B. LOI N° 2019-775 DU 24 JUILLET 2019 TENDANT À CRÉER UN DROIT VOISIN AU PROFIT DES AGENCES DE PRESSE ET DES ÉDITEURS DE PRESSE
Issue d'une proposition de loi sénatoriale présentée par M. David Assouline et plusieurs de ses collègues, cette loi vise à protéger les agences et les éditeurs de presse dont les contenus sont reproduits et diffusés comme libres de droits par les « services de communication au public en ligne », soit les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Pour cela, elle fixe à deux ans la durée des droits patrimoniaux détenus par les éditeurs et les agences de presse sur leurs productions au titre des droits voisins.
Examinée parallèlement à l'adoption par l'Union européenne de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, cette loi a permis à la France de devenir le premier État de l'Union européenne à transposer dans son droit national les nouvelles dispositions législatives européennes relatives aux agences et éditeurs de presse figurant à l'article 15 de la directive.
La loi permet ainsi de doter les éditeurs et les agences de presse de la capacité juridique et des moyens de négocier avec les plateformes en ligne pour faire valoir leurs droits. Par ailleurs, elle prévoit expressément que les journalistes et les photographes, à l'origine de la création de valeur, bénéficieront d'une part « appropriée et équitable » des revenus générés par les droits voisins. Le montant doit en être déterminé dans le cadre d'accords d'entreprise ou d'accords collectifs.
C'est sur ce dernier aspect que porte l'unique mesure réglementaire attendue pour l'application complète de cette loi. L'article 4 prévoit qu'un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du nouvel article L. 218-5 du code de la propriété intellectuelle qui pose le principe de de la répartition de la rémunération retirée des droits voisins entre journalistes et éditeurs . Il précise notamment qu'en cas d'absence d'accords d'entreprise ou d'accords collectifs dans un délai de six mois après la publication de la loi , les modalités de rémunération seront arrêtées par une commission présidée par un représentant de l'État (nommé parmi les membres de la Cour de cassation, du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, par arrêté du ministre chargé de la communication) et composée, à parts égales, de représentants des éditeurs et agences de presse et de représentants des journalistes et autres auteurs. Cette commission dispose d'un délai de quatre mois à compter de sa saisine pour rendre sa décision.
Au 31 mars 2020, ce décret n'était toujours pas paru , alors même que le délai de six mois devant permettre aux journalistes et éditeurs de trouver un accord sur la répartition de la rémunération due au titre des droits voisins a expiré le 24 janvier 2020. À cette date, ladite commission aurait pu être saisie.
Le ministère de la culture n'a pas fourni d'explications à ce sujet mais le contexte lié à la volonté de contournement de la loi affichée dès septembre 2019 par les plateformes, au premier chef Google et Facebook, en apporte probablement une.
Le 25 septembre 2019, la société Google a en effet annoncé qu'elle entendait se placer en marge du système et ne pas entrer en négociations avec les éditeurs. Elle a proposé à ces derniers deux choix : ou bien accepter de renoncer au paiement de droits voisins, et continuer de bénéficier d'une exposition optimale sur le moteur de recherche, ou bien refuser, et dans ce cas, être « dégradé » sous forme d'un simple titre et d'un lien.
Face à cette alternative, de nombreux éditeurs ont autorisé Google à poursuivre l'exploitation de leurs contenus, tout en faisant savoir qu'ils « ne renonçaient en rien » à leur droit voisin.
C'est dans ce contexte que l'Alliance de la presse d'information générale (APIG) a déposé plainte le 24 octobre 2019 auprès de l'Autorité de la concurrence pour dénoncer un abus de position dominante du leader mondial de la recherche en ligne.
Suite à cette saisine, l'Autorité de la concurrence a rendu une décision importante le 9 avril 2020. Elle a ainsi estimé que les pratiques de Google à l'occasion de l'entrée en vigueur de la loi sur les droits voisins étaient susceptibles de constituer un abus de position dominante, et portaient une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse. Elle enjoint par ailleurs à Google, dans un délai de trois mois, de conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse sur la rémunération de la reprise de leurs contenus protégés. Cette négociation devra couvrir, de façon rétroactive, les droits dûs à compter de l'entrée en vigueur de la loi le 24 octobre 2019.
Des résultats de cette négociation dépendra la pleine applicabilité de la loi n° 2019-775.