B. L'OBSERVATION SPATIALE AU SERVICE D'INTÉRÊTS STRATÉGIQUES

L'observation de l'espace sert de multiples finalités à commencer par la connaissance de l'état de l'espace où les débris sont de plus en plus nombreux. La collecte de renseignements depuis l'espace est également stratégique en appui des opérations militaires au sol tandis que l'espace devient à son tour le théâtre de manoeuvres d'espionnage.

1. La connaissance de l'état de l'espace

D'ici une dizaine d'années, le nombre de satellites qui graviteront autour de la Terre devrait pratiquement quintupler, passant de 1 500 aujourd'hui à près de 7 000, avec la mise en orbite de plus en plus fréquente de constellations de nano-satellites.

La fonction « connaissance de l'espace » répond à trois besoins distincts :

- l'évaluation des menaces que des systèmes spatiaux adverses peuvent faire peser sur nos satellites, sur notre territoire ou sur nos forces déployées ;

- la prévention des risques de collision dans l'espace ;

- la coordination avec les autres acteurs de l'espace, notamment en matière de brouillage involontaire.

Il existe aujourd'hui un très grand nombre de débris spatiaux. Selon le CNES, on estime à 23 000 le nombre d'objets suivis dont la taille est supérieure à 10 cm. Seulement 5 % de ces débris sont actifs et la plupart se situent en orbite basse.

Mais si l'on considère les débris de plus petite taille, les chiffres sont nettement plus importants : il y aurait au-dessus de nos têtes 35 000 objets compris entre 1 et 10 cm et environ 35 millions de débris intérieurs à 1 cm.

Le trafic spatial est surveillé depuis la base aérienne 942 de Lyon Mont-Verdun, où se trouve le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos). Ce centre contrôle près de 4 000 objets par jour, toutes altitudes confondues. 85 % sont des débris, des pièces de fusées ou des satellites en fin de vie, susceptibles de détruire un satellite en cas de collision.

Dans l'espace, chaque collision d'objets peut déclencher une cascade d'accidents ; c'est ce qu'on appelle le « syndrome de Kessler », du nom du scientifique américain Don Kessler qui a montré, à la fin des années 1970 qu'il pouvait exister un phénomène de collisions en chaîne entre objets spatiaux, chaque collision créant des débris susceptibles d'aller détruire d'autres objets en orbite, provoquant l'apparition de nouveaux débris, etc.

Le risque de collision pourrait également être renforcé par l'effet du réchauffement climatique. En effet, quand l'atmosphère se réchauffe, la densité de ses couches supérieures diminue. À 300 kilomètres d'altitude, elle s'amenuise d'environ 5 % chaque décennie, estiment des scientifiques de l'université de Southampton, Hugh Lewis et Graham Swinerd. Moins freinés, les satellites mais aussi les débris orbitaux sont donc susceptibles de rester plus longtemps en orbite.

Deux problématiques principales sont associées à l'évolution de la pollution spatiale, très différentes l'une de l'autre. Il s'agit, d'une part, des rentrées aléatoires dans l'atmosphère et, d'autre part, des risques de collision pour les satellites actifs et les vols habités.

Ce ne sont pas là des risques théoriques puisque, par exemple, un satellite de la constellation SpaceX a contraint le 2 septembre 2019 un satellite de l'Agence spatiale européenne (ESA) à changer légèrement de trajectoire pour réduire le risque de collision. L'évitement fait en effet partie des moyens mis en oeuvre pour éviter une collision.

Dans ce contexte, pouvoir disposer d'une cartographie exhaustive de l'espace est essentiel pour prévenir les risques de collision. Les États-Unis fournissent ainsi gratuitement à tous les opérateurs de satellites des alertes en cas de risques de collision. Mais cette dépendance aux États-Unis n'est pas satisfaisante. Le monde entier dépend en effet des données transmises par les Américains à travers le catalogue des objets spatiaux qu'ils mettent à disposition, avec pour chacun d'entre eux des données orbitographiques plus ou moins précises. Ces informations nous sont indispensables dès lors que nous ne suivons, avec nos seuls moyens propres, environ dix fois moins d'objets en orbite que les États-Unis.

2. L'appui aux opérations militaires

Pendant la première guerre du Golfe (1990-1991), 98 % du renseignement image était fourni par les États-Unis.

La « Stratégie spatiale de défense » présentée en 2019 souligne la fonction stratégique que représente le renseignement d'origine spatiale pour l'appui aux opérations et la nécessité de garantir notre indépendance.

Au sein de la communauté du renseignement, cette fonction incombe à la direction du renseignement militaire (DRM) qui assure le contrôle opérationnel des charges utiles de nos satellites d'observation et d'écoute, hiérarchise les demandes de prises de vues pour assurer la satisfaction des besoins prioritaires des utilisateurs et analyse les images à des fins de renseignement via le Bureau capacité stratégique interarmées (BCSI) de la DRM.

L'appui aux opérations est un domaine d'intérêt vital pour nos armées. La conduite d'opérations militaires de grande envergure ne peut plus se dérouler sans l'apport des satellites, indispensables pour se projeter, connaître son théâtre d'opération, recueillir du renseignement, surveiller et naviguer. Les armées observent et écoutent depuis l'espace. Situé principalement sur la base aérienne 110 de Creil, le Centre militaire d'observation par satellites (CMOS) a ainsi pour mission de garantir l'accès permanent du ministère des Armées à l'imagerie spatiale.

Pour planifier efficacement, il faut disposer d'informations sur des régions dont le libre accès n'est pas garanti tout en préservant une certaine discrétion. Capables de recueillir des données en tout point du globe, sans contraintes juridiques, les capteurs spatiaux permettent d'analyser l'évolution des crises sans dépendre d'un quelconque partenaire étranger. Cette autonomie d'analyse contribue aux prises de décisions qui engagent notre pays.

L'espace participe également à la mise en oeuvre des armements. Le système de navigation par satellites GPS permet la localisation précise des objectifs en mouvement. Le terrain situé dans l'environnement des objectifs fixes est numérisé à partir de prises de vue satellites : ces informations permettent d'assurer le guidage d'armes de précision.

Enfin, nos capacités de surveillance de l'espace contribuent discrètement à la protection des forces engagées en les renseignant notamment sur les moyens satellitaires dont dispose l'adversaire. À terme, la composante spatiale du système d'alerte avancée permettra à nos forces de prendre, si nécessaire, les mesures adaptées face à la menace que représentent les missiles balistiques.

L'espace est devenu aujourd'hui un fournisseur formidable et indispensable de moyens au profit des opérations.

3. L'espionnage et le contre-espionnage

En septembre 2018, dans son discours prononcé au Cnes sur les enjeux de l'espace pour la Défense, Florence Parly, ministre des Armées françaises révélait que le satellite russe Louch-Olymp avait été surpris à proximité immédiate du satellite de télécommunications militaires franco-italien Athena-Fidus, vraisemblablement pour tenter d'en intercepter les communications cryptées.

L'observation des manoeuvres de ce satellite russe à proximité de près d'une dizaine d'autres satellites appartenant à différents pays a mis en évidence la réalité d'une utilisation de l'espace à des fins de renseignement.

Ces manoeuvres d'approche d'un satellite par un autre satellite peuvent servir à recueillir du renseignement (écoutes et prises de vues) ou mener des actions plus offensives et réversibles comme le brouillage ou l'éblouissement, ayant pour effet de neutraliser un satellite. Sur l'arc géostationnaire, de telles opérations sont réalisables sans difficulté excessive et plusieurs pays disposent des capacités et des compétences requises pour les conduire.

Ainsi, cette forme de recueil de renseignement spatial pourrait se développer à travers des cyberattaques susceptibles d'accéder aux données du satellite, voire de rendre inopérants ou brouiller ses capteurs. Le risque n'est donc pas véritablement celui de la destruction d'un satellite, en ce sens où les milliers de débris générés deviendraient également une menace pour la flotte de satellites de l'attaquant.

C'est pourquoi il est essentiel de disposer d'une capacité d'identification et de caractérisation de ces manoeuvres hostiles, ou pour le moins inamicales ; en d'autres termes, il faut pouvoir attribuer les actes hostiles que nous subissons.

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