N° 529
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juin 2020 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur l'enquête de la Cour des comptes sur l'agence nationale pour la rénovation urbaine et la mise en oeuvre des programmes de renouvellement urbain (ANRU et NPNRU),
Par M. Philippe DALLIER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Jean Bizet, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel . |
OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
Madame, Monsieur,
« La politique de la ville coûte cher », « on met des milliards dans les quartiers et cela ne sert à rien »... Les clichés sont nombreux sur la politique de la ville, alors qu'il suffit de se rendre dans les territoires concernés pour constater la transformation de nombreux quartiers - avec des effets certes insuffisants en termes de réduction des écarts avec le reste de l'agglomération - qui s'est produite sous l'impulsion du programme national de rénovation urbaine, qui est la composante la plus visible de la politique de la ville.
Des centaines de projets ont en effet été conduits par de multiples maîtres d'ouvrage, à commencer par les collectivités territoriales. Si cette politique a été financée par les acteurs du secteur du logement, les collectivités et dans une certaine mesure par l'État, elle s'incarne tout particulièrement, depuis la loi Borloo de 2003, dans un établissement d'un genre nouveau, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) qui a joué un rôle moteur décisif.
Dans ces débats, compte tenu de l'importance des montants consacrés - plus de 46 milliards d'euros d'investissement, dont plus de 11 milliards d'euros versés par l'ANRU -, il est important de disposer d'informations détaillées, chiffrées et contextualisées. C'est pourquoi la commission des finances du Sénat, qui assure un suivi régulier de la politique de rénovation urbaine depuis ses origines, a demandé, le 11 décembre 2018, à la Cour des comptes, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, la réalisation d'une enquête sur l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et la mise en oeuvre des programmes de renouvellement urbain .
Cette enquête prend la suite d'une enquête similaire réalisée par la Cour en 2014, déjà à la demande de la commission des finances, qui avait donné lieu à un rapport de notre ancien collègue Jacques Chiron 1 ( * ) . Alors que le rapport de 2014 dressait un état des lieux de l'ANRU et de la rénovation urbaine au moment du lancement du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), le présent rapport apporte un éclairage nécessaire sur la gestion du programme national de renouvellement urbain (PNRU) mais aussi sur les retards du démarrage du NPNRU.
Une audition « pour suite à donner », organisée le 17 juin 2020 devant la commission des finances, a permis à l'ANRU et aux directions de tutelle d'apporter des éléments complémentaires aux interrogations de la commission des finances.
Le rapporteur spécial souligne la grande qualité du rapport remis par la Cour . S'il porte à titre principal sur les années 2014 à 2020, il comprend des éléments qui permettent de porter un regard d'ensemble sur l'action de l'ANRU depuis 2003. Les échanges tenus devant la commission ont permis d'apporter des éléments complémentaires d'autant plus utiles que la crise sanitaire est survenue juste après la finalisation de l'instruction du dossier par la Cour.
Le rapporteur spécial formule donc le souhait que cette enquête contribue à une prise de conscience en faveur de la nécessité de poursuivre et de réussir cette politique de renouvellement urbain.
I. LE PROGRAMME NATIONAL DE RÉNOVATION URBAINE LANCÉ EN 2003 A TRANSFORMÉ LES QUARTIERS
Avec un coût d'environ 45 milliards d'euros, le PNRU est l'un des grands chantiers de notre époque . Il dépasse le coût prévisionnel du Grand Paris Express, même en prenant en compte les surcoûts de ce programme 2 ( * ) , et probablement aussi des travaux de transformation de Paris par Napoléon III et le préfet Haussmann au 19 e siècle 3 ( * ) .
A. LES FINANCEMENTS DE L'ANRU, SANS ÊTRE MAJORITAIRES, ONT JOUÉ UN RÔLE DÉCISIF D'IMPULSION
Si l'ANRU assure une mission essentielle d'impulsion et de suivi , au point que son nom est parfois confondu avec celui du programme national de rénovation urbaine, elle n'apporte directement que moins d'un quart des financements , assurant un effet de levier et d'entraînement sur les autres financeurs, au premier rang desquels se trouvent les bailleurs sociaux.
Répartition des subventions des projets du
PNRU
par financeur
(en milliards d'euros)
Le montant correspondant à l'ANRU comprend la contribution de l'État et d'Action logement notamment et n'intègre pas l'économie prévisionnelle de 600 millions d'euros évaluée par l'Agence.
Source : commission des finances du Sénat, à partir des données du rapport de la Cour des comptes (mises à jour au 31 décembre 2018)
Les collectivités elles-mêmes, toutes catégories confondues, ont apporté près de 10 milliards d'euros, une contribution très supérieure à la part de l'État dans les crédits ANRU. Celui-ci a apporté des crédits cumulés de 846 millions d'euros seulement jusqu'en 2010, auxquels il convient d'ajouter 350 millions d'euros issus du plan de relance de 2009 4 ( * ) .
Le taux auquel l'ANRU subventionne les projets varie fortement selon les situations. Cette variation du taux de subvention a conduit à des interrogations sur la manière dont l'Agence prend en compte les situations locales, voire les éventuelles pressions dont elle aurait pu faire l'objet , pour déterminer l'enveloppe financière accordée à chaque projet.
Interrogé à ce sujet, le directeur général de l'Agence a souligné qu'aucun cadre n'avait été défini lors de la mise en place du PNRU et que la nécessité était apparue de faire varier l'intensité des aides en fonction des difficultés connues par les territoires. Il a considéré que les critères sont transparents dans le cadre du NPNRU avec leur inscription dans le règlement général de l'ANRU.
La modulation des taux de subvention de l'ANRU Le règlement général de l'ANRU en vigueur 5 ( * ) prévoit que la notation repose sur cinq critères pondérés relatifs à la situation fiscale et financière des collectivités : potentiel de ressources (mesuré avec le potentiel financier par habitant), effort fiscal, revenu moyen par habitant, taux d'autofinancement brut et capacité de désendettement 6 ( * ) . Cette notation est effectuée à la fois pour les communes et pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les communes sont ainsi réparties dans six classes en fonction d'un indice synthétique calculé par pondération de ces cinq critères (dont 40 % pour le seul revenu moyen par habitant). Un taux de subvention maximum est défini pour chaque classe. En outre, le comité d'engagement de l'ANRU peut accorder une modulation à la hausse de 15 points du taux de subvention en fonction de la soutenabilité financière de l'investissement pour la collectivité et de la solidarité fiscale et financière à l'échelle intercommunale. Source : commission des finances |
* 1 Jacques Chiron, L'Agence nationale pour la rénovation urbaine : rénover l'ANRU sans la dénaturer , rapport d'information n° 768 (2013-2014), fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 juillet 2014.
* 2 Une réévaluation intervenue à l'automne 2017 a porté le coût prévisionnel du Grand Paris Express à 35 milliards d'euros, contre 21 milliards d'euros au moment des débats sur la loi relative au Grand Paris.
* 3 Le coût des travaux d'Haussmann, rapporté au prix de l'or, représenterait au moins 25 milliards d'euros aujourd'hui (Bernard Marchand, Le financement des travaux d'Haussmann : un exemple pour les pays émergents ? , 2011. halshs-00583457).
* 4 L'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), rapport de la Cour des comptes commandé par la commission des finances du Sénat, juin 2014, p. 83.
* 5 Arrêté du 4 juillet 2018 portant approbation du règlement général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine relatif au nouveau programme national de renouvellement urbain.
* 6 Ces critères sont définis dans le règlement général de l'ANRU ( Arrêté du 4 juillet 2018 portant approbation du règlement général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine relatif au nouveau programme national de renouvellement urbain) et détaillés dans l'annexe n° 9 au rapport de la Cour, p. 199 et suivantes.