B. OBSERVATIONS DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE
Durant ces derniers 30 ans après la fin de la « guerre froide » le processus du développement du système politique et économique mondial, malgré les tentatives des pays occidentaux de le rendre unipolaire sous forme de « leadership mondial » des États-Unis et leurs alliés, a pris un caractère de plus en plus multipolaire . De nouveaux acteurs mondiaux importants se renforcent, ils ont une base économique stable et manifestent un souhait légitime de participer d'une manière plus importante à la prise de décisions au niveau mondial, ce qui s'est traduit notamment par la création du G20. Le monde ressent un besoin grandissant d'un système équitable et inclusif. Les récidives néocoloniales d'un cercle restreint de pays souhaitant dicter leurs volontés aux autres, et particulièrement en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, sont rejetées par la majeure partie des membres de la communauté internationale.
Sur fond de récidives coloniales regrettables au XXI e , les bases de nouvelles institutions se forment. Elles ne sont pas fondées sur une logique de blocs héritée de la « guerre froide », mais sur un système multipolaire démocratique attendu par l'humanité, sur les principes de l'égalité, de la justice et de la non-ingérence, que cela plaise ou non à certains leaders occidentaux. Il s'agit des BRICS, de l'Organisation de coopération de Shanghai, de la Communauté économique eurasiatique et d'autres. Le rapprochement et une coopération égalitaire dans le cadre de formats d'intégration et de coopération en Eurasie (« l'intégration d'intégrations », par exemple) pourraient contribuer à la création d'un partenariat eurasiatique général dans l'intérêt des peuples du continent.
La Russie plaide en faveur de la création de mécanismes plurilatéraux, égalitaires et inclusifs pour le maintien de la sécurité et de la stabilité internationales basées sur le principe d'une sécurité égalitaire et indivisible fixé par les documents internationaux majeurs tels que le Helsinki Final Act (1975) de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe (1990) et la Déclaration d'Astana adoptée au Sommet de l'OSCE (2010).
La Charte de Paris pour une nouvelle Europe qui fêtera son dixième anniversaire en novembre 2020, et qui a été signée par les pays occidentaux, l'URSS et les pays de l'ancien « bloc de l'Est », stipule que : « La sécurité est indivisible et la sécurité de chaque État participant est liée de manière indissociable à celle de tous les autres ». Malheureusement, ce principe a été négligé du fait de l'élargissement de l'OTAN, pendant ces dernières années, sans une prise en compte de la sécurité des autres pays, ce que la partie russe a signalé à plusieurs reprises depuis les années 90.
En 2008 la Russie, dans l'optique de la création d'un « Partenariat pour la modernisation » avec les pays de l'UE, a soutenu l'initiative de conclure un Accord général sur la sécurité européenne. Or, cette proposition a été rejetée par les pays occidentaux, car elle remettait en cause la logique du fonctionnement et de l'élargissement de l'OTAN en tant que l'unique organisme de sécurité pour ses membres (pourtant, l'OTAN n'est jamais mentionnée dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe). Le monopole sécuritaire de l'OTAN en Europe occidentale suscite une inquiétude de la Russie, d'autres pays européens et de leurs voisins.
La situation dans le domaine du désarmement et du contrôle des armements est particulièrement inquiétante. La sortie unilatérale de Washington, en 2002, du traité ABM, primordial pour la stabilité stratégique, malgré les protestations judicieuses des leaders de certains pays, y compris le Président de la France Jacques Chirac, a porté un coup de massue à toute la structure de ce domaine. Après la sortie unilatérale des États-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, ce qui a rendu caduc ce dernier, la situation s'est dégradée au risque de sortir du contrôle international efficace.
En même temps, dans les dispositions doctrinales de Washington le « seuil » d'utilisation d'armes nucléaires baisse considérablement. Les États-Unis refusent de ratifier le traité d'interdiction complète des essais nucléaires et continuent à déployer des armes sur le territoire de leurs alliés de l'OTAN, ainsi que la pratique des « missions nucléaires communes ». Des exercices avec des partenaires européens sont même organisés, au cours de ces derniers, l'utilisation d'armes nucléaires est testée contre les positions d'un territoire ennemi fictif situé à l'est de l'UE/OTAN, sous lequel on devine la Russie.
La Russie a exprimé, à plusieurs reprises, des réclamations à l'égard de la partie américaine concernant le respect du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Depuis 1999 la partie russe signalait aux États-Unis qu'ils développent leur potentiel technologique dans le domaine des missiles balistiques à portée intermédiaire terrestres par la voie de sa mise au point à l'aide des « missiles-cibles » qui sont de fait essayés en tant que moyen de transport d'armes conformément au Traité. Le problème de la sortie illégale de la zone du Traité, par la partie américaine, des appareils de frappe sans pilotes de la portée correspondante a été également signalé. Depuis 2014, la Russie signale le non-respect du Traité par un déploiement terrestre, sur les sites de systèmes de défense antimissile américains en Europe, de lance-missile Ìk-41 au sein des ensembles Aegis Ashore, qui permettent l'utilisation de missiles de croisière de moyenne portée Tomahawk, ainsi que d'autres engins d'attaque.
Toutes ces années, les réclamations russes concrètes et fondées ont été négligées par Washington. Or, depuis 2013 les États-Unis ont accusé la Russie de ne pas avoir respecté le Traité en affirmant que le missile russe 9Ì729 aurait une portée de 500-5500 km interdite par le Traité. En même temps, les États-Unis ont refusé de présenter des données concrètes prouvant la portée incriminée, ils ont refusé le dialogue à ce sujet, n'ont pas participé à la démonstration et au briefing sur le missile russe 9Ì729 qui démontraient que le système n'a pas été conçu pour assurer une portée supérieure à 500 km et que techniquement il ne pouvait pas être testé sur ces distances.
Malgré la position sciemment non constructive des États-Unis qui a été malheureusement soutenue par ses alliés européens de l'OTAN, la Russie a fait des efforts importants pour assurer la validité du Traité en tant qu'instrument majeur de la stabilité internationale. Elle a notamment diffusé, au Premier comité de l'Assemblée générale de l'ONU, un projet de résolution pour le soutien du Traité. Néanmoins, ce travail a été bloqué par les États-Unis et leurs alliés. Un document similaire a été porté devant l'Assemblée Générale de l'ONU. Il a été rejeté avec un vote de 43 voix « pour », 46 voix « contre » (y compris tous les pays de l'OTAN) et 78 abstentions.
Dans les conditions de refus, par les États-Unis, d'un dialogue direct avec la Russie sur le Traité, le 18 août 2019, seulement deux semaines après la rupture du Traité, les militaires américains ont procédé aux premiers essais d'un système de missiles interdit par le Traité. Ce fait est venu conforter la certitude de la Russie que les États-Unis étaient intéressés par la rupture du Traité pour pouvoir lever les restrictions concernant les projets d'engins interdits par le Traité et déjà conçus.
Dans ces conditions, le Président de la Russie Vladimir Poutine a envoyé aux leaders de certains pays une lettre datée du 18 septembre 2019 avec un appel direct à prendre des obligations réciproques similaires au moratoire sur le déploiement terrestre des armes à portée intermédiaire déclaré par la Russie. Malheureusement, cette initiative n'a pas été soutenue par les pays de l'OTAN même si la Russie est toujours ouverte aux discussions sur ce sujet.
Moins de cinq ans après sa signature, le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe conclu en 1990, a cessé de répondre aux réalités de l'époque qui a suivi la « guerre froide ». Le pacte de Varsovie et l'URSS n'existaient plus, les forces armées soviétiques/russes ont quitté avant 1994 l'Europe Centrale et l'Europe de l'Est, des pays baltes et des républiques de la CEI. L'OTAN, au contraire, a dépassé suite à son élargissement les limites prévues par le Traité.
Dans ces conditions et à l'initiative de la Russie qui comptait sur la création, après la fin de la « guerre froide », d'un espace de sécurité commun, un Accord sur l'adaptation du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe a été mis en place (signé à Istanbul le 19 novembre 1999). Il prévoyait un passage de la structure de blocs du Traité aux niveaux limitatifs nationaux et territoriaux pour chaque pays membre.
Or, l'Accord sur l'adaptation du Traité signé par trente pays n'a été ratifié que par quatre d'entre eux : la Biélorussie, le Kazakhstan, la Russie et l'Ukraine, et n'est jamais entré en vigueur. Les pays de l'OTAN ont lié la ratification de l'Accord à l'exécution par la Russie des conditions qui n'avaient pas de rapport avec le contrôle des armements, et notamment au retrait des forces armées russes des territoires de la Géorgie et de la Moldavie. La Russie qui a honoré toutes les conditions du Traité a estimé ce lien illégitime. Cette situation qui a bloqué l'avancement dans le domaine du contrôle des armements a obligé la Fédération de Russie à suspendre l'application du Traité en 2007.
Compte tenu des réalités politiques actuelles, la Russie propose de créer un régime de contrôle des armements conventionnels en Europe totalement nouveau qui réponde aux demandes actuelles, qui exclue la possibilité de résoudre les problèmes internationaux par la force et qui soit basé sur les principes de la sécurité égalitaire et indivisible, sur l'équilibre des droits et des obligations des parties. La Russie compte sur la participation de la France et d'autres pays de l'UE/l'OTAN au dialogue à ce sujet.
Concernant les questions liées à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, la partie russe exprime sa préoccupation face à la situation inacceptable sur cet espace international causée par la politisation du « dossier chimique » syrien et par l'attribution, en violation des dispositions de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, à l'OIAC du pouvoir de « déterminer le coupable » dans l'application de ce type d'ADM, qui sont exclusivement liés à la prérogative du Conseil de sécurité de l'ONU. En 2013, dans le cadre de la Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU 1 2118 votée unanimement, les armes chimiques ont été détruites en Syrie sous le contrôle international, ce qui a fait avorter les plans de certains pays occidentaux d'intervenir dans ce pays du Proche Orient. Quand les États-Unis et leurs alliés n'ont pas pu convaincre le Conseil de sécurité de valider les décisions politisées qui accusaient injustement le gouvernement syrien d'avoir utilisé des substances toxiques, ils ont commencé à promouvoir les « règles » qui répondaient à leurs intérêts auprès de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Le 14 avril 2018 l'aviation des États-Unis, de la Grande Bretagne et de la France a procédé à une frappe aérienne dans la République arabe syrienne en la motivant par l'utilisation par l'armée syrienne d'armes chimiques, ce qui n'a pas été prouvé jusqu'à présent. Ils ont réussi, en manipulant les procédures existantes sans respecter la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, à doter (avec les voix de la minorité des pays membres de cette Convention) le Secrétariat technique de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques du pouvoir de déterminer les responsables de l'utilisation d'armes chimiques, ce qui représentait une atteinte directe aux prérogatives du Conseil de sécurité de l'ONU.
Les tentatives de « privatisation » des secrétariats d'organisations internationales pour la promotion d'intérêts propres, au-delà des mécanismes internationaux universels, se manifestent également dans les domaines tels que la non-prolifération biologique, le maintien de la paix, la lutte contre le dopage dans le sport et autres. Nous pensons que la France pourrait contribuer à la lutte contre ces mauvaises pratiques et au retour des pays occidentaux, et tout d'abord des États-Unis, dans la voie d'une coopération constructive avec la communauté internationale dans ces domaines importants.