'accumuler les problèmes de trésorerie, fruits de la perte de chiffre d'affaires, du maintien de nombreux coûts et charges, et ce malgré les mesures rapides prises par le Gouvernement pour tenter d'y remédier.
La paralysie du commerce mondial a accru la crise intérieure déjà importante. Une partie conséquente de nos usines était ainsi à l'arrêt à la fois par manque de débouchés et parce qu'elles pouvaient dépendre d'un approvisionnement extérieur.
De plus, cette crise vient percuter de plein fouet un secteur industriel déjà confronté à de nombreux défis. Les entreprises industrielles françaises, en particulier les plus petites, restent caractérisées par une faiblesse en fonds propres qui limite leur croissance. Dans plusieurs secteurs, la crise est intervenue alors que le niveau d'endettement n'avait pas baissé depuis plusieurs années, tandis que les marges déjà faibles s'étaient érodées.
Enfin, l'investissement a chuté face à l'incertitude entourant l'avenir de l'activité économique . La formation de stocks impossibles à écouler a mis un certain nombre de structures en difficulté face à la gestion de situations inquiétantes de surproduction.
"Si la crise sanitaire est peut être derrière
nous,
la crise économique ne pourrait faire que commencer."
En outre, alors que l'épidémie semble marquer le pas, la crise économique, loin d'être derrière nous, ne pourrait faire que commencer, même si la consommation de biens de grande consommation semble reprendre avec force dans les premières semaines de déconfinement. Ses conséquences sur la consommation des ménages, la productivité des entreprises et surtout sur l'investissement des entreprises, notamment dans les secteurs « lourds » de l'industrie, du tourisme..., vont durer plus longtemps qu'une crise sanitaire et demander des financements importants.
En matière d'emploi, l'impact de la crise devrait là encore être plus profond en France qu'en Allemagne, puisque la proportion de nouveaux demandeurs d'emploi augmenterait bien plus fortement dans notre pays (+ 1,6 point en France contre 0,8 point en Allemagne), le taux de chômage français devant dépasser vraisemblablement la barre des 10 % fin 2020 (contre 4 % en Allemagne) selon les chiffres de la Commission européenne .
La situation est avant tout marquée par un grand degré d'incertitude. Pour Ayhan Kose, directeur de la division Perspectives de développement à la Banque mondiale : « L'épisode que nous traversons entraîne déjà des révisions à la baisse des projections mondiales de croissance d'une ampleur sans précédent. Et si l'on se fie à ce qui s'est produit par le passé, on peut s'attendre à des risques de détérioration encore plus importants, ce qui signifie que les responsables politiques doivent se préparer à recourir à des mesures supplémentaires pour soutenir l'activité économique. »
Pour les économistes entendus par la commission des affaires économiques, endiguer la crise économique nécessitera donc la mise en place d'une relance d'une ampleur inédite, car jamais depuis des décennies l'offre et la demande n'ont été aussi violemment et simultanément touchées.
"Les tensions économiques ont également
engendré
une aggravation des inégalités sociales et
spatiales. "
Faute d'une politique de relance adaptée, le chômage augmenterait non seulement fortement mais durablement, multipliant les risques sociaux et politiques, à très court terme. Après la crise des « gilets jaunes » qui manifestaient l'exaspération d'une partie de la population, l'impréparation de notre pays dans la crise sanitaire a également mis à mal la crédibilité des pouvoirs publics. Si la France s'enfonçait, pour la deuxième fois en ce début de siècle, dans une crise économique longue, avec un chômage de masse et une croissance atone, il est à craindre qu'un sentiment encore accru de défiance ne se diffuse parmi les Français. L'incapacité de l'État à prévenir puis à maîtriser la crise économique actuelle et, plus généralement, les conséquences parfois mal maitrisées d'une mondialisation trop naïve, ne peut que favoriser le repli sur soi.
Rater la relance, c'est ouvrir la voie aux extrêmes dans le monde comme en France.
II. UNE DÉPENDANCE VIS À VIS DE CERTAINS FOURNISSEURS QUI ILLUSTRE NOTRE FRAGILITÉ INDUSTRIELLE
La crise sanitaire et la crise économique ont rappelé l'importante interdépendance des économies modernes. La théorie économique a longtemps mis au premier plan la spécialisation productive, couplée au libre-échange, qui permet de tirer avantage des différentiels de coûts de production pour localiser chacun des maillons des chaînes de valeur à l'endroit où l'activité est la plus rentable.
Force est de constater que cette spécialisation a permis de faire baisser le prix de nombreux biens de consommation, améliorant le pouvoir d'achat des Français, ouvrant le champ à une croissance de la consommation. C'est particulièrement le cas pour les produits de grande consommation, du fait des importations en provenance de pays à bas salaire (notamment la Chine ou les pays d'Europe de l'Est), multipliées par trois ces dix dernières années. Selon la Banque de France, l'effet direct des importations des pays à bas salaires a ainsi représenté un gain d'environ 1 000 euros sur la consommation moyenne par ménage en 2014.
"Les difficultés d''approvisionnement en masques,
tests et réactifs
sont le revers des avantages que nous avons
tirés de la spécialisation de notre appareil productif dans une
économie mondialisée."
Le revers de cette division internationale du travail est une plus grande dépendance vis-à-vis de fournisseurs étrangers. Chacun a pu constater en France que l'approvisionnement en masques, en tests et en réactifs a été rendu plus difficile et plus coûteux en temps de crise par la délocalisation et l'extrême concentration géographique de leur production.
La France est loin d'être le seul pays européen à avoir laissé une part significative de sa production se développer à l'extérieur de ses frontières. Pour autant, en Allemagne, dès janvier, donc bien avant la France, des centaines de PME du Mittelstand se sont unies pour fabriquer massivement des tests (350 000 tests par semaine).
"La dépendance française dans le domaine
sanitaire est accrue
par le manque de diversification des sources
d'approvisionnement."
Plus largement, la délocalisation de secteurs clés pour l'indépendance économique ou la sécurité sanitaire de la France a mis notre pays dans une situation de trop grande dépendance, notamment à l'égard de la Chine et de certains de nos voisins. Cette dépendance est renforcée par le manque de diversification des sources d'approvisionnement, souvent limitées à un ou deux pays, empêchant une répartition du risque sur un ensemble accru de fournisseurs.
De plus, cette dépendance est loin de se limiter à la seule industrie pharmaceutique. Elle se matérialise notamment par un déficit croissant du commerce extérieur de 58,9 milliards d'euros en 2019 selon le service statistique des douanes. L'importation massive de masques, de tests, de médicaments et de respirateurs n'en est que l'image médiatique émergée.
C'est pourquoi cette crise d'approvisionnement ne peut être entièrement imputée à la seule soudaineté de la pandémie et à un ajustement tardif de la production française face à la hausse brutale de la demande en produits sanitaires. Elle interroge avant tout un aspect très structurant de notre insertion dans les échanges internationaux qui, dans la situation actuelle, semble pénalisant pour notre pays, notre modèle de société et nos concitoyens.
"Notre dépendance est la conséquence de la désintégration de notre tissu industriel, qui a vu sa part réduite à 10,2 % du PIB, contre 23 % en Allemagne."
Il est vrai que le déclin de la production nationale n'a longtemps pas eu d'impact visible sur la capacité d'approvisionnement de l'économie française, qui importe ce dont elle a besoin à partir du marché intérieur ou mondial. Les gains de pouvoir d'achat, pour les consommateurs, et le moindre coût des intrants, pour les entreprises, justifient cette répartition. De même que les entreprises se sont très largement implantées à l'international dans les trente dernières années, l'économie française a accueilli de façon croissante des investissements directs étrangers de multinationales qui représentent aujourd'hui plus de 10 % des salariés et 20 % du PIB. Ces flux entrants et sortants sont une source de rayonnement économique mais aussi de fractionnement des chaînes de valeur.
Les limites de nos capacités de production de masques, de tests et de respirateurs ont cependant mis en lumière une spécificité française : une désintégration de notre tissu industriel, qui a perdu 2 millions d'emplois en vingt ans, selon la Direction générale du Trésor (DGT), et a vu sa part réduite à 10,3 % du PIB, contre 14,7 % en Italie et 21,1 % en Allemagne, selon la Direction générale des entreprises (DGE). Les pays au fort dynamisme industriel comme l'Allemagne ont fait preuve d'une meilleure capacité d'adaptation face à l'urgence de la crise.
La France n'est pas le seul pays à avoir pâti de sa dépendance aux importations et les masques, tests et respirateurs sont loin d'être les seuls produits concernés. C'est pourquoi cette crise nous renvoie à la question plus générale de la gestion des politiques publiques de prévention des risques dans un environnement aussi interdépendant.
Elle pose aussi la question d'une mondialisation qui place en concurrence des systèmes économiques dont les standards sociaux ou environnementaux sont très différents.
La démultiplication du volume des échanges commerciaux s'est accompagnée d'une compétition accrue, d'abord dans les secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre. Cette concurrence sur les prix de revient est à relier à l'importance des différences qui affectent les coûts de main-d'oeuvre, les différentiels s'étendant de 1 à 40 avec l'Asie et de 1 à 10 au sein même de l'Europe.
"La question de la production des masques renvoie à
celle
d'une mondialisation et d'une spécialisation économique
qui placent
frontalement en concurrence des systèmes sociaux
différents."
Cette course aux coûts les plus bas se traduit dans certains secteurs par des transferts massifs d'activités, des délocalisations et des pertes d'emplois. Ces pertes d'emplois, qui touchaient précédemment les productions à faible valeur ajoutée, concernent désormais aussi celles à forte valeur ajoutée.
Ces phénomènes posent question à l'échelle mondiale comme dans une Europe confrontée au défi de son élargissement à de nouveaux États membres.
Autrement dit, les pénuries rencontrées pendant la crise nous renvoient aussi à la question de la concurrence des systèmes sociaux, fiscaux et environnementaux dans une course au moins disant, qui pénalise les régimes les plus avancés. Cette question est d'autant plus prégnante que la transition écologique nous conduit à élever nos standards de production environnementaux alors même que nombre de pays, qui bénéficient déjà d'un avantage comparatif lié à leurs régimes sociaux, n'impose pas de tels standards.
Aujourd'hui, du fait de cette concurrence mondiale, la France, comme d'autres pays européens, semble devoir choisir entre la réforme de son modèle de société et la survie de ses emplois industriels. En effet, notre système de protection sociale et notre fiscalité élevée érodent la rentabilité des productions à faible valeur ajoutée sur notre sol, alors que certaines d'entre elles se sont révélées nécessaires pendant la crise.
Pour réussir à relocaliser certaines industries critiques sans réduire la protection des salariés, la France n'a d'autre choix que de faire le pari de secteurs à forte valeur ajoutée, à fort potentiel comme l'Internet des objets et plus généralement le pari de l'innovation et de la robotisation.
III. UNE MONDIALISATION QUI REND AUJOURD'HUI DIFFICILE L'ANTICIPATION ET LA GESTION DES CRISES
Au-delà de la concurrence des systèmes sociaux, la crise actuelle a mis en valeur la faible résilience de l'économie internationale face aux crises sanitaires, faute d'instruments de gouvernance supranationaux véritablement efficaces. De ce point de vue, la crise illustre bien les difficultés liées à une mondialisation trop peu régulée.
Cette faible résilience est une des caractéristiques de la mondialisation actuelle, qui s'est traduite par une accélération des échanges et des interdépendances parallèlement à l'absence de montée en puissance des politiques publiques multilatérales, régionales ou nationales, à prévenir les risques de crise majeure.
"Une mondialisation sans capacité collective de
régulation
est forcément instable et peu résiliente
face à des chocs exogènes."
La première raison est la multiplication des risques et la vitesse de leur diffusion. Dans une économie mondialisée en flux tendus, la croissance est un équilibre instable car une crise locale a toutes les chances d'avoir un impact global dans un temps record. Ainsi, les échanges internationaux ont fait d'un problème de santé publique né en Chine une pandémie mondiale qui a pris au dépourvu tous les pays du globe. Cette dernière a permis de mesurer la coûteuse impréparation de nos sociétés aux risques extrêmes susceptibles pourtant de devenir récurrents.
Du fait de la vitesse de diffusion des risques et par un « effet papillon » caractéristiques de notre époque, la crise économique a engendré une baisse brutale de la demande à toutes les échelles et dans tous les territoires. Presque simultanément, chaque zone économique et chaque pays sont entrés en récession, touchés par une réduction drastique de la consommation et des investissements, des importations et des exportations.
Au-delà de leur vitesse de propagation, certains phénomènes, du fait de leurs externalités, nécessitent par essence une prise en charge plus collective. C'est le cas des épidémies dont la gestion par les uns joue, positivement ou négativement, sur celle des autres. C'est plus généralement le cas des biens communs, tels que la santé mais aussi le climat, qui exigent une mobilisation collective et coordonnée dont on mesure aujourd'hui la difficulté.
"La santé publique comme le climat sont des biens
publics mondiaux
qui exigeraient la mise en place de politiques publiques au
niveau international."
La seconde raison est la difficulté, dans un monde en perpétuelle surtension, de nos systèmes économiques et de nos institutions politiques à prendre en compte le temps long et à anticiper les risques.
Avant l'irruption de la crise du Covid-19, plusieurs signaux avertissant d'une possible pandémie avaient été émis. Plusieurs études scientifiques faisaient état de risques de développement et de propagation de maladies zoonotiques, notamment liées aux virus de type SARS, et de leurs possibles origines. Bill Gates avait averti en 2015 sur les risques de la prochaine pandémie et de la nécessité de se préparer. En France, le risque pandémique figure ainsi dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, qui juge « plausible » l'apparition d'une « pandémie massive à forte létalité » dans « les quinze années à venir ». Ce risque est aussi évoqué dans les livres blancs de 2013 et de 2017.
"L'impréparation de nos économies illustre
notre faible capacité d'anticipation
alors même que la menace
était connue."
Malgré cela, peu de pays, peu d'organisations internationales ont mis en place des dispositifs susceptibles de prévenir la propagation d'une telle épidémie. Au contraire, les dispositifs existants ont plutôt été démantelés. En France, jugeant un tel risque faible, les pouvoirs publics n'ont pas accordé l'attention suffisante aux dispositifs stratégiques de stocks de masques constitués en 2009 qui sont passés de 1,7 milliard de masques à cette date à 100 millions aujourd'hui, imposant de recourir à des importations en toute hâte.
Au-delà de la question des masques, la concurrence effrénée sur les marchés internationaux et la course au moins-disant ont conduit à une optimisation poussée des circuits de production sans prendre en compte la gestion des risques de court, de moyen ou de long termes. La tendance à concentrer nos approvisionnements sur un seul pays fournisseur, en l'occurrence la Chine, en est l'illustration la plus frappante.
Contraire au principe de diversification des risques, cette concentration nous expose à une dépendance, qui s'est révélée hautement préjudiciable. Sans doute aurait-il fallu accepter un surcoût pour s'assurer qu'une rupture de la production d'un pays ne mette pas en péril l'ensemble de nos approvisionnements. Emmanuel Faber, président-directeur général du groupe Danone l'a souligné devant la commission des affaires économiques du Sénat : « nos économies optimisées ne sont pas des économies résilientes » . Une des leçons de la crise est assurément que la résilience a une valeur.
L'incapacité à se projeter tient, en partie, au fait que le marché mondial n'intègre pas la question des risques, a fortiori systémiques, dans les prix. Cette question se pose de façon particulièrement prégnante sur les risques écologiques. La course effrénée à l'abaissement des coûts, qui conduit à la dissociation des lieux de production de ceux de consommation en oubliant l'impératif écologique de réduction de l'impact environnemental du transport de marchandises, le montre. Sans correctifs, certains modes de production ne sont guère soutenables en raison de leur coût écologique, mais ils perdurent tant qu'ils restent plus compétitifs. En somme, si nos économies sont optimisées, elles ne sont ni résilientes face aux risques, ni durables, comme si le marché sans régulation était aveugle aux risques.
"Nos économies optimisées ne sont pas des économies résilientes."
La mondialisation « naïve » de ces trente dernières années n'a pas renforcé la capacité des pouvoirs publics à établir, que cela soit au niveau mondial ou régional, les conditions d'une concurrence équitable ou d'une prévention véritable des risques. Bien au contraire, l'intensification actuelle des échanges de biens et de capitaux coïncide avec une crise des institutions multilatérales, qu'il s'agisse de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), voire de l'Organisation des Nations unies (ONU). Plus grave, la crise n'a fait que renforcer cette tendance. Durant la pandémie, la voix des autorités sanitaires mondiales et les appels à la coopération internationale et même européenne ont souvent été inaudibles. Face à l'urgence, les égoïsmes nationaux et la tentation du repli sur soi ont souvent pris le dessus sur les institutions de gouvernance supranationales.
"La mondialisation n'a pas eu pour contrepartie le
renforcement
de la capacité des pouvoirs publics à
établir que cela soit au niveau mondial
ou régional les
conditions d'une concurrence équitable ou la prévention des
risques."
Or, que ce soit aujourd'hui, face à la crise du Covid-19, ou demain, dans la crise environnementale et notamment climatique, les marchés financiers et les acteurs économiques présentent une grande vulnérabilité et font face à une certaine impréparation. L'État, l'Union européenne et les institutions internationales auraient dû anticiper la pandémie ; il leur revient à présent, et singulièrement au Gouvernement, de préparer la sortie de crise par une politique économique adéquate. Un des enseignements de la crise est, de ce point de vue, la nécessité d'instituer des politiques publiques de prévention et de prise en charge des risques collectifs, à l'échelle mondiale, européenne et nationale.
De ce point de vue, la construction européenne reste une construction certes imparfaite mais inédite, qui met en place des politiques publiques communes entre des économies distinctes sur la base d'une souveraineté partagée et d'une construction politique complexe. Cette crise doit être l'occasion de poursuivre et de consolider l'Union, en traitant notamment ses faiblesses apparues au grand jour pendant la crise et en engageant avec volontarisme les convergences environnementales, fiscales et sociales nécessaires.
Le retour des frontières au sein de l'espace Schengen a
miné, durant le confinement, l'idée d'une communauté
irrémédiable entre pays souverains. Le virus, en s'attaquant
à la confiance sanitaire mutuelle, a
- malgré l'accueil
parallèle de patients étrangers - redonné du
crédit aux options nationales. Pour autant, chacun s'accorde à
penser que, vu l'imbrication des entreprises et de leurs chaînes de
valeur de part et d'autre des frontières, la sortie de crise exige
d'être suivie d'un plan de redressement commun, assorti d'une liste de
filières à protéger (recherche, industrie, agriculture,
finance, numérique, tourisme, énergie).
"Le retour des frontières a semblé miner non
seulement
le fonctionnement du marché unique mais
également
l'idée d'une communauté
irrémédiable entre pays européens."
Dans tous ces domaines, la bataille mondiale post-Covid-19 exigera investissements et répartitions complémentaires des tâches si l'on veut que l'avenir rime avec sécurité des approvisionnements et diminution de notre dépendance extérieure, notamment envers la Chine. « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises » , écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. À l'heure où l'Union européenne vit sa plus grande crise sanitaire, un des enseignements est donc la nécessité d'améliorer le fonctionnement de l'Europe.
À l'échelle nationale, cette crise interroge également l'efficacité de notre démocratie dans la gestion des risques extrêmes. À cet égard, la gestion chinoise de la crise a fait figure de démonstration de force - au moins du point de vue médiatique - par les autorités chinoises, avec, en moins de 15 jours, la construction d'un hôpital de plus de 1 000 lits à Wuhan ou la production de 7,6 millions de masques par le constructeur automobile BYD. Dans les démocraties occidentales, les succès s'avèrent moins éclatants car les mesures de confinement et la mobilisation de l'économie ont dû prendre plus largement en compte - et c'est heureux - la préservation des libertés publiques, dont la liberté de la presse et la liberté d'entreprendre, le fonctionnement de nos institutions libérales et une opinion publique dont l'adhésion est un facteur clef de succès.
"L'expérience du confinement et du
déconfinement a démontré la capacité
de
mobilisation des citoyens de nos démocraties au service de
l'intérêt commun."
En posant la question de l'opportunité de certaines relocalisations stratégiques, la pandémie nous rappelle notre insuffisance dans le développement des circuits courts et d'une production plus locale, et donc notre impréparation face aux bouleversements environnementaux qui viennent.
En revanche, pour douloureuse qu'elle soit, l'expérience du confinement et du déconfinement dans chaque territoire ont démontré la capacité de mobilisation des citoyens au service de l'intérêt commun et les ressources de notre démocratie pour faire face aux défis qui l'attendent. Dans l'urgence, notre pays a été capable de libérer des énergies nouvelles, en associant une forte détermination de la puissance publique et de ses agents à la levée de certains verrous, par exemple à l'hôpital. Cela nous permet aujourd'hui d'être en passe de vaincre l'épidémie sans avoir transigé sur les valeurs au coeur de notre système économique et de notre modèle démocratique.
En revanche, la crise sanitaire permet de comparer à l'aune d'un même choc des fonctionnements politiques et institutionnels extrêmement différents, tels que le système centralisé français et le système fédéral allemand.
"La gestion de la crise sur le terrain pose la
question
de l'extrême centralisation des institutions
françaises
pour gérer des situations sanitaires et
économiques très hétérogènes."
La configuration française est marquée par la centralisation. En comparaison, le modèle fédéral allemand a laissé aux Länder un rôle plus important, favorisant un traitement différencié du déconfinement en fonction de la situation sanitaire de chaque Land . Sans opposer les deux systèmes, qui répondent à des traditions politiques différentes et dont l'impact sur la gestion de la crise mériterait un examen plus approfondi, force est de constater que la France a finalement dû procéder à un traitement différencié selon les zones, interrogeant la pertinence de son modèle centralisé. Et les résultats ont été très prometteurs, les communes, intercommunalités, départements et régions ayant trouvé les solutions locales les plus adaptées pour limiter les effets de la crise qui frappait leur territoire.
IV. UN CONFINEMENT QUI MET EN VALEUR LE CARACTÈRE STRATÉGIQUE DU NUMÉRIQUE
Dernier enseignement de la crise et du confinement : la dépendance au numérique, qui n'a fait que s'accroître dans nos sociétés modernes depuis 30 ans au point d'être non seulement un secteur économique d'importance, mais également une dimension essentielle de toutes les autres activités économiques.
Si gérer des données informatiques, partager des informations par courrier électronique ou visioconférence, communiquer sur Internet faisait partie du quotidien des salariés français, cette dimension de la vie professionnelle s'est révélée, pendant la phase du confinement, plus frappante encore. Selon l'institut Odoxa-Adviso Partners, durant le confinement, 5,1 millions de salariés, soit un quart environ de la population active, ont ainsi recouru au télétravail.
"La crise a accéléré la numérisation de l'économie."
L'outil numérique s'est ainsi montré essentiel dans la poursuite de la vie quotidienne et à tous les niveaux de gestion de la crise. La dématérialisation de l'accès aux services de l'État, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale, le recours des entreprises au télétravail, l'essor du commerce en ligne et même la dématérialisation de contenus culturels ont été des éléments incontournables. Cette digitalisation des rapports sociaux a été le seul moyen d'assurer la continuité de l'activité économique en cette période de distanciation physique. À ce titre, le confinement semble avoir accéléré les transformations en cours dans l'emploi.
Face à cet accroissement soudain de l'utilisation de l'outil numérique, la France s'est montrée réceptive et réactive. Nombre d'entreprises et administrations ont mis en place des solutions alternatives innovantes afin de poursuivre leurs activités. Le réseau a fait preuve de résistance face à la hausse importante de son exploitation.
"Le télétravail a mis en lumière la
fracture numérique
aussi bien au sein des ménages que des
entreprises."
Toutefois, malgré cette résilience, la France a montré ses limites dans la maîtrise quantitative et qualitative de l'outil numérique. D'un point de vue quantitatif, la couverture de l'ensemble du territoire en réseau est encore insuffisante et témoigne d'une fracture numérique génératrice d'inégalités des chances économiques. En zone rurale, 60 % du territoire n'est pas équipé de réseau à haut débit fixe. Ce manque cruel d'inclusion numérique est également social et générationnel, isolant souvent un peu plus profondément les personnes précaires ou âgées les moins à l'aise avec ces dispositifs.
De même, la multiplication des connexions en lien avec la mise en place du télétravail et les moyens numériques de divertissement et de socialisation s'est heurtée, au moins dans le début de la crise, à la capacité limitée de la « bande passante », obligeant le Gouvernement à demander, pendant un temps, une dégradation de la qualité de certains services de divertissement.
La crise a également révélé, chez de nombreuses entreprises, les carences en termes de formation et dans la maîtrise des outils numériques. De fait, le taux de numérisation des entreprises françaises reste encore assez faible : la France n'est que le quatorzième pays européen en matière d'intégration des technologies numériques par les entreprises. L'absence de culture du numérique dans un grand nombre de petites structures a pénalisé l'activité en empêchant la mise en place de solutions alternatives fonctionnelles au travail en présentiel.
"La dépendance des Européens dans le domaine
numérique
est un problème stratégique pour les
années à venir."
Elle a également pénalisé les PME en les privant d'une possibilité d'atténuer la chute de l'activité : le commerce électronique. En effet, celles qui ont pu vendre en ligne (qu'il s'agisse de vente avec livraison ou de « click and collect » ) ont réalisé en moyenne entre 15 et 25 % de leur chiffre d'affaires habituel. Des enseignes non-alimentaires, traditionnellement peu présentes sur ce canal de distribution, ont décidé de l'investir afin d'assurer le minimum vital de ventes. La divergence entre entreprises s'est donc encore accrue entre celles qui ont su prendre le virage numérique et les autres.
D'un point de vue plus qualitatif, l'Europe a fait plus que jamais le constat de sa dépendance aux infrastructures étrangères notamment aux firmes américaines - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les « Gafam » - et son absence dans la compétition numérique mondiale. L'inexistence de grands champions européens dans ce domaine constitue une faiblesse dans un monde où le numérique est un des secteurs stratégiques de l'activité économique.
L'absence de souveraineté numérique fait peser une menace sur la protection des données personnelles des particuliers mais aussi sur celle des données stratégiques des entreprises et des administrations, menace accrue en cette période de recours massif et organisé en urgence aux outils numériques. Les mécanismes de régulation et de sanction, tant nationaux qu'européens, demeurent encore trop limités au regard des enjeux considérés et de la puissance des entreprises qui dominent le marché mondial dans ce secteur.
À l'échelle nationale, il faudra également tirer les conséquences juridiques de ces changements socioéconomiques dans la mesure où la numérisation observée durant le confinement, largement improvisée, devra être régulée en sortie de crise. Et il est plus que jamais temps de construire une politique offensive de soutien à nos pépites technologiques, afin de faire émerger les « Gafam » européens de demain.
La quatrième leçon de cette crise est donc le caractère critique et stratégique du secteur numérique auquel le plan de relance doit faire une grande part.
CHAPITRE 2 :
FAIRE DE LA SORTIE DE CRISE UNE
OPPORTUNITÉ
L'état d'esprit qui anime la commission face à une crise hors norme dont les conséquences sont susceptibles de s'étendre sur plusieurs années ne peut être que de renouer avec un volontarisme économique lucide qui ne se contente pas de soutenir ponctuellement l'activité, mais prépare les fondations d'une croissance pérenne. Autrement dit, au-delà de la sauvegarde immédiate de l'activité, la commission s'est concentrée sur ce que doivent être les objectifs des politiques publiques de relance à moyen et long termes de l'économie.
I. APPROFONDIR LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE POUR PESER DANS LA MONDIALISATION
Souveraineté économique et alimentaire, défi énergétique et urgence climatique, défense d'un modèle social exigeant : sur tous ces sujets, la France a intérêt à porter son ambition au niveau européen qui, plus que jamais, est l'échelon pertinent pour une relance conjoncturelle de l'activité, mais aussi et surtout pour peser dans la mondialisation et les négociations internationales.
Renouer avec le volontarisme économique, c'est, en effet, vouloir une Europe plus ambitieuse, plus exigeante, plus solidaire, plus offensive aussi, une Europe qui protège « vraiment ». Qui protège les Européens, la démocratie, son idéal social, son économie et ses ambitions environnementales. À cet égard, la sortie de crise doit permettre de faire de l'Europe une chance pour la relance, et de la relance une chance pour l'Europe.
À bien des égards, la crise du Covid-19 a montré la fragilité du fonctionnement actuel de l'Union européenne. Cette crise a, à juste titre, conduit à suspendre l'application de certaines règles fondamentales de l'Union européenne en matière de déficit public, de contrôle des aides d'État et de libre circulation des personnes et des biens, afin de permettre à ses États membres de faire face à l'urgence.
Face à une pandémie globale qui touchait tout le continent, l'Union européenne aurait cependant dû être au premier plan de la gestion de la crise. Convertie à une subsidiarité qu'elle promeut timidement en temps normal, elle a délégué ses responsabilités aux États membres. Dans le domaine agricole par exemple, en relevant les plafonds des aides d'État, la Commission européenne a implicitement confié la gestion du plan de relance aux États membres, au risque d'accroître les concurrences déloyales en son sein. En outre, ses réactions, le plus souvent tardives, n'ont pas été assez rapides face aux attentes légitimes des citoyens européens. Dès lors, la réaction des pays européens s'est traduite par un repli national désordonné, alors même que ce type de crise symétrique appelait une réponse coordonnée.
Aussi, la sortie de crise doit avoir pour objectif le renforcement de l'autonomie stratégique de l'Europe, qui appelle une évolution de son fonctionnement et de son ambition.
On ne peut que saluer de ce point de vue, la réaction de la Banque centrale européenne (BCE) qui est essentielle au financement des mesures de relance nationales, avec le Plan pandémie ( Pandemic Emergency Purchase Program - PEPP) de plus de 1 350 milliards d'euros ainsi que celui de la Commission européenne, avec la proposition du Plan de relance européen ( European Recovery Plan ) qui intègre le Pacte vert ( Green New Deal ), de plus de 1 850 milliards d'euros. Il en est de même de l'Initiative franco-allemande pour la relance, qui suggère la création d'un Fonds de relance ambitieux, de 500 milliards d'euros, financé sur des ressources propres de l'Union européenne.
“Le plan Pandémie de la BCE, le Plan de relance européen de la Commission européenne et l'Initiative franco-allemande pour la relance doivent être les prémices d'une réforme budgétaire et financière l'Europe, qui doit permettre la mise en place d'une politique économique plus intégrée.”
Compte tenu des investissements massifs qui sont nécessaires au regain de compétitivité de l'Europe, l'Union doit renforcer sa capacité à soutenir les projets industriels de dimension européenne nécessaires à la sortie de la crise économique, dans les secteurs stratégiques d'avenir, la transition énergétique et le numérique ainsi que les infrastructures permettant la convergence des économies européennes.
La crise a mis en évidence la concurrence parfois inéquitable entre États membres de l'Union. Sur le plan intérieur, l'approfondissement de la construction européenne doit donc s'accompagner en outre d'une plus grande harmonisation fiscale, sociale et réglementaire .
Nombre d'interlocuteurs entendus par la commission et les différentes cellules sectorielles ont estimé que l'Europe doit faire preuve de plus d'unité et veiller aux respects par les États membres et les entreprises des règles communautaires. Dans presque tous les secteurs, les entrepreneurs entendus ont insisté sur la nécessaire instauration d'une concurrence véritablement loyale entre États membres, par le biais de politiques industrielle, commerciale et de concurrence plus ambitieuses. Les divergences de normes environnementales notamment entre États membres pénalisent les pays les plus en avance, comme la France. Loin de vouloir les tirer vers le bas, l'ambition environnementale dont doit se saisir l'Union européenne justifie la mise en place de normes de production avant tout européennes. Dans plusieurs secteurs, des acteurs économiques majeurs ont plaidé pour une application avisée des règles de concurrence européenne ou internationale sur le marché français, et par un meilleur contrôle du respect des normes du marché intérieur par les produits importés, a minima le temps de faire face à la crise.
“Le plan de relance doit être l'occasion d'un approfondissement du marché unique.”
Comme l'a souligné la cellule de veille « Agriculture » , dans ce secteuril existe par exemple une forte différence entre États membres en matière de respect des normes européennes, sans que les moyens de contrôle soient suffisants. De ce fait, certains produits consommés en France bénéficient à la fois de leur origine européenne et d'un avantage compétitif illégitime.
L'unité réglementaire et la convergence économique doivent être les piliers d'une Europe de demain, qui sera plus forte et plus ambitieuse. Le marché unique est synonyme de liberté, d'opportunités à saisir et de prospérité. Mais pour que les personnes, les biens, les services, et les capitaux puissent circuler librement - physiquement ou en ligne -, il faut que chacun dans l'Union respecte les règles arrêtées d'un commun accord et que le respect de ces règles soit assuré de façon efficace et cohérente. Le plan de relance doit donc être l'occasion d'un approfondissement du marché unique.
Vis-à-vis du reste du monde, l'Europe doit mieux défendre ses intérêts. La taille de son marché intérieur lui donne la capacité d'imposer sa volonté dans les négociations internationales.
À titre d'illustration, la cellule de veille « Énergie » a relayé les inquiétudes des producteurs de biocarburants qui, dans la crise pétrolière, peinent à écouler leurs stocks, face à une concurrence extra-européenne agressive : certains d'entre eux ont demandé l'établissement d'une surveillance voire la prise de mesures de sauvegarde, permises par le droit de l'Union européenne et les règles issues de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La cellule « Industrie » a également insisté sur la nécessité d'atteindre au plus vite une véritable réciprocité en matière commerciale, notamment en matière d'accès aux marchés publics.
Mal coordonnés, souvent divisés, les États européens disposent pourtant d'un atout de taille pour peser sur le cours de la mondialisation : leur réunion au sein de l'Union européenne fait de cette dernière - même avec le départ du Royaume-Uni - la deuxième puissance économique du monde en termes de PIB. L'Union est aussi la première puissance commerciale du monde : elle réalise 45 % du commerce international 1 ( * ) et possède un marché intracommunautaire de plus de 450 millions de consommateurs disposant d'un fort pouvoir d'achat, ce qui fait d'elle également une cible pour les puissances commerciales étrangères. C'est pourquoi plus que jamais, il faut donc ne faire preuve d'aucune naïveté mais au contraire d'exigence.
“Les puissances économiques européennes ont pour peser sur la mondialisation l'atout de la taille.”
Le maintien et même l'élévation de nos exigences sanitaires et environnementales sont compatibles avec la croissance de nos parts de marché à l'exportation.
Notre puissance économique continentale nous permet de faire coïncider la protection du consommateur et l'approfondissement de nos liens économiques avec nos alliés. L'enjeu n'est pas de revenir à un protectionnisme incluant des barrières tarifaires, mais de construire une approche plus ambitieuse, plus stratégique, affirmant les normes et les valeurs européennes, et de se montrer plus réactif pour mettre en oeuvre des sanctions lorsque que ces normes ne sont pas respectées.
C'est pourquoi la cellule « Énergie » plaide pour la mise en place rapide d'un « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures de l'Union européenne, en associant les professionnels, et singulièrement ceux du secteur de l'énergie, aux travaux préalables, afin d'en garantir l'application dans des conditions économiques optimales.
En revanche, le retour au protectionnisme serait contraire aux intérêts de l'Europe. Un libre-échange régulé permettrait à l'Union européenne de rivaliser avec les principales puissances économiques mondiales : sa balance commerciale avec les États-Unis, par exemple, est nettement positive, puisqu'elle y exporte annuellement pour près de 406 milliards d'euros de produits, mais importe seulement pour 267 milliards d'euros.
La balance des échanges de l'Union européenne est d'ailleurs positive ou équilibrée avec sept de ses dix principaux partenaires. En particulier, les secteurs de la machinerie, des véhicules et matériels de transport tirent leur épingle du jeu commercial en accédant à des marchés de taille considérable, qui nourrissent la performance et le développement des entreprises européennes.
En matière agricole, la France et l'Union européenne ont également des cartes à jouer à l'export dans de nombreux secteurs avec des intérêts offensifs majeurs : c'est le cas de la viticulture ou des produits laitiers par exemple. Toutefois, un équilibre plus fin est à trouver lors de la signature des traités pour que certains secteurs en difficulté ne soient pas sacrifiés. Le cas de la viande bovine est en l'espèce flagrant.
“L'enjeu n'est pas de revenir à un protectionnisme incluant des barrières tarifaires qui serait contraire à nos intérêts, mais de construire une approche plus ambitieuse, plus stratégique affirmant les normes et les valeurs européennes.”
En outre, l'économie de l'Union européenne est profondément intégrée dans les chaînes de valeur mondiales. Ainsi, ses importations d'énergie ou de matières premières permettent à tous les secteurs d'activité de bénéficier d'intrants dans des volumes et à des prix qui leur permettent de soutenir leur compétitivité. Un protectionnisme accru priverait les producteurs, mais aussi les consommateurs européens, de ces avantages.
L'Union européenne a donc un intérêt structurel à défendre un système d'échanges internationaux ouverts, dont les entreprises et les consommateurs tirent un bénéfice indéniable. Plutôt qu'une remise en cause d'une architecture commerciale globale qui fonde sa puissance économique au niveau mondial, l'Europe doit recentrer sa réflexion stratégique sur la régulation des abus, tels que le dumping et les subventions non autorisées, sur la réciprocité de l'accès aux marchés, ou encore sur l'alignement des systèmes réglementaires sociaux et environnementaux.
De nombreux efforts ont été faits en ce sens dans les dernières années, dans une logique de pragmatisme ciblé. L'Union s'est ainsi dotée d'un cadre général pour le filtrage des investissements étrangers. Elle a également eu recours à des mesures de sauvegarde d'une ampleur inégalée en réponse aux droits de douane unilatéraux imposés par les États-Unis, et a réformé le cadre juridique des mesures de défense commerciales de l'Union.
Ces chantiers restent ouverts, et de nombreuses améliorations doivent encore intervenir, par exemple au sujet des activités stratégiques qui forment le coeur de la souveraineté économique européenne, sur la transparence des accords commerciaux négociés au niveau européen, ou encore sur une meilleure prise en compte de l'empreinte écologique des échanges.
Ensuite, l'Europe doit défendre ses intérêts en favorisant l'émergence et la protection de champions continentaux. Pour ce qui concerne les entreprises déjà leader dans leur domaine, l'Union doit les soutenir pour qu'elles préservent leurs positions et surveiller les éventuelles entrées à leur capital d'investisseurs étrangers pour qu'elles ne s'avèrent pas prédatrices. Il est essentiel que le droit européen assure la protection juridique des savoir-faire industriels européens. En particulier, il doit être à l'avant-garde de la protection des données numériques industrielles.
L'Europe doit également être à la pointe des secteurs économiques d'avenir afin de rester parmi les premières puissances économiques mondiales. Par exemple, après avoir raté le coche de l'Internet des personnes, il importe que l'Europe puisse devenir leader dans l'Internet des objets et ainsi construire son indépendance et sa sécurité numérique. Les préconisations avancées par la cellule « Numérique » visent ainsi à assurer l'autonomie stratégiques des produits et services numériques critiques et à favoriser l'émergence de champions numériques, aux échelles nationale comme européenne.
“L'Europe doit défendre ses
intérêts en favorisant l'émergence
et la protection de
champions continentaux.”
Enfin, à l'international, dans un contexte de repli sur soi des États-Unis et d'expansionnisme de le Chine, l'Europe doit être le porte-voix du multilatéralisme. La crise mondiale que nous subissons, la crise climatique dans laquelle nous sommes rentrés sont des chocs globaux qui nécessitent une gouvernance mondiale et contre lesquels la doctrine du chacun pour soi sera toujours perdante. C'est par un approfondissement du rôle des institutions internationales et par une démocratisation de leurs modes de fonctionnement, en intégrant par exemple davantage les pays en développement, que des réponses adéquates aux défis du XXI e siècle pourront être formulées.
Le pari du multilatéralisme doit permettre de défendre le modèle économique européen ainsi que ses valeurs politiques. Ainsi, les échanges internationaux doivent respecter un certain nombre de principes que l'Europe défend, en particulier une concurrence loyale, qui ne soit pas faussée par la fermeture des marchés publics étrangers à nos entreprises, et le respect de normes de qualité, sanitaires et environnementales exigeantes pour la protection de la santé de ses citoyens et de l'environnement. En étant à la fois unie et vigilante, l'Union européenne peut redéfinir les règles de la mondialisation des échanges, mettre en valeur le potentiel économique de son marché intérieur, protéger ses consommateurs et regagner une légitimité aux yeux des citoyens.
“ Le pari du multilatéralisme est l'occasion pour l'Europe de défendre son modèle économique et ses valeurs politiques.”
Cette nouvelle ambition économique nécessite sans doute, au préalable, une nouvelle ambition politique. Or, il ne peut y avoir d'ambition commune sans un renforcement de la légitimité démocratique de l'Union et un rapprochement avec les citoyens d'une construction encore perçue comme technocratique. Aujourd'hui, la principale légitimité politique est, aux yeux des citoyens, toujours détenue par les gouvernements, parlements nationaux et élus locaux. Pour être mieux acceptée, la politique européenne doit donc être élaborée en lien accru avec ces derniers, un sujet qui dépasse le propos de ce rapport.
II. AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES FRANÇAISES
Au niveau national, si un soutien public aux entreprises d'une ampleur sans précédent s'est révélé nécessaire dans un premier temps, afin d'éviter l'effondrement instantané de pans entiers de notre économie, la relance doit désormais permettre un retour au fonctionnement normal du marché, pour que les entreprises françaises renouent avec la croissance et ne s'inscrivent pas dans une dépendance de long-terme au soutien public.
La compétitivité du pays vis-à-vis de ses voisins directs, mais aussi de ses concurrents mondiaux, restera un des déterminants majeurs de la croissance et de l'emploi. Malgré le ralentissement marqué des flux d'échanges globaux dû à la pandémie de coronavirus, l'activité des entreprises françaises restera largement dépendante de leur capacité à exporter.
Une reprise de qualité, porteuse d'une croissance durable, doit donc s'appuyer principalement sur l'investissement et la formation, seuls à même de reconstituer et d'étendre les capacités de production et la productivité du travail. Les nombreuses entreprises rencontrées par les cellules de veille de la commission l'ont toutes souligné : seul l'investissement est créateur d'emploi dans la durée et seule la formation est créatrice d'emplois de qualité. La restauration de la capacité d'investissement des entreprises, facteur de compétitivité, doit être une priorité du plan de relance, ce qui permettra à la France de ne pas décrocher d'une compétition mondiale aussi importante, sinon plus intense, au sortir de la crise.
“La compétitivité du pays
vis-à-vis de ses voisins directs,
mais aussi de ses concurrents
mondiaux, restera le seul déterminant
de long terme de la croissance
et de l'emploi.”
En 2019, la France se classait à la 15 e place parmi 140 pays en matière de compétitivité, selon le Forum économique mondial (World Economic Forum - WEF ), poursuivant l'amélioration globale de sa performance depuis l'après-crise financière. Sans la crise sanitaire intervenue en mars dernier, la France aurait été en 2020 la première destination européenne en matière d'investissements étrangers.
Cependant, la pandémie de coronavirus risque de marquer un coup d'arrêt à cette progression, en asséchant la trésorerie des entreprises françaises, en dégradant leur solvabilité ou encore en fragilisant leurs positions à l'export.
La balance commerciale, durablement négative - le dernier excédent ayant été constaté en 2002 - témoigne de ces déséquilibres.
En 2018, la France a ainsi enregistré un déficit commercial de près de 58,9 milliards d'euros dans le secteur de la production de biens (selon la Direction générale des douanes) alors que l'excédent commercial allemand atteignait 244 milliards d'euros. Le décrochage de la France au sein même de l'Union européenne est donc réel, alors même que nous évoluons dans un environnement similaire. Il est également corroboré par le faible nombre d'entreprises exportatrices en France : elles sont 125 000 seulement à vendre leur production à l'étranger, trois fois moins qu'en Allemagne. Tout ceci témoigne du déficit de compétitivité avec lequel la France est entrée dans la crise.
“La France a des atouts importants, mais la restauration de la compétitivité de son économie passe notamment par un chantier sur la fiscalité de production et la réforme de l'État.”
Certes, l'économie française peut compter sur des atouts importants : la réorientation vers des produits à haute valeur ajoutée a permis de placer le pays parmi les leaders de certaines industries, comme l'aéronautique ; la place financière parisienne et le système bancaire national sont solides et attractifs, le système de formation accessible et reconnu, la productivité au travail élevée, les infrastructures de qualité.
Un certain nombre d'avancées ont également été enregistrées récemment, avec une amorce de convergence fiscale avec nos partenaires européens en matière d'imposition des sociétés notamment ; des chantiers de simplification administrative auxquels le Sénat est particulièrement soucieux dans son activité législative ; ou en matière d'innovation via les Programmes d'investissement d'avenir (PIA).
Il n'en reste pas moins qu'il faut au plus vite poursuivre la réflexion débutée autour du Pacte productif, initialement prévue pour l'été 2020. Plusieurs chantiers de compétitivité restent en suspens, à l'image de celui de la fiscalité de production. La simplification des cadres législatifs et réglementaires, le décloisonnement des administrations centrales, et la simplification de l'organisation administrative des pouvoirs publics dans les territoires, en résumé la réforme de l'État, restent notamment un talon d'Achille du pays, entraînant délais et coûts supplémentaires. La France souffre, en outre, toujours d'un retard significatif en matière de numérisation des petites et moyennes entreprises dans tous les secteurs économiques, alors que l'économie digitale poursuit son expansion.
La relance économique qui s'annonce doit traduire cette réflexion de fond sur les principaux chantiers de compétitivité. Plus compétitives, les entreprises françaises seront plus rentables et pourront se développer en recrutant ; plus compétitif, le territoire attirera de nouvelles implantations et de nouveaux investissements. Sans cette évolution de fond de l'environnement économique français, tout levier de relance - aides publiques comme obligations réglementaires - n'auront d'effets qu'à court terme.
“Le plan de relance doit en conséquence témoigner d'une approche multidimensionnelle des déterminants de la compétitivité.”
Le plan de relance doit en conséquence témoigner d'une approche multidimensionnelle des déterminants de la compétitivité. Les mesures proposées devront aborder aussi bien les enjeux réglementaires que la politique commerciale conduite au niveau européen, ainsi que le levier du développement capitalistique de nos entreprises. Elles devront par exemple mettre l'accent sur le déploiement de nos infrastructures dans le secteur des télécommunications ou de l'approvisionnement en énergie, en renforçant la compétitivité de notre électricité décarbonée et en promouvant l'essor de sources d'énergies renouvelables. Elles devront proposer des pistes d'évolution de la fiscalité, ainsi que de soutien à l'innovation. Elles devront traiter aussi des prérequis à la relance par la consommation, en redynamisant le commerce et les réseaux de distribution qui approvisionnent le marché français, et soutenant le tourisme qui représente un potentiel d'activité important avec plus de 8 % du PIB en 2019.
Un des leviers dont dispose la France dans la compétition internationale est son offre de formation professionnelle notamment dans le domaine de l'ingénierie. Pour autant, ce déterminant essentiel de la croissance économique doit encore être renforcé, qu'ils s'agissent des inégalités persistantes du système scolaire et universitaire ou de l'insuffisant développement de l'apprentissage et de la formation tout au long de la vie. Un système de formation plus fluide et plus proche des besoins des entreprises accroît la mobilité des salariés et améliore l'appariement entre offre et demande sur le marché du travail.
III. DIVERSIFIER LES CHAÎNES D'APPROVISIONNEMENT ET RELOCALISER CERTAINS CENTRES DE DÉCISION ET DE PRODUCTION CRITIQUES
La rupture soudaine des flux mondiaux et de la production à l'étranger a démontré que l'approvisionnement de l'économie française peut être interrompu brutalement.
La crise actuelle en a fourni des exemples. Mais des crises précédentes avaient produit les mêmes résultats. À titre d'illustration, Peugeot a été obligé de réduire ou de stopper plusieurs chaînes de production en 2011, sur certains de ses sites d'assemblage en France, en Espagne et en Slovaquie, à la suite de ruptures d'approvisionnement en pièces détachées. Ce constat est d'autant plus problématique qu'il n'emporte pas que des risques en matière d'emploi et de croissance ; comme l'a montré la crise du Covid-19, il met également en péril le fonctionnement même de certaines activités critiques, voire essentielles, pour la vie de la Nation, comme la pharmacie ou les infrastructures de télécommunications.
Si la France et l'Union européenne ont été résilientes en matière alimentaire durant la crise, c'est l'héritage d'une politique agricole commune initiée, par les pères fondateurs de l'Europe, comme une garantie pour nourrir le continent. L'autosuffisance du continent sur de nombreux produits est une incontestable force qu'il convient de renforcer en faisant disparaître les fragilités constatées, notamment au regard de sa dépendance aux importations de protéines par exemple.
Le plan de relance doit donc permettre à la France d'être en mesure de garantir sa souveraineté, en lien avec ses partenaires européens, aussi bien en matière alimentaire que pour certains équipements sanitaires. Au-delà du domaine sanitaire, l'accès aux produits essentiels à toute économie ne peut être entièrement sujet aux aléas des échanges commerciaux avec certaines puissances étrangères avec lesquelles nous ne partageons pas des intérêts communs suffisamment forts pour tenir en temps de crise. La question reste l'identification de ces produits et les moyens susceptibles de favoriser des relocalisations ou, à tout le moins, la diversification des pays d'approvisionnement.
La crise du Covid-19 pourrait d'ailleurs naturellement amener certaines entreprises multinationales à revoir leur évaluation des risques de rupture d'approvisionnement, en portant une attention accrue à ceux liés à la concentration géographique de la production de certains composants, et donc à réorganiser leur chaîne logistique et/ou leur gestion des stocks.
Une telle réévaluation aboutirait à une diversification des pays d'approvisionnement, de la même manière que les grands groupes peuvent maintenir plusieurs fournisseurs pour renforcer la résilience de leur chaîne logistique. Mais diversification ne signifie pas nécessairement relocalisation sur le territoire national ou régionalisation des chaînes de production. Autrement dit, la réduction de la dépendance à certains pays ou fournisseurs peut être obtenue par la diversification des approvisionnements et leur sécurisation par des contrats de long terme, plutôt que par le rapatriement de l'activité.
Les chaînes de valeur mondiales sont d'ailleurs déjà largement régionales. Les importations de biens intermédiaires sont en provenance à 66 % de l'Union européenne, contre 9,3 % des États-Unis et 5,1 % de Chine (selon le Centre d'études prospectives et d'informations internationales - CEPII). Pour certains secteurs, la question de l'existence de sites de production alternatifs à la Chine, dont la taille de marché et la disponibilité de fournisseurs dans certains secteurs sont sans équivalent aujourd'hui, se pose cependant. L'exemple du conflit commercial sino-américain montre qu'une relocalisation de certaines activités n'est pas aisée.
“La réduction de la dépendance à certains pays ou fournisseurs peut être obtenue par la diversification des approvisionnements. “
Cet objectif de réindustrialisation est cependant du domaine du possible, comme le prouvent les exemples de l'Allemagne, de la Corée du Sud ou de Taïwan. Mais elle ne peut réussir qu'à deux conditions : éviter le piège du retour vers l'économie fermée et administrée ; s'inscrire dans une stratégie longue guidée par la compétitivité, l'investissement et l'innovation.
Les relocalisations ont vocation à être sélectives. Toute production industrielle n'est pas stratégique. Il convient de délimiter l'éventail de produits critiques nécessaires au bon fonctionnement de l'État et à la vie de la Nation en période de crise. Cette question du périmètre de la production des produits critiques est en elle-même complexe : les médicaments, par exemple, étant produits à partir de principes actifs, eux-mêmes issus de matières premières naturelles ou de produits chimiques, quels pans de la chaîne de valeur doivent être considérés comme critiques et donc à relocaliser ?
“Les relocalisations ont naturellement vocation à être sélectives”
Les politiques de relocalisation ne se confondent, ni avec le protectionnisme, ni avec l'autarcie. Le redémarrage de certaines industries dans les pays développés nécessite un soutien des pouvoirs publics, sous la forme d'aides ou de commandes publiques préférentielles et de protections vis-à-vis de la concurrence, a fortiori lorsqu'elle est déloyale.
Il n'en reste pas moins que toute production, pour être pérenne, suppose l'existence d'une demande large et solvable. Or, la relocalisation à un coût car elle comprend le risque d'une hausse des prix. Toute décision de relocalisation visant à assurer la résilience des chaînes d'approvisionnement est susceptible d'entraîner une augmentation du coût de production pour les entreprises.
Si le marché national est trop étroit, le grand marché européen constitue un atout majeur et un cadre idéal pour les stratégies de relocalisation. Il constitue une entité suffisamment forte pour mettre en place une protection efficace des talents, des actifs et des technologies contre les entreprises ou les États prédateurs.
Les éléments-clés pour réussir des stratégies de relocalisation demeurent la compétitivité et l'innovation. Les États-Unis y sont partiellement parvenus notamment par l'effondrement du prix de l'énergie dû aux hydrocarbures non-conventionnels, ce qui constitue un contresens écologique, inverse à notre volonté européenne. Un autre chemin est ouvert pour l'Europe : en comblant son retard dans la révolution numérique et la transition énergétique et en renforçant sa compétitivité-prix. Ceci est nécessaire dans les pays du sud de l'Europe et en France, dont le redressement conditionne la survie de l'euro. Dans le cadre des plans de relance nationaux et européen, la priorité doit donc être accordée à la formation, à l'investissement, aux infrastructures et aux compétences numériques, et à une amélioration de la fiscalité sur la production qui pénalisent l'activité et l'innovation.
“Les éléments-clés des
stratégies de relocalisation
demeurent la compétitivité
et l'innovation.”
Le premier objectif d'une stratégie de sécurisation de nos importations doit être la diversification des chaînes d'approvisionnement, en identifiant des fournisseurs alternatifs permettant de limiter le risque. La diversification des chaînes d'approvisionnement doit être un élément structurant des plans de relance.
La seconde solution est le maintien mais aussi, dans certains cas, le développement, d'une capacité nationale minimale de production de ces biens critiques. Cet enjeu ne peut être relégué au second plan d'une relance économique qui ne viserait qu'une simple injection de financements et une seule relance par la consommation : la réimplantation d'activités stratégiques sur le sol national et européen doit être une part intégrante de la relance à venir.
“Le premier objectif d'une stratégie de sécurisation de nos importations doit être la diversification des chaînes d'approvisionnement.”
Les incitations à la relocalisation supposent, à ce titre, de s'appuyer sur deux piliers.
Tout d'abord, il faut poursuivre l'effort d'égalisation des conditions concurrentielles des entreprises françaises vis-à-vis de leurs compétiteurs étrangers. Parmi les outils à mobiliser figurent bien sûr la fiscalité et la simplification administrative mais aussi une réforme de la politique de la concurrence européenne permettant la constitution de champions européens compétitifs ainsi qu'une politique commerciale plus protectrice face aux distorsions et récompensant les efforts européens de décarbonation.
Ensuite, il faut rapidement mettre en oeuvre une politique volontariste visant à garantir la pérennité des activités industrielles les plus stratégiques, précisément identifiées. La France ne pourra pas tout relocaliser : ce n'est pas toujours nécessaire, ni toujours possible, et encore moins souhaitable. Il faut dès lors déterminer l'échelon le plus pertinent pour opérer cette nouvelle répartition des productions essentielles.
“Certains produits devront sans doute être
produits
sur le territoire. D'autres filières pourront être
créées
ou relocalisées à l'échelle de
l'Europe.”
La cellule « Industrie » estime à ce titre que les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) méritent d'être intensifiés, comme celui relatif à la fabrication de batteries électriques, ou multipliés, par exemple en matière de principes actifs pharmaceutiques. La France doit s'impliquer dans ces projets, afin d'obtenir l'implantation sur son territoire d'une partie de ces nouvelles chaînes de valeur.
Dans le cadre de la stratégie industrielle européenne qu'il a présentée en mars, le commissaire Thierry Breton a identifié 14 écosystèmes industriels européens, qui sont également placés au coeur du plan de relance de la Commission européenne. « Il s'agit d'accompagner notre tissu industriel dans la reconstruction, qui sera longue, mais aussi dans une réorganisation en profondeur de l'appareil productif européen vers les objectifs verts, digitaux et de résilience » a-t-il souligné devant la commission des affaires économiques et celle des affaires européennes.
Les 14 écosystèmes identifiés sont :
- le numérique,
- l'électronique,
- l'aérospatial et défense,
- le textile,
- la construction,
- la mobilité automobile,
- les industries culturelles et créatives,
- l'économie sociale de proximité
- les industries énergo-intensives,
- la construction,
- l'agro-alimentaire,
- le tourisme,
- le commerce de détail,
- les énergies renouvelables.
Chaque secteur devra faire l'objet d'une analyse spécifique sur la distribution de la chaîne de valeur dans le monde et l'opportunité d'une stratégie de relocalisation. Cette préoccupation est particulièrement centrale dans le domaine sanitaire. On ne peut de ce point de vue qu'approuver l'initiative franco-allemande pour la relance en faveur « d'une industrie sanitaire européenne » pour « augmenter nos capacités de recherche et développement dans le domaine des vaccins et des traitements » et les initiatives en faveur d'une coordination et le financement au niveau international, avec l'objectif à court terme de mettre au point et de fabriquer un vaccin contre le coronavirus au sein de l'Union européenne, tout en garantissant un accès mondial à ce vaccin.
Les leçons de la crise doivent également conduire à mettre en place des stocks stratégiques communs de produits sanitaires et à développer les capacités de production de ces produits dans l'Union européenne. C'est pourquoi il est nécessaire de coordonner les politiques européennes en matière de marchés publics communs pour les vaccins et traitements futurs.
“Une industrie sanitaire européenne ayant un
positionnement stratégique qui améliorera la dimension
européenne des systèmes de santé
et réduira la
dépendance de l'Union.”
Pour une troisième catégorie de produits moins essentiels, une relocalisation pourrait être répartie à l'échelle régionale. L'espace méditerranéen et le voisinage à l'est de l'Europe, économiquement et historiquement liés aux États membres de l'Union européenne, offrent un potentiel encore trop peu exploité. Accompagner par des accords interétatiques des relocalisations de l'Asie vers la Méditerranée aurait un intérêt économique, géopolitique mais aussi stratégique en développant l'emploi sur les rives sud de la Méditerranée ou en Europe de l'est où les populations très jeunes ont des perspectives d'emploi limitées. La possibilité de relocaliser une partie des activités dans un environnement proche s'inscrit également dans le projet de réduire le coût écologique d'une partie de la production nationale et européenne.
“Des stratégies de relocalisation dans le
voisinage européen
doivent être
encouragées.”
Pour les produits à forte intensité de main-d'oeuvre, l'alternative à une relocalisation au sein du voisinage européen est d'accepter de payer un prix plus élevé, lorsque la production est réalisée sur le sol français ou européen. Dans le cas des masques, les personnes auditionnées ont indiqué que le coût de fabrication constaté en France était trois fois supérieur à celui existant à l'étranger. Les consommateurs français ou européens sont-ils prêts à payer ce prix en dehors d'une situation de crise majeure ? Rien n'est moins sûr ! Il reste que la sécurisation de nos approvisionnements peut valoir le prix d'un surcoût assumé conjointement par la puissance publique et les consommateurs, en particulier dans le domaine de la santé où les dépenses sont très largement socialisées et les prix régulés. La commission estime que la question mérite d'être expertisée. Il en va de même dans l'alimentation : la course au moins cher n'est pas tenable à long terme. Le risque de ne pas rémunérer à son juste prix le travail des agriculteurs est de menacer le renouvellement des générations dans ce secteur.
“La question du surcoût des produits délocalisés doit être expertisée.”
Nous appelons enfin de nos voeux à repenser les rôles respectifs de la puissance publique et des industriels, dans un nouvel esprit partenarial : des coopérations public-privé, ou des projets à financement mixte permettraient des investissements. L'articulation entre les acteurs économiques et les différents échelons de l'action publique sera pour cela un facteur déterminant.
IV. FAIRE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE UN LEVIER PRIORITAIRE DE LA REPRISE
Quatrième objectif : la France et l'Europe doivent se saisir des plans de relance pour accélérer la transition vers une croissance plus sobre en carbone. L'accélération des crises écologiques et climatiques nous y contraints. Les mesures de relance que le pays va devoir mettre en place dans les prochains mois constituent une opportunité pour réorienter la production et la consommation vers des usages moins émissifs et plus verts. Ce serait une erreur de vouloir suspendre ou surseoir à l'application de mesures visant à diminuer les émissions de gaz à effet de serre et à protéger la biodiversité.
“Le plan de relance est une opportunité pour accélérer la transition énergétique.”
Cela est d'autant plus nécessaire que la crise économique que nous traversons a des répercussions majeures sur notre politique énergétique et climatique, interrogeant très directement notre capacité à atteindre l'objectif de « neutralité carbone » issu de l'Accord de Paris de 2015.
Conjugué à une « guerre des prix pétroliers » entre l'Arabie saoudite et la Russie, le ralentissement de la production et du commerce à l'échelle mondiale, imputable aux nécessaires mesures de confinement, a engendré une chute globale et massive de la demande des énergies (- 15 à 20 % pour l'électricité, - 10 à 25 % pour le gaz, - 75 à 80 % pour les carburants en France 2 ( * ) ) et par conséquent de leurs prix (- 39 % pour l'électricité, - 42 % pour le gaz, - 50 % pour le pétrole en un an 3 ( * ) ).
Cette chute des prix n'est positive ni pour l'économie ni pour le climat : d'une part, elle déstabilise la trésorerie, le résultat et in fine les investissements de nos énergéticiens; d'autre part, elle érode la rentabilité, la soutenabilité et le financement des projets d'énergies renouvelables (EnR) ; enfin, la diminution de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), observée pendant le confinement, et qui atteindrait 5 à 15 % sur l'année, pourrait être annulée par un « effet rebond » 4 ( * ) .
Loin d'être transitoire, cette chute des prix est susceptible d'engendrer des conséquences durables : un effet inflationniste en sortie de crise, si la production d'énergie, déstabilisée, n'arrive pas à accompagner la demande d'énergie 5 ( * ) ; et un effet dépressif, dans 2 à 3 ans, si elle entraîne des décisions de report ou d'annulation d'investissements, notamment dans le secteur pétrolier 6 ( * ) .
“La crise du coronavirus a été
accompagnée d'une crise des prix de l'énergie
qui pourrait
limiter notre capacité à atteindre l'objectif
de
« neutralité carbone » issu de l'Accord de Paris de
2015”.
Dans ce contexte, il est crucial de relancer notre économie en accélérant sa décarbonation, ce qui suppose de soutien l'ensemble des acteurs de la transition énergétique : les producteurs, fournisseurs et distributeurs d'énergie - des grands énergéticiens aux petits détaillants -, les opérateurs de la rénovation énergétique, les porteurs de projets d'énergies renouvelables mais aussi les consommateurs d'énergie.
Alors que se profilent les prochains arbitrages fiscaux et budgétaires, il ne se faut pas se contenter de décalquer le plan de relance de 2008, qui était tout à fait nécessaire et pertinent, mais dont seulement 1,7 milliard d'euros de dépenses, sur un total de 26,5 milliards, soit 6,5 %, ont été en définitive bénéfiques sur le plan du climat 7 ( * ) .
La production doit ainsi être incitée avec plus de vigueur à amorcer une décarbonation de ses activités. Pour autant, une telle évolution suppose pour réussir de poursuivre des objectifs réalistes, de recourir à des moyens ayant fait leur preuve - l'incitation économique plutôt que l'alourdissement fiscal, le droit souple plutôt que l'abondance normative - et surtout d'être adaptée aux contraintes des différents secteurs d'activités.
“La transition écologique doit prendre en
compte
les contraintes propres à certains secteurs
d'activités.”
La commission est également convaincue que la puissance publique doit consacrer l'essentiel de la dépense budgétaire à des mesures de relance de l'investissement et aux aides nécessaires pour que les entreprises procèdent à une transition qui ne fragilise pas leur structure et leur profitabilité de long terme. Une protection au moins partielle des producteurs français face aux entreprises étrangères aux coûts de production moins élevés mais moins durables pourrait être un outil efficace pour y remédier.
Aussi la cellule de veille « Énergie » préconise-t-elle, au-delà du « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières de l'Union européenne précité, un « gel » résolu de la fiscalité énergétique ainsi que la compensation, budgétaire et fiscale, de l'éventuelle institution d'un « prix plancher du carbone » dans le cadre du système européen d'échange de quotas d'émission (SEQE-UE) : l'enjeu est, en somme, que nos entreprises, nationales et européennes, ne soient pas pénalisées pour leur implication en faveur de la transition énergétique, par rapport à leurs concurrents d'autres pays moins engagés sur la voie de la « neutralité carbone ».
“L'action publique se doit aussi, via le
financement
de la recherche et le recours à la commande
publique,
d'accélérer la transition de secteurs
stratégiques.”
L'action publique se doit aussi, via le financement de la recherche et le recours à la commande publique et para publique, d'accélérer la transition de secteurs stratégiques, comme l'énergie, le bâtiment ou les transports. Par ce biais, elle offre des opportunités aux entreprises qui ont le courage d'évoluer rapidement, et prennent ainsi des risques pour le bien commun.
Une fiscalité réellement incitative, et non uniquement punitive, doit être imaginée, notamment par des mécanismes de réduction d'impôt ou de suramortissement dans les investissements les plus écologiques. L'investissement public doit pérenniser cette volonté de changement. En se portant sur des projets plus respectueux de l'environnement, il contribuera à réorienter l'appareil de production national et européen vers des biens et services durables dont l'Europe pourrait se faire le fournisseur à l'échelle mondiale. Les infrastructures logistiques alternatives à la route, comme le fret ferroviaire ou fluvial, sont des pistes prioritaires à explorer. La cellule « Tourisme » appelle d'ailleurs à la réalisation d'investissements massifs dans les transports et les bâtiments et infrastructures touristiques, pour faire de la France une destination durable. En parallèle, la valorisation des mécanismes de « finance verte » devrait pouvoir faire se rencontrer les fonds engagés et les entrepreneurs désireux d'investir dans des secteurs d'avenir.
La commande publique aura également un rôle majeur à jouer pour privilégier des approvisionnements alimentaires locaux exigés par les consommateurs, qui ne se fera qu'au prix d'une structuration de filières agricoles locales qui doit, elle-aussi, être facilitée.
“La réorientation de la production ne pourra
pas être envisagée
sans une évolution en
parallèle de la demande, les mesures prises
pour aider les
ménages à rénover leurs logements ou à
acquérir
des véhicules ou du carburant propres étant
insuffisantes.”
La réorientation des modes de production ne pourra toutefois pas être envisagée sans une évolution en parallèle des caractéristiques de la demande. Une situation dans laquelle il n'y aurait pas d'adéquation entre la demande des consommateurs et l'offre des producteurs se traduirait en effet par des importations supplémentaires.
Pour encourager une politique plus durable mais aussi souvent plus coûteuse pour le consommateur, l'État doit accepter de supporter une partie des coûts de l'évolution de la demande et ainsi inciter les Français à modifier leurs habitudes de consommation. Les mesures prises à date pour aider les ménages à rénover leurs logements ou acquérir des véhicules ou du carburant propres sont à cet égard notoirement insuffisantes.
C'est pourquoi la cellule « Énergie », convaincue de la nécessité de faire de la massification des opérations de rénovation énergétique la « clef de voûte » de toute relance verte, propose de renforcer significativement les dispositifs de soutien publics et parapublics à la rénovation énergétique à l'attention des ménages et des bailleurs sociaux.
Dans le secteur du logement, l'État doit inciter les ménages à mobiliser l'épargne accumulée pendant la crise pour rénover l'habitat. Dans cette optique, la cellule « Logement, urbanisme et politique de la ville » propose d'adapter « Ma prime rénov » attribuée par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et de prolonger le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) pour qu'un plus grand nombre de ménages et d'action de rénovation soient éligibles.
Cette mobilisation serait non seulement utile pour préparer notre pays aux crises environnementales, économiquement judicieuse car ces travaux ne sont pas délocalisables et sont réalisées par le tissu des petites entreprises du bâtiment qui a besoin de remplir son carnet de commande pour se relancer et socialement juste car la rénovation des passoires thermiques conduit à une baisse durable et pérenne des charges de logement. C'est l'une des meilleures manières de diffuser l'effort de relance au plus près du terrain.
CHAPITRE 3 :
CHANGER DE MÉTHODE : UNE RELANCE PARTENARIALE
ASSOCIANT L'EUROPE, L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES
I. RÉUSSIR LE DÉCONFINEMENT ET ÉLOIGNER LA PANDÉMIE
Organisation de la réouverture des écoles, organisation du travail dans les entreprises, des transports, de la traçabilité des chaînes de contamination, de la production elle-même, de l'importation à la distribution des masques, des dépistages aux quarantaines, du confinement puis du déconfinement... toute cette nécessaire effervescence aura mobilisé l'ensemble des administrations de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les opérateurs de l'État, dans des conditions particulièrement difficiles afin de limiter la propagation du virus puis de permettre la reprise progressive de l'activité. On ne peut que rendre hommage aux femmes et aux hommes, à commencer naturellement par les personnels hospitalier et soignant, qui ont ainsi oeuvré pour la collectivité.
À un moment où, nous l'espérons, ces
mesures d'exception devraient prendre fin, d'ici quelques semaines ou quelques
mois, la commission a souhaité réfléchir aux enseignements
que l'on peut tirer des succès et des échecs de cet
épisode, au-delà de la gestion de crises à venir
-
c'est l'un des objectifs de la commission d'enquête lancée par le
Sénat -pour mettre en place une politique de relance de
l'économie.
Car au-delà des inévitables ratés, des improvisations plus ou moins heureuses, des cloisonnements, rigidités et « paperasseries » inutiles, des déclarations ministérielles discordantes et des mises au point, pas toujours clarificatrices, la gestion de la crise a également révélé, au sein des institutions de la République, des administrations, des hôpitaux évidemment, mais aussi des entreprises et au sein de la société dans son ensemble, une énergie, une capacité manifeste de mobilisation, d'adaptation qu'il faudrait pouvoir conserver tout en revenant à un régime juridique de droit commun.
Autrement dit, la commission, dans des délais cependant très limités, a voulu initier une réflexion sur la façon de capitaliser sur les enseignements d'une période où les pouvoirs publics et les entreprises ont bouleversé leurs habitudes et procédures et fait preuve dans certains cas d'une agilité qu'il serait bon de mettre à profit pour la relance.
II. CAPITALISER SUR L'ÉNERGIE ET L'AGILITÉ DÉPLOYÉES PENDANT LA CRISE
Cela va sans dire, mais l'une des conditions du plan de relance sera la fin de l'épidémie et la réussite du plan de déconfinement.
La fin de la pandémie dépend des mesures sanitaires prises en France et dans le monde. La commission constate, comme tous les Français, qu'il demeure encore beaucoup d'incertitude sur le fonctionnement du virus comme sur l'évolution de la pandémie. Les conclusions de ce rapport sont évidemment très dépendantes de cette donnée. Elles s'inscrivent dans un scénario médian de diminution progressive de la pandémie en France.
L'enjeu du déconfinement progressif est de donner à chacun de nos concitoyens les moyens d'être pleinement responsable de sa propre sécurité et de celle des autres, face au risque de contagion, tout en assurant un redémarrage de l'activité économique.
Pour cela, l'État et les employeurs devront apporter aux Français les garanties nécessaires. Il s'agit, bien sûr, de l'accès aux équipements de protection sanitaire et aux tests de dépistage, mais aussi de l'organisation matérielle des transports collectifs et des locaux de l'activité professionnelle, sans lesquels le respect, même scrupuleux, des « gestes-barrières » ne pourrait produire tous ses effets contre la propagation du virus.
III. SORTIR DU CENTRALISME JACOBIN
La période du confinement aura plus que jamais mis l'État aux commandes d'un pays soudain placé dans un état d'urgence sanitaire qui, par nature, a conféré aux administrations de l'État des prérogatives exorbitantes. L'État n'était pourtant pas seul dans la gestion de la crise. À tous les échelons - régions, départements, communes et intercommunalités-, les collectivités territoriales ont également participé, sans disposer cependant de telles prérogatives, à la mobilisation collective. Sans être jamais absente, l'Europe n'a pas été suffisamment active au début de la crise. Toutefois, devant l'urgence, l'État a le plus souvent agi seul et sans concertation, parfois avec une certaine rigidité et un sens aigu du cloisonnement.
Le temps de la relance devra être nécessairement plus collectif, en coordination avec, d'un côté, l'Union européenne et, de l'autre, les collectivités territoriales. C'est aussi une confiance accrue en la société, les associations et les citoyens qui devra être promue pour réussir la sortie de crise.
Certains sujets, déjà évoqués, passent par une mobilisation de l'Union européenne qui a une compétence exclusive sur le commerce extérieur, la monnaie unique, l'union douanière et la concurrence, mais qui dispose aussi d'un potentiel d'action décisif dans les domaines où elle partage ses compétences avec les États membres, voire n'intervient qu'en appui aux États membres, comme c'est le cas en matière de protection et d'amélioration de la santé humaine. Dans d'autres cas, les collectivités territoriales, compte tenu de leur proximité avec les acteurs de terrain et de la spécificité de la situation sanitaire ou économique de certains départements ou régions, paraissent les plus qualifiés en tant que « chefs de file » d'une politique de relance.
Dans tous les cas, une bonne articulation entre ces trois niveaux est assurément l'une des clefs du succès du plan de relance.
À cette fin, il est impératif de consolider les compétences sociales des départements et les compétences économiques des régions, tandis que les services déconcentrés de l'État doivent être facilitateurs, sous la tutelle réaffirmée des préfets. C'est manifeste pour la question des relocalisations qui doit faire l'objet d'une concertation européenne. C'est également vrai pour l'identification des secteurs d'avenir dans lequel l'Union européenne veut investir. L'amélioration de la maîtrise des chaînes de production et d'approvisionnement, avec l'élaboration d'une stratégie industrielle poursuivant l'autonomie et la sécurité du continent dans certains secteurs clefs, passe à l'évidence par une concertation, non seulement avec les États membres mais également avec les régions, qui ont investi depuis longtemps dans certains domaines d'excellence, notamment à travers les pôles de compétitivité.
Une approche partenariale, la définition d'objectifs communs et le principe de subsidiarité doivent guider la mise en oeuvre du plan de relance. Cela passe par un degré de concertation entre l'État et les régions sensiblement supérieur à celui pratiqué aujourd'hui.
La crise du Covid-19 et sa gestion ont notamment montré l'importance de la gouvernance locale et l'attachement des Français aux mesures prises par les collectivités territoriales, à commencer par les plus proches d'entre elles : nos 35 000communes. Une réponse adéquate à la centralisation trop importante de la décision impose de revaloriser ces échelons infranationaux. S'appuyer sur nos élus locaux, singulièrement nos maires, c'est accepter une adaptation de la politique nationale à des réalités locales souvent différentes. C'est aussi admettre le poids incontournable de ces échelons dans la vie économique concrète du pays. C'est enfin reconnaître l'attachement de la population à ses élus locaux, dans une période où le lien entre les citoyens et leurs représentants est parfois distendu.
La relance doit ainsi être l'occasion de « déjacobiniser » la France, pour que l'État devienne plus agile, notamment en période de crise. Les collectivités territoriales représentent environ 70 % de l'investissement public. Elles seront donc les partenaires naturels de la relance, notamment via les travaux publics : elles doivent disposer des moyens nécessaires pour pouvoir remplir les carnets de commande des entreprises du BTP et diviser la durée des programmes prévus. Pour ce faire, l'État doit cesser de compresser continuellement les concours financiers dont les collectivités territoriales bénéficient, a fortiori dans un contexte de crise qui soumet les finances locales à un « effet de ciseau ». Nos collectivités territoriales sont en effet confrontées à une baisse de leurs recettes fiscales, à commencer par celles issues d'impôts reposant sur l'activité économique : droits de mutation, taxe de séjour, cotisation foncière des entreprises (CFE), cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
L'appui des collectivités territoriales doit permettre de diffuser l'investissement public et de le verdir, autant que possible, jusque dans le monde rural.
Dans cette perspective, une politique accrue de décentralisation, avec l'octroi aux collectivités territoriales des moyens financiers et juridiques à la mesure de leur rôle, doit être à la base d'une redéfinition de l'action économique de l'État.
IV. RELANCER L'ÉCONOMIE MAIS RESTER LUCIDE SUR L'ÉTAT DES COMPTES PUBLICS
La préservation du tissu productif, qui est au coeur du plan de soutien du Gouvernement, est la bonne stratégie, tant sur le plan économique que budgétaire.
En dépit de la dégradation des comptes publics, avec un creusement du déficit et de la dette publics sans précédent, la commission des affaires économiques soutient la stratégie gouvernementale consistant à mettre en place des mesures de soutien massives, sans chercher pour l'heure à augmenter les impôts ou à diminuer les dépenses, afin de préserver le tissu productif et à éviter la multiplication des dépôts de bilan en attendant la fin de la pandémie et la reprise de l'activité.
En effet, à court terme, le surcroît de déficit public lié à la crise de la Covid-19 ne devrait pas se traduire par une charge de la dette excessive dès lors que les coûts de financement de la France sont négatifs sur les échéances les plus courtes et se situent au voisinage de zéro à dix ans. Si la confiance des marchés et le soutien monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) paraissent donc de nature à prémunir la France contre une hausse de la charge de sa dette à court terme, il est cependant nécessaire de s'interroger sur la soutenabilité de la stratégie gouvernementale à moyen terme.
Une fois la situation économique revenue à la normale, il sera plus que jamais nécessaire d'infléchir progressivement la trajectoire d'endettement de la France, chaque crise nous rapprochant un peu plus du seuil au-delà duquel une hausse supplémentaire du déficit et de la dette publics est susceptible de remettre en cause la soutenabilité de la politique budgétaire. Il faut rappeler sur ce point que les charges d'intérêt de la dette, de 42,1 Mds d'euros en 2019, évoluent à la hausse avec les taux d'intérêt : un retournement de ces derniers nous exposerait donc à une charge rapidement insoutenable sur le plan des finances publiques.
Comme le souligne le rapporteur général de la commission des finances du Sénat dans un récent rapport, « garder une marge de manoeuvre suffisante par rapport à ce seuil sera d'autant plus indispensable qu'il ne peut être apprécié avec exactitude. En effet, pour des niveaux d'endettement très élevés, un surcroît d'endettement de faible ampleur peut parfois se traduire par une élévation brutale des taux d'intérêt auxquels l'État se finance sur les marchés financiers » 8 ( * ) .
Selon le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3), le déficit public pour l'année 2020 devrait s'établir à 11,4 % du PIB, soit un niveau jamais vu depuis la création de l'Insee en 1946 et une dégradation considérable par rapport à l'année 2019 où le déficit avoisinait les 3 % du PIB et la dette 98 % du PIB.
Le niveau estimé du déficit public dépasserait, de loin, celui qu'a connu la France au cours de crises précédentes. Suite à la récession de 1993, le déficit s'est établi à 6,4 % du PIB. Même après le déclenchement de la crise de 2008, pourtant sans doute la plus grave depuis 1929, les déficits publics n'ont jamais dépassé 7,2 % en 2009 et 6,9 % en 2010.
L'aggravation prévue du déficit public est la conséquence directe de la récession causée par la pandémie qui pèse en effet sur les deux composantes du solde budgétaire : elle réduit les recettes publiques, d'une part, et provoque une augmentation des dépenses publiques, d'autre part.
Tout d'abord, l'État subit une diminution de ses ressources proportionnelles à l'activité économique. Conséquence de la consommation atone au cours du confinement, les recettes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ont ainsi chuté de plus de 8,5 milliards d'euros par rapport à la fin avril 2019. De même, le report des échéances fiscales a amputé les recettes d'impôt sur les sociétés (IS) de près de 12 milliards d'euros.
Dans le même temps, les dépenses publiques ont fortement augmenté pour pallier le recul de la dépense privée et atténuer l'impact de la crise. L'exécutif multiplie, à raison, les plans de soutien aux secteurs les plus touchés par la crise du Covid-19, comme le tourisme, l'automobile et l'aviation.
Selon le deuxième PLFR, les mesures de chômage partiel coûteraient 24 milliards d'euros, un montant relevé de 3,3 milliards d'euros par le troisième PLFR. Ainsi, pendant cette crise, plus que jamais, le budget de l'État joue à plein son rôle contra-cyclique.
Ce plan est cependant de moindre ampleur que le plan de soutien déployé par l'Allemagne, qui s'élève à 1 100 milliards d'euros, soit près d'un tiers de la richesse totale produite par ce pays. En outre, nos voisins allemands ont annoncé en juin un plan de relance de 130 milliards d'euros.
Une des raisons des capacités budgétaires considérables de l'Allemagne est la situation de ses finances publiques.
Alors que la France n'a plus eu de budget équilibré depuis 1974, et que le déficit public atteignait encore 3 % en 2019, l'Allemagne enregistre des excédents budgétaires depuis 2014, celui de 2019 s'élevant à 1,4 point de PIB (et même à 1,9 point de PIB en 2018).
La comparaison est encore plus frappante en ce qui concerne la dette publique : nos voisins allemands ont abordé la crise avec un niveau de dette représentant 60 % du PIB, tandis que la nôtre atteignait quasiment 100 % en 2019.
Cette situation nous rappelle combien le sérieux budgétaire en période de « haut de cycle », s'il ne peut pas être l'horizon indépassable de toutes les politiques publiques, doit en tout état de cause être recherché et poursuivi.
V. SOUTENIR DAVANTAGE L'OFFRE QUE LA DEMANDE POUR UNE CROISSANCE VERTUEUSE
La commission s'est également penchée sur la nature de la relance à conduire, entre la relance de la consommation et celle de l'investissement. Au regard des auditions menées aussi bien en réunions plénières que par les cellules de veille sectorielles, il est apparu que la question de la diminution de la consommation était très largement imputable à la fermeture des commerces et au confinement, la France étant l'un des pays qui a le plus maintenu le pouvoir d'achat des ménages.
La première semaine de déconfinement semble confirmer cette tendance. À l'instar de l'activité économique, la consommation a, en effet, rebondi au cours de la première semaine de déconfinement : elle se situe désormais à - 6 % par rapport à son niveau d'avant crise, contre - 32 % au début du mois de mai. Ce rebond d'environ 26 points s'explique par la réouverture de certains commerces et le retour à des habitudes de consommation. À ce stade, il est cependant difficile d'évaluer s'il constitue une reprise durable de la consommation, ou simplement un sursaut ponctuel lié à la réalisation d'achats reportés au cours du confinement.
Cette reprise de la consommation révèle toutefois des situations contrastées d'un secteur à l'autre. Ainsi, la consommation de certains biens industriels, comme les équipements électriques ou électroniques, a été supérieure à celle d'une situation « normale » au cours de cette période. Au contraire, pour les activités encore soumises à des restrictions fortes, la consommation est extrêmement réduite. Ainsi, la consommation en hôtellerie et restauration est inférieure de près de 67 % à celle observée en situation normale. Cette constatation plaide ainsi pour une relance de la consommation ciblée sur les secteurs en difficulté, comme le tourisme, ou sur les revenus les plus modestes.
La situation des entreprises et des investissements apparaît en revanche plus préoccupante comme nous l'avons souligné précédemment. C'est pourquoi la majeure partie des mesures proposées concerne la relance de l'investissement.
VI. PILOTER LA RELANCE PAR LES RÉSULTATS
La commission insiste pour que le plan de relance soit évalué, de sorte que les mesures adoptées puissent être éventuellement ajustées en fonction des résultats obtenus. Le plan de soutien mis en oeuvre au début de la crise a d'ailleurs été adapté en fonction des retours du terrain : c'est une bonne chose, qui doit être poursuivie dans le cadre du plan de relance. La commission, à travers ses différentes cellules de veille sectorielles, a d'ailleurs largement participé à ce retour d'expérience, relevant çà et là les « trous dans la raquette », les dispositions mal calibrées par rapport à la réalité vécue par les entreprises mais aussi les vraies réussites.
Si les études d'impact ex ante des lois sont devenues une exigence constitutionnelle depuis la révision du 23 juillet 2008, alors même qu'elles ne sont pas toutes très fournies, l'évaluation ex post des lois est encore bien insuffisante. Par ailleurs, au-delà des lois, c'est également l'incidence économique des dispositions règlementaires et des interventions publiques, qui doit être davantage évaluée.
Aussi la commission souhaite-t-elle promouvoir dans certains cas les expérimentations qui ne seraient prolongées qu'après leur évaluation, afin d'en finir avec des dispositifs dont chacun reconnaît les insuffisances mais qui perdurent faute d'évaluation suffisante ou d'initiative législative.
De ce point de vue, les expérimentations, permises par les révisions constitutionnelles du 28 mars 2003 et du 23 juillet 2008, constituent des outils adaptés.
En outre, le développement des outils numériques et du Big Data permet aujourd'hui un suivi de l'information bien plus rapide et précis qu'auparavant. Cela rend possible un véritable pilotage par les résultats.
Depuis 2008, le Parlement est également chargé de l'évaluation des politiques publiques. Afin de lui permettre de mener de telles évaluations, le Gouvernement devrait systématiquement partager avec le Parlement les données qualitatives et quantitatives ainsi que les modèles économiques à sa disposition.
CHAPITRE 4 :
DIX SÉRIES DE MESURES CONCRÈTES POUR
RELANCER LA CROISSANCE
Dix orientations regroupent les principales propositions de la commission des affaires économiques pour relancer de l'économie française.
I. ALLÉGER LES CHARGES POUR RELANCER LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES ET LEUR TRANSMISSION
Les différentes mesures de sauvegarde de l'économie mises en oeuvre par le Gouvernement ont eu des effets positifs sur les conséquences du confinement. Les reports de charges, les prêts garantis par l'État (PGE), le chômage partiel et le Fonds de solidarité à destination des entreprises ont permis de soutenir les trésoreries des entreprises et d'atténuer l'effet conjugué de l'absence de recettes et du maintien de certaines dépenses fixes. La commission estime que l'ensemble des mesures de soutien et les efforts consentis par les pouvoirs publics pendant le confinement se révèleraient inutile si les béquilles étaient retirées trop vite et si l'aide publique ne se concentrait désormais plus que sur un nombre trop limité de secteurs.
Ces réponses à la crise, au-delà du choc économique endogène qu'a entraîné l'arrêt quasi général de l'activité ont pour effet direct d'accroître considérablement l'endettement des entreprises, alors même que dans le secteur industriel, par exemple, les PME françaises connaissaient déjà un taux d'endettement plus important que leurs concurrentes européennes avant la crise. Ainsi dans quelques mois, les entreprises françaises franchiront la barre des 2 000 milliards d'euros d'endettement, d'après les dernières statistiques de la Banque de France, alors que fin avril, leur encours de dette avait déjà quasi doublé depuis la crise financière de 2008.
Cette situation, d'une part, a déjà conduit de nombreuses PME à se déclarer en faillite et, d'autre part, entrave considérablement les capacités futures d'investissement et de développement de celles qui survivront. En outre, l'efficacité de ces dispositifs a été, pour certaines entreprises, obérée par le caractère restrictif des critères d'éligibilité comme le soulignent les cellules « PME, commerce et artisanat » , « Tourisme » et « Énergie » .
Aussi, pour permettre la reprise économique et le rebond de l'investissement, le plan de relance de la commission des affaires économiques comporte des mesures transversales de soutien à la compétitivité des entreprises, centrées sur l'élargissement des instruments de soutien mis en place pendant la crise, la consolidation des fonds propres des PME, un premier allégement de l'imposition sur la production et la consolidation des dispositifs de suramortissement.
La première série de mesures concerne l'élargissement du fonds de solidarité, le report automatique de certaines charges sociales et fiscales pour les petites entreprises, puis l'annulation de celles-ci pour les entreprises des secteurs les plus touchés .
La deuxième série de mesures vise le renforcement des fonds propres des entreprises, particulièrement des PME, via des prêts participatifs, en lien avec les régions, afin d'assurer leur développement et leur capacité d'investissement. Les modalités d'attribution de ces prêts devraient être centrées sur le niveau de difficultés rencontrées par les PME candidates (niveau d'endettement, évolution des fonds propres, pertes d'exploitation persistantes à la suite du déconfinement, etc.) et les modalités de remboursement de ces prêts devraient prévoir probablement de façon fine et ad hoc un décalage des premières annuités et un échelonnement des remboursements afin de privilégier la restauration de la trésorerie des PME. Afin d'éviter un « centralisme » contre-productif et d'assurer la rapidité de mise en oeuvre du dispositif, ce dernier s'appuierait sur les régions et les implantations locales de BPIfrance et de la Banque des territoires.
La commission, à l'initiative de la cellule « Industrie » , propose également de convertir en quasi-fonds propres ou en prêts de - très - long terme l'endettement contracté durant la période de crise sanitaire , ou encore de permettre des prises de participation en renforcement des fonds propres via des fonds d'investissements sectoriels public-privé . La cellule « Tourisme » propose également, afin de permettre aux entreprises de « gommer la crise » et d'engager les nécessaires investissements pour maintenir leur compétitivité, de mettre en place un prêt garanti par l'État à long terme .
« Libérer une marge de manoeuvre pour les
entreprises
suppose d'alléger la pression fiscale qui pèse sur
elles. »
La troisième série de mesures concerne donc la fiscalité des entreprises .
Pour nombre de professionnels auditionnés, il convient de mettre en place un allégement des impôts sur la production dont le Gouvernement répète à l'envie qu'ils sont un non-sens économique et social, notamment parce que la fiscalité de production voit son poids amplifié en temps de crise. Pour les taxes qui ne sont pas liées au bénéfice, comme la CFE, la C3S ou le versement transport des entreprises, le montant à payer ne varie pas quand l'activité se réduit, augmentant mécaniquement leurs poids par rapport au chiffre d'affaires.
Il convient néanmoins de noter que la réforme des impôts de production ne peut se faire au détriment des ressources des collectivités territoriales. En effet, la déliaison entre présence territoriale et impôts opérée par la suppression de la taxe d'habitation ne peut être renouvelée pour les entreprises. Ce sont les collectivités territoriales qui investissent et mettent en place les conditions d'accueil et de bon fonctionnement des zones d'activités, clusters et pôles de compétitivité. Infrastructures de transports, numériques, entretien... sont à la charge des collectivités. Ces dernières doivent pouvoir continuer à investir : c'est aussi une partie de la compétitivité des entreprises. Sans préjuger d'une réforme d'ensemble, aux enjeux complexes notamment pour la capacité de financement de l'action des collectivités territoriales, une première piste est déjà évoquée avec insistance : la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) .
Il est également proposé une troisième série de mesures visant à étendre et généraliser les dispositifs de suramortissement des investissements dans les domaines d'avenir . Cela permettrait de coupler la relance de l'investissement avec la modernisation de l'économie française. Ainsi, les cellules « Industrie » , « Agriculture » et « Énergie » recommandent-elles notamment de conforter les dispositifs de suramortissement sur, respectivement, la numérisation des PME et TPE industrielles françaises, l'accélération de la transition des exploitations agricoles au profit d'une meilleure résilience au changement climatique, d'une meilleure prise en compte du bien-être animal ou de la réduction de l'usage de produits phyto pharmaceutiques et l'acquisition de véhicules propres.
II. SOUTENIR L'INVESTISSEMENT ET L'INNOVATION DANS LES SECTEURS D'AVENIR
Une politique de relance stratégique implique de positionner l'économie française sur les marchés de croissance future.
L'émergence de nouvelles technologies et de nouveaux produits reflète - voire précède - les évolutions de la société et de l'économie, face à des défis immenses, tels que la pénétration du numérique ou la transition énergétique. L'investissement dans l'innovation et la recherche sera donc un levier central de la relance, permettant non seulement d'ouvrir ces nouveaux marchés, mais aussi d'accroître la productivité et donc la compétitivité dans les secteurs « traditionnels » comme l'agriculture, l'industrie ou le commerce : l'ancrage d'écosystèmes innovants au sein des territoires français et européen est porteur d'externalités positives pour l'ensemble des acteurs économiques.
Sur la scène mondiale, la France fait partie des grands pays d'innovation. En 2019, elle s'est classée au 16 e rang des pays les plus innovants de la planète. Se plaçant à la 9 e position européenne, elle se démarque notamment par un bon niveau de financement et d'aide publique à l'innovation, à hauteur de 10 milliards d'euros chaque année. Le pays est au 4 e rang mondial en matière de dépôts de brevets auprès de l'Office européen des brevets. On dénombre 13 400 start-ups actives en France, les dernières années ayant vu une augmentation du rythme de création de ces entreprises, en particulier dans les domaines des mobilités, de l'agriculture ou de l'écologie. Enfin, l'attractivité accrue de la France comme terre de recherche et d'innovation se traduit par un important flux d'investissements étrangers dans ce domaine, en progression d'environ 10 % depuis 2014.
L'effort d'investissement doit cependant se poursuivre, voire s'accélérer. La Chine a rattrapé son retard et dépasse désormais les États-Unis en matière de dépôts de brevets, représentant plus de la moitié des demandes mondiales de dépôt de brevet international par l'intermédiaire de l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Elle dispose de surcroît d'un budget considérable orienté vers l'innovation dans les secteurs stratégiques, désignés par le plan « Made in China 2025 » .
Sous peine d'un décrochage avec ses principaux concurrents, l'Union européenne doit intensifier sa politique en faveur de l'innovation. En outre, l'innovation est également porteuse d'enjeux de souveraineté dans les secteurs stratégiques, en matière militaire mais aussi de sécurité alimentaire, ou encore dans le domaine des télécommunications, comme le démontrent les hésitations autour du rôle de Huawei dans le déploiement de la 5G. La recherche et l'innovation joueront un rôle clé dans le développement des capacités propres de l'Europe et dans la garantie d'une indépendance technologique future.
La crise économique liée à la pandémie de coronavirus risque de peser lourdement sur les budgets de recherche et de développement des entreprises françaises , frappées par une chute d'activité durable et d'importantes difficultés de trésorerie. Cela risquerait d'accentuer le retard de notre pays en la matière (les entreprises financent 56 % de la R&D en France, contre 66 % en Allemagne). Pour empêcher le sacrifice des budgets de R&D et continuer à accroître encore la capacité d'innovation de la France, de nombreux chantiers doivent donc être investis.
Au vu des montants colossaux nécessaires - la Chine seule entendant par exemple dédier d'ici l'année 2030 près de 150 milliards d'euros à l'intelligence artificielle -, l'échelon européen est, dans bien des cas, le plus pertinent. La prise de conscience par la Commission européenne de l'importance de la bataille pour l'innovation a suscité la création des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui offrent un assouplissement des règles en matière d'aides d'État au profit de projets stratégiques et innovants.
Deux projets relatifs aux composants microélectroniques, ainsi qu'à la production de batteries électriques automobiles, sont déjà en cours de déploiement à hauteur de 7,75 milliards et 8,2 milliards d'euros de financements publics et privés, tandis qu'un nouveau PIIEC dédié à la filière hydrogène pourrait être bientôt annoncé.
Les annonces du commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, qui a identifié 14 écosystèmes industriels devant faire l'objet d'investissements prioritaires , tels que les industries énergo-intensives, sont également un signal positif. D'autre part, le cadre réglementaire de l'Union doit accompagner et favoriser la constitution de champions européens , qui disposeront d'une véritable force de frappe en matière d'investissement dans l'innovation et bénéficieront d'un positionnement plus significatif sur les marchés internationaux. Enfin, le nouveau budget européen , en particulier le Pacte vert européen ( Green Deal ), devra accroître les financements de soutien à la recherche, qui ont représenté notamment près de 80 milliards d'euros entre 2014 et 2020 via le programme Horizon Europe 2020.
Une forte impulsion doit également être donnée au niveau national, afin d'amplifier les efforts menés par l'Europe et de préciser les priorités des politiques publiques. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche devra définir une trajectoire ambitieuse de financement public de la recherche permettant de parvenir à la cible d'un effort de recherche à hauteur de 3 % du PIB. Notre pays peut compter sur plusieurs dispositifs existants qui ont démontré leur efficacité , et qui devront être confortés.
Les pôles de compétitivité , par exemple, sont source d'externalités positives pour les grandes entreprises, les PME et les organismes publics qui les composent. Le Programme d'investissements d'avenir (PIA) offre un instrument et une transversalité unique à l'État pour mener une politique économique centrée sur les défis futurs. Enfin, plusieurs dispositifs fiscaux de soutien à la recherche et l'innovation, tels que le crédit d'impôt recherche (CIR) - première dépense fiscale de l'État, pour un montant de plus de 6 milliards d'euros - et le crédit d'impôt innovation (CII) contribuent grandement à l'attractivité du pays.
Parmi les chantiers de politique nationale pour l'innovation figure le système de financement des start-ups , qui devra être étayé afin d'offrir de meilleures possibilités de développement sur le territoire et de mieux protéger ces entreprises d'acquisitions prédatrices par des concurrents étrangers. Il convient aussi de renouveler le cadre et les ressources de la recherche collective et de mieux faire participer les entreprises à la recherche publique. L'abondement des financements des projets de recherche et de développement structurants (PSPC) et des instituts de recherche technologique et pour la transition énergétique (IRT et ITE), évoqué par le Gouvernement, offre un signal encourageant pour les filières industrielles. L'amplification des liens entre recherche publique et recherche privée devra également constituer l'un des axes majeurs de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Dans ce contexte, la cellule « Industrie » recommande de miser sur l'innovation collective en renforçant les dotations aux centres techniques industriels (CTI) et en donnant une nouvelle impulsion aux pôles de compétitivité.
De son côté, la cellule « Énergie » préconise d'anticiper les dispositifs de soutien à la transition énergétique qui pourraient être instituées dans le cadre du Plan de relance et du Pacte vert européens, le Gouvernement devant veiller à ce que les entreprises françaises y soient pleinement éligibles, et mettre à la disposition des plus petites d'entre elles l'ingénierie dont elles ont besoin pour s'en saisir.
Les pouvoirs publics devront investir dans le capital humain et accompagner la formation des personnels aux nouvelles technologies , en particulier au numérique dont la pénétration dans la vie économique n'est plus à démontrer. Le cadre réglementaire, enfin, doit poursuivre sa mutation, notamment en matière de fiscalité environnementale, de droit de la concurrence ou encore de véhicules autonomes, pour mieux accompagner l'émergence de technologies et de produits innovants.
Cette exigence de formation conduit les cellules « PME, artisanat et commerce », « Télécoms/Numérique/Postes » et « Tourisme » à plaider pour un crédit d'impôt à la numérisation des PME, un soutien à l'embauche des apprentis, le renforcement du Plan pour l'inclusion numérique et de la place du numérique dans les formations initiale et continue pour numériser les entreprises et faire émerger de nouveaux talents ainsi que pour un investissement dans la formation des professionnels du tourisme tournée vers les enjeux auxquels ceux-ci font face (normes sanitaires, numérique, durabilité, qualité de service).
III. DIVERSIFIER LES CHAÎNES D'APPROVISIONNEMENT ET RELOCALISER CERTAINS CENTRES DE DÉCISION ET DE PRODUCTION CRITIQUE
Afin de limiter le risque de pénurie, le plan de relance français, en lien avec celui de la Commission européenne, doit soutenir la diversification des chaînes d'approvisionnement et, le cas échéant, la relocalisation de certains centres de décision et de production critiques, c'est-à-dire essentielles au fonctionnement normal du pays. C'est dans cet esprit que la cellule « Télécoms/Numérique/Postes » préconise d'assurer notre autonomie stratégique sur certains produits et services critiques. Cela implique toutefois de définir au préalable ce périmètre.
C'est d'ailleurs pourquoi la commission propose qu' une mission d'identification des secteurs prioritaires soit préalablement conduite et fasse l'objet d'un débat contradictoire. Elle devra révéler les vulnérabilités potentielles de l'économie française ainsi que sa dépendance à certains fournisseurs en quasi-monopole sur un produit, lister les filières sur lesquelles doivent se porter les efforts de diversification ou de relocalisation, et élaborer des plans d'aide en lien avec nos partenaires européens.
Une tendance à la relocalisation peut déjà être observée dans certains secteurs, notamment dans ceux qui peuvent plus facilement être automatisés (électronique, mécanique, etc.). D'autres peuvent suivre, comme les secteurs de produits volumineux, sensibles aux coûts de transport et aux barrières commerciales.
En tout état de cause, dans les secteurs stratégiques comme la pharmacie ou les biotechnologies, où la concurrence par l'innovation est intense mais où le nombre de fournisseurs est limité, la crise va probablement accélérer cette relocalisation ou freiner les délocalisations au sein de la chaîne de production, les entreprises concernées ayant pu constater les risques qui leur sont liés.
La commission propose d'encourager ce processus par un mécanisme d'incitation fiscale : une exonération temporaire de certains impôts qui pourrait bénéficier aux entreprises qui (re)viennent implanter leurs installations sur le territoire, sur les secteurs jugés prioritaires ou stratégiques. Un tel dispositif devrait être suffisamment encadré pour ne pas créer d'effets d'aubaine, être évalué régulièrement pour ne pas créer de rentes de situation et surtout être assorti d'une clause de maintien sur le territoire afin d'éviter les activités opportunistes et vagabondes.
La cellule « Industrie » propose également de mettre en place une « boîte à outils » à la disposition des collectivités territoriales et des préfets afin d'encourager la relocalisation. Des dérogations facultatives à certaines règles - par exemple en matière d'urbanisme, de procédures administratives - ou des incitations fiscales pourraient déclencher et accompagner, en « mode projet » , des décisions de relocalisation.
D'autres dispositifs pourraient venir compléter ce dispositif dans le secteur central de la santé dans lequel la puissance publique via la Sécurité sociale maîtrise en partie les prix.
En matière de principes actifs, il est par exemple possible de soutenir la création de coopératives de fabrication de ces produits, incluant les laboratoires pharmaceutiques, les mutuelles et les organismes de sécurité sociale . Pour conserver des prix assez bas, le capital investi y serait très faiblement rémunéré. En contrepartie, les produits composés de ces principes actifs pourraient être labellisés afin d'en favoriser le choix par les consommateurs.
Cette politique de diversification des approvisionnements et de relocalisation des productions critiques doit impérativement être pensée à l'échelle européenne. Il serait particulièrement inefficace que tous les pays européens dupliquent des capacités qui peuvent se mutualiser ou se diffuser sur l'espace du territoire européen. Ce faisant, il serait possible d'augmenter la rentabilité des entreprises qui fabriquent ces produits par des économies d'échelles tout en leur offrant la possibilité de s'adresser à l'ensemble du marché européen.
En outre, si certaines activités ne sont pas relocalisables en Europe à un coût acceptable, il conviendrait de soutenir leur production dans certains pays d'Afrique et du Maghreb avec lesquels nous avons des liens historiques, économiques et stratégiques. Dans cette perspective, il pourrait entrer dans le mandat de l'Agence Française de Développement et de sa filiale Proparco, destinée au secteur privé, de favoriser par le biais de financements bonifiés la localisation de certaines productions dans le voisinage immédiat de l'Europe.
Plus largement, la question de la relocalisation rejoint, bien entendu, celle de la réindustrialisation, qui concerne aussi bien des produits à forte valeur ajoutée que des produits d'entrée de gamme. La politique de relocalisation doit donc s'articuler avec celle de modernisation, de robotisation et de numérisation de la production. C'est-à-dire une « production 4.0 » qui requiert peu de travail non qualifié, pour lequel la France aura toujours un déficit de compétitivité. Dans certains cas, la robotisation devrait faciliter la relocalisation et c'est pourquoi les mécanismes de suramortissement de l'investissement déjà évoqués doivent être accentués et pérennisés.
De façon générale, la question du maintien de productions françaises aujourd'hui en difficulté face à la concurrence internationale en raison d'un déficit de compétitivité par rapport aux productions extra-européennes renvoie à la question de la compétitivité du territoire français et de ses entreprises dont les paramètres ont déjà été évoqués : la productivité, la fiscalité, la qualité des infrastructures, la capacité à former....
Cette situation conduit la cellule « Agriculture » à souhaiter un plan de communication sur la production agricole française et la cellule « Énergie » des mesures de protection pour aider les filières françaises des biocarburants à surmonter la crise pétrolière ; elles plaident, en outre, pour que la commande publique favorise à plein l'alimentation durable, dans le premier cas, et la mobilité propre, dans le second.
Parallèlement, il importe d'accorder une attention particulière aux productions stratégiques qui pourraient être délocalisées, ou passer sous pavillon étranger, du fait de leur fragilisation durant la crise. Leur endettement, les difficultés commerciales, la faiblesse de leurs fonds propres les exposent à un risque accru de prédation par des acquéreurs étrangers opportunistes.
La France court ainsi un risque de perte de ses savoir-faire industriels et de transferts de technologies à d'autres puissances.
Par conséquent, la cellule « Industrie » propose d'intensifier temporairement le contrôle de l'investissement étranger dans les entreprises françaises. Elle suggère un abaissement du seuil de prise de participation dans une société déclenchant le contrôle du ministre de l'économie, en le portant à 10 % contre 25 % actuellement. Cette mesure temporaire permettra d'affiner le maillage du dispositif d'autorisation préalable, en faisant entrer dans son champ des opérations d'acquisition de participations même à faible hauteur.
IV. PRIORISER LA DÉCARBONATION DE L'ÉCONOMIE
C'est par une politique d'investissement résolu à destination des entreprises et des ménages qu'il nous faut relancer notre économie en accélérant sa décarbonation.
Aussi la cellule « Énergie » a-t-elle formulé des préconisations pour faire de la « neutralité carbone » l'aiguillon du plan de relance.
Pour ce faire, un préalable est indispensable : l'application pleine et entière de la loi « Énergie-Climat » , largement insuffisante six mois après sa publication. En effet, seuls 21 % des arrêtés et décrets ont été publiés, 7 % des ordonnances ont été prises - un quart accusant déjà un retard -, et aucun des six rapports n'a été formellement remis au Parlement. C'est trop peu et trop lent.
Plus encore, la décarbonation de notre économie suppose, pour réussir, deux éléments de méthode, simples mais nécessaires : la stabilité normative et un accompagnement socioéconomique, qui sont les gages de son acceptabilité sociale. Des mécanismes de compensation budgétaires, fiscaux ou douaniers doivent prévenir tout risque de perte de pouvoir d'achat pour les ménages et de distorsion de concurrence pour les entreprises.
Notre politique d'investissement doit aller vers l'énergie nucléaire , qui représente les trois quarts de notre mix énergétique et continuera d'en représenter la moitié en 2035. Elle doit permettre de renforcer la compétitivité de notre électricité décarbonée, condition sine qua non pour permettre le démantèlement des 14 réacteurs nucléaires, garantir la sûreté de ceux s'y substituant et innover dans ceux du futur (EPR, projet ASTRID). Dans le même temps, il nous faut accorder une attention spécifique aux entreprises électro-intensives et aux capacités de stockage de l'électricité (batteries, STEP, électrolyseurs). Dans la lutte contre le changement climatique, le maintien de notre souveraineté énergétique et l'essor de la transition énergétique ne s'opposent pas : tout au contraire, ils vont de pair.
Notre politique d'investissement doit soutenir la trésorerie des professionnels de l'énergie en accordant d'urgence des facilités de paiement, des taxes intérieures de consommation sur l'énergie aux grands énergéticiens et un accès élargi aux fonds de solidarité à destination des entreprises pour les petits détaillants (stations-service, opérateurs de la rénovation énergétique). À plus long terme, il faut appliquer résolument un « gel » de la fiscalité énergétique, qui atteint 47,3 milliards d'euros, soit 2,3 % de notre PIB 9 ( * ) . Le contexte de crise exclut de reprendre la trajectoire insoutenable de hausse de la « composante carbone » des taxes intérieures de consommation sur l'énergie un temps adoptée par le Gouvernement en 2017 ; pour éviter les « fuites de carbone », il est proposé d'instituer un « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures de l'Union européenne (voir encadré) et de compenser aux installations consommatrices d'énergie l'éventuelle institution d'un « prix plancher du carbone » au sein du système européen d'échange de quotas (SEQE-UE).
Le
«
mécanisme d'ajustement
carbone
»
aux frontières de l'Union
européenne :
Dans le cadre du Plan de relance européen, présenté le 27 mai dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a justement réitéré la proposition de « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières de l'Union européenne. Le plan prévoit ainsi que « si les différences en matière de niveaux d'ambition climatique dans le monde devaient persister, la Commission proposera en 2021 un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières afin de réduire le risque de fuite de carbone ». Il est précisé que ce mécanisme devra être « en totale compatibilité avec les règles de l'OMC » et pourra constituer l'une des « nouvelles ressources propres » souhaitée par la Commission. L'enjeu serait de venir frapper, selon des modalités encore à déterminer, les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les produits importés des États extra-européens au niveau de celles issues des produits européens, qui sont quant à eux soumis au système d'échange européen de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE). Ce faisant, un tel mécanisme permettrait de rétablir les conditions d'une concurrence plus équitable avec les pays les moins avancés sur la voie de la « neutralité carbone » ; il viserait notamment à éviter les « fuites de carbone » , c'est-à-dire les délocalisations d'activités vers des pays ayant de faibles standards en la matière. C'est pourquoi les cellules « Énergie » et « Industrie » convergent sur la nécessité d'instituer rapidement un tel mécanisme vertueux pour le climat et protecteur de l'activité et de l'emploi ; les professionnels doivent être associés aux travaux préalables, afin d'en garantir l'application dans des conditions économiques optimales. |
Notre politique d'investissement doit favoriser les énergies renouvelables, en sécurisant leur financement, en simplifiant leur déploiement et en relocalisant leur chaîne de valeur. Il faut offrir aux projets existants des financements sécurisés (maintien du compte d'affectation spéciale « transition énergétique » et relèvement du Fonds chaleur renouvelable) et des souplesses administratives (maintien des appels d'offres en cours, aménagement des appels d'offres prévus, prorogation des autorisations délivrées, ajustement des délais de raccordement). Dans le même temps, il importe d'accorder une attention spécifique à des secteurs trop peu valorisés, les biocarburants, le biogaz, l'hydrogène, dont le cadre stratégique, règlementaire et financier doit être rendu plus incitatif. À terme, il est impératif d'appliquer le critère du « bilan carbone » à l'ensemble des dispositifs de soutien aux EnR, afin de protéger nos industriels français et européens du dumping environnemental .
Dans le domaine industriel, les premières initiatives d'industrialisation de l'hydrogène et, au-delà, l'ensemble des initiatives en faveur de procédés industriels bas-carbone, doivent être soutenues par le biais des PIIEC.
De même, parce qu'elle est tout à la fois moins émissive que les énergies fossiles et moins intermittente que les autres énergies renouvelables, l'hydroélectricité, qui représente un dixième de notre production d'électricité, doit être durablement confortée dans la perspective de l'atteinte de la « neutralité carbone ».
Alors que la Commission européenne, le 7 février 2019, a mis en demeure la France, tout comme sept autres pays européens, de mettre sa législation en conformité avec le droit européen, pour ce qui concerne l'autorisation et la prolongation des concessions hydroélectriques, la plus grande vigilance doit être observée : dans les négociations qu'il a engagées avec la Commission, le Gouvernement doit faire valoir les spécificités du modèle concessif français, en recherchant des aménagements à l'application des règles de concurrence.
Plus encore, c'est aussi une modernisation des centrales hydroélectriques qui doit être recherchée : des investissements doivent être engagés, notamment dans leurs turbines, pour augmenter leur puissance et leur rendement, tout en limitant leur impact environnemental.
Dans l'immédiat, face à la désorganisation administrative induite par la crise du Covid-19, les appels d'offres doivent être maintenus et les autorisations arrivant à échéance prolongées.
À plus long terme, l'hydroélectricité
peut être promue par un allègement de la fiscalité
applicable - taxe intérieure sur la consommation finale
d'électricité (TICFE), imposition forfaire sur les entreprises de
réseaux (IFER), taxes foncières ou contribution économique
territoriale (CET) - et une meilleure articulation avec les règles
de continuité écologique
- découlant de la loi
sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 -, des
compensations devant nécessairement être prévues par
l'État en cas d'incidence des allègements précités
sur les recettes fiscales de nos collectivités territoriales.
Notre politique d'investissement ne doit pas oublier les consommateurs d'énergie en mobilisant deux leviers essentiels pour relancer notre économie tout en réduisant nos émissions de GES : la rénovation énergétique et la mobilité propre. Les dispositifs de soutien qui les sous-tendent doivent être substantiellement et durablement renforcés, à commencer par le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et la prime à la conversion, dont les crédits ont été très affectés par la dernière loi de finances initiale (- 60 % pour le premier dispositif, - 30 % pour le second). C'est aussi par une revalorisation significative du chèque énergétique qu'il est nécessaire de soutenir la consommation mais aussi l'investissement des ménages les plus précaires, à commencer par les dépenses de rénovation énergétique auxquelles il donne droit.
Dans le domaine industriel, la transition de l'outil vers des produits et des procédés décarbonés constitue également une priorité : la cellule « Industrie » propose ainsi d'instaurer un crédit d'impôt au verdissement des PME et TPE industrielles, qui prendrait en charge une partie des coûts d'accompagnement et de conseil liés à la transition énergétique.
En confortant notre souveraineté énergétique et en accélérant la transition énergétique, il est possible, sinon nécessaire, de faire de la « neutralité carbone » l'aiguillon du plan de relance : dans cette perspective, c'est sur la rénovation énergétique et la mobilité propre que les efforts d'investissement publics et privés doivent être concentrés.
À cette fin, notre appareil productif, et singulièrement le secteur industriel, doit être accompagné pour intégrer sans surcoût un haut niveau de performance énergétique, le cas échéant en le protégeant de la course au moins-disant environnemental que poursuivent certains de nos concurrents extra-européens.
V. FAVORISER LA NUMÉRISATION DES ENTREPRISES ET LA CONSTITUTION DE CHAMPIONS NUMÉRIQUES
Pour gagner la bataille du numérique, le premier chantier concret relevé par la cellule « Télécoms/Numérique/Postes » consiste naturellement en l'achèvement définitif du raccordement de tous à un réseau numérique performant, fonctionnel et abordable . À court terme, l'enjeu est de s'assurer que les entreprises de travaux déployant les réseaux résistent à la crise et reviennent rapidement au rythme record de 2019. Le renforcement de la concurrence sur le marché à destination des entreprises doit également devenir une priorité de la régulation, afin que toutes partent avec les mêmes chances de réussite, quelle que soit leur localisation. Au-delà, la mise en place de la « société du gigabit » à l'horizon 2025 supposera de débloquer de nouveaux financements, comme le Sénat l'avait proposé lors de l'examen de la loi de finances pour 2020. Cette amélioration du réseau s'inscrit plus largement dans la volonté européenne concrète d'achever le développement du réseau 4G et d'amorcer celui de la 5G.
À ceci s'ajoutent des mesures concrètes pour accompagner et accélérer le passage au numérique . S'agissant des entreprises, un crédit d'impôt numérique à destination des PME et TPE permettrait d'impulser une dynamique de numérisation du tissu économique français. Cette recommandation est également formulée par la cellule « Commerce ». L'industrie, dont la numérisation est cruciale pour sa survie à moyen terme, pourrait également être soutenue par la relance des prêts French Fab délivrés par BPIfrance. La cellule « Industrie » préconise également de maintenir le suramortissement pour la numérisation des TPE et PME industrielles, lequel serait également complété par un crédit d'impôt pour les entreprises ne réalisant pas de résultat imposable. La cellule « Télécoms/Numérique/Postes » recommande aussi que les collectivités territoriales soient, avec l'aide de la Banque des territoires, incitées à développer des moyens numériques facilitant la vie de la population au quotidien, dans une perspective de développement des « smart cities » .
Afin de garantir leur souveraineté numérique, menacée par le retard pris par notre continent en la matière, la France et l'Europe doivent, dans une logique offensive, poursuivre les efforts d'investissement dans les entreprises du numérique . Cela passe par un renforcement du numérique dans la formation initiale et professionnelle. Ensuite, la valorisation des structures innovantes doit passer par le double levier de la commande publique et des aides, tel que le statut de « jeune entreprise innovante », qui a déjà démontré son efficacité et qui pourrait être rendu encore plus attractif à travers la bonification du taux du crédit d'impôt recherche par exemple. Il est également nécessaire de mettre en place un cadre favorable à l'investissement dans les jeunes entreprises du secteur, en particulier en relançant le dispositif d'IR-PME ou en obtenant l'extension à la France du « European Angels Fund », ce qui suppose également de maintenir les fonds qui lui sont destinés, habituellement les premiers sacrifiés en période de crise.
Cette transition vers une sphère de production, de consommation et d'investissement davantage tournée vers le numérique passe également par la promotion de solutions de confiance, présentant les meilleures garanties en termes de cybersécurité et de traitement des données . Cela exige une application stricte du Règlement général sur la protection des données (RGPD), voire son extension, en particulier aux données des personnes morales afin de garantir les droits et libertés des citoyens et entreprises. Cela passe également par la certification des solutions de confiance et par une adaptation de notre droit aux lois extraterritoriales facilitant le pillage des données stratégiques, comme le Cloud Act .
VI. S'APPUYER SUR LA PARTICIPATION COMME LEVIER DE CROISSANCE
Le confinement a creusé les inégalités et instauré une distance aussi bien physique que sociale entre les travailleurs peu qualifiés, les cadres et les entreprises. Le plan de relance de l'économie peut être une occasion de redéfinir les liens entre les salariés et leurs entreprises.
La commission a la conviction qu'il faut favoriser aujourd'hui l'intelligence collective, le dialogue social et la concertation entre les acteurs de l'entreprise. Un tel renforcement des liens serait un facteur de compétitivité accrue, comme l'a souligné devant notre commission Xavier Ragot, président de l'OFCE, énonçant que « la singularité de l'Allemagne en termes de performance économique, c'est au fond la qualité du dialogue social au sein de l'entreprise ».
En matière de gouvernance, le nombre des représentants des salariés aux conseils d'administration des grands groupes mais aussi des plus petites entreprises pourrait être augmenté.
En outre, la crise économique traversée par le pays remet sur le devant de la scène le débat sur la répartition des bénéfices entre entreprises et salariés ainsi que le soutien au pouvoir d'achat des Français, qui sera l'un des moteurs de la relance.
Le recours à la participation aux bénéfices gagnerait donc à être développé au-delà des dernières modifications opérées par la loi PACTE. Seuls 17 % des salariés d'entreprises de moins de 49 salariés sont aujourd'hui couverts par un dispositif d'épargne salariale. Il conviendrait d'élargir son champ d'application aux entreprises de moins de 50 salariés , qui représentent une part non négligeable du produit intérieur et du tissu économique français ; de raccourcir les délais applicables ou encore de rendre plus attractive la fiscalité sur la participation via une nouvelle réduction du forfait social.
VII. PRENDRE DES MESURES DE RELANCE DE LA CONSOMMATION CIBLÉES SUR LES SECTEURS EN DIFFICULTÉ
Les premiers mois de la crise ont touché les différents secteurs économiques de manière très hétérogène. Le plan de relance doit être adapté à cette réalité en soutenant la consommation dans le secteur des transports, du tourisme, de la culture et de l'événementiel tout en étant conscient que la variable clé pour la reprise de la consommation est la confiance des ménages. L'activité économique ne connaîtra en effet un vrai rebond que si les ménages puisent dans les 80 milliards d'euros d'épargne de précaution accumulés pendant le confinement. Pour cela, la majorité des cellules de veille préconise de maintenir autant que nécessaire les mesures de soutien, telles que le chômage partiel , pour accompagner les ménages et les entreprises face aux contraintes budgétaires croissantes. Une attention particulière doit être portée aux revenus des plus modestes, qui ont été les plus touchés financièrement et, on peut le supposer, psychologiquement par le confinement.
Le plan de relance devra relancer la consommation par deux canaux privilégiés.
Tout d'abord, le recours aux chèques ciblés de soutien à la consommation doit être encouragé : tickets-restaurant, chèques-vacances et, pour les plus démunis, chèques-alimentation.
La commission préconise une augmentation des montants des émissions à la lumière de ce que font ses voisins européens. Par exemple, le Gouvernement italien a prévu d'affecter 2,4 milliards d'euros à un chèque-vacances pour les ménages, sous condition de ressources, soit 70 millions d'euros de plus que le total des émissions des chèques-vacances en France en 2018. En outre, l'usage des chèques-vacances et des tickets-restaurant pourrait être simplifié en dématérialisant les premiers et en unifiant les régimes d'exonération de cotisations qui sont applicables aux seconds. Ces dispositifs sont des outils précieux et pilotables : l'État en maîtrise le nombre, le montant et le financement. ll s'agit, à ce titre, d'une politique ciblée et temporaire de relance de la consommation, directement fléchée vers les professionnels les plus touchés.
En complément, une temporaire réduction à 5,5 % du taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les secteurs les plus durement touchés par la crise, et dont la relance n'affecterait pas négativement le solde extérieur de la France, peut être envisagée, notamment dans les services, particulièrement le tourisme et la restauration.
En second lieu, il faut associer relance et relocalisation de la consommation , pour que cette politique conjoncturelle de sortie de crise ait, demain, des effets structurels sur l'économie française.
Pour ce faire, la commission estime que le Gouvernement doit prendre des mesures fortes sur l'aide à la rénovation énergétique des bâtiments . C'est un secteur d'avenir, créateur d'emplois et dans lequel la marge de manoeuvre est immense. La cellule « Énergie » comme celle du « Logement, urbanisme et politique de la ville » ont fait plusieurs propositions en ce sens. Il s'agit également d'une priorité identifiée par la cellule « Tourisme ». À titre d'illustration, la cellule « Énergie » propose de mobiliser à plein le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), en le maintenant après le 31 décembre prochain et en élargissant les ménages et les équipements éligibles, ainsi que les certificats d'économies d'énergie (C2E), en bonifiant les travaux de rénovation globale dans les logements individuels. La cellule « Logement, urbanisme et politique de la ville » propose également de favoriser une solution innovante, le portage financier sur le long terme de la rénovation thermique par des sociétés spécialisées (ESCO - Energy service company ).
S'agissant de la mobilité propre, le Gouvernement a annoncé un Plan de soutien à la filière automobile, le 26 mai dernier, qu'il convient de conforter. Ainsi, la cellule « Énergie » appelle à aller plus loin, en instituant des mécanismes davantage pérennes - la crise étant susceptible de perdurer au-delà de cette année - et diversifiés - s'étendant ainsi à l'ensemble des véhicules et des carburants durables : elle suggère en particulier un élargissement durable des conditions d'éligibilité à la prime à la conversion accompagné d'autres incitations complémentaires (rehaussement de la commande publique, renforcement des mécanismes de suramortissement pour les véhicules propres et les infrastructures de recharge).
De son côté, la cellule « Industrie » propose d'appliquer le principe du plan de soutien à la filière automobile à l'ensemble des secteurs de la mobilité propre (construction navale, ferroviaire ou aéronautique). La cellule « Tourisme » estime également que le passage à un tourisme durable passera nécessairement par l'innovation technologique en vue de « verdir » l'ensemble des solutions de mobilité.
VIII. SOUTENIR RÉSOLUMENT L'INSERTION DES JEUNES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Les difficultés que le pays traverse et la réduction massive de l'activité menacent lourdement les 800 000 jeunes supposés entrer sur le marché du travail dans les mois à venir. Les CDD et contrats intérimaires ont été les premiers touchés par les destructions d'emplois consécutives à la crise sanitaire. À la fin du premier trimestre 2020, l'emploi intérimaire chute ainsi lourdement : - 37,0 % par rapport à fin 2019 (soit - 291 800 emplois). Hors intérim, l'emploi se replie fortement dans les services marchands : - 3,5 % sur le trimestre (soit - 437 900).
Les incertitudes sur la sortie de crise et l'accumulation des pertes des entreprises ces derniers mois laissent entrevoir la perspective d'un chômage de masse et une précarisation aggravée de la jeunesse.
Ainsi, dans ses prévisions, la Banque de France indique que le taux de chômage devrait atteindre plus de 10 % fin 2020, et grimper jusqu'à un pic supérieur à 11,5 % à la mi-2021, soit un niveau « au-dessus des précédents historiques » .
La multiplication des panic masters , c'est-à-dire les candidatures en urgence d'étudiants à des formations professionnelles pour retarder leur entrée sur le marché du travail, est le symbole du peu de confiance de la nouvelle génération vis-à-vis des potentialités du marché de l'emploi en cette période d'incertitudes.
À ce titre, la commission propose tout d'abord des allègements voire des suppressions de charges à destination des entreprises embauchant un jeune en CDI pour son premier emploi. Cela pourrait inciter les entreprises à maintenir leur recrutement. L'aide à l'embauche d'apprentis promise par le Gouvernement, de 8 000 euros pour les personnes majeures et de 5 000 euros pour les personnes mineures, constitue un point de départ encourageant.
En parallèle, l'État doit s'assurer de la prise en charge et de l'accompagnement de ceux que la chute de la demande de travail des entreprises laisserait « sur le carreau » . Un renforcement de la politique de formation dans des secteurs d'avenir, comme le numérique ou l'environnement, permettrait aux jeunes demandeurs d'emploi d'acquérir des compétences, afin de mettre à profit leur période de chômage.
Troisièmement, l'apprentissage doit être soutenu afin d'éviter la perte de compétences et de capital humain et assurer un bon appariement de l'offre et de la demande sur le marché du travail. Avant la crise, il connaissait un essor important, le nombre d'apprentis s'établissant en effet à 491 000 fin 2019, soit une hausse de 16 % par rapport à 2018. Or les incertitudes liées à la crise vont dégrader cette bonne dynamique, ce qui aura des répercussions graves à moyen-terme : les contrats non-signés en 2020 représenteront autant de compétences en moins pour les années à venir.
Le déficit de compétences se fera donc sentir précisément au moment où la France tentera de renouer avec une trajectoire positive de sa croissance économique. Ne pas soutenir l'embauche d'apprentis a, en outre, un coût social et budgétaire très élevé : un plan de soutien aux centres de formation des apprentis serait alors nécessaire, des dépenses sociales à destination des jeunes les plus précaires sans contrat (garantie jeunes) seraient engagées, de moindres recettes sociales (les entreprises payant des cotisations sur les contrats) et fiscales (l'apprenti consommant son revenu) seraient enregistrées.
La nécessité de soutenir l'apprentissage a été relevée par la cellule « PME, commerce et artisanat », qui préconise un élargissement du niveau et des conditions d'éligibilité de l'aide à l'embauche à la disposition des entreprises.
La cellule « Logement, urbanisme et politique de la ville » propose une action spécifique en faveur des étudiants et des élèves des quartiers populaires. Dans de nombreux cas, faute de travail d'été, des jeunes vont se trouver dans une grande précarité pour financer leurs études. Parallèlement, dans les quartiers de la politique de la ville, le nombre de décrocheurs scolaires est élevé et on constate de réelles difficultés à apprivoiser l'enseignement à distance. Il est souhaitable que dès cet été, via des contrats aidés, un tutorat ces deux besoins puissent se rejoindre.
IX. OEUVRER AVEC DÉTERMINATION ET DAVANTAGE D'EFFICACITÉ POUR UN ÉTAT MOINS BUREAUCRATIQUE
La crise sanitaire a démontré que la levée des verrous administratifs permettrait des gains importants en efficacité. Elle a, dans le même temps, illustré le talent des administrations françaises pour élaborer des formalités, des procédures et des certificats à l'instar de l'attestation de déplacement dérogatoire pendant le confinement, ou du mode d'emploi pour l'accueil des enfants pour le déconfinement.
Cette « passion bureaucratique » explique pourquoi tous les Gouvernements successifs ou presque promettent des « chocs de simplification » dont les conséquences sont rarement à la hauteur des promesses Les citoyens eux-mêmes sont ambivalents, réclamant alternativement simplification et protection. En outre, la judiciarisation des rapports sociaux et économiques alimente également la profusion des normes définissant les responsabilités de chacun et les procédures à suivre.
La promesse de simplification fait ainsi figure de « mantra » de la communication gouvernementale. Du fait des résultats assez médiocres obtenus jusqu'à présent par l'exécutif, elle alimente la frustration et le scepticisme à l'égard des décideurs. Aux yeux de la commission, cette situation doit au contraire nous conduire à redoubler de volontarisme en la matière ; elle propose donc deux mesures raisonnées mais efficaces de simplification administrative.
Comme l'a rappelé à de nombreuses reprises la délégation sénatoriale aux entreprises, le premier outil nécessaire à une politique de simplification est une méthode de calcul de la charge administrative résultant, pour les entreprises, de chaque norme. La faisabilité de cette réforme est démontrée par les exemples néerlandais, britanniques et allemands.
Le dispositif allemand est le plus performant puisqu'il repose sur une autorité indépendante, le Conseil national de contrôle des normes (NKRG), qui travaille avec le statisticien national et publie ses résultats ainsi que son évaluation du coût de chaque norme en préparation. La commission propose de s'inspirer de ce modèle avec la réactivation d'un Conseil de la simplification pour les entreprises qui serait notamment chargé, en lien le cas échéant avec l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), de calculer la charge administrative résultant, pour les entreprises, de chaque décret et loi avant leur soumission aux autorités compétentes.
La commission propose aussi l'implantation, dans chaque département, de task force de la simplification administrative pour les nouvelles implantations industrielles, autour des préfets et en lien avec les élus locaux. Ces structures légères auraient notamment pour mission de délivrer des rescrits pour des projets industriels d'envergure, par lesquels l'administration doit formellement prendre une position, qui pourra lui être opposée, sur les procédures applicables et leur calendrier de mise en oeuvre.
En effet, connaître avec certitude quel est le droit applicable à une situation ou un projet, et éviter de l'apprendre une fois le projet réalisé ou le contrôle lancé par l'administration, contribue grandement à sécuriser les acteurs économiques.
Concernant plus spécifiquement le droit de l'urbanisme dont la complexité apparaît aujourd'hui comme un obstacle à la nécessaire relance de la construction, les mesures partielles prises dans l'urgence présentent des risques en raison d'un effet domino souvent mal maîtrisé. C'est pourquoi, la cellule « Logement, urbanisme et politique de la ville » propose de réunir, dès que possible, l'ensemble des parties prenantes dans un « Ségur du droit de l'urbanisme » pour parvenir à des propositions partagées et réalistes.
X. RÉFORMER LES POLITIQUES DE L'UNION POUR PLUS ET MIEUX D'EUROPE
Approfondir la construction européenne pour peser dans la mondialisation est un programme ambitieux qui dépasse le cadre du plan de relance ; aussi la commission s'est-elle concentrée sur les questions économiques qui touchent plus directement les entreprises. Elle est néanmoins convaincue que cette sortie de crise est l'occasion de redessiner L'Union européenne pour faire l'Europe une Europe qui protège vraiment notre modèle de société,.
Dans cette perspective, renouer avec le volontarisme économique, c'est vouloir une Europe plus ambitieuse, moins naïve, plus exigeante à l'extérieur sur ses valeurs, ses normes sociales et environnementales, plus intégrée à l'intérieur.
Plus que jamais l'Europe est l'échelon pertinent pour peser sur le monde, cela veut dire une Europe plus ambitieuse à l'extérieur sur sa politique commerciale, sur la taxe carbonne aux frontières, mais aussi plus autonome stratégiquement avec un marché intérieur plus intégré et des politiques économiques mieux coordonnées.
Ses cellules « Agriculture », « Industrie », « Télécoms/ Numérique/Postes » et « Énergie » ont toutes fait le constat de la nécessité de renforcer et d'améliorer l'action économique de l'Europe dans leurs domaines respectifs.
Le premier objectif identifié est de réussir à concilier l'ouverture de nouveaux marchés à l'export et la préservation des grands équilibres du marché intérieur.
Le rythme soutenu de négociations de nouveaux accords commerciaux est la preuve du dynamisme des relations commerciales de l'Union européeene, mais soumet aussi les producteurs européens à une pression accrue. L'absence de ratification de l'Accord économique et commercial global (AECG, CETA en anglais), par exemple, s'explique en partie par la mobilisation des filières agricoles européennes face à l'afflux anticipé de produits étrangers très compétitifs, mais pas toujours conformes aux normes de production de l'Union.
Les mêmes craintes d'un déséquilibre soudain rendent incertain l'avenir de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur. En matière de marchés publics également, les producteurs et entreprises de service européennes dénoncent l'absence de réciprocité dans l'accès aux marchés, en particulier vis-à-vis de la Chine, source de distorsions de concurrence. La Commission européenne fait donc légitimement face à des demandes croissantes de transparence et de dialogue démocratique dans la préparation et la négociation des accords de libre-échange.
D'autre part, la montée des protectionnismes et la remise en cause de l'ordre multilatéral ont conduit à une certaine réaffirmation de la politique commerciale de l'Union européenne dans la mesure où l'Europe n'a pas intérêt à un retour du protectionnisme ou à un démantèlement des mécanismes multilatéraux existants.
Le blocage annoncé de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ainsi que la défiance des États-Unis redonnent de l'importance à la diplomatie commerciale européenne. Les mesures unilatérales imposées en 2018 par les États-Unis sur l'acier et l'aluminium ont suscité une réaction forte de la Commission européenne, qui a mis en place des mesures de sauvegarde pour la première fois depuis 2002.
Face à la prévalence du recours au dumping et aux subventions, notamment par la Chine, l'Inde ou la Russie, l'Union européenne a rénové ses instruments de défense commerciale et fait preuve d'un nouveau volontarisme dans leur utilisation. De nombreux efforts restent à faire, l'alignement des conditions concurrentielles de l'Europe et de ses principaux partenaires et concurrents étant loin d'être acquis.
Enfin, l'impératif de la transition environnementale vient bousculer les habitudes d'une politique commerciale fondée sur le libre-échange mais favorisant l'émergence de chaînes de valeur internationales fragmentées et sources d'émissions de gaz à effet de serre. Il remet en cause le coût écologique du transport de marchandises, la pertinence d'un prix global tiré vers le bas par des procédés de production à l'empreinte écologique considérable, et l'impact d'une divergence croissante des environnements réglementaires en matière de fiscalité du carbone.
La politique commerciale européenne devrait rapidement intégrer ces nouveaux enjeux.
La commission des affaires économiques soutient, comme indiqué précédemment, l'idée d'un « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures de l'Union européenne , qui viserait en substance à renchérir le coût des produits importés à la hauteur de leur empreinte carbone.
La plus grande fermeté affichée par l'Union européenne sur les sujets de politique commerciale doit se doubler d'une réforme ambitieuse du droit de la concurrence afin de faire de ce dernier un véritable instrument offensif de reconquête industrielle.
Il n'est pas ici question de nier les apports importants du droit européen de la concurrence depuis le traité de Rome en 1957 : éviter les ententes et abus de position dominante, encadrer un usage trop discrétionnaire des aides d'État et analyser l'impact concurrentiel des concentrations a permis de diminuer les prix pour le consommateur et de fournir une incitation durable à l'innovation. Le bon fonctionnement du marché unique nécessite, bien entendu, que la concurrence se fasse par le mérite.
Cependant, au moins deux phénomènes majeurs, survenus ces vingt à trente dernières années, impliquent de moderniser les règles du droit européen de la concurrence : le développement du numérique, objet économique difficilement appréhendable par les règles actuelles, et la multiplication des distorsions de concurrence provenant d'entreprises de marché tiers, insuffisamment prises en compte dans les analyses de la Commission européenne.
Le refus par la Commission d'autoriser la fusion entre Alstom et Siemens, alors que la Chine s'est lancée dans une conquête rapide et offensive du marché des trains, illustre bien la nécessité d'adapter ses outils d'analyse aux nouvelles réalités de l'économie mondialisée.
Il est possible, à traités constants, de faire évoluer ces règles et outils.
La Commission pourrait par exemple élargir l'horizon temporel à l'aune duquel elle étudie les effets concurrentiels d'une concentration sur un marché et le faire passer de deux à cinq ans. En effet, le soutien public massif dont bénéficient certaines entreprises hors Union européenne et le numérique bouleversent les structures de marché à une vitesse record, rendant possible une entrée soudaine d'un concurrent sur le marché et une conquête très rapide de parts de marché. En élargissant son horizon temporel, la Commission améliorerait sa prise en compte de cette concurrence potentielle ; la probabilité de l'entrée d'un concurrent à horizon deux ans peut paraître faible mais très probable à horizon trois ou quatre ans.
La Commission pourrait également faire évoluer la définition qu'elle retient du marché pertinent, qui lui permet de calculer les parts de marché respectives des différentes parties à un projet de concentration. En effet, le « marché géographique » a évolué, il s'est agrandi sous l'effet du numérique, du commerce international et de l'harmonisation des standards techniques. Dès lors que le consommateur a de plus en plus accès à une offre mondiale, le nombre de concurrents susceptibles d'exercer une pression sur le marché augmente, ce que la Commission ne prend pas encore suffisamment en compte.
De même, la délimitation d'un marché de produits substituables, qui se fonde sur l'analyse du comportement du consommateur face à une hausse des prix, ne paraît plus apte à embrasser toutes les situations : le numérique a multiplié les produits ou services utilisés gratuitement par un consommateur, ce qui nécessite d'adapter les outils d'analyse à ce nouvel état de fait. La Commission devrait donc, en conséquence, actualiser ses lignes directrices en la matière, en prenant particulièrement en compte le fait que le numérique a rendu caduques certains critères d'analyse comme le prix et en appelle d'autres pour appréhender, par exemple, les effets de réseau ou l'accès aux données.
La politique budgétaire et monétaire doit enfin retrouver une cohérence. Il faut rouvrir un débat sur la convergence budgétaire des États européens, en envisageant la création d'un budget européen commun capable d'amorcer une convergence concrète. À ceci s'ajoute la nécessité d'adopter de nouveaux outils en faveur de la convergence économique et monétaire dans le but d'éviter la tenue de longs débats sur la réponse à donner à chaque nouvel épisode de crise.
Le renforcement du pouvoir budgétaire de la commission doit aller de pair avec une plus grande harmonisation fiscale, sociale et environnementale du marché unique . L'Europe ne peut continuer à faire l'économie d'une réflexion politique pour faire avancer la convergence de nos modèles fiscaux et sociaux. Aujourd'hui, la concurrence intra européenne est un facteur de tensions majeures entre états et entre opinions publics. La relance des économies doit passer par une relance du marché unique et notamment de la politique européenne sur la fiscalité et les normes sociales.
Dans le domaine agricole, la commission suggère un changement de paradigme par rapport au projet actuel de destruction de la Politique agricole commune (PAC), le continent ayant besoin d'une politique agricole commune forte, afin de garantir la souveraineté alimentaire de l'Union européenne. Elle propose de créer un troisième pilier de la PAC, incitatif, financé par une enveloppe complémentaire et sans redéploiement des budgets actuels, pour rémunérer les services environnementaux rendus par les agriculteurs à la société, notamment en matière d'aménagement du territoire, de stockage du carbone dans les sols ou de biodiversité cultivée. Elle suggère, enfin, de mieux articuler droit de la concurrence et politique agricole en modifiant notamment la rédaction du règlement « OCM unique » pour permettre aux agriculteurs européens de pratiquer des prix communs de cession, comme le font les exploitants américains depuis le Capper Volstead Act du 18 février 1922.
Sur le plan du numérique, enfin, l'Europe doit se doter d'une politique continentale à la hauteur de l'enjeu. Cette politique doit se développer selon trois axes : modernité, sécurité, indépendance. L'Europe doit être capable de moderniser ses infrastructures à l'échelle continentale pour approfondir l'intégration numérique de son économie. Après les personnes et les entreprises, ce sont désormais les usines et les objets qui doivent être raccordée au réseau internet. Cela passe par l'accélération du déploiement de la 5G. Elle doit également être innovante dans le domaine de l'intelligence artificielle (IA) par le biais d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC).
L'Europe doit aussi établir des normes communes de sécurité informatique et de protections des données auxquelles toutes les entreprises voulant accéder au marché unique devront se soumettre. Ces normes permettront d'assurer la protection des citoyens européens, en particulier contre les acteurs dominants du numérique qui exploitent leurs données et restreignent leurs libertés.
Compte tenu de la nécessité de garantir notre indépendance, la création d'un marché unique des données associé à des espaces européens de données interopérables ainsi qu'un cloud européen souverain doit être - avec le « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières » - la seconde grande réalisation européenne des prochaines années.
CONCLUSION
La commission souhaite ardemment que les mesures proposées dans ce rapport et développées dans les tomes suivants par secteur soient adoptées rapidement. Au-delà des mesures de relance ponctuelles présentées par le Gouvernement, le pays a besoin d'un plan de relance global. La situation est en effet critique avec un risque de spirale déflationniste au fur et à mesure que les conséquences de la crise se feront sentir en termes de faillites d'entreprises et d'augmentation du chômage. Les prochains mois seront donc cruciaux pour éviter un décrochage de l'économie française. Or notre pays ne manque pas d'atouts. La France est le premier pays d'accueil européen des investissements de production et des activités de recherche et développement. Le risque de décrochage économique existe mais notre positionnement géographique, notre puissance commerciale, la qualité et l'efficience de nos infrastructures de transports et de télécommunications, la qualité de notre main d'oeuvre et la qualité de vie de notre pays sont des atouts considérables dans la compétition internationale. C'est pourquoi la commission regarde avec optimisme cette sortie de crise comme une opportunité pour moderniser notre outil productif et renforcer nos atouts. Cela suppose plus que jamais de renouer avec un volontarisme économique qui associe l'État, l'Europe et les collectivités territoriales au service de nos concitoyens.
ANNEXE
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LISTE DES MESURES
Mesures
proposées par la cellule
« Agriculture et
alimentation »
Mesure 1 : Création d'un mécanisme de compensation des pertes de production similaire à celui des autres pays pour les filières les plus touchées et mettre en oeuvre des aides au stockage quand cela est nécessaire.
Mesure 2 : Défiscaliser les dons des entreprises agroalimentaires en prévoyant un crédit d'impôt avec un plafond adapté aux volumes des dons réalisés.
Mesure 3 : Contrôler la non-application de pénalités à l'encontre des industriels par les GMS, enclenchant la négociation de contreparties.
Mesure 4 : Exonérer partiellement de charges sociales pendant la durée de la crise les industries agroalimentaires et exploitations qui ont accusé les pertes d'activité et de marge les plus élevées, notamment en raison de la fermeture de la restauration hors domicile.
Mesure 5 : Faire de la commande publique un levier pour la valorisation des productions françaises.
Mesure 6 : Travailler à un meilleur étiquetage de l'origine des produits alimentaires et favoriser l'émergence d'un label unique englobant, lisible par le consommateur.
Mesure 7 : Lancer une campagne de communication sur les produits français.
Mesure 8 : Réduire, par un mécanisme de suramortissement ou de crédit d'impôt, le coût des investissements réalisés par les agriculteurs afin de réduire leur exposition aux risques climatiques ou sanitaires, d'améliorer la veille sur le bien-être et la santé des animaux, d'améliorer leur compétitivité et de réduire le recours aux produits phytopharmaceutiques.
Mesure 9 : Mettre en place, en partenariat avec les professionnels, un fonds de soutien à la capitalisation des coopératives.
Mesure 10 : Améliorer les installations de fret (ferroviaire et fluvial) par de grands projets afin d'améliorer la compétitivité de nos produits à l'export.
Mesure 11 : Revoir les modalités du soutien à l'export et mettre rapidement en place un fonds en faveur de la filière viticole durement touchée par les sanctions américaines.
Mesure 12 : S'opposer à toute réforme visant à remettre en cause la PAC et proposer, à l'inverse, une PAC renforcée et incitative, rémunérant en complément les services environnementaux rendus à la société par les agriculteurs.
Mesures
proposées par la cellule
« Énergie »
Axe 1 : Maintenir le cap de la « neutralité carbone » en appliquant effectivement la loi « Énergie-Climat ».
Mesure 1 : S'engager sur un calendrier d'application de la loi « Énergie-Climat », à commencer par la publication des ordonnances.
Mesure 2 : Lever dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) les verrous règlementaires contraires aux objectifs fixés par le législateur (en matière de biogaz, d'hydrogène et d'éolien en mer).
Mesure 3 : Évaluer les conséquences de la crise économique sur le financement de la PPE, en saisissant sans tarder le comité de gestion des charges de service public de l'électricité (CGCSPE) et la commission de régulation de l'énergie (CRE) d'une étude des charges de service public de l'électricité (CSPE).
Mesure 4 : Prendre en compte l'atteinte de la PPE, au même titre que la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), dans la stratégie de crise de l'État actionnaire mise en oeuvre par l'agence des participations de l'État (APE).
Axe 2 : Soutenir les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs d'énergie : des grands énergéticiens aux petits détaillants.
Mesure 5 : Soutenir la trésorerie et les investissements des énergéticiens, en envisageant, à court terme, le report du paiement des taxes intérieures de consommation sur l'énergie et, à long terme, la récupération d'un montant équivalent en cas d'impayés de facturation, dans le cadre de la révision en cours de la directive du 27 octobre 2003 sur la taxation des produits énergétiques et de l'électricité.
Mesure 6 : Prolonger et élargir l'accès pour les stations-service au fonds de solidarité à destination des entreprises, à l'instar du secteur du tourisme notamment.
Mesure 7 : Appliquer un « gel » de la fiscalité énergétique, en revenant sur la suppression d'1 Md d'euros d'incitations professionnelles (suppression du taux réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable aux carburants « sous condition d'emploi » et diminution du remboursement de TICPE pour les transporteurs routiers).
Mesure 8 : Soutenir le projet de « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières de l'Union européenne, en associant les filières économiques, et singulièrement celle de l'énergie, aux travaux préalables.
Mesure 9 : Refuser tout retour à la hausse exponentielle de la « composante carbone » des taxes intérieures de consommation sur l'énergie, un temps adoptée par le Gouvernement en 2017.
Mesure 10 : Conforter l'aide d'État et les taux réduits de TICPE et de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) dont bénéficient les installations grandes consommatrices d'énergie, dans l'hypothèse de l'institution d'un « prix minimum du carbone » dans le SEQE-UE.
Axe 3 : Renforcer la compétitivité de l'électricité décarbonée : socle de notre souveraineté énergétique et de notre politique climatique.
Mesure 11 : Associer le Parlement aux travaux stratégiques de l'Exécutif quant aux éventuelles réformes du marché de l'électricité (nouvelle régulation économique du nucléaire existant, programme d'évaluation du coût du nucléaire, « Projet Hercule » au sein du groupe EDF).
Mesure 12 : Prendre en compte les spécificités de l'année 2020 dans le calcul du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) applicable aux entreprises électro-intensives.
Mesure 13 : Envisager l'institution d'une exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) sur les capacités de stockage de l'électricité (batteries, STEP, électrolyseurs...).
Axe 4 : Massifier les opérations de rénovation énergétique : clef de voûte de toute « relance verte ».
Mesure 14 : Charger le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), en lien avec les fédérations professionnelles, de l'actualisation du guide de préconisations de sécurité sanitaire, tout au long de la sortie de crise.
Mesure 15 : Instituer une déduction fiscale visant à prendre en charge les surcoûts liés à la mise en oeuvre de ces préconisations sanitaires par les entreprises.
Mesure 16 : Prolonger et étendre l'accès pour les opérateurs de la rénovation énergétique au fonds de soutien à destination des entreprises, à l'image du secteur du tourisme notamment.
Mesure 17 : Appliquer un « moratoire » sur les nouvelles normes pour accompagner la reprise, en reportant effectivement l'entrée en vigueur de la réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE).
Mesure 18 : Maintenir le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) après le 31 décembre 2020.
Mesure 19 : Élargir les conditions d'éligibilité au CITE (réintégration des ménages des déciles 9 et 10 pour les travaux de rénovation globale, rehaussement de la prise en charge du bois, de la géothermie, des chaudières très haute performance énergétique hors fioul, de la régulation et de la programmation).
Mesure 20 : Créer une bonification de certificats d'économies d'énergie (C2E) pour les travaux de rénovation globale dans les logements individuels.
Mesure 21 : Expérimenter un fonds d'urgence sur la rénovation énergétique alimenté par les C2E.
Axe 5 : Sécuriser le financement, simplifier le déploiement et relocaliser la chaîne de valeur des énergies renouvelables.
Mesure 22 : Sanctuariser le financement des énergies renouvelables (EnR) en prorogeant le compte d'affectation spéciale Transition énergétique (CAS TE) après le 31 décembre 2020.
Mesure 23 : Rehausser les crédits du Fonds chaleur renouvelable au niveau des 600 M € de besoins estimés dans la précédente PPE.
Mesure 24 : Ajuster le calendrier des appels d'offres, en lien avec les professionnels (reports complémentaires, fractionnements éventuels, sessions additionnelles).
Mesure 25 : Mener à bien les appels à projets en cours (biocarburants, hydrogène, Biomasse, chaleur, industrie, agriculture, tertiaire - BCIAT).
Mesure 26 : Anticiper les dispositifs de soutien envisagés dans le cadre du Plan de relance et du Pacte vert européens en veillant à ce que les entreprises françaises soient pleinement éligibles et disposent, pour les plus petites d'entre elles, d'un appui en ingénierie pour s'en saisir.
Mesure 27 : Accorder des délais supplémentaires pour la mise en service des projets d'EnR.
Mesure 28 : Proroger les autorisations délivrées, au-delà du champ et du délai prévu par l'ordonnance du 25 mars 2020 sur les délais échus.
Mesure 29 : Sensibiliser les services en charge de la coordination de l'instruction des projets d'EnR aux enjeux de la reprise économique, par une circulaire leur demandant d'identifier les projets en souffrance et de faciliter leur mise en oeuvre.
Mesure 30 : Relocaliser la production des EnR, en mettant en place le critère du « bilan carbone » pour les dispositifs publics de soutien attribués par appels d'offres et en envisageant son extension à ceux attribués en guichets ouverts.
Axe 6 : Accompagner les biocarburants dans la crise pétrolière.
Mesure 31 : Consolider le cadre stratégique applicable aux biocarburants, en complétant les objectifs fixés dans la PPE et en renforçant les appels à projets.
Mesure 32 : Engager des chantiers règlementaires, en lien avec les autorités européennes pour :
- prolonger, après le 1 er septembre 2020, la possibilité pour les producteurs de biocarburants de mettre en distribution des gels hydroalcooliques ;
- informer la Commission européenne de l'existence d'une menace résultant de l'évolution des importations en matière de bioéthanol, afin de lui permettre d'établir une surveillance ou de prendre des mesures de sauvegarde ;
- relever le plafond de 7 % de biocarburants conventionnels dans la consommation d'énergie des transports, dans le cadre de la révision en 2026 de la directive du 11 décembre 2018 sur les EnR ;
- faire évoluer l'obligation conditionnant la distribution du carburant B10 à celle du carburant B7.
Mesure 33 : Utiliser à plein le cadre fiscal et budgétaire en faveur des biocarburants :
- alléger au moins temporairement la TICPE applicable aux biocarburants routiers, en particulier aux plus incorporés d'entre eux ;
- instituer un mécanisme de déduction fiscale pour compenser aux compagnies aériennes les surcoûts induits par l'utilisation du biokérozène ;
- envisager l'application d'un tarif réduit de TICPE sur le biogazole incorporé au fioul domestique.
Axe 7 : Exploiter les capacités du biogaz.
Mesure 34 : Permettre l'annualisation de la capacité maximale d'injection (Cmax) applicable aux méthaniseurs, compte tenu des spécificités de l'année 2020.
Mesure 35 : Proroger, au-delà du 31 décembre 2020, l'exonération de TICGN dont bénéficie le biogaz injecté dans les réseaux.
Axe 8 : Révéler le potentiel de l'hydrogène.
Mesure 36 : Renforcer la gouvernance de l'hydrogène, en identifiant un intergroupe dédié au sein des comités stratégiques de filière (CSF) du Conseil national de l'industrie (CNI).
Mesure 37 : Rehausser les appels à manifestation d'intérêt (AMI) à hauteur des 100 M € annuels annoncés par le Gouvernement en 2018.
Axe 9 : Mobiliser la commande publique et la demande privée en faveur des véhicules propres.
Mesure 38 : Renforcer l'obligation d'acquisition de véhicules propres, par l'État et ses établissements, à l'occasion du renouvellement de leurs parcs automobiles.
Mesure 39 : Rehausser le mécanisme de suramortissement dont bénéficient les entreprises pour l'acquisition de véhicules propres.
Mesure 40 : Étendre l'exonération de taxe sur les véhicules de société (TVS) à ceux fonctionnant à l'essence et au bioéthanol ( « FlexFuel » ).
Mesure 41 : Élargir durablement les conditions d'accès des ménages à la prime à la conversion, en revenant sur les restrictions du décret du 16 juillet 2019 sur les véhicules peu polluants.
Mesure 42 : Appliquer au réseau routier un mécanisme de suramortissement sur les infrastructures de recharge en carburants alternatifs similaire à celui existant pour l'avitaillement des navires, et maintenir ce dernier après le 31 décembre 2022.
Mesure 43 : Relever le plafond de prise en charge des systèmes de charge des véhicules électriques pour les logements individuels et collectifs, dans le cadre du CITE.
Axe 10 : Protéger les consommateurs d'énergie du risque accru de précarité énergétique.
Mesure 44 : Charger le médiateur national de l'énergie (MNE) du suivi des difficultés rencontrées par les consommateurs d'énergie dans la crise (opérations de raccordement, démarchage téléphonique, chèque énergie...).
Mesure 45 : Revaloriser le montant du chèque énergie , pour lui permettre de financer effectivement les dépenses de rénovation énergétique auxquelles il donne droit.
Mesures
proposées par la cellule
« Industrie »
Axe 1 : Soutenir l'investissement dans l'outil de production et dans l'innovation.
Mesure 1 : Pérenniser le suramortissement pour la numérisation des PME et TPE industrielles.
Mesure 2 : Instaurer un crédit d'impôt à la modernisation des PME et TPE en difficulté.
Mesure 3 : Restaurer le niveau de la dotation des centres techniques industriels (CTI).
Mesure 4 : Renouveler l'ambition des pôles de compétitivité.
Axe 2 : Renforcer et protéger le capital des entreprises industrielles.
Mesure 5 : Transformer une partie de la dette des entreprises en quasi-fonds propres.
Mesure 6 : Intensifier temporairement le contrôle de l'investissement étranger en France.
Mesure 7 : Renforcer les fonds d'investissement en fonds propres associant public et privé.
Axe 3 : Encourager la réindustrialisation et la relocalisation industrielle.
Mesure 8 : Offrir aux territoires une « boîte à outils » pour encourager la relocalisation.
Mesure 9 : Supprimer au plus vite la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).
Mesure 10 : Promouvoir les projets importants d'intérêt européen commun (PIEEC).
Mesure 11 : Favoriser la commande publique de produits locaux et nationaux.
Axe 4 : Assurer une concurrence mondiale équitable.
Mesure 12 : Promouvoir la réciprocité dans l'accès à la commande publique.
Mesure 13 : Opérer rapidement une réforme de la politique européenne de la concurrence.
Mesure 14 : Muscler la politique commerciale de l'Union européenne.
Mesure 15 : Harmoniser et mieux faire respecter les règles du marché intérieur.
Axe 5 : Poursuivre la transition environnementale de l'industrie française.
Mesure 16 : Inscrire dans le temps les soutiens à la mobilité propre.
Mesure 17 : Instaurer un crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE industrielles.
Mesure 18 : Soutenir la mise en place rapide de la « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne.
Mesures
proposées par la cellule
« Logement, urbanisme et politique
de la ville »
Axe 1 : Construire plus.
Mesure 1 : Redonner au mouvement HLM les moyens d'agir en revenant sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), soit une ponction annuelle de 1,3 milliard d'euros et abaisser la TVA à 5,5 % sur les travaux pour les logements sociaux.
Mesure 2 : Conforter et recentrer Action logement sur sa mission de logement des salariés suivant la politique des partenaires sociaux plutôt que de financer des politiques publiques qu'il n'a pas décidé.
Mesure 3 : Favoriser le retour des investisseurs institutionnels en considérant l'investissement locatif comme un investissement productif économiquement et socialement, garantir un taux de TVA à 5,5 % dans les opérations de transformation en logement, et, éventuellement, en contraignant les assurances vie à consacrer une partie de leur encours au logement.
Mesure 4 : Simplifier en convoquant dès l'été un « Ségur de la simplification du droit de l'urbanisme » pour se donner un cadre juridique consensuel et sécurisé plus agile pour relancer la construction.
Axe 2 : Construire mieux.
Mesure 5 : Promouvoir la rénovation énergétique en incitant les Français aisés à rénover les logements dont ils sont occupants ou bailleurs en élargissant les publics et les travaux éligibles au CITE et à « Ma Prime Rénov' ».
Mesure 6 : Soutenir des solutions innovantes comme le développement des « energy service company » (ESCO) pour le portage des opérations de rénovation.
Mesure 7 : Faire accepter la ville dense de qualité, vecteur de proximité.
Axe 3 : Sécuriser l'accès au logement.
Mesure 8 : Amplifier la politique du « Logement d'abord » en développant le logement accompagné, le travail social, des solutions sanitaires stables à partir des centres d'hébergement de crise et la pérennité des équipes mobilises médico-sociales qui ont fait leurs preuves.
Mesure 9 : Accélérer la rénovation des foyers et des hébergements collectifs d'urgence.
Mesure 10 : Prévenir les impayés de loyer en mettant en place un outil et des fonds comme une aide à la quittance d'urgence demandée par la Fondation Abbé Pierre et revaloriser les aides personnalisées au logement (APL).
Mesure 11 : Soutenir l'accession à la propriété en relançant l'APL-Accession en métropole, le prêt à taux zéro, le développement des offices fonciers solidaires et la généralisation des « chartes promoteurs ».
Axe 4 : Relancer la politique de la ville.
Mesure 12 : Relancer l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et accélérer la mise en oeuvre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), notamment sur tous les chantiers de réhabilitation qui peuvent être opérationnels de suite (logements, écoles, collèges, locaux d'animation...) avec des clauses d'insertion bénéficiant aux jeunes de ces quartiers. Un plan de relance partenarial devrait être impulsé dès cet été.
Mesure 13 : Retrouver l'ambition d'une politique de société en plaçant l'école au coeur de la politique de la ville avec le soutien de l'État aux maires pour la prise en charge des enfants, et en mobilisant les jeunes adultes pour être les tuteurs des décrocheurs en matière d'enseignement à distance et de remise à niveau scolaire. Un plan de l'ordre de 20 000 à 30 000 postes serait nécessaire.
Mesures
proposées par la cellule
« Numérique,
télécoms et postes »
Axe 1 : Réseaux.
Résilience des réseaux :
Mesure 1 : Élaborer un plan de résilience des réseaux.
Mesure 2 : Élaborer un cadre réglementaire contraignant les plateformes dites « OTT » à limiter la « bande passante » en cas d'absolue nécessité.
Soutien à la filière industrielle du déploiement des réseaux :
Mesure 3 : Mettre en place une avance de trésorerie des crédits disponibles du fonds pour la société numérique (FSN), à titre exceptionnel et là où cela pourrait venir en soutien à des entreprises en difficulté. Accompagner cette mesure d'une instruction aux comptables publics locaux afin d'éviter des blocages dans sa mise en oeuvre administrative.
Accélération du déploiement des réseaux :
Mesure 4 : Traiter les retards pris pendant la crise au cas par cas.
Mesure 5 : Fixer - enfin ! - des objectifs ambitieux d'ici à 2025 dans le cadre d'une loi de programmation des infrastructures numériques.
Mesure 6 : Prévoir les moyens financiers étatiques pour atteindre la société du gigabit : 680 millions d'euros pour abonder le plan France très haut débit.
Axe 2 : usages
Citoyens : renforcer dès maintenant l'ambition et les moyens du plan pour l'inclusion numérique, à travers deux axes :
Mesure 7 : L'aide au financement du premier équipement numérique.
Mesure 8 : L'amplification des efforts en matière de formation aux usages, autour des maisons « France Services ».
Entreprises
Mesure 9 : Créer un crédit d'impôt à la numérisation des TPE et des PME.
Mesure 10 : Muscler les dispositifs de soutien à la numérisation des entreprises industrielles : reprise des prêts French Fab de Bpifrance ; soutien à l'émergence de consortia de développement de fermes d'impression 3D ;
Mesure 11 : Élaborer une véritable politique de la donnée en France, qui soutiendrait le partage de données entre acteurs économiques.
Mesure 12 : Soutenir financièrement le développement de plateformes d'expérimentation de la 5G pour les entreprises.
Mesure 13 : Mettre en place une conditionnalité numérique des aides octroyées aux entreprises dans le cadre de la crise.
Collectivités territoriales
Mesure 14 : Intégrer au FCTVA un dispositif incitatif d'investissement dans les technologies numériques.
Mesure 15 : La Banque des territoires pourrait développer son offre d'ingénierie pour accompagner les collectivités dans la transition numérique, en particulier en matière de cybersécurité.
Axe 3 : produits et services numériques
Poursuivre les efforts financiers et la structuration des acteurs des technologies numériques clés (IA, blockchain, quantique, cybersécurité...) :
Mesure 16 : Mise en place d'un fonds dédié à la consolidation des acteurs.
Mesure 17 : Élaboration de plans de résilience dans les domaines de la santé, de la mobilité, de l'énergie et de la cybersécurité pour susciter un effet d'entraînement.
S'assurer de notre autonomie stratégique sur des produits et services numériques critiques.
Poursuivre les efforts en faveur de l'émergence de champions numériques :
Mesure 18 : Renforcer le soutien aux entrepreneurs : amplifier le statut de jeune entreprise innovante ; utiliser le levier de la commande publique pour soutenir les start ups.
Mesure 19 : Renforcer le soutien aux investisseurs : relancer et amplifier l'IR PME ; lancer rapidement le fonds d'investissement dans les start-ups en cours d'élaboration par Bpifrance ; orienter les fonds du Fonds européen d'investissement vers la France.
Mesure 20 : Sanctuariser les aides à l'innovation.
Mesure 21 : Former massivement au numérique pour faire émerger les talents, en renforçant le volet numérique du Plan d'Investissement dans les Compétences.
Renforcer la confiance dans les solutions numériques
Mesure 22 : S'appuyer sur le comité de dialogue relatif aux niveaux d'exposition du public aux ondes hébergé par l'Agence nationale des fréquences pour objectiver le débat sur le volet sanitaire de la 5G.
Mesure 23 : Promouvoir le développement de solutions informatiques sécurisées et suscitant la confiance des utilisateurs, en s'appuyant sur la certification (Anssi, Cnil).
Mesure 24 : Adapter notre droit aux lois extraterritoriales facilitant le pillage des données stratégiques.
Axe 4 : régulation
Mesure 25 : Introduire la neutralité des terminaux dans notre droit.
Mesure 26 : Engager une réflexion sur un meilleur encadrement du e-commerce pour aller au-delà du règlement « platform-to-business ».
Mesure 27 : Promouvoir et accompagner la mise en place de plateformes locales référençant et favorisant les achats en ligne auprès de commerçants de proximité.
Mesure 28 : Appeler les Gafam à davantage de solidarité avec leurs partenaires nationaux et finaliser rapidement le projet d'une meilleure taxation des géants du numérique dans le cadre de l'OCDE.
Mesures
proposées par la cellule
« PME, commerce et
artisanat »
Axe 1 : Assouplir les critères d'éligibilité du Fonds de solidarité avec effet rétroactif au 1 er mars.
Mesure 1 : Ouvrir le Fonds aux entreprises de plus de 20 salariés, réalisant jusqu'à 2 millions d'euros de chiffre d'affaires et 100 000 euros de bénéfice imposable.
Mesure 2 : Supprimer l'obligation d'employer au moins un salarié ou de s'être vu refuser l'octroi d'un PGE pour bénéficier du « 2 è étage » du Fonds (afin, notamment, de faciliter le règlement des loyers commerciaux pour les entreprises en difficultés).
Axe 2 : Faire bénéficier l'ensemble des petites entreprises en forte difficulté de la prolongation et de l'élargissement des aides prévues.
Mesure 3 : Maintenir le Fonds de solidarité jusqu'au 31 décembre pour toutes celles éligibles enregistrant toujours plus de 50 % de baisse du CA (et non uniquement pour celles des secteurs interdits d'accueil du public).
Mesure 4 : Inclure dans les aides spécifiques annoncées aux secteurs interdits d'accueil du public les entreprises « en amont » dont plus de 40 % de l'activité dépend de ces secteurs.
Mesure 5 : Instaurer une baisse du taux de TVA, par exemple à 5,5 %, pour les secteurs les plus touchés (commerce de détail, hôtellerie, restauration, évènementiel, etc.) : cette baisse pourrait se traduire à la fois par une baisse des prix (améliorant le pouvoir d'achat des consommateurs) et par une hausse des marges des entreprises de ces secteurs.
Mesure 6 : Prolonger jusqu'au 31 décembre l'activité partielle pour les PME continuant d'enregistrer de lourdes pertes d'exploitation (baisse d'au moins 50 % de l'activité).
Mesure 7 : Renforcer la concertation avec les instances existantes compétentes en matière de définition des priorités stratégiques pour le commerce : accélérer et médiatiser les travaux de la Commission de concertation du commerce (3C), instance consultative regroupant l'ensemble des parties prenantes. Une telle Commission, inédite dans son format, permet en effet d'élaborer des constats partagés et de proposer des mesures concrètes afin de développer la compétitivité et l'innovation de ce secteur.
Mesure 8 : Renforcer les fonds propres des TPE-PME via des prêts participatifs ou des obligations convertibles , en lien avec les régions, afin d'assurer leur développement et leur capacité d'investissement. Les modalités d'attribution de ces prêts devraient être centrées sur le niveau des difficultés rencontrées par les PME candidates (niveau d'endettement, évolution des fonds propres sur les cinq dernières années, pertes d'exploitation persistantes à la suite du déconfinement, etc.). Les modalités de remboursement de ces prêts devraient prévoir un décalage des premières annuités afin de privilégier la restauration de la trésorerie des PME. Afin d'éviter un centralisme contre-productif et d'assurer la rapidité de mise en oeuvre du dispositif, ce dernier s'appuierait sur les régions et la Banque des territoires, plus proches des réalités de l'économie locale.
Axe 3 : Relancer le commerce de proximité en garantissant sa promotion, son financement et sa prise en compte dans les projets d'implantation commerciale.
Mesure 9 : Maintenir le Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) et renforcer ses moyens, mieux associer les élus locaux à ses décisions et lui permettre de cofinancer des actions locales de communication et de promotion du commerce de proximité.
Mesure 10 : Engager un plan de communication nationale afin de sensibiliser les consommateurs à l'importance du commerce de proximité.
Mesure 11 : Dans le cas de projets d'implantation commerciale soumis à autorisation, prévoir l'audition par les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) des associations de commerçants et des managers des centres-villes concernés.
Axe 4 : Favoriser l'appropriation des outils numériques par les PME, soutenir la formation des dirigeants et salariés et inciter les commerçants à améliorer leur visibilité sur internet.
Mesure 12 : Mettre en place un « crédit d'impôt à la numérisation des PME » à destination des chefs d'entreprise et des salariés, prenant en charge notamment une partie des dépenses de formation, d'équipement, de création de site internet, de services annexes (comme en matière de cyber sécurité), et articulé avec la pérennisation du suramortissement pour la numérisation des PME industrielles proposé par les pilotes de la cellule « Industrie ».
Mesure 13 : Généraliser le déploiement à l'échelle nationale d'une plateforme numérique (de type « Achatville », mise en place par les CCI dans 29 départements) permettant le référencement des commerçants et artisans qui le souhaitent, la publicité de leur catalogue de produits et services et de procéder à des ventes en ligne.
Mesure 14 : Financer via Bpifrance, à destination des employeurs, des autodiagnostics sur le degré de numérisation de l'entreprise et, pour les dirigeants d'entreprise comme pour les salariés, des formations en ligne leur permettant de mieux appréhender le fonctionnement du référencement sur internet, leurs droits et devoirs à l'égard des plateformes de commerce électronique, les modalités logistiques de la vente en ligne.
Axe 5 : Soutenir l'embauche d'apprentis par les entreprises en complétant l'aide à l'embauche annoncée par le Gouvernement le 4 juin.
Mesure 15 : Augmenter le montant de l'aide accordée aux entreprises embauchant un apprenti mineur (aujourd'hui fixée à 5 000 €, contre 8 000 € pour un majeur), afin que le coût soit réellement nul durant la première année.
Mesure 16 : Octroyer cette aide quel que soit le niveau de diplôme préparé et ne pas la limiter aux formations jusqu'au niveau « licence pro », afin de ne pas introduire de rupture d'égalité entre les apprentis.
Axe 6 : Recenser les besoins des branches professionnelles « en tension » et communiquer massivement sur ces métiers.
Mesure 17 : En coopération avec les régions et les branches professionnelles, déployer une campagne de communication nationale de promotion de ces métiers et d'information sur les dispositifs en matière d'apprentissage (élaborée par l'État, les opérateurs de compétences, les régions, les réseaux consulaires et les branches professionnelles).
Mesures
proposées par la cellule
« Tourisme »
Axe 1 : Soutien à l'offre
Soutenir les entreprises de l'écosystème touristique :
À court terme :
Renforcer les mesures déjà annoncées :
Mesure 1 : Préciser le périmètre de chaque mesure du « plan tourisme », en y faisant figurer de nombreux professionnels dont le chiffre d'affaires est en grande partie lié aux activités touristiques.
Mesure 2 : Les exonérations de cotisations sociales devront s'appliquer au-delà de juin. En contrepartie, serait appliquée une clause de retour à meilleure fortune, permettant à l'État de recouvrer ces montants si l'activité de l'entreprise revient à son niveau initial. Une cellule de gestion des plans d'étalement du paiement des prélèvements obligatoires devrait également être mise en place, afin que soient prises en compte les dettes antérieures (notamment issues des mesures de compensation des effets de la crise des « gilets jaunes ») envers les Urssaf et l'administration fiscale.
Mesure 3 : L'éligibilité au fonds de solidarité pourrait être encore assouplie, en faisant passer le seuil de bénéfice imposable de 60 000 à 100 000 euros.
Mesure 4 : Le chômage partiel pourrait être élargi pour les professionnels dont les effectifs n'ont été mobilisés que pour gérer les pertes, comme les voyagistes.
Mesure 5 : Les reports d'échéances bancaires pourraient être étendus à dix-huit mois pour certains professionnels, en particulier pour les hébergements de plein air, qui n'auront pas de nouvelles rentrées de trésorerie avant la fin du printemps 2021.
Mesure 6 : Sur le terrain, de trop nombreuses PME rencontrent encore des difficultés à accéder au prêt garanti par l'État (PGE) : il convient donc de s'assurer de l'accès des PME au PGE, et d'accélérer la mise en place du « PGE saison » annoncé dans le « plan tourisme ».
Mesure 7 : La contribution des assureurs aux pertes d'exploitation pourrait encore être élargie, sur le modèle de l'accord trouvé en Bavière.
Compléter le plan par de nouvelles mesures :
Mesure 8 : Un crédit d'impôt sur les loyers des baux commerciaux pourrait être instauré, sur le modèle italien.
Mesure 9 : Les ETI étant exclues de nombreux dispositifs du plan sans véritable logique économique, une attention particulière devra leur être apportée.
Mesure 10 : Dédier une part des fonds dégagés dans le cadre du « plan tourisme » à l'aide à la mise en conformité avec les exigences sanitaires.
Mesure 11 : Les grandes plateformes en ligne devraient être appelées à témoigner de leur solidarité envers leurs partenaires les plus fragiles : diminution des commissions des OTA, facilités de trésorerie pour les campagnes de publicité chez Google et Facebook.
À moyen-long terme :
Mesure 12 : Ne lever les mesures de soutien à la trésorerie que de façon progressive afin d'éviter que les professionnels ne se retrouvent face à un « mur » ; en particulier, maintenir le chômage partiel jusqu'en 2022 contre un engagement à ne procéder à aucun licenciement.
Mesure 13 : Afin de permettre aux acteurs de « gommer la crise » et ainsi continuer à investir, mettre en place un PGE à long terme (15 à 25 ans).
Soutenir, en urgence, les saisonniers et l'emploi :
Mesure 14 : Les droits au chômage des saisonniers pourraient être élargis afin de faciliter leur embauche pour la saison estivale. À défaut, une aide financière, sur le modèle italien, devrait être envisagée.
Mesure 15 : Pour favoriser les embauches, reporter l'application de la taxe forfaitaire de dix euros pour chaque contrat à durée déterminée dit d'usage.
Soutenir les collectivités territoriales et les entreprises publiques locales touristiques en difficulté :
Mesure 16 : Compenser les baisses de recettes affectant les communes touristiques, en particulier celles issues de la taxe de séjour (qu'elle soit au forfait ou au réel).
Mesure 17 : Inclure les entreprises publiques locales dans le plan « tourisme » et leur permettre de bénéficier pleinement du chômage partiel.
Axe 2 : soutien à la demande
Mesure 18 : Diminuer temporairement la TVA applicable aux prestations touristiques.
Mesure 19 : Renforcer le dispositif d'aide au départ en vacances annoncé par le Gouvernement, en la faisant passer jusqu'à 500 euros.
Mesure 20 : Afin de renforcer le recours aux chèques-vacances, unifier les régimes d'exonération de cotisations applicables aux chèques-vacances.
Mesure 21 : Amplifier les mesures dérogatoires de recours aux titres-restaurants.
Mesure 22 : Diminuer exceptionnellement les tarifs autoroutiers cet été.
Mesure 23 : Mieux réguler les avoirs émis par les compagnies aériennes en vue de restaurer la confiance des consommateurs.
Mesure 24 : Accueillir la demande internationale en ouvrant l'intérieur de l'espace Schengen de façon coordonnée à la mi-juin.
Axe 3 : soutien aux mutations du tourisme
Dans le cadre des aides à l'investissement attribuées par la Caisse des dépôts et BPIfrance, privilégier les projets intégrant des dimensions de transition numérique et environnementale, dans une logique d'éco-conditionnalité et de conditionnalité numérique, et participer à la constitution de « champions ».
Faire de la France une destination durable :
Mesure 25 : Définir une stratégie nationale pour un tourisme durable.
Mesure 26 : Réaliser une estimation des émissions de gaz à effets de serre par le secteur touristique en France.
Mesure 27 : Inciter à des investissements massifs dans deux principaux postes : l'innovation technologique visant à « verdir » les transports et la rénovation énergétique des bâtiments et infrastructures touristiques.
Mesure 28 : Renforcer la visibilité des écolabels existants et promouvoir l'information du client sur le bilan carbone des voyages commercialisés.
Investir pour mieux répartir les flux touristiques sur notre territoire, en utilisant les leviers des CPER et des contrats de destination.
Investir pour que le tourisme français prenne le virage numérique :
Mesure 29 : Mettre en place un grand plan de formation des professionnels du tourisme au numérique.
Mesure 30 : Améliorer la connaissance de l'offre touristique grâce au numérique.
Mesure 31 : Faire de la Caisse des dépôts et de ses filiales l'agence du soutien à l'innovation touristique, sur le modèle espagnol.
Mesure 32 : Mieux réguler le numérique touristique afin de permettre l'émergence d'acteurs français.
Mesure 33 : Afin de faciliter la mise en oeuvre de la détaxe pour les touristes internationaux non communautaires, s'engager dans sa numérisation.
Investir dans le capital humain par la formation et la revalorisation des métiers du tourisme :
Mesure 34 : Lancer des plans de formation thématiques, comme le numérique, la qualité de service, le tourisme durable ou, à court terme, les normes sanitaires.
Mesure 35 : Lancer une réflexion sur la revalorisation des métiers du tourisme et le statut du saisonnier.
Poursuivre la démarche d'amélioration de la qualité touristique : créer un institut de la qualité touristique, sur le modèle espagnol.
Politique du tourisme : changer de modèle :
Mesure 36 : Nommer un ministre du tourisme de plein exercice, qui s'appuierait sur une administration centrale dédiée.
Mesure 37 : Mettre au premier plan l'indicateur des recettes touristiques issues du tourisme international pour orienter la politique du tourisme au niveau national.
Mesure 38 : De même que pour les touristes internationaux, définir des objectifs chiffrés concernant le développement du tourisme domestique.
* 1 Plus précisément, 45 % en comptant les échanges intra-communautaires et 15 % pour les seuls échanges entre l'Union et les pays tiers.
* 2 Réseau de transport d'électricité (RTE) France, Gaz réseau distribution France (GrDF), Gaz réseau de transport (GRT Gaz), Union française des industries pétrolières (UFIP).
* 3 Indices SPOT, NYMEX et BRENT au 28 mai 2020.
* 4 Haut Conseil pour le climat (HCC).
* 5 Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE).
* 6 Agence internationale de l'énergie (AIE).
* 7 Haut Conseil pour le climat (HCC).
* 8 Rapport n° 406 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 avril 2020.
* 9 Conseil des prélèvements obligatoires (CPO).