Rapport d'information n° 484 (2019-2020) de MM. Konstantin KOSSATCHEV, Président du comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie et Christian CAMBON , Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de la République française, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 3 juin 2020

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N°3

CONSEIL
DE LA FÉDÉRATION

ASSEMBLÉE FÉDÉRALE
DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

N° 484

SÉNAT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Adopté le 15 juin 2020 par le comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juin 2020

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

RAPPORT CONJOINT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat (1) de la République Française et du comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération (2) de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie relatif à un agenda de confiance entre la France et la Russie ,

PAR M. Konstantin KOSSATCHEV,
Président du comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie,

PAR M. Christian CAMBON,
Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de la République française,

(1) La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de la République française est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, M. Olivier Cadic, secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Édouard  Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Rachid Temal, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung.

(2) Le comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie est composée de : M. Konstantin Kossatchev, président du Comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération ; MM. Vladimir Dzhabarov et Sergey Kislyak, Premiers vice-présidents du Comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération ; MM. Alexander Babakov, Bair Zhamsuyev, Andrei Klimov, Vladimir Lukin, Farit Mukhametshin, vice-présidents du Comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération ; MM. Alexei Kondratyev, Vladimir Lakunin, Oleg Morozov, Alexei Orlov, Oleg Selezneov, Sergei Tsekov, membres du Comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération .

INTRODUCTION

A. TEXTE DU SÉNAT FRANÇAIS

« Nous sommes en Europe, et la Russie aussi. (...) Il nous faut construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie. »

Discours du Président de la République française aux Ambassadeurs,

août 2019

Ce rapport est le deuxième rapport conjoint que le Sénat français et le Conseil de la Fédération de Russie décident d'écrire ensemble. Alors que nous célébrons le 75 ème anniversaire de la victoire contre le nazisme, c'est évidemment un symbole.

Le premier rapport conjoint 1 ( * ) entre nos deux commissions s'inscrivait dans un contexte très différent . Les relations bilatérales entre la France et la Russie, tout comme celles des autres pays européens, avaient été profondément dégradées du fait de la crise ukrainienne, mais aussi des divergences sur le conflit syrien et des soupçons d'ingérence (manipulations de l'information, cyberattaques) de la Russie dans les processus électoraux de plusieurs pays. De nombreux canaux de discussion avaient été rompus et la communication demeurait difficile, même si la rencontre du Président français et du Président russe à Versailles en mai 2017 laissait entrevoir la possibilité d'une évolution.

Les relations entre les Chambres hautes étaient cependant demeurées denses. Dès février 2015, puis en avril 2016, le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, conscient du caractère stratégique de la relation bilatérale, en dépit des difficultés et des divergences de fond, a effectué un déplacement à Moscou, à l'invitation de la Présidente du Conseil de la Fédération, Mme Valentina Matvienko. Les liens noués entre les deux chambres hautes ont contribué à maintenir la relation franco-russe, y compris lorsque celle-ci était à son étiage.

Lors de la préparation du premier rapport conjoint, fruit de ces contacts, nous avions conscience de nous lancer dans une entreprise délicate à l'issue incertaine, tant nos divergences paraissaient indépassables . S'il ne les a pas fait disparaître, ce premier rapport a été l'occasion de les énoncer, d'exprimer des attentes et de mettre l'accent sur les points de convergences et les pistes de rapprochement. Par les contacts et les échanges intenses qu'elle a nécessités, cette coopération parlementaire a été en elle-même une première étape sur le chemin du rétablissement de la confiance .

Presque deux années plus tard, nous avons souhaité renouveler l'expérience et donner une suite à ce premier rapport. Dans un contexte international encore plus instable, le dialogue est en effet encore plus indispensable.

Le contexte stratégique est en pleine recomposition. L'accentuation du repli stratégique américain appelle un raffermissement de l'autonomie stratégique européenne. Face à un multilatéralisme en panne, les crises ne cessent de s'aggraver et de se multiplier (Syrie, Sahel, Iran, Libye, Venezuela...). La Russie s'implique sur un nombre croissant de théâtres d'opérations, qu'il s'agisse de l'Afrique (à laquelle elle a récemment consacré un sommet à Sotchi), de la Libye, du Moyen-Orient et même de l'Amérique latine, confirmant son statut d'interlocuteur incontournable sur la scène internationale . Le délabrement du régime de maîtrise des armements (fin du traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire [FNI], incertitude concernant l'avenir du traité New Start...) et le renforcement des logiques de puissance donnent, hélas, le signal d'une nouvelle course aux armements , sur le sol même de l'Europe.

Le contexte diplomatique a lui aussi changé puisque le Président de la République française a posé le constat d'une incapacité de nos relations actuelles à faire avancer le règlement des crises et considéré qu'il était vain d'envisager la sécurité du continent européen sans tenir compte de la Russie. D'où la démarche structurée de réengagement du dialogue avec Moscou .

C'est à l'occasion d'une réunion conjointe des ministres des affaires étrangères et des ministres de la défense des deux pays le 9 septembre 2019 (la première réunion en format dit 2+2 à se tenir depuis 2012) qu'a été présentée à la partie russe une proposition « d'agenda de confiance et de sécurité » comportant cinq axes de travail (le développement des coopérations bilatérales existantes dans le domaine de la sécurité et des technologies de souveraineté, la création de mécanismes bilatéraux de dialogue et de transparence sur les enjeux stratégiques et défense, un dialogue sur les instruments et enceintes multilatéraux, le développement de la dimension humaine de notre relation, le renforcement de notre coordination pour la gestion des crises internationales). Chaque partie a nommé un envoyé spécial chargé de coordonner le dialogue qui implique, de part et d'autre, un grand nombre d'interlocuteurs.

Là où le premier rapport parlementaire conjoint avait précédé l'initiative diplomatique française, ce deuxième rapport se donne pour objectif de l'accompagner, au plan parlementaire, et de l'approfondir .

En ce qui concerne la méthode, nous avons repris la même que celle du précédent rapport, qui consiste à mettre en regard, pour les différents thèmes qui structurent notre relation, la vision russe et la vision française, qui sont parfois concordantes, parfois divergentes.

Nous formons le voeu que ce rapport parlementaire, fruit d'une coopération inédite entre nos deux assemblées, contribue à une meilleure compréhension de nos positions respectives et facilite le dialogue engagé au niveau de nos exécutifs comme de nos sociétés civiles .

B. OBSERVATIONS DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

Le Conseil de la Fédération de Russie et le Sénat français constatent que depuis l'établissement du dernier rapport commun en 2018 le contexte international s'est complexifié et en l'état actuel il inspire une inquiétude légitime.

Nous voyons s'écrouler le système des accords dans le domaine de la stabilité stratégique, de la non-prolifération et de la maîtrise des armements, et de la non-dissémination des armes nucléaires. Le seuil d'utilisation d'armes nucléaires baisse, les crises régionales se multiplient, les normes internationales ne sont pas respectées, avec notamment des cas d'ingérences armées dans les affaires de pays souverains, de sanctions illégales et de fortes mesures protectionnistes qui déstabilisent les marchés mondiaux et le système du commerce mondial. Se multiplient des tentatives pour opposer au principe de la primauté du droit international un ordre fondé sur des règles établies par un cercle restreint. Nous constatons une dégradation importante du comportement sur la scène internationale, ainsi qu'une dégradation du cadre de vie de l'être humain. Et sans aucun doute, les conséquences de la révolution technologique et numérique, qui a changé le mode de vie de l'homme et la communication entre les êtres humains et qui est devenue l'un des éléments les plus importants dans le monde actuel, appellent à une réflexion.

C'est pourquoi, la question la plus importante pour la communauté internationale est la suivante : que faire pour que le monde ne s'enlise pas dans une confrontation, mais qu'il prenne la voie du développement durable ? La Russie et la France sont d'accord sur le fait qu'une solution ne peut pas être trouvée sans le respect d'un nombre de conditions de base. Et notamment, la reconnaissance d'un système multipolaire d'ordre mondial fondé sur la primauté absolue du droit international et l'appui d'institutions universelles, de l'ONU en premier lieu, ainsi que la reconnaissance de l'impossibilité de résoudre les problèmes de sécurité internationale et européenne sans une coopération égale et en tenant compte des intérêts communs.

Dans ces conditions compliquées, la Russie et la France, qui ont une responsabilité particulière d'assurer avec les autres pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU la paix et la sécurité internationales, doivent et peuvent jouer un rôle important dans la résolution de la crise qui s'est installée dans les relations entre l'Orient et l'Occident, le Nord et le Sud. Aujourd'hui, plus que jamais, des efforts conjoints sont demandés pour relever les défis mondiaux. Notre intérêt commun est de créer un espace commun dans les domaines de la sécurité, de l'économie et de la communication de l'Atlantique à l'océan Pacifique. Dans le cadre de cet espace, une confrontation géopolitique intensifiée serait remplacée par le rétablissement d'une coopération mutuellement bénéfique fondée sur la diplomatie et le partenariat multilatéraux. Dans le même temps, la mise en place d'un Grand Partenariat eurasiatique pourrait conduire à un nouveau niveau d'interaction sous la forme de l'« intégration des intégrations». Une grande perspective se voit dans la recherche d'un terrain d'entente entre les plus grandes associations d'intégration d'Europe, d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, particulièrement entre l'Union européenne et l'UEEA.

Aujourd'hui, l'Europe reconnaît de plus en plus la nécessité de rétablir les relations entre l'UE et la Russie, en rétablissant progressivement un dialogue politique cohérent. Des mesures ont déjà été prises en ce sens : pendant le sommet Russie-UE on a adopté des décisions stratégiques basées sur la création de quatre espaces communs - économique, de sécurité extérieure, de liberté, de sécurité et de justice, de science et d'éducation (incluant les aspects culturels). Ces mesures restent pertinentes.

A la fin du mois d'août 2019, dans son discours devant les ambassadeurs de France à l'étranger, Emmanuel Macron a amorcé une révision fondamentale des relations entre la France et la Russie dans le sens d'un rapprochement stratégique pour la formation d'une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, en respectant ce faisant la tradition constructive de la politique étrangère française établie par les éminents personnages politiques qu'étaient Charles De Gaulle et François Mitterrand. La position active de Paris en ce qui concerne le renforcement de l'autorité internationale et la subjectivité non seulement de la France, mais de l'Union européenne dans son intégralité, rencontre un réel soutien en Russie et est largement acceptée en Europe.

La nouvelle politique du Président de la République française a été traduite par un appui au rétablissement des droits de la délégation russe à APCE dans le cadre de la présidence de la France au Conseil de l'Europe, par une reprise du travail du Conseil Franco-Russe pour l'économie, les finances, l'industrie et le commerce (CEFIC), qui a été gelé suite à la crise ukrainienne, du Conseil de sécurité au niveau des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que par la proposition de réintégrer la Russie au G8.

Depuis l'élection d'Emmanuel Macron au poste du Président de la République française en mai 2017, les leaders des deux pays se sont rencontrés plusieurs fois, mais c'est la rencontre à Brégançon en 2019 qui a marqué une nouvelle étape dans les relations franco-russes. Malgré une divergence de points de vue sur la façon de résoudre les crises internationales et les sanctions réciproques entre l'Union européenne et la Russie, nos relations bilatérales ont surmonté toutes les épreuves, même lors des périodes les plus sombres de l'histoire européenne.

Dans l'optique du développement des relations entre les pays, la diplomatie parlementaire est appelée à contribuer au rétablissement de la collaboration pluridimensionnelle franco-russe, au renforcement de la confiance entre les peuples des deux États et de la construction des relations entre l'Union européenne et la Russie basées sur les principes de l'égalité et du respect mutuel.

Il est symbolique que la préparation du deuxième rapport parlementaire commun a lieu à l'approche d'une grande date, le 75 e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, ce qui représente une bonne occasion de réfléchir sur le passé, le présent et le futur de nos relations bilatérales.

I. L'APPROFONDISSEMENT DES COOPÉRATIONS BILATÉRALES ET DU DIALOGUE BILATÉRAL EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ, DE DÉFENSE ET DES TECHNOLOGIES DE SOUVERAINETÉ

A. TEXTE DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

La Russie et la France essaient, quand c'est possible, de coopérer ou d'engager des démarches communes, en s'appuyant sur des intérêts objectifs et communs et en partageant un même objectif : diriger le potentiel de la collaboration franco-russe vers une action commune visant à former une nouvelle architecture de sécurité sur le continent européen. Les deux parties portent un intérêt particulier aux questions de sécurité dans la zone Europe-Atlantique basée sur un dialogue ouvert, équitable et honnête.

La Russie et la France sont d'accord sur le principe qu'au coeur d'un tel dialogue doit se trouver le concept d'une sécurité égalitaire et indivisible établi dans les documents fondamentaux tels que l'Acte final d'Helsinki de 1975, la Charte de la sécurité européenne de 1999, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe de 1990 et la Déclaration d'Astana adoptée au Sommet de l'OSCE de 2010. Au cours des rencontres à Brégançon en août 2019 et la réunion du Conseil pour la coopération dans le domaine de la sécurité (format « 2+2 » avec la participation des Ministres des Affaires étrangères et des Ministres de l'Intérieur) en septembre 2019 à Moscou, les parties russe et française ont convenu de travailler conjointement pour créer, en Eurasie et dans la zone Europe-Atlantique, un espace de paix, de sécurité et d'une large coopération égalitaire .

Selon l'avis russe, aujourd'hui cela est entravé par une tendance destructrice d'un grand nombre de pays occidentaux, à commencer par les États-Unis, qui a pour l'objectif de « retenir » la Russie, de déplacer les lignes de séparation au plus près des frontières russes dans le cadre d'une expansion sans réserve de l'OTAN et du renforcement du flanc "Est" de l'Alliance. Cela concerne également l'installation d'une base rotative de droit, mais permanente de facto, des contingents militaires des pays de l'OTAN, y compris français, dans les États Baltes : c'est-à-dire directement aux frontières russes.

La politique de progression de l'OTAN vers l'Est, en ne prenant en compte les intérêts des États hors Alliance et en violant les principes d'une sécurité égale et indivisible, a provoqué en grande partie, ou du moins a aggravé des conflits persistants sur l'espace européen déjà dès la fin de l'époque de la « guerre froide », puisque les gouvernements et les peuples ont été mis devant une parodie de choix entre divers centres de force.

De nombreuses crises dans la zone eurasiatique, ainsi qu'au Proche- Orient, en Afrique et en Amérique Latine qui impactent les intérêts de la Russie et de la France poussent les deux pays au dialogue et à la recherche de solutions acceptables pour les deux parties, et en premier lieu, lorsque les positions russe et française sont très proches (sauvegarde du PAGC avec l'Iran, arrangement du conflit libyen et de la crise palestino-israélienne). En lien avec cela, les deux parties pourraient mettre en place ou restaurer des canaux de communication entre les forces militaires russes et françaises dans les régions où leurs positions rapprochées comportent de forts risques d'escalade aux conséquences désastreuses.

Le travail commun de la Russie et de la France revêt une importance particulière dans la lutte contre le terrorisme international . L'activité des groupes terroristes continue à représenter une menace majeure pour la paix internationale et la sécurité mondiale. Après la défaite en Syrie et en Irak, l'EI s'est transformé en un vaste réseau terroriste clandestin en déplaçant ses activités dans d'autres régions du monde. Ce groupe continue à mûrir des plans de recréer un Califat et tente d'étendre son influence en Asie Centrale et Asie du Sud, d'augmenter sa présence dans la zone Pacifique, de développer la collaboration avec les islamistes en Afrique du Nord et en Afrique de l'Ouest.

La déstabilisation du Proche-Orient à la suite de ce qu'on a appelé « le printemps arabe » et le succès de la politique russe dans la région, y compris dans le cadre du « processus d'Astana », amènent la France à une collaboration constructive. Des accords ont été conclus pour continuer la lutte coordonnée contre les terroristes qui restent toujours sur le territoire syrien, pour résoudre des problèmes humanitaires, pour aider les réfugiés à retourner chez eux. La question du refus d'envoyer de l'aide humanitaire de la part des structures internationales à la population syrienne sur les territoires contrôlés par le pouvoir légal du pays est une question très importante. Moscou et Paris contribuent au travail du Comité constitutionnel supervisé par l'ONU à Genève, ils n'ont qu'un seul désaccord qui concerne la composition optimale des forces qui y sont représentées. La solution politique de la crise en Syrie basée sur la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'ONU et les décisions du Congrès du dialogue national syrien est incontournable.

La nécessité du développement d'une collaboration bilatérale est manifeste pour répondre aux nouveaux défis et menaces à différents niveaux. Dans ce contexte, il est important de rétablir le travail du Groupe de travail interministériel franco-russe pour la lutte contre les nouvelles menaces qui a été créé en 2013 suite à la décision des chefs des États de Russie et de France. A ce niveau, l'idée de rétablir sur une base bilatérale des ports d'escales intermédiaires (par exemple, Vladivostok pour la flotte française et Brest et Marseille pour les navires russes) semble prometteuse.

Le développement de la coopération dans le domaine de la lutte contre le financement du terrorisme au format bilatéral, comme au format multinational, est également important et notamment dans le cadre du Groupe d'action financière et de Moneyval. Notre étroite collaboration au sein du Groupe d'action financière pour déterminer les sources financières d'EI, d'Al-Qaïda et des groupes qui leur sont proches revêt une importance particulière. Ce genre d'informations doit figurer dans une enquête fermée du Groupe d'action financière régulièrement mise à jour (initiative de la Russie de 2016) pour que les pays et leurs autorités compétentes puissent prendre des décisions et des mesures nécessaires rapidement.

La communauté internationale doit porter une attention particulière au blocage des voies de transmission de tout type d'armement aux groupes terroristes.

La Russie et la France se basent sur la nécessité d'un travail continu pour la prévention et la lutte contre la menace terroriste qui s'appuie sur le droit international, et notamment au sein de l'ONU . C'est sous sa tutelle et avec son rôle central et coordinateur que doit se construire la coopération internationale dans ce domaine, avec le respect des Statuts de l'ONU, des normes et des principes du droit international, de la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations unies, des conventions et des procès-verbaux antiterroristes internationaux.

Dans le cadre de la réalisation des objectifs fixés et des accords signés, la Russie et la France ont procédé à l'établissement des moyens du renforcement de la stabilité stratégique, notamment à la lumière de la situation, et notamment de celle qui s'est mise en place suite à la sortie unilatérale des États-Unis du Traité sur l'élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée (IRNFT) qui a de fait annulé l'action du Traité, sans qu'aucune raison valable n'ait poussé les Etats-Unis à commettre cet acte destructeur. La position de la Russie a été confirmée plusieurs fois par le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine : nous n'installerons pas ce genre de systèmes dans les régions où il n'y aura pas de systèmes similaires américains. La Russie a proposé de négocier des contre-engagements de la part de l'OTAN, mais l'Alliance s'est jusqu'à présent abstenue de s'en rapprocher. La France aurait pu jouer un rôle important dans le rétablissement du dialogue concernant ce problème d'armement dans un but de prévenir leur installation en Europe, ce qui influe de manière fortement négative sur la sécurité dans la zone Euro-Atlantique.

La Russie et la France sont préoccupées par cette situation inquiétante autour de New Start, le traité d'interdiction complète des essais nucléaires et la préparation d'une conférence consacrée au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (NPT). Toutes ces situations comportent des risques importants, en premier lieu, les conséquences de la position non-constructive de l'administration actuelle des Etats-Unis envers l'ensemble des problèmes liés au contrôle des armements. Les États dotés de l'arme nucléaire doivent comprendre leur responsabilité et empêcher la dégradation de la stabilité stratégique. À cet égard, nous saluons la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, de la Chine, de la Russie, des États-Unis et de la France à l'occasion du 50 e anniversaire de l'entrée en vigueur du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui souligne l'engagement de négocier de bonne foi des mesures efficaces dans le domaine du désarmement nucléaire, ainsi que le traité sur le désarmement général et complet sous contrôle international strict et efficace, et le but ultime de la création du monde sans armes nucléaires avec une sécurité égale pour tous est soutenu.

La Russie est ouverte à un dialogue plurilatéral sur des mesures éventuelles dans le domaine de la prévisibilité et de la retenue nucléaire. Mais il doit être mené sur la base d'un consensus, avec le respect des intérêts légitimes des parties.

Dans cette optique, la réalisation de l'initiative de Vladimir Poutine adressée aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, à savoir mettre en place des mesures de lutte contre les conditions favorables à une guerre mondiale et mettre à jour les mesures permettant d'assurer la sécurité sur notre planète peut jouer un rôle positif.

Le programme nucléaire iranien suscite également une grande inquiétude, suite à la sortie non-justifiée des Etats-Unis du Plan d'Action Global Commun (PAGC) le 15 juillet 2015, qui représentait à ce moment-là une réussite majeure dans le domaine de la diplomatie internationale . La Russie et la France plaident ensemble en faveur de la poursuite des efforts collectifs visant à créer les conditions appropriées pour réduire les tensions et poursuivre la mise en oeuvre intégrale du plan d'action conjoint, conformément aux objectifs, aux conditions et aux délais initialement fixés dans les accords et renforcés par la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l'ONU.

La Russie s'oppose à la course aux armements vers l'espace, étant donné que les États-Unis, la France et leurs alliés prennent des mesures pour le déploiement de systèmes d'armes dans l'espace et l'utilisent pour des opérations militaires. Ils ont déjà prévu une telle possibilité dans leurs documents doctrinaux, ce qui nuit objectivement aux efforts menés pour démilitariser l'espace. La Russie appelle à engager au plus vite possible des négociations en vue de la conclusion d'un instrument international juridiquement contraignant qui fournirait de solides garanties pour la prévention d'une course aux armements dans l'espace et du déploiement de systèmes d'armes dans l'espace, sur la base du projet russo-chinois révisé de traité relatif à la prévention du déploiement d'armes dans l'espace et de la menace ou de l'emploi de la force contre des objets spatiaux. De plus, des efforts collectifs sont nécessaires pour la mondialisation de l'initiative internationale de non-déploiement en premier d'armes dans l'espace. Dans ce contexte, il est très important de relancer un dialogue bilatéral substantiel sur la sécurité des activités spatiales, au cours duquel, en particulier, la partie française pourrait fournir les précisions nécessaires sur les dispositions de la Doctrine spatiale et militaire de France qui a été adoptée le 25 juillet 2019.

Il est indispensable de faire des actions pour accroître la confiance et développer la coopération bilatérale dans le domaine de la biosécurité , notamment dans le cadre de la mise en oeuvre de la Convention sur l'interdiction des armes biologiques et à toxines. Cette coopération renforcerait le régime de la Convention et réduirait ainsi la menace de l'utilisation d'agents biologiques en tant qu'armes. Cela améliorerait considérablement les chances de prendre des décisions efficaces à la Conférence d'examen de la Convention sur l'interdiction des armes biologiques et à toxines de 2021, y compris dans le contexte de nos initiatives visant à établir des unités mobiles biomédicales et du Comité scientifique consultatif dans le cadre de la Convention, ainsi que d'améliorer les mesures de confiance mises en oeuvre dans le cadre de la Convention sur l'interdiction des armes biologiques et à toxines.

La forte appréhension de la partie russe est que l'OTAN étende son activité opérationnelle non seulement au domaine spatial, mais aussi au cyberespace qui peut s'avérer être un terrain de rivalité et de course à l'armement au lieu de réaliser le potentiel d'une action commune dans le bien de toute l'humanité.

En novembre 2019 à Moscou, à la suite des accords conclus par les présidents de la Russie et de la France en 2018, ont eu lieu les consultations sur la cybersécurité, qui ont permis de poursuivre le dialogue franco-russe, interrompu à cause du conflit ukrainien, sur la sécurité internationale de l'information et l'utilisation sûre des technologies de l'information et de la communication. Les parties ont décidé de développer la coopération au niveau international, y compris à l'ONU, où plusieurs groupes traitent simultanément la question des normes de comportement des États dans le cyberespace. La partie russe considère que le travail commun permettra aux deux pays de développer une coopération efficace dans ce domaine prioritaire du point de vue de la sécurité nationale, de la stabilité, de la démocratie et des droits de l'homme. Au cours de la visite, la partie française a présenté l'initiative d'Emmanuel Macron " Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace " qui a été accueillie avec beaucoup d'intérêt en Russie. Parmi ses points principaux figurent des obligations de protéger les utilisateurs de l'internet et les infrastructures critiques contre les actes malveillants dans le cyberespace, contribution à la lutte contre l'ingérence étrangère dans les élections, prévention du vol de propriété intellectuelle grâce aux technologies informatiques.

B. OBSERVATIONS DU SÉNAT FRANÇAIS

1. Une coopération sécuritaire qui peut encore être développée

En matière de sécurité, des coopérations préexistaient à la dégradation de nos relations et s'étaient maintenues malgré les difficultés, notamment en matière de lutte contre le terrorisme , à travers des échanges d'expérience dans des domaines comme la sécurité aérienne et l'utilisation d'équipes cynophiles. La communication opérationnelle entre les services de renseignement en matière de lutte contre le terrorisme s'était aussi maintenue.

La volonté française de relance de dialogue donne une nouvelle impulsion à cette coopération sécuritaire ancienne , à travers notamment la réactivation d'un groupe de travail créé en 2003, qui pourrait s'intéresser plus particulièrement au sujet des combattants terroristes étrangers (CTE). Il est également envisagé de développer les échanges de bonnes pratiques en matière de sécurisation des grands événements, notamment sportifs (Jeux olympiques, Coupe du monde de football) pour lesquels nos deux pays ont une expérience particulière.

Enfin, nous avons un intérêt mutuel à développer notre dialogue bilatéral et à mettre en place des canaux de désescalade en matière de cybersécurité . Depuis peu, un dialogue de haut niveau a été mis en place entre le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) et son homologue russe, afin de permettre l'évocation directe, discrète et franche des incidents ou cyberattaques soupçonnés d'émaner de Russie contre des intérêts français. Contrairement à certains de ses partenaires, la France, en effet, fait le choix de ne pas pratiquer l'attribution publique en cas de cyberattaques, mais ce sujet, évoqué au plus haut niveau des exécutifs, reste une pierre d'achoppement de nos relations . Pour le Sénat, de telles pratiques nuisent à la restauration de la confiance entre nos deux pays et placent la France dans une situation difficile quand elle défend auprès de ses partenaires sa démarche de rapprochement avec la Russie. Il souhaite qu'un terme soit mis à ces agissements.

Parallèlement, d'autres volets de ce dialogue sont susceptibles d'être développés, par exemple autour du thème de l'émergence d'un écosystème de cybersécurité privé , qui est l'une des missions dévolues en France à l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Un autre axe est l'intensification des relations entre les centres de sécurité opérationnels («Computer emergency response team» ou CERT) français et russe en vue d'échanges d'informations plus fructueux en matière de cybercriminalité.

2. Une coopération de défense à réactiver

Dans le domaine de la défense, les contacts entre nos deux pays avaient diminué significativement avec la dégradation des relations diplomatiques, au point de mettre en danger nos forces armées, qui sont au contact dans tous les milieux sur plusieurs théâtres. Il est donc nécessaire de rétablir des canaux de communication permettant de garantir un certain niveau d'échanges d'informations et de prévenir les malentendus et les risques d'escalade involontaire pouvant en découler.

Il est tout à fait essentiel de réitérer les réunions des ministres de la défense et des affaires étrangères en format « 2+2 » , sur le modèle de celle qui s'est tenue en septembre 2019.

Il est également indispensable d'intensifier le dialogue entre les états-majors et de mettre en place des mécanismes de déconfliction efficaces, semblables à ceux qui existent entre les forces armées russe et américaine, notamment en Syrie.

Par ailleurs, il faut développer les occasions de contacts et d'échanges , par exemple à travers la reprise d'escales dans les ports (par exemple Vladivostok pour la Marine française). Côté français, il existe également un intérêt pour des échanges d'informations concernant l'Arctique et les routes maritimes du Nord, désormais plus empruntées. Il peut aussi s'agir de participer ensemble à des événements commémoratifs permettant d'entretenir le souvenir de coopérations passées (comme celui de l'escadron Normandie-Niemen) et de moments historiques partagés . A cet égard, la France est particulièrement honorée de l'invitation faite à l'armée française de participer au défilé militaire sur la place Rouge à Moscou le 9 mai pour célébrer les 75 ans de la victoire contre le nazisme.

Enfin, la partie française souhaite une amélioration de la situation sur le terrain en Afrique , particulièrement en République centrafricaine (RCA), où les militaires français ont rencontré des difficultés avec les milices privées Wagner et sont fragilisés par des manoeuvres de désinformation ciblant la présence française. Dans cette région du monde qui connaît tant de défis, nous devrions plutôt coopérer en faveur de la paix.

En outre, si une approche plus coopérative a prévalu lors du renouvellement de l'embargo sur les armes à destination de la RCA en septembre 2019, des crispations sur ce sujet sont réapparues en janvier dernier. L'institutionnalisation de la présence russe en Afrique, à travers sa participation à la MINUSCA et le déploiement d'une mission militaire russe, pourrait signifier une certaine détente. Les signes de bonne volonté doivent encore être confirmés.

3. Des coopérations stratégiques au potentiel intéressant

La France et la Russie entretiennent des coopérations anciennes dans les secteurs dits stratégiques (énergie dont nucléaire, espace, aéronautique et transports), marqués par une emprise importante de l'Etat. En témoignent leur partenariat sur l'avion Sukhoï Superjet 100 ou la participation de Total aux projets de gaz naturel liquéfié (GNL) Yamal et Artic LNG II dans l'Arctique.

Ces coopérations, auxquelles nos deux pays ont intérêt d'un point de vue technologique (du fait de leurs compétences et de leur expertise reconnue dans ces domaines) et économique (dans un souci de diversification de leurs approvisionnements et de leurs partenariats), doivent pourtant trouver un second souffle .

Des pistes existent, qui méritent d'être approfondies. Par exemple, il pourrait être dans notre intérêt de développer une réflexion commune sur les prochaines étapes du développement spatial , en l'axant sur les futurs moyens d'accès à l'espace, afin de ne pas laisser ce champ aux Etats-Unis et à la Chine. De même, dans le domaine du nucléaire, il existe un potentiel de coopération avec la Russie en ce qui concerne des partenariats industriels bilatéraux dans le cadre de projets russes dans des pays tiers. Le ministère de l'Economie et des Finances et l'industriel Rosatom échangent régulièrement sur les conditions d'un soutien à de telles coopérations en cas de participation d'industriels français.

II. LE DIALOGUE SUR LES TRAITÉS ET LES ORGANISATIONS MULTILATÉRALES

A. TEXTE DU SÉNAT FRANÇAIS

1. Une priorité : le dialogue sur la reconstruction des grands instruments de stabilité stratégique en Europe

Marqué par le retour de la force et de « stratégies de puissance » et une reprise de la course aux armements, le contexte stratégique actuel se caractérise par une forte instabilité et une grande imprévisibilité. L'importance des rapports de force, l'intensification des tensions multiplient les risques d'escalade alors que parallèlement la déconstruction du cadre de maîtrise des armements en vigueur depuis la fin de la guerre froide s'accélère. La Russie, avec les Etats-Unis notamment, a sa part de responsabilité dans cette évolution négative qui affecte la sécurité de l'ensemble du continent européen .

Cet affaiblissement d'instruments pourtant indispensables au maintien de la stabilité stratégique concerne à la fois les armements conventionnels et les armements stratégiques .

Concernant les armements conventionnels, la Russie s'est retirée en 2007 du traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) et s'exonère pour partie des notifications d'activités prévues dans le cadre du Document de Vienne . La mise en oeuvre du traité Ciel ouvert de 2002, qui permet le survol mutuel des espaces aériens, fait aussi l'objet de restrictions. Il en découle une réduction des mesures de confiance et de transparence (consultations, inspections...) et des canaux de communication entre Etats, conduisant à une asymétrie d'information plus grande et à des risques accrus d'accidents dans un environnement stratégique volatile .

Il est urgent d'engager des négociations sur la restauration de ce régime de maîtrise des armements conventionnels en Europe . La France et la Russie pourraient être les fers de lance de ce chantier ambitieux , qui a vocation à s'inscrire dans le cadre de l'OSCE et qui pourrait symboliquement être lancé à l'occasion du 30 e anniversaire de la Charte de Paris de 1990 à l'automne prochain. Cette restauration implique à la fois une modernisation et une réactivation des instruments existants, ainsi qu'un ferme réengagement des parties à les appliquer.

Parallèlement, la dégradation des relations russo-américaines a eu pour conséquence une déconstruction des instruments de maîtrise des armements stratégiques mis en place à la même époque et qui, bien que bilatéraux, sont déterminants pour la sécurité européenne. L'extinction récente du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) liée au retrait américain le 2 août 2018, lui-même consécutif à des manquements répétés de la Russie à ses obligations, marque une nouvelle étape de ce délitement, engagé dès 2002 avec le retrait américain du traité ABM 2 ( * ) . Depuis des années, la modernisation des arsenaux stratégiques de plusieurs puissances dotées de l'arme nucléaire s'accompagne de l'apparition de nouveaux systèmes d'armes (côté russe, notamment, développement de missiles sol-sol « de portée FNI » et de nouveaux systèmes d'armes stratégiques non couverts par le traité New Start).

En outre, l'avenir du traité New Start, qui expire en février 2021, reste incertain , aucune décision n'ayant encore été prise concernant sa prorogation au-delà de cette date, même si la Russie s'est déclarée favorable à son extension pour 5 ans.

Le Sénat français considère qu'il est plus que temps de réengager des discussions au plan international sur l'avenir de ces instruments. Ces discussions ne sauraient être réduites à un face-à face russo-américain car la sécurité européenne est en jeu . Les pays européens doivent être associés, dans le cadre de l'OTAN, à ces négociations qui les concernent . Quant à la proposition de moratoire sur le déploiement de missiles sol-sol de courte et moyenne portée en Europe formulée en septembre 2019 par le Président Poutine, elle doit être à tout le moins assortie de précisions sur les systèmes que la Russie développe aujourd'hui ou qui sont déjà déployés, tels que les missiles Iskander à Kaliningrad, d'une portée de moins de 500 kilomètres mais qui sont perçus par certains Etats d'Europe orientale comme une menace.

A cet égard, il faut souligner la position singulière qui est celle de la France vis-à-vis de la Russie au sein de l'OTAN . Promouvant la signature de l'Acte fondateur OTAN-Russie et la création du Conseil OTAN-Russie, manifestant une grande réserve à l'égard des élargissements, elle a toujours cherché à faciliter leurs relations . Mais ce faisant, elle s'expose aux critiques et à l'incompréhension de certains alliés qui, du fait de leur situation géographique et leur histoire passée avec la Russie, tendent à orienter l'Alliance atlantique dans un sens contraire. Si l'on souhaite une détente des relations entre l'OTAN et la Russie, il faut aussi que la Russie s'efforce d'apaiser ses propres relations avec ses voisins d'Europe orientale.

Dans le même temps, la Russie doit comprendre que face au désengagement américain et à la dégradation du contexte sécuritaire, l'Union européenne est déterminée à prendre en main sa défense et à développer son autonomie stratégique , en se dotant des moyens nécessaires.

La France souhaite en tous cas pouvoir évoquer toutes ces questions de sécurité et d'équilibres stratégiques dans le cadre du dialogue de confiance et de sécurité proposé par le Président de la République. Nos deux pays peuvent notamment être les moteurs d'une relance des discussions sur l'avenir des traités de maîtrise des armements . Ce dialogue sur l'élaboration d'un nouveau cadre devra prendre en compte l'évolution technologique et la mise en service de nouveaux systèmes d'armes non couverts jusqu'à présent par les traités de maîtrise des armements. Il devra aussi être assorti d'un solide régime de vérifications , gage d'une confiance durable entre les parties fondée sur la réciprocité et la transparence.

2. Un nécessaire engagement en faveur de la consolidation du multilatéralisme

? Alors même que la Russie est, comme la France, membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, et que ses responsabilités dans le champ international sont éminentes, son positionnement sur certains dossiers a pour résultat d'entraver le fonctionnement efficace du système multilatéral .

En témoignent les vetos répétés mis par Moscou aux résolutions concernant la Syrie - 14 vetos sur les 24 opposés par la Russie depuis la fin de la Guerre froide - qui paralysent l'action de l'ONU dans cette crise et contribuent, par là-même, à son affaiblissement, y compris dans le domaine de l'action humanitaire. Le dernier veto russe en décembre 2019 portant sur l'acheminement de l'aide humanitaire transfrontalière a ainsi conduit à priver d'aide humanitaire une grande partie de la population syrienne en ayant besoin. Il a généré une profonde incompréhension.

Mais les blocages constatés ne se limitent pas au théâtre syrien, la Russie s'étant opposée par exemple en février 2019 à un projet de résolution appelant le Venezuela à une transition démocratique.

Il faut aussi évoquer les prises de positions russes vis-à-vis de la notion de droits de l'homme , que la Russie considère avec méfiance, alors qu'elle est au coeur des valeurs et des principes défendus par la France et les Nations Unies. A l'occasion du renouvellement des opérations de maintien de la paix, Moscou conteste par exemple l'inscription de toute référence aux droits de l'homme.

Parallèlement, la Russie tend à privilégier des formats de dialogues qui concurrencent et affaiblissent les processus mis en place dans le cadre de l'ONU , comme la Conférence d'Astana sur le dossier syrien ou le dialogue bilatéral avec la Turquie sur la crise en Libye.

Enfin, elle soutient l'émergence d'enceintes internationales concurrentes ou alternatives aux organisations multilatérales mises en place à la fin de la deuxième guerre mondiale , comme les BRICS (qui regroupent le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud) ou l'Organisation de coopération de Shanghai (OSC).

La partie française encourage la Russie à revenir à une défense plus ferme des institutions multilatérales . C'est une responsabilité qui lui incombe, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Et il s'agit d'un point sur lequel la Russie et la France peuvent facilement se rejoindre et coopérer. Notre pays approuve par exemple l'initiative russe de sommet du P5 en vue du 75 e anniversaire de l'ONU l'année prochaine, commémoration qui doit être l'occasion de souligner que le multilatéralisme garde toute sa pertinence.

L'engagement en faveur du multilatéralisme est aujourd'hui d'autant plus nécessaire que les Etats-Unis prennent eux-mêmes leurs distances par rapport à ce système et contribuent par leurs décisions négatives (retrait de l'accord de Paris sur le climat, retrait de l'UNESCO...) à la fragilisation de l'ordre international.

La Russie pourrait notamment s'associer aux initiatives portées par la France dans ce domaine , en rejoignant par exemple l'Alliance pour le multilatéralisme lancée en septembre 2019 en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies.

? Par ailleurs, la Russie et la France ont des intérêts communs à défendre dans les différentes enceintes multilatérales.

En tant qu'États dont la sécurité repose sur la dissuasion nucléaire et dans le contexte d'une contestation croissante de l'arme nucléaire par les Etats non dotés, elles ont intérêt à coopérer au sein du processus P5 en vue de la préservation du Traité de non-prolifération (TNP), face à des normes contradictoires qui pourraient l'affaiblir. Dans le même temps, la prolifération nucléaire demeure une menace, dont témoigne la situation préoccupante en Corée du Nord et en Iran.

Cinquante ans après son entrée en vigueur, la prochaine conférence d'examen du TNP doit être l'occasion de conforter l'autorité et la centralité de ce traité, autour d'une approche équilibrée entre ses trois piliers (non-prolifération, désarmement et usages pacifiques de l'énergie nucléaire). A cet égard, la France considère que l'adoption d'un traité interdisant la production de matières fissiles pour les armes serait de nature à consolider le régime de désarmement nucléaire et encourage la Russie à progresser dans cette voie. La France et la Russie partagent en outre l'objectif de faire aboutir le projet d'établissement d'une zone exempte d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs au Moyen-Orient (ZEADMO).

La France est par ailleurs activement engagée dans la lutte contre l'utilisation des armes chimiques et promeut un raffermissement du régime d'interdiction de ces armes, fondé sur une convention internationale de 1993 3 ( * ) à laquelle elle a beaucoup contribué et qui est le seul instrument de ce type prévoyant l'élimination totale d'une catégorie entière d'armes. Pourtant, ce cadre juridique a subi, avec le soutien de la Russie qui a bloqué le mécanisme d'enquête conjoint entre l'ONU et l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), de graves atteintes ces dernières années du fait de l'usage répété et massif d'armes chimiques à l'encontre de populations civiles en Syrie. .

En réaction à cette altération préoccupante du régime d'interdiction, la France a lancé en janvier 2018 un Partenariat international contre l'impunité d'utilisation d'armes chimiques (PICIAC) qui rassemble une quarantaine d'Etats ainsi que l'Union européenne. Paris a aussi invité la Russie à soutenir l'effort engagé par la communauté internationale pour renforcer les capacités de l'OIAC en matière d'attribution d'attaques à l'arme chimique, à travers la création en juin 2018 d'une « équipe d'investigation et d'identification » (ITT) chargée d'attribuer des cas d'emploi d'armes chimiques en Syrie. Cette proposition n'a pas eu de suite. La Russie s'est en effet montrée fermée sur ce sujet, votant contre toutes les décisions relatives à cette nouvelle capacité et s'employant depuis sa création à en contester la légitimité et l'impartialité.

Pourtant, la réémergence des armes chimiques constitue une menace globale, pouvant aussi concerner la Russie . En tant que membre du P5, il est de sa responsabilité d'oeuvrer à la préservation du régime international de lutte contre l'utilisation et la prolifération d'armes chimiques et un changement d'attitude de sa part dans ce domaine ouvrirait la voie à de possibles coopérations avec la France.

D'autres domaines recèlent de possibles convergences au plan multilatéral entre nos deux pays. La ratification par la Russie de l'accord de Paris le 23 septembre 2019 et sa reconnaissance de l'enjeu que représente le changement climatique ouvrent par exemple d'intéressantes perspectives. Il s'agit d'un thème pour lequel la France joue à l'ONU un rôle moteur.

Enfin, la France et la Russie partagent la préoccupation d'agir dans les enceintes internationales en vue de garantir la stabilité et la sécurité du cyberespace. Les deux pays divergent toutefois quant à la stratégie à suivre et aux moyens à mobiliser pour y parvenir.

En matière de cybersécurité, la Russie défend ainsi la négociation d'un traité et une vision de la cybersécurité incluant non seulement la protection des systèmes d'information mais aussi la régulation des contenus en ligne. La France ne partage pas cette vision qui fait courir le risque d'atteintes à certaines libertés fondamentales, notamment la liberté d'expression . Malgré ces divergences, la France cherche à engager un dialogue constructif avec la Russie sur ces sujets, notamment dans le cadre des deux processus de négociations mis en place à la suite du vote de deux résolutions concurrentes en novembre 2018 à l'Assemblée générale de l'ONU : le groupe d'experts gouvernementaux (GGE), soutenu par les Etats-Unis, et le groupe de travail à composition non limitée (« Open ended working group » ou OEWG), porté par la Russie. Des convergences pourraient ainsi être identifiées sur des concepts tels que la mise en oeuvre de la souveraineté des Etats dans l'espace numérique ou encore la responsabilité des acteurs privés, notamment les plus systémiques.

De même, la France et la Russie se rejoignent dans la volonté de lutter contre la cybercriminalité , mais divergent, là encore, sur la façon de procéder. Ainsi, la France défend l'universalisation de la Convention de Budapest, adoptée en 2006 dans le cadre du Conseil de l'Europe et qui comporte un certain nombre de garanties sur le plan des libertés publiques, là où la Russie promeut la négociation d'un traité international ad hoc dans le cadre onusien 4 ( * ) .

Il y a donc là matière au développement d'une réflexion commune . A cet égard, la France a proposé à la Russie de rejoindre l'Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace , initiative lancée par le Président de la République le 12 novembre 2018 à l'occasion du Forum sur la gouvernance de l'Internet à l'UNESCO. Ce texte, soutenu à ce jour par 74 pays et près de 900 entités non étatiques, promeut des principes tels que l'application du droit international et des droits de l'homme, le comportement responsable des Etats et la reconnaissance des responsabilités spécifiques des acteurs privés dans le cyberespace.

B. OBSERVATIONS DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

Durant ces derniers 30 ans après la fin de la « guerre froide » le processus du développement du système politique et économique mondial, malgré les tentatives des pays occidentaux de le rendre unipolaire sous forme de « leadership mondial » des États-Unis et leurs alliés, a pris un caractère de plus en plus multipolaire . De nouveaux acteurs mondiaux importants se renforcent, ils ont une base économique stable et manifestent un souhait légitime de participer d'une manière plus importante à la prise de décisions au niveau mondial, ce qui s'est traduit notamment par la création du G20. Le monde ressent un besoin grandissant d'un système équitable et inclusif. Les récidives néocoloniales d'un cercle restreint de pays souhaitant dicter leurs volontés aux autres, et particulièrement en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, sont rejetées par la majeure partie des membres de la communauté internationale.

Sur fond de récidives coloniales regrettables au XXI e , les bases de nouvelles institutions se forment. Elles ne sont pas fondées sur une logique de blocs héritée de la « guerre froide », mais sur un système multipolaire démocratique attendu par l'humanité, sur les principes de l'égalité, de la justice et de la non-ingérence, que cela plaise ou non à certains leaders occidentaux. Il s'agit des BRICS, de l'Organisation de coopération de Shanghai, de la Communauté économique eurasiatique et d'autres. Le rapprochement et une coopération égalitaire dans le cadre de formats d'intégration et de coopération en Eurasie (« l'intégration d'intégrations », par exemple) pourraient contribuer à la création d'un partenariat eurasiatique général dans l'intérêt des peuples du continent.

La Russie plaide en faveur de la création de mécanismes plurilatéraux, égalitaires et inclusifs pour le maintien de la sécurité et de la stabilité internationales basées sur le principe d'une sécurité égalitaire et indivisible fixé par les documents internationaux majeurs tels que le Helsinki Final Act (1975) de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe (1990) et la Déclaration d'Astana adoptée au Sommet de l'OSCE (2010).

La Charte de Paris pour une nouvelle Europe qui fêtera son dixième anniversaire en novembre 2020, et qui a été signée par les pays occidentaux, l'URSS et les pays de l'ancien « bloc de l'Est », stipule que : « La sécurité est indivisible et la sécurité de chaque État participant est liée de manière indissociable à celle de tous les autres ». Malheureusement, ce principe a été négligé du fait de l'élargissement de l'OTAN, pendant ces dernières années, sans une prise en compte de la sécurité des autres pays, ce que la partie russe a signalé à plusieurs reprises depuis les années 90.

En 2008 la Russie, dans l'optique de la création d'un « Partenariat pour la modernisation » avec les pays de l'UE, a soutenu l'initiative de conclure un Accord général sur la sécurité européenne. Or, cette proposition a été rejetée par les pays occidentaux, car elle remettait en cause la logique du fonctionnement et de l'élargissement de l'OTAN en tant que l'unique organisme de sécurité pour ses membres (pourtant, l'OTAN n'est jamais mentionnée dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe). Le monopole sécuritaire de l'OTAN en Europe occidentale suscite une inquiétude de la Russie, d'autres pays européens et de leurs voisins.

La situation dans le domaine du désarmement et du contrôle des armements est particulièrement inquiétante. La sortie unilatérale de Washington, en 2002, du traité ABM, primordial pour la stabilité stratégique, malgré les protestations judicieuses des leaders de certains pays, y compris le Président de la France Jacques Chirac, a porté un coup de massue à toute la structure de ce domaine. Après la sortie unilatérale des États-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, ce qui a rendu caduc ce dernier, la situation s'est dégradée au risque de sortir du contrôle international efficace.

En même temps, dans les dispositions doctrinales de Washington le « seuil » d'utilisation d'armes nucléaires baisse considérablement. Les États-Unis refusent de ratifier le traité d'interdiction complète des essais nucléaires et continuent à déployer des armes sur le territoire de leurs alliés de l'OTAN, ainsi que la pratique des « missions nucléaires communes ». Des exercices avec des partenaires européens sont même organisés, au cours de ces derniers, l'utilisation d'armes nucléaires est testée contre les positions d'un territoire ennemi fictif situé à l'est de l'UE/OTAN, sous lequel on devine la Russie.

La Russie a exprimé, à plusieurs reprises, des réclamations à l'égard de la partie américaine concernant le respect du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Depuis 1999 la partie russe signalait aux États-Unis qu'ils développent leur potentiel technologique dans le domaine des missiles balistiques à portée intermédiaire terrestres par la voie de sa mise au point à l'aide des « missiles-cibles » qui sont de fait essayés en tant que moyen de transport d'armes conformément au Traité. Le problème de la sortie illégale de la zone du Traité, par la partie américaine, des appareils de frappe sans pilotes de la portée correspondante a été également signalé. Depuis 2014, la Russie signale le non-respect du Traité par un déploiement terrestre, sur les sites de systèmes de défense antimissile américains en Europe, de lance-missile Ìk-41 au sein des ensembles Aegis Ashore, qui permettent l'utilisation de missiles de croisière de moyenne portée Tomahawk, ainsi que d'autres engins d'attaque.

Toutes ces années, les réclamations russes concrètes et fondées ont été négligées par Washington. Or, depuis 2013 les États-Unis ont accusé la Russie de ne pas avoir respecté le Traité en affirmant que le missile russe 9Ì729 aurait une portée de 500-5500 km interdite par le Traité. En même temps, les États-Unis ont refusé de présenter des données concrètes prouvant la portée incriminée, ils ont refusé le dialogue à ce sujet, n'ont pas participé à la démonstration et au briefing sur le missile russe 9Ì729 qui démontraient que le système n'a pas été conçu pour assurer une portée supérieure à 500 km et que techniquement il ne pouvait pas être testé sur ces distances.

Malgré la position sciemment non constructive des États-Unis qui a été malheureusement soutenue par ses alliés européens de l'OTAN, la Russie a fait des efforts importants pour assurer la validité du Traité en tant qu'instrument majeur de la stabilité internationale. Elle a notamment diffusé, au Premier comité de l'Assemblée générale de l'ONU, un projet de résolution pour le soutien du Traité. Néanmoins, ce travail a été bloqué par les États-Unis et leurs alliés. Un document similaire a été porté devant l'Assemblée Générale de l'ONU. Il a été rejeté avec un vote de 43 voix « pour », 46 voix « contre » (y compris tous les pays de l'OTAN) et 78 abstentions.

Dans les conditions de refus, par les États-Unis, d'un dialogue direct avec la Russie sur le Traité, le 18 août 2019, seulement deux semaines après la rupture du Traité, les militaires américains ont procédé aux premiers essais d'un système de missiles interdit par le Traité. Ce fait est venu conforter la certitude de la Russie que les États-Unis étaient intéressés par la rupture du Traité pour pouvoir lever les restrictions concernant les projets d'engins interdits par le Traité et déjà conçus.

Dans ces conditions, le Président de la Russie Vladimir Poutine a envoyé aux leaders de certains pays une lettre datée du 18 septembre 2019 avec un appel direct à prendre des obligations réciproques similaires au moratoire sur le déploiement terrestre des armes à portée intermédiaire déclaré par la Russie. Malheureusement, cette initiative n'a pas été soutenue par les pays de l'OTAN même si la Russie est toujours ouverte aux discussions sur ce sujet.

Moins de cinq ans après sa signature, le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe conclu en 1990, a cessé de répondre aux réalités de l'époque qui a suivi la « guerre froide ». Le pacte de Varsovie et l'URSS n'existaient plus, les forces armées soviétiques/russes ont quitté avant 1994 l'Europe Centrale et l'Europe de l'Est, des pays baltes et des républiques de la CEI. L'OTAN, au contraire, a dépassé suite à son élargissement les limites prévues par le Traité.

Dans ces conditions et à l'initiative de la Russie qui comptait sur la création, après la fin de la « guerre froide », d'un espace de sécurité commun, un Accord sur l'adaptation du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe a été mis en place (signé à Istanbul le 19 novembre 1999). Il prévoyait un passage de la structure de blocs du Traité aux niveaux limitatifs nationaux et territoriaux pour chaque pays membre.

Or, l'Accord sur l'adaptation du Traité signé par trente pays n'a été ratifié que par quatre d'entre eux : la Biélorussie, le Kazakhstan, la Russie et l'Ukraine, et n'est jamais entré en vigueur. Les pays de l'OTAN ont lié la ratification de l'Accord à l'exécution par la Russie des conditions qui n'avaient pas de rapport avec le contrôle des armements, et notamment au retrait des forces armées russes des territoires de la Géorgie et de la Moldavie. La Russie qui a honoré toutes les conditions du Traité a estimé ce lien illégitime. Cette situation qui a bloqué l'avancement dans le domaine du contrôle des armements a obligé la Fédération de Russie à suspendre l'application du Traité en 2007.

Compte tenu des réalités politiques actuelles, la Russie propose de créer un régime de contrôle des armements conventionnels en Europe totalement nouveau qui réponde aux demandes actuelles, qui exclue la possibilité de résoudre les problèmes internationaux par la force et qui soit basé sur les principes de la sécurité égalitaire et indivisible, sur l'équilibre des droits et des obligations des parties. La Russie compte sur la participation de la France et d'autres pays de l'UE/l'OTAN au dialogue à ce sujet.

Concernant les questions liées à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, la partie russe exprime sa préoccupation face à la situation inacceptable sur cet espace international causée par la politisation du « dossier chimique » syrien et par l'attribution, en violation des dispositions de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, à l'OIAC du pouvoir de « déterminer le coupable » dans l'application de ce type d'ADM, qui sont exclusivement liés à la prérogative du Conseil de sécurité de l'ONU. En 2013, dans le cadre de la Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU 1 2118 votée unanimement, les armes chimiques ont été détruites en Syrie sous le contrôle international, ce qui a fait avorter les plans de certains pays occidentaux d'intervenir dans ce pays du Proche Orient. Quand les États-Unis et leurs alliés n'ont pas pu convaincre le Conseil de sécurité de valider les décisions politisées qui accusaient injustement le gouvernement syrien d'avoir utilisé des substances toxiques, ils ont commencé à promouvoir les « règles » qui répondaient à leurs intérêts auprès de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Le 14 avril 2018 l'aviation des États-Unis, de la Grande Bretagne et de la France a procédé à une frappe aérienne dans la République arabe syrienne en la motivant par l'utilisation par l'armée syrienne d'armes chimiques, ce qui n'a pas été prouvé jusqu'à présent. Ils ont réussi, en manipulant les procédures existantes sans respecter la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, à doter (avec les voix de la minorité des pays membres de cette Convention) le Secrétariat technique de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques du pouvoir de déterminer les responsables de l'utilisation d'armes chimiques, ce qui représentait une atteinte directe aux prérogatives du Conseil de sécurité de l'ONU.

Les tentatives de « privatisation » des secrétariats d'organisations internationales pour la promotion d'intérêts propres, au-delà des mécanismes internationaux universels, se manifestent également dans les domaines tels que la non-prolifération biologique, le maintien de la paix, la lutte contre le dopage dans le sport et autres. Nous pensons que la France pourrait contribuer à la lutte contre ces mauvaises pratiques et au retour des pays occidentaux, et tout d'abord des États-Unis, dans la voie d'une coopération constructive avec la communauté internationale dans ces domaines importants.

III. LE DÉVELOPPEMENT DE LA DIMENSION ÉCONOMIQUE ET HUMAINE DE NOTRE RELATION

A. TEXTE DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

Dans les relations bilatérales de la Russie et de la France les divergences des points de vue sur certains problèmes internationaux sont compensées par un important « coussin de sécurité » dans le domaine de la collaboration économique et humanitaire. Assurément, les mesures de pression économique de l'Union européenne à l'encontre de la Russie (sanctions), prises à la suite du début du conflit au sein de l'Ukraine, ainsi que les réponses de la Russie ont eu une forte influence néfaste sur l'état et le développement des liens bilatéraux entre nos deux pays. Le raccordement de la poursuite de ces mesures restrictives pour réaliser les accords de Minsk dans des conditions purement désintéressées de la partie ukrainienne pour la réalisation de ses obligations selon ces accords soumet la collaboration franco-russe dans ce domaine important à la volonté et aux intérêts d'une troisième partie aux intérêts bien marqués.

En outre, les réflexions sur une solidarité transatlantique entre la France et les Etats-Unis, dans lesquelles une campagne antirusse sanctionnante est devenue un pan entier des luttes électorales, rendent encore plus complexe la recherche de sorties de la crise. Les sanctions dites « secondaires » des Etats-Unis infligent de sérieux dommages à la collaboration internationale des entreprises européennes, parmi les plus touchées, y compris aux grosses entreprises françaises.

Et pourtant, les relations commerciales et économiques des deux pays, qui occupent la seconde place après les relations politiques, restent un facteur important d'un développement futur de la collaboration malgré les difficultés politiques et celles liées aux sanctions. De grandes entreprises françaises continuent à travailler dans notre pays, augmentent leur présence, réalisent de nouveaux projets.

La rencontre au Kremlin du Président de Russie Vladimir Poutine avec les membres du Conseil économique de la Chambre du commerce et de l'industrie franco-russe le 18 avril 2019 a eu un effet stimulant sur le développement des relations commerciales et économiques bilatérales. Lors de cette rencontre, des questions importantes de la coopération dans le domaine du commerce et des investissements ont été traitées. Le Président de la Fédération de Russie a pris sous son contrôle personnel la réalisation d'un nombre de projets prometteurs.

Des possibilités complémentaires du développement des relations commerciales et économiques entre la Russie et la France s'ouvrent également dans le contexte des déclarations récentes du Président de la République française Emmanuel Macron sur la nécessité de « repenser » les relations avec la Russie et donner à la collaboration économique bilatérale une nouvelle impulsion, même dans les conditions d'un régime de sanctions. C'est la même chose lorsque les Etats-Unis utilisent activement le mécanisme des sanctions extraterritoriales, qui a incontestablement des retombées négatives aussi bien sur les entreprises russes que françaises, pour ramener de manière rationnelle sur un plan pratique la question du passage des comptes entre la Russie et les pays de l'UE, y compris la France, du dollar en euro.

Pour définir les tendances possibles de développement des relations économiques entre la Russie et la France en 2018 en présence des Présidents de la Russie et de la France, une déclaration commune sur « un nouveau partenariat franco-russe pour l'économie du futur » a été signée entre le Ministère du développement économique de la Fédération de Russie et le Ministère de l'économie et des finances françaises.

Le commerce réciproque entre la Russie et la France, après une longue période de déclin en 2012-2015, a commencé à reprendre progressivement. Les échanges commerciaux ont montré une croissance en 2016-2018. D'après le bilan de 2019, on observe une baisse peu significative du volume du commerce réciproque entre la Russie et la France, à savoir une diminution de 13,1 % (-2,3 milliards de dollars US) soit 14,9 milliards de dollars US. En outre, il faut noter que la tendance à la baisse des échanges commerciaux a été observée pour tous les pays de l'UE (diminution de 5,6%).

La France fait partie du trio des plus grands investisseurs européens. Avec son volume d'investissements cumulés (22,1 milliards de dollars américains) pour 2019, la France occupe la 7 e place dans la liste des pays-investisseurs en Russie et la 3 e place parmi les pays membres de l'Union européenne.

Le volume des investissements cumulés russes en France s'élève à 3,1 milliards de dollars américains (pour 2019). En prenant en compte les difficultés rencontrées par les investisseurs russes en France, il vaut la peine de discuter de la question des moyens supplémentaires pour renforcer la présence des investissements russes sur le territoire économique français.

Actuellement environ 500 succursales de sociétés françaises travaillent en Russie et le nombre d'entreprises russes avec une participation française s'élève à 1 200. Les relations à long terme établies par les entreprises françaises avec des partenaires russes dans les domaines agricole, banquier, commercial, automobile et aéronautique, pharmaceutique et bien d'autres constituent des bases solides pour des échanges réciproques.

Une impulsion supplémentaire au renforcement de la collaboration est donnée par le dialogue avec le monde des affaires français entretenu au plus haut niveau. Outre les rencontres régulières du Président de la Fédération de Russie avec des hommes d'affaires français, tous les ans le Ministre du développement économique de Russie organise des rencontres avec les chefs de grandes entreprises françaises. Par ailleurs, en 2019 la première rencontre avec les membres du Conseil économique de la Chambre du commerce et de l'industrie franco-russe avec le Vice-président du Gouvernement de Russie a eu lieu.

En 2019, le Forum économique international de Saint-Pétersbourg a accueilli une délégation française de 250 personnes, environ 50 entreprises françaises ont été représentées. A l'issue du Forum, 15 accords ont été signés, parmi lesquels l'accord entre le Ministère du développement économique de Russie et la banque « Société Générale » sur l'échange d'informations relatives à la gestion et au développement du financement durable (financement de projets sociaux et « verts »), l'accord entre le Russian Direct Investment Fund, « Schneider Electric » et BPI France en vue de la création d'une entreprise en participation pour le financement de projets d'accroissement de l'efficacité énergétique en Russie, le Mémorandum de collaboration entre l'Union russe des industriels et entrepreneurs et Sanofi pour la collaboration dans le domaine d'augmentation de la longévité au travail et de la productivité sur les postes de travail.

Le mécanisme principal de développement des relations économiques est le Conseil Franco-Russe pour l'économie, les finances, l'industrie et le commerce (CEFIC).

La 25 å session de CEFIC a eu lieu le 10 décembre 2019 à Moscou sous la présidence du Ministre du développement économique de Russie et le Ministre de l'économie et des finances de France. A l'issue de cette session, sept documents de collaboration dans les domaines du tourisme, de l'intelligence artificielle, de l'efficacité énergétique, des finances « vertes » et de la médecine ont été signés.

La coopération des sociétés russes et françaises dans le domaine de la vente des produits fabriqués sur les marchés des pays tiers se développe avec succès. Dans le domaine énergétique, il s'agit surtout des projets de production de GNL. Ainsi, le projet « Yamal-CPG » d'une valeur totale de 27 milliards de dollars réalisé avec la participation de la société française Total assure la fourniture du gaz naturel liquéfié sur cinq continents. Dans le domaine de l'énergie atomique, la construction commune de centrales nucléaire est menée à l'étranger.

Par ailleurs, les entreprises françaises approfondissent activement la localisation de leurs productions en Russie. Un exemple concret est celui de l'entreprise française « Renault », qui ayant en Russie des centres de production, a réussi à faire des véhicules déjà prêts non seulement pour les vendre au sein du pays mais aussi pour les exporter en Mongolie et dans les pays du Golfe Persique.

Malgré le régime de sanctions maintenu par l'UE et des modifications de la structure des échanges commerciaux, nous pouvons constater que la Russie et la France restent des partenaires commerciaux et économiques importants. Et la situation internationale complexe n'impacte pas la réalisation des initiatives communes dans un nombre important de domaines économiques.

La réussite de projets communs permet de placer les relations économiques entre la Russie et la France à un nouvel échelon non-exposé aux sanctions ni aux agitations mondiales, mais favorisant plutôt un dialogue direct entre le gouvernement russe et les entreprises françaises, ainsi que l'espace de dialogue interministériel (CEFIC) permettront de continuer de résoudre les problèmes vitaux en matière d'économie.

La collaboration dans les domaines de la culture et de l'éducation est l'un des axes prioritaires du dialogue entre la Russie et la France. De plus, ce dialogue se développe avec succès quelles que soient la situation internationale et la conjoncture politique. Cet état des choses est dû à l'histoire millénaire des relations entre la Russie et la France, à l'amitié, le respect commun, l'attirance réciproque culturelle et spirituelle entre les Russes et les Français, un lien étroit entre les deux grandes cultures.

La collaboration franco-russe se développe pratiquement dans tous les domaines des activités artistique et humanitaire. Il est évident que les actions et les projets bilatéraux réalisés ont donné une nouvelle dimension aux contacts dans ce domaine. Au cours de ces dernières années, à commencer par la première et prometteuse Année France-Russie en 2010, de grands projets culturels ont vu le jour, telles que les Saisons de la langue et de la littérature russes en France en 2012, les Saisons théâtrales, de cinéma et des beaux-arts en 2013-2015, l'Année du tourisme culturel en 2016-2017, l'Année des langues russe et française en 2018.

La présence culturelle de Russie en France s'est beaucoup renforcée avec l'ouverture, en octobre 2016, à Paris, quai Branly, du Centre culturel orthodoxe. En trois ans de son travail un nombre important de manifestations (expositions, conférences, tables rondes, projections cinématographiques) y a été organisé. Deux importantes structures de la formation de la confiance de la société civile envers chacun des deux pays sont l'agence fédérale Rossotrudnichestvo, futur organisateur systémique d'évènements à travers toute la France, ainsi que l'Institut Français représenté en Russie. Le centre russe pour la science et la culture à Paris fonctionne largement à travers tout le pays. Ses priorités en France sont la mise en place d'une aide à l'apprentissage du russe à différents niveaux, des échanges scientifiques et culturels, des programmes éducatifs.

L'organisme clé de la collaboration culturelle et humanitaire est la Commission Franco-russe de collaboration dans les domaines de la culture, de l'éducation et d'échanges de jeunesse (sa prochaine session est prévue pour l'année 2020) qui a repris son activité en 2016.

Pour les domaines culturel et humanitaire l'année 2020 sera marquée par l'organisation, en France, des « Saisons russes », le festival dont la cérémonie d'ouverture a eu lieu le 16 janvier à Paris à Odéon. Le Festival touchera quasiment toutes les régions françaises (86 villes), 420 manifestations culturelles sont prévues. Un des thèmes clés dans le programme des « Saisons russes » sera le thème du 75e anniversaire de la victoire dans la Seconde Guerre mondiale - les expositions des institutions principales russes spécialisées du Musée-réserve historique et commémoratif d'État « Bataille de Stalingrad », du musée central d'état de l'histoire contemporaine de la Russie, du musée central des forces armées sont prévues. En outre, une attention particulière sera accordée à la promotion du patrimoine spirituel des deux pays comme l'un des fondements de l'approfondissement du dialogue fondé sur la confiance et la compréhension mutuelles, ainsi que la démonstration de la diversité culturelle des peuples de la Russie. À cet égard, il est prévu d'organiser une série d'événements spirituels de grande envergure - les Journées de la Russie en France (mises en oeuvre par le ministère des Affaires étrangères de Russie en coopération avec l'Église orthodoxe russe).

Encore un grand événement culturel, l'exposition d'impressionnistes de la collection privée des frères Morozov (Paris, la fondation Louis-Vuitton, automne 2020). Ces mécènes ont su apprécier, parmi les premiers, le talent et aider financièrement des peintres peu connus à l'époque, tels que Claude Monet, Auguste Renoir, Edgar Degas, Henri Matisse. Ce projet d'envergure internationale marquera une nouvelle page dans l'histoire des relations culturelles franco-russes.

Le centenaire de l'exode de la Crimée et de Sébastopol de l'escadre de la Flotte de la mer Noire fera l'un des sujets principaux de l'année 2020. Ce que l'on appelle l'« Exode russe » qui a créé la première vague d'immigration russe en France. De nouvelles expositions thématiques seront organisées et des documentaires projetés en France, ainsi qu'un nombre de manifestations avec la participation d'experts russes et français. Il est prévu de réaliser la première étape de mesures de conservation et d'entretien des lieux de sépulture des participants à l'Exode russe, et notamment à la nécropole russe au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois.

En ce qui concerne les relations des deux pays dans les domaines de la science et de l'éducation , elles ont également une riche histoire de partenariat et de collaboration fructueuse.

Dans les domaines des sciences, de l'éducation et des technologies la Russie et la France ont signé la feuille de route «L'enseignement supérieur et les recherches scientifiques » qui fixe les priorités de la collaboration scientifique pour les 10 ans à venir. Elle prévoit la mise en place d'une collaboration entre la Fondation scientifique russe et l'Agence nationale de la recherche française. De grandes perspectives sont promises au projet « L'Université Franco-russe » auquel participeront 10 établissements d'enseignement supérieur de chaque pays. Des spécialistes russes participent au travail de l'European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) et de l'International Thermonuclear Experimental Reactor ITER en France. Les spécialistes français manifestent un intérêt pour les projets de l'Institut unifié de recherches nucléaires à Doubna.

Il faut noter qu'en 2015 les deux pays ont signé un accord de reconnaissance mutuelle de diplômes et des grades scientifiques. Néanmoins, le problème que nous rencontrons actuellement est la diminution de l'attrait de la Russie aux yeux de la jeunesse française liée à la méconnaissance des réalités russes, aux positions marginales de la langue russe en France, à la réduction de recherches dans le domaine de la culture russe, à certains mass médias engagés. Le travail au sein du dialogue de Trianon, qui doit devenir un espace de rapprochement des sociétés civiles des deux pays, pourra aider à résoudre ce problème. En même temps, il est important de poursuivre le programme, en Russie et en France, des « écoles d'été » sous le thème de la « Grande Europe » avec la participation d'étudiants, de doctorants et de jeunes scientifiques, ainsi que d' activer la collaboration des jeunes , et notamment, d'organiser des colonies de vacances linguistiques et culturelles, des expéditions, des festivals de cinéma et de musique. Il faut soutenir les efforts destinés à élargir les échanges universitaires, y compris en augmentant l'attrait des universités russes comme lieux d'études pour les étudiants français et faciliter l'obtention des visas. Dans cette optique, une importance particulière est portée à l'organisation de la première session du Comité de développement des échanges de jeunesse prévue pour le premier semestre 2020 à Paris.

Un rôle particulier dans les relations franco-russes est joué par la dimension interrégionale , qui a pris une grande importance dans le contexte politique international complexe d'aujourd'hui. 2021 portera le nom de l'Année de la collaboration des régions de la Russie et de la France. Dans le cadre de son action statutaire, la représentation de Rossotrudnichestvo en France fournira une aide au développement des contacts directs entre les formations municipales et les sujets de la Fédération de Russie avec les villes et régions françaises dans les domaines humanitaire, culturel, technico-scientifique et économique. Les parlementaires de nos pays s'attacheront à contribuer à la bonne réalisation de ce projet. Il est important de souligner que plus de 70 régions de Russie entretiennent des relations commerciales, économiques et culturelles avec la France malgré les sanctions réciproques de l'Union européenne et de la Russie. Moscou, Saint-Pétersbourg, la région de Moscou, la région de Kalouga, la République de Tatarstan, la région de Rostov, la région de Samara, la région de Vologda, la région de Tambov sont particulièrement impliqués. Nous constatons un renforcement de développement interrégional dans les domaines de l'économie, des innovations, du génie urbain, de la culture et de l'éducation.

La coopération intermunicipale et les échanges des villes jumelées se développent également. Actuellement, l'on compte environ 50 paires de villes jumelées de Russie et de France. Les plus actives parmi elles sont Kashira-Evreux, Tikhvine-Hérouville, Volgograd-Dijon, Joukovski-Bourget, Saint-Petersbourg-Bordeaux, Krasnodar-Nancy et autres. En 2019 28 manifestations ont été organisées par des sujets de la Fédération de Russie dans le cadre des échanges entre villes jumelées.

Actuellement, 38 accords de partenariat ont été conclus entre nos régions, compagnies et organisations régionales. Dernièrement, nous avons organisé des présentations de plusieurs régions russes au Congrès des autorités locales et régionales du Conseil de l'Europe et de l'UNESCO. Rossotrudnichestvo et ses partenaires sont prêts à développer des projets d'élargissement des liens multilatéraux entre les villes jumelées de France et de Russie.

L'établissement de la coopération interparlementaire internationale pourrait devenir un élément de taille dans la voie de la construction des relations bilatérales entre les organes législatifs du pouvoir d'Etat des sujets de la Fédération de Russie et des organes parlementaires des régions de la République s Française .

Un important événement est attendu en 2020, la première session de la Commission franco-russe de collaboration entre les entités territoriales qui a été créée en 2011 conformément à l'Accord entre les gouvernements de la Fédération de Russie et de la République française.

Le Conseil de la Fédération de Russie et le Sénat français, ainsi que la Chambre des régions, considèrent les relations interrégionales et intermunicipales comme l'un des instruments majeurs d'une collaboration fructueuse, d'un échange d'expériences dans le domaine du développement des régions et des agglomérations, ainsi qu'un moyen de transmettre des informations objectives sur les événements sociaux, politiques et humanitaires de notre pays.

B. OBSERVATIONS DU SÉNAT FRANÇAIS

1. Des échanges économiques à conforter mais contraints par l'orientation de politique économique russe et un contexte de sanctions

Après avoir significativement décru en 2014 et 2015 et atteint un point bas en 2016, le commerce bilatéral entre nos deux pays est reparti à la hausse, mais principalement grâce à nos importations et à un effet-prix sur les hydrocarbures. On constate surtout un rétrécissement du marché russe aux exportations françaises qui découle des politiques russes de substitution aux importations dans un contexte de sanctions et contre-sanctions économiques. Les exportations du secteur agroalimentaire, touchées pour partie par un embargo russe, sont ainsi passées de 1,2 Md€ en 2013 à 719 M€ en 2018. Il faut aussi noter la volatilité des livraisons d'aéronefs (certaines étant attendues pour 2020).

On ne peut nier l'effet des sanctions sur nos relations économiques. Si les sanctions européennes ont eu un impact direct sur les secteurs visés, il faut aussi souligner l'impact des sanctions américaines, compte tenu de leur effet extraterritorial, notamment sur le comportement des banques françaises. Selon nos milieux d'affaires, il en résulterait paradoxalement un avantage concurrentiel pour les entreprises américaines (sans doute grâce à des décisions accommodantes de l'OFAC 5 ( * ) ) alors que les entreprises françaises paient le prix fort pour cette politique . Le Sénat appelle la Russie à de vrais progrès dans l'application des accords de Minsk, de nature à permettre la levée des sanctions qui pénalisent nos entreprises.

L'évolution de nos échanges sur le plan commercial incite les entreprises françaises à s'implanter en Russie. La France conforte à cet égard sa position stratégique sur le marché russe, puisqu'elle est le premier investisseur étranger en stock et le deuxième en flux dans le pays, dont elle est aussi le premier employeur étranger.

La Déclaration sur le « Nouveau partenariat économique franco-russe pour l'économie de demain » signée à l'occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg en 2018 a créé des opportunités, notamment dans le domaine des « nouvelles mobilités » (la Russie est désormais le premier marché de Blablacar) et concernant les « réponses économiques au changement climatique ». Les perspectives sont également intéressantes dans le domaine des déchets et de la santé.

Malgré la progression de la Russie dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale (28 e place en 2020), le climat des affaires reste un sujet de préoccupation pour les entreprises françaises qui souffrent d'un manque de sécurité juridique et redoutent le risque de pénalisation, illustré par l'affaire Philippe Delpal. Plusieurs observateurs évoquent même une dégradation .

Par ailleurs, des difficultés de financement de la part des banques internationales, dont françaises, continuent à se poser dans le contexte des sanctions extraterritoriales américaines et de leur possible renforcement (phénomène dit « de surconformité »). Ce problème a été évoqué lors du dernier Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC) de décembre 2019. Il fait actuellement l'objet d'une évaluation destinée à faire émerger des pistes de progrès.

2. Des échanges humains denses et variés

Le dynamisme des échanges culturels franco-russes ne faiblit pas . En 2018, l'année franco-russe « des langues et des littératures » a permis le lancement de coopérations fructueuses dans le domaine du livre. On relèvera, à cet égard, que le français constitue la deuxième langue de traduction en Russie, après l'anglais et devant l'allemand. Placée sous le signe du théâtre, l'année 2019 a vu la participation de la France à de nombreux événements organisés à cette occasion. En 2020 sera lancée, conjointement avec l'Allemagne, une grande exposition trilatérale intitulée « Unis dans la diversité », en commémoration du 75 e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. Consacrée à la création artistique européenne contemporaine, elle sera présentée successivement à Moscou, Berlin et Paris.

Lancé en 2017 à l'initiative des deux présidents français et russe et destiné à favoriser les échanges entre la jeunesse et les sociétés civiles des deux pays, le Dialogue de Trianon est un outil majeur de la coopération dans le champ culturel. Les échanges dans ce cadre s'articulent autour d'une thématique renouvelée chaque année. En 2020, il s'agit de « environnement et développement durable ». Ce dispositif devrait bénéficier d'une réévaluation de ses moyens qui devrait lui permettre de développer des actions plus ambitieuses à compter de 2020. Il importe en tous cas que cette initiative évite l'écueil de l'institutionnalisation et s'attache à préserver la spontanéité des échanges et de l'expression des sociétés civiles .

A cet égard, la France tient à pouvoir discuter avec la Russie de la situation des droits de l'homme et des libertés publiques . C'est pour cette raison qu'elle a soutenu la réintégration de la Russie au Conseil de l'Europe en juin 2019, la quasi-totalité des parlementaires de la délégation française ayant voté en faveur de cette décision. Le Sénat a pris toute sa part dans cette démarche et n'a pas ménagé ses efforts pour convaincre les plus hésitants. Néanmoins, la relance de consultations bilatérales en matière de droits de l'homme est aussi souhaitable. Dans le cadre d'une relation amicale, tous les sujets, si sensibles soient-ils, doivent pouvoir être évoqués en respectant naturellement une certaine confidentialité pour les affaires individuelles. Le dialogue interparlementaire constitue est d'ailleurs une occasion, parmi d'autres, pour aborder ces questions.

Concernant la coopération éducative et linguistique , la préoccupation française est d'enrayer la diminution de l'enseignement du français qui, s'il se maintient au troisième rang des langues étrangères enseignées en Russie, ne concerne plus que 2 % des élèves. Le pays compte 200 établissements à français renforcé, dont 22 à sections bilingues qui n'ont pas encore obtenu de reconnaissance officielle de la part des autorités éducatrices russes. On espère vivement que la signature prochaine d'un accord intergouvernemental sur l'apprentissage du français en Russie et du russe en France 6 ( * ) permettra de faire avancer cette reconnaissance mais aussi de relancer un programme d'assistants de langue déséquilibré (aucun assistant de français en Russie alors que 48 assistants de russe sont présents en France).

Si elle est déjà dense et variée, la coopération scientifique et universitaire peut encore s'intensifier et se structurer . Avec 5 337 étudiants russes en France et 300 étudiants français en Russie, la mobilité étudiante entre nos deux pays a un important potentiel de développement et plaide, particulièrement côté russe, pour une politique d'attractivité renforcée. Le Sénat y est particulièrement attentif. La signature d'accords de doubles diplômes est une priorité, de même que la valorisation de l'action des Collèges universitaires français de Russie (CUF) et du Centre d'études franco-russe (CEFR), ainsi que le développement de l'Université franco-russe (qui regroupe actuellement 5 établissements russes et 4 établissements français). Il est aussi nécessaire de définir clairement nos priorités stratégiques en matière de recherche , en cohérence avec la feuille de route franco-russe pour l'enseignement supérieur et la recherche, adoptée en 2018. Enfin, cette coopération peut trouver à se développer dans un nouveau champ, celui du patrimoine, compte tenu de l'intérêt manifesté par le ministère russe de la Culture.

La coopération décentralisée peut elle aussi contribuer à la relance de nos relations. Sur quelque 80 partenariats décentralisés recensés, une trentaine seulement seraient réellement actifs, dont de nombreuses villes. Afin de dynamiser ce volet, 2021 devrait être « l'année franco-russe de la coopération décentralisée.

Quel que soit le cadre dans lequel ils s'inscrivent (études, recherche, tourisme...), les échanges humains entre nos deux pays doivent pouvoir bénéficier d'une politique de visas accommodante . A cet égard, la France demeure favorable, sous réserve de réciprocité, à un régime d'exemption des visas de court séjour pour les ressortissants russes, ce qui suppose, au plan européen, la levée des sanctions et donc la mise en oeuvre par la Russie des accords de Minsk. Dans cette attente, nos deux pays doivent s'attacher à fluidifier la délivrance des visas , les difficultés d'ordre administratif parfois rencontrées pouvant constituer un frein regrettable à la circulation des personnes.

IV. LE RENFORCEMENT DE LA COORDINATION POUR LA GESTION DES CRISES

A. TEXTE DU SÉNAT FRANÇAIS

1. Les crises en Europe et dans le voisinage : Ukraine et conflit gelés

? L'un des dossiers de crise pour lequel une i mplication de la Russie permettant des évolutions constructives est particulièrement attendue est le conflit dans l'est de l'Ukraine . Depuis son déclenchement au printemps 2014, ce conflit au coeur du continent européen a fait, rappelons-le, 13 300 morts, 25 000 blessés et plusieurs millions de déplacés, et déclenché une vaste crise humanitaire.

Incontestablement, des progrès ont été enregistrés au cours de l'année 2019 , en particulier une baisse de la violence, avec une diminution de 44% des violations du cessez-le-feu et de 40 % du nombre de victimes civiles.

Surtout, le Sommet en format Normandie qui s'est tenu à Paris le 9 décembre 2019 , moment particulièrement important puisqu'un tel sommet n'avait pas été organisé depuis 2016, a ouvert l'espoir d'une relance de la dynamique de résolution du conflit et de mise en oeuvre des accords de Minsk, dont l'application est enlisée depuis plusieurs années. Il faut maintenant que les engagements pris à cette occasion soient suivis d'effets : respect complet du cessez-le-feu, extension des zones de désengagement des forces et des équipements, actualisation du plan de déminage, ouverture de nouveaux points de passage le long de la ligne de contact, nouveaux échanges de prisonniers et mise en oeuvre du volet politique des accords de Minsk 7 ( * ) (entrée en vigueur d'une loi d'amnistie et de mesures particulières d'autonomie locale, organisation des élections), y compris de la « formule Steinmeier » sur laquelle un accord a été trouvé.

Il faut saluer, dans la droite ligne du Sommet de Paris, l'échange intervenu dès le 29 décembre 2019 entre Kiev et les autorités séparatistes, portant au total sur 200 prisonniers (76 rendus à l'Ukraine, contre 124 rendus aux séparatistes), qui fait suite à un premier échange en septembre 2019 (35 rendus à la Russie contre 35 rendus à l'Ukraine, dont les 24 marins faits prisonniers lors de l'incident du détroit de Kertch le 25 novembre 2018, et le cinéaste Oleh Sentsov qui était emprisonné depuis 2014).

Un autre signal positif récent - néanmoins déconnecté du processus de Minsk, est la signature, le 30 décembre 2019, d'un accord gazier entre Kiev et Moscou, qui garantit le transit d'une partie du gaz russe vers l'Europe via l'Ukraine, dans le contexte d'une diversification de ses voies d'acheminement (via la Mer Baltique avec les gazoducs Nord Stream I et bientôt II et via la Turquie avec le gazoduc Turkish Stream).

Pour autant, le cessez-le-feu reste précaire . S'il est respecté dans les zones de désengagement, il continue à faire l'objet de violations sur la ligne de contact (de l'ordre de 650 entre début janvier et mi-février 2020) et les flambées de violence, comme celle qui s'est produite le 18 février dernier, restent possibles à tout moment.

Il est nécessaire que la Russie puisse exercer, pour sa part, toute son influence auprès des forces séparatistes en faveur d'une stabilisation de la situation sécuritaire , afin notamment de garantir le retrait effectif par ces dernières des armes lourdes et assurer la liberté de circulation de la mission d'observation de l'OSCE dans les zones de facto sous leur contrôle, ainsi que l'accès du CICR aux personnes détenues.

Il faudrait aussi que cessent les mesures de russification mises en oeuvre dans les régions de Donetsk et de Louhansk (distribution de passeports russes, interdiction des plaques d'immatriculation ukrainiennes...) qui vont à l'encontre de l'objectif des accords de Minsk qui est le rétablissement de la souveraineté ukrainienne dans le Donbass.

Ces avancées sur le terrain apparaissent en effet indispensables pour permettre la mise en oeuvre du volet politique des accords. Le Sénat ne manque pas de rappeler à Kiev ses obligations à ce titre lors de ses contacts avec l'exécutif ou les parlementaires ukrainiens . L'organisation d'élections locales selon les standards internationaux suppose, certes, l'adoption de lois, mais aussi la fin des violences et le désarmement des milices armées. Sur ce dernier point, l'action de la Russie est déterminante .

En outre, la question du rétablissement du contrôle de Kiev sur la frontière russo-ukrainienne - qui, aux termes des accords de Minsk, doit intervenir après l'organisation des élections à l'est - doit également pouvoir avancer.

La question de la Crimée reste par ailleurs non résolue . L'organisation d'élections législatives le 8 septembre 2019, en même temps que les élections locales en Russie, ne fait que conforter la violation de l'intégrité territoriale de l'Ukraine qu'a représentée en 2014 l'annexion de la Crimée par la Russie.

? Au-delà de l'Ukraine, des avancées sont aussi attendues en ce qui concerne les relations de la Russie avec d'autres pays de l'ex-espace soviétique dans lesquels perdurent des conflits dits « gelés ». La souveraineté pleine et entière de ces pays doit être réaffirmée sans ambiguïté. La présence de minorités russophones ne peut servir de prétexte à des interventions extérieures ou comme moyen de pression sur les Etats.

C'est notamment le cas avec la Géorgie , où des incidents continuent à se produire sur la ligne de démarcation et qui se plaint d'être la cible d'actions hybrides, comme l'importante cyberattaque qui s'est produite à l'automne 2019. Compte tenu de l'influence qu'elle exerce sur les régions séparatistes (l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud), la Russie a la capacité de contribuer à un apaisement des tensions qui apparaît d'autant plus souhaitable que des élections législatives se dérouleront dans le pays à la fin de l'année 2020.

De même, nous pensons que la Russie est en capacité, de par son influence et les relations qu'elle entretient tant avec l'Arménie qu'avec l'Azerbaïdjan, d'obtenir des avancées en ce qui concerne la situation du Haut-Karabagh .

Enfin, si les relations de la Russie avec la Moldavie semblent vouloir s'améliorer, notamment sur le plan économique, les négociations en format « 5+2 » concernant la région séparatiste de Transnistrie, occupée militairement par la Russie, n'enregistrent pas vraiment de progrès.

Il est temps de faire avancer la résolution de ces conflits qui minent depuis plus de vingt ans la stabilité de l'Europe et de son voisinage et empoisonnent la vie quotidienne de leurs populations. Ces pays ne doivent pas être mis face à des choix binaires, mais plutôt être considérés comme des ponts entre l'Union européenne et la Russie.

De la même manière, il faut éviter que les Balkans occidentaux , où la Russie est présente, mais qui sont aussi tournés vers l'Union européenne, deviennent le terrain d'une nouvelle guerre d'influences . Notre intérêt et celui de ces pays est de stabiliser cette région et d'encourager son développement économique, non de réactiver des conflits dont elle n'a que trop souffert dans le passé. La France, qui entend jouer un rôle plus actif pour accompagner ces pays 8 ( * ) , et la Russie ont donc tout intérêt à approfondir leur dialogue sur les Balkans occidentaux .

Le Sénat, quant à lui, met à profit tous les entretiens et les rencontres qu'il peut avoir avec les représentants de ces différents pays pour appeler au règlement des crises et à l'application des accords passés, dans le respect du droit international.

2. Les crises au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

? Même s'il est difficile, le dialogue concernant la Syrie demeure une nécessité .

Alors qu'est en cours l'offensive meurtrière du régime syrien et de ses alliés contre Idlib , selon un atroce scénario qui n'est que la triste répétition de celui observé en 2016 à Alep puis en 2018 à la Ghouta, la préoccupation première de la France concerne les populations civiles. Dans cette enclave, 3 millions de personnes, en très grande majorité des femmes et des enfants sont en effet exposés aux attaques et aux bombardements qui n'épargnent pas les infrastructures civiles comme les écoles et les hôpitaux. Il est pour le Sénat français difficilement compréhensible que la Russie puisse encourager de telles atteintes au droit humanitaire international. Entre le 1 er décembre et le 10 février dernier, 700 000 personnes avaient été déplacées dans la région, laissant craindre un nouveau départ de réfugiés dans les pays voisins. Cette situation provoque un regain de tensions avec la Turquie, laissant craindre un embrasement.

Par ailleurs, les opérations militaires accroissent les mouvements forcés de populations et la pression migratoire, qui affecte l'Union européenne et donc les relations entre les Etats membres de l'Union européenne et la Russie.

L'urgence est de faire taire les armes et d'imposer un cessez-le-feu . Il est aussi nécessaire de trouver des solutions pour permettre la délivrance de l'aide humanitaire dans le Nord-Est du pays . Les conditions d'acheminement sont en effet devenues très difficiles depuis l'adoption en janvier dernier, à la suite d'un veto russe et chinois empêchant la reconduction à l'identique du dispositif précédent, d'une résolution au Conseil de sécurité réduisant les points de passage de l'aide transfrontalière.

Il est aussi indispensable de mettre un terme aux déplacements forcés de population et de réfléchir conjointement aux moyens de favoriser la réinstallation en Syrie, en toute sécurité, des Syriens ayant fui le régime actuel.

La Russie dispose de l'influence nécessaire sur le régime de Damas pour que fonctionne le comité constitutionnel , créé à la suite du Sommet quadripartite d'Istanbul (Russie, Turquie, France, Allemagne) du 27 octobre 2018, afin de permettre des avancées sur le volet politique , conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité. Peu après le lancement de ses travaux, ce comité constitutionnel est déjà paralysé par l'attitude non coopérative du régime syrien qui le bloque sur des questions d'ordre du jour. On ne peut se satisfaire d'une telle situation qui tend à donner raison à la solution militaire. La mise en oeuvre du processus politique conditionne le rétablissement de la stabilité dans la région dans la mesure où il doit permettre l'organisation d'élections libres et la représentation équitable de l'ensemble des composantes de la population syrienne. Il conditionne aussi l'éventuelle participation de l'Union européenne à tout effort de reconstruction en Syrie.

? Le conflit libyen constitue une préoccupation de premier ordre pour la France , compte tenu de ses conséquences sécuritaires, migratoires et humanitaires. L'implication croissante de la Russie dans cette crise justifie qu'elle fasse l'objet d'un dialogue entre nos deux pays. La tenue du premier comité bilatéral franco-russe sur la Libye, le 12 février dernier, témoigne de la robustesse de ce dialogue.

La situation en Libye ne cesse en effet de se complexifier. Le renforcement ces derniers mois du soutien militaire apporté par les puissances extérieures aux autorités concurrentes (Turquie au Gouvernement d'entente nationale de Fayaz al Sarraj et Egypte, Emirats arabes unis et Russie à l'Armée nationale libyenne du général Khalifa Haftar) contrevient à l'embargo sur les armes décidé par l'ONU en 2011 et alimente la conflictualité, alors que la solution militaire est un leurre . La conférence internationale qui s'est tenue à Berlin le 19 janvier 2020 a appelé à la fin de ces interférences étrangères, au respect de l'embargo, au cessez-le-feu et à la reprise du dialogue politique.

Tout en étant impliquées dans le conflit, la Russie et la Turquie ont semblé vouloir se poser en arbitres en appelant début janvier les protagonistes à une trêve et en organisant leur propre dialogue entre parties libyennes . Si une accalmie s'en est suivie, un cessez-le feu durable et crédible n'a pu être obtenu jusqu'à présent. Il est à craindre que cette trêve ne soit qu'un répit permettant à chaque camp de reconstituer ses forces sur le terrain. La multiplication des livraisons d'armes et de matériels observée depuis le début de l'année plaide en ce sens.

De par l'influence croissante qu'elle a acquise dans la région, la Russie a la capacité de peser positivement dans la résolution du conflit libyen, en soutenant le processus de dialogue politique mis en place dans le cadre des Nations Unies. Concernant la Libye - et la Syrie -, la Russie devrait, en outre, éviter l'écueil d'une gestion exclusivement bilatérale avec la Turquie , qui ne peut conduire qu'à l'échec du fait de la complexité de la situation libyenne et de la multiplicité des parties prenantes. Seule une approche inclusive, avec notamment les pays de l'Union européenne, mais aussi d'autres partenaires régionaux, est susceptible d'apaiser la situation en Libye.

? La France partage avec la Russie certaines préoccupations sur le dossier nucléaire iranien, en particulier le souhait de préserver le cadre de l'accord de Vienne . Nous n'avons cessé de mettre en garde les Etats-Unis, y compris au Sénat, sur les dangers encourus en cas de retrait de l'accord de Vienne et avons beaucoup regretté qu'ils décident finalement de le faire. Le désengagement progressif de l'Iran vis-à-vis de ses obligations au titre de l'accord - à la signature duquel la Russie avait positivement contribué - préoccupe beaucoup la France qui tente , avec ses partenaires du E3 (Royaume-Uni, Allemagne), de sauvegarder le JCPoA par tous les moyens, y compris par l'activation du mécanisme de règlements des différends. Alliée de l'Iran et partenaire de ce pays en matière de nucléaire civil, la Russie n'en partage pas moins nos préoccupations de sécurité.

La France et la Russie doivent donc s'efforcer de maintenir une approche commune sur ce dossier et de préserver cet instrument essentiel du régime de non-prolifération. C'est, en effet, la stabilité de l'ensemble du Moyen-Orient qui est en jeu.

? Nos deux pays ont aussi des convergences de vue sur le dossier israélo-palestinien , structurant pour la situation régionale. La Russie lui accorde traditionnellement une grande attention et entretient de bonnes relations tant avec Israël qu'avec les Palestiniens. Comme la France, elle soutient la solution à deux États viables, dans le respect des résolutions adoptées par l'Organisation des Nations unies. Elle a par ailleurs émis des réserves sur l'orientation de la politique américaine (reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d'Israël, reconnaissance de l'annexion du Golan et des colonies, en contradiction avec le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité). Alors que la présentation le 28 janvier dernier du plan américain replace la question du processus de paix au coeur de l'actualité, il paraît tout à fait opportun que la France et la Russie approfondissent leurs échanges sur ce dossier. Pour la France, la solution au conflit palestinien ne saurait en tous cas provenir d'une décision unilatérale mais doit procéder de la négociation.

B. OBSERVATIONS DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

La Russie et la France sont d'avis que la désescalade des conflits en Ukraine, au Proche et au Moyen-Orient, ainsi qu'en Afrique du Nord, qui contribuent à la déstabilisation des relations entre l'Orient et l'Occident, constitue une condition nécessaire à la baisse des tensions à l'international. Néanmoins, dans certains cas la Russie et la France adoptent des méthodes de résolution des conflits différentes, parfois opposées, mais les deux parties tentent de rapprocher leurs positions sur les conflits les plus importants.

Le coup d'État qui a eu lieu en Ukraine en février 2014 malgré les garanties données par les représentants de la France, de l'Allemagne et de la Pologne sur l'accord conclu entre le président Ianoukovitch et l'opposition, a montré l'illusion d'un espoir de solution pacifique et évolutive à la crise politique et a fortement accru les tensions dans les régions du sud-est de l'Ukraine, ce qui a conduit au retrait volontaire de la Crimée, entériné par les résultats du référendum populaire, et au conflit armé en cours dans le Donbass.

Si la question du statut et de l'affiliation de la Crimée et de Sébastopol est définitivement close aujourd'hui après leur réunification volontaire avec la Russie, le conflit interne dans le Donbass se poursuit jusqu'à ce jour, causant la mort de personnes.

Depuis 2014, les autorités de Kiev mènent une lutte systématique contre leurs propres citoyens vivant dans cette région. Afin de mobiliser leurs partisans, les bénéficiaires du coup d'État de Kiev ont qualifié les habitants du Donbass de « terroristes » pour ne pas avoir voulu reconnaître le changement de pouvoir anticonstitutionnel et survenu par la force à Kiev et le nationalisme agressif qui sévit dans le pays. Dans un premier temps, les nouvelles autorités de Kiev ont présenté les opérations armées contre la population de certains secteurs des régions de Donetsk et de Lougansk comme une « opération anti-terroriste », puis elles ont commencé à justifier cette campagne par une sorte de « résistance à une agression extérieure » afin de trouver une excuse vis-à-vis des Ukrainiens, qui sont las de la guerre qui dure depuis six ans maintenant, de ne pas respecter les accords de Minsk sur un règlement au conflit armé dans l'est de l'Ukraine.

Les autorités ukrainiennes ont imposé au Donbass un blocus financier, économique, logistique et énergétique qui pose pour ses habitants la question de leur survie puisqu'ils sont en fait privés de leurs droits civils fondamentaux. En rompant unilatéralement les liens avec certains secteurs des régions de Donetsk et de Lugansk, Kiev a rendu de facto apatrides leurs habitants. Ces derniers ont été coupés du système de financement national et des services bancaires, des prestations sociales, des pensions, des salaires, des moyens de communication, de l'enseignement et des soins de santé. La Russie, qui cherche à résoudre la situation près de ses propres frontières, salue l'initiative de la France d'organiser les rencontres au « format Normandie » sur la désescalade de la crise.

Ainsi, après une pause prolongée dans la résolution de la crise ukrainienne, le 9 décembre 2019 la partie française a pris l'initiative d'organiser à Paris une rencontre au « Format Normandie » lors de laquelle a été rétabli le processus de démarches concrètes en faveur d'un règlement du conflit. Le résultat majeur de cette rencontre est que toutes les parties ont souligné le caractère incontournable des accords de Minsk dans la gestion de la crise en Ukraine. Les dirigeants des quatre pays ont donné au Groupe de contact des recommandations précises sur les voies de résolution du conflit. Les premiers pas ont déjà été accomplis. La Rada suprême d'Ukraine a prolongé jusqu'au 31 décembre 2020 la loi sur le statut spécial du Donbass (bien qu'il doive revêtir un caractère permanent), et le 29 décembre 2019 il a été procédé à un échange de prisonniers. Néanmoins certaines recommandations du Format Normandie n'ont pas été mises en oeuvre, comme la séparation des forces et des matériels sur trois secteurs supplémentaires, le déminage, l'ouverture de nouveaux postes de passage et de contrôle sur la ligne de contact, la poursuite des échanges de prisonniers, l'introduction dans la législation ukrainienne de la « formule Steinmeier » et la validation de tous les aspects juridiques du statut particulier du Donbass au niveau du Groupe de contact. Nous espérons que les nouvelles autorités de Kiev feront preuve de volonté politique et veilleront au respect des obligations prises par l'Ukraine, notamment dans le cadre du « Format Normandie » et du Groupe de contact. La partie russe est convaincue que la crise en Ukraine ne peut être résolue que par une solution politique au moyen d'un dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk. En tant que mesure auxiliaire il serait utile de réfléchir à l'idée d'envoyer sur la ligne de séparation entre l'Ukraine et les « Républiques populaires » du Donbass un contingent de maintien de la paix de l'ONU.

Entre autres choses, la crise ukrainienne a clairement démontré le caractère vicié et l'incohérence de la thèse selon laquelle les pays européens de l'espace post-soviétique, en construisant leur avenir, devraient prétendument faire un choix entre la Russie et l'Occident. La Russie et la France conviennent que la transformation des États du « voisinage commun » en bastions particuliers dirigés contre la Russie ou contre l'UE est destructrice pour les intérêts de la sécurité européenne commune et indivisible, et engendre de nouvelles lignes de fracture et, à terme, divise le continent. À cet égard, la Russie et la France, en tant que membres du Groupe de Minsk pour le règlement du conflit du Haut-Karabakh, s'efforcent de parvenir à une désescalade du conflit. La Russie et la France, tout en étant en désaccord sur la situation au Kosovo, estiment également que la région des Balkans occidentaux, historiquement liée à la fois à la Russie et à l'Europe occidentale, ne doit pas être le théâtre d'une nouvelle rivalité entre la Russie et l'Occident. La précieuse expérience de maintien de la paix conjointe entre les armées russe et française et d'autres pays de l'OTAN, acquise dans les années 1990 lors du règlement de la Bosnie-Herzégovine, servira d'exemple de travail constructif pour le bien de l'Europe.

Les processus négatifs lancés il y a une vingtaine d'années à la suite de l'intervention militaire américaine illégitime en Irak et accélérés par la chaîne des révolutions dites « printemps arabe » ont abouti à un résultat tragique : la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) est plongée dans une crise profonde . Dans un certain nombre de pays et de régions où des gouvernements légitimes, bien qu'autocratiques, ont été renversés, ce ne sont pas des forces démocratiques et progressistes qui, contrairement aux prévisions, sont arrivées au pouvoir mais au contraire des groupes islamistes radicaux qui défient l'État laïque en tant que tel et n'hésitent pas à prétendre construire un « califat » mythique en combattant par la force les « infidèles ». La France depuis 2014 et la Russie depuis 2015, agissant au sein de différentes coalitions, apportent une contribution significative au démantèlement des groupes terroristes en aidant à restaurer la laïcité et la civilisation au Moyen-Orient.

Dans le contexte de la grave crise que traverse actuellement la Syrie, devenue le théâtre d'un affrontement armé entre ses autorités légitimes et les puissantes forces terroristes qui contrôlaient une partie importante de son territoire en 2015, la Russie, avec la Turquie et l'Iran, a promu une initiative visant à entamer un dialogue politique au sein de la Syrie dont les principaux participants ne devraient pas être des émigrés vivant dans d'autres pays, mais des représentants des diverses forces politiques impliquées dans la guerre civile qui cherchent à s'entendre sur l'avenir de la Syrie laïque en se mettant à la table des négociations. En conséquence, le processus d'Astana, qui a été jusqu'à présent l'outil le plus efficace pour aider les Nations unies à faire progresser les objectifs de la résolution n°2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, a commencé ses travaux. La Russie et la France soutiennent la coordination des efforts des processus d'Astana et de Genève visant essentiellement à résoudre le problème du règlement politique de la crise en Syrie.

Ces dernières années, le gouvernement syrien a repris le contrôle d'une grande partie de son territoire, notamment le long de ses frontières avec l'Irak et la Turquie, et la vie pacifique reprend dans les provinces libérées du pouvoir des terroristes. Les efforts se poursuivent pour supprimer les restes des groupes terroristes radicaux (affiliés à l'État islamique en Syrie et au Levant/DAECH et à al-Qaïda) tant dans la zone Idleb que dans le nord-est du pays.

Grâce aux accords conclus lors de leur rencontre par les présidents russe Vladimir Poutine et turc Recep Tayyip Erdogan, à Moscou le 5 mars 2018, et inscrits dans le Protocole additionnel au Mémorandum conclu entre les deux pays le 17 septembre 2018, il a été possible de surmonter le dangereux regain de tensions dans la zone de désescalade d'Idleb.

Un aspect primordial de la coopération internationale en matière de règlement du conflit en Syrie est sa dimension humanitaire. Dans le contexte du rétablissement des structures de l'État en Syrie et de la mise en place des conditions propres au retour des réfugiés dans les territoires contrôlés par le gouvernement légitime, il est nécessaire de dynamiser au maximum la fourniture d'aide par la communauté internationale sous la coordination des Nations unies.

Malheureusement, les terroristes continuent d'entraver l'acheminement de l'aide humanitaire mais il existe aussi manifestement un parti pris évident de la part de certains donateurs occidentaux qui refusent de diriger l'aide vers les territoires qui sont sous le contrôle du gouvernement et la réorientent vers les territoires où se trouve l'opposition, y compris l'opposition extrémiste.

De plus, au lieu d'aider la Syrie, des sanctions économiques handicapantes ont été imposées contre elle, empêchant l'entrée de médicaments, de matériaux de construction et d'équipements dont 22 millions de personnes dans le pays ont grand besoin après neuf ans de crise. Est bloqué le financement de la reconstruction humanitaire de la Syrie (construction de maisons, d'écoles, d'hôpitaux, d'installations d'eau et d'électricité) nécessaire pour faciliter le retour volontaire, sûr et digne des réfugiés et des personnes déplacées conformément aux normes des Nations unies.

Ceci doit faire l'objet d'un examen par le Groupe de travail humanitaire opérant à Genève. La Russie et la France, qui ont une expérience précieuse en matière de coordination de livraison de chargements humanitaires en Syrie au cours de l'été 2018, pourraient conjuguer leurs efforts et contribuer à surmonter la catastrophe humanitaire en Syrie, lui faire retrouver une vie pacifique, rétablir l'économie, le processus constitutionnel et politique dans ce pays et préserver son intégrité territoriale.

Un autre foyer d'incendie dans la région est la Libye. L'intervention armée de l'OTAN en Libye en 2011 a plongé le pays dans le chaos, anéanti le système de sécurité en Afrique du Nord et entraîné la prolifération des armes et des criminels sur tout le continent, y compris dans la zone sensible pour la France de la région du Sahara et du Sahel où des groupes fondamentalistes ont également levé la tête. En conséquence l'agonie des structures gouvernementales en Libye a débouché sur une forte augmentation des flux migratoires : des centaines de milliers de réfugiés se sont précipités pour traverser la Méditerranée afin de se rendre en France et dans d'autres pays de l'UE. Depuis près de 10 ans, la Libye est plongée dans une guerre civile et sur le plan politique un système de « double pouvoir » s'est en fait instauré. La seule façon de sortir de la crise est d'instaurer un dialogue intra-libyen impérativement global et inclusif.

Certains espoirs d'amélioration de la situation sont apparus après la conférence internationale sur la Libye qui s'est tenue à Berlin le 19 janvier dernier. Au cours du forum de Berlin, il a été possible de s'entendre sur les principes de base du règlement libyen dans les domaines militaire, politique et économique et sur la création de mécanismes appropriés pour leur mise en oeuvre. Les changements positifs qui sont apparus après la conférence de Berlin ont été largement rendus possibles grâce à l'appel des dirigeants russes et turcs à une trêve interlibyenne à l'issue de leurs entretiens du 8 janvier, ainsi qu'aux réunions tenues à Moscou le 13 janvier avec le président du gouvernement de réconciliation nationale de la Libye Fayez el-Sarraj, le commandant de l'armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Haftar, le président du Parlement libyen Aguila Salah Issa et le chef du Conseil suprême d'État de la Libye Khaled al-Michri.

La mise en oeuvre de la décision de la conférence est difficile mais elle progresse. Les réunions se sont tenues dans le cadre de la Commission militaire mixte libyenne « 5 + 5 ». Un accord a été conclu pour constituer des groupes de travail sur différents domaines afin de renforcer le régime de cessation des hostilités. Des progrès ont été réalisés dans les discussions interlibyennes sur les questions économiques.

Il est important que les négociations interlibyennes se déroulent en parallèle sur tous les volets. Ce n'est qu'alors qu'il sera possible de dire que le processus de réconciliation nationale en Libye a progressé. La Russie et la France se doivent de soutenir pleinement ce dialogue dans les formats existants. Les travaux du comité bilatéral franco-russe sur la Libye qui ont débuté cette année confirment la volonté des deux pays de travailler pour assurer un avenir pacifique à la Libye.

Le 12 février, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1 2510 en soutien aux résultats de la conférence de Berlin sur la Libye. La délégation russe s'est abstenue lors du vote car les auteurs britanniques du texte ont refusé de prendre en compte les points principaux : il ne reflète pas réellement le principe fondamental du règlement libyen entériné par les précédentes résolutions du Conseil de sécurité sur la Libye selon lequel seuls les Libyens eux-mêmes pouvaient déterminer l'avenir de leur pays et qui doit s'appliquer à toutes les recommandations faites aux parties libyennes, y compris celles qui émanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

En conséquence, la résolution adoptée contient de nombreuses dispositions déséquilibrées, ainsi que la possibilité d'imposer des sanctions pour non-respect de quelque chose qui n'existe pas encore, et exige du Secrétaire général des Nations unies qu'il soumette ses recommandations à cet égard. Cela s'applique en particulier au cessez-le-feu qui n'a pas encore été conclu.

Les positions de la Russie et de la France sont proches sur le règlement du Moyen-Orient qui doit s'appuyer sur les résolutions existantes du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations unies relatives à cette question et repose sur le principe qu'il n'y a pas d'alternative à la coexistence pacifique de deux États : Israël et la Palestine.

Dans cette optique, le plan de règlement du conflit au Moyen-Orient, connu sous le nom de « deal du siècle » annoncé par le président américain Donald Trump le 28 janvier dernier, soulève des doutes importants. Il semble ignorer les principaux éléments juridiques internationaux universellement reconnus concernant le règlement du conflit israélo-palestinien et fixés dans les résolutions du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations unies et dans l'Initiative de paix arabe. Il propose de résoudre les problèmes clés du « statut final » des territoires palestiniens - frontières, colonies, Jérusalem-est et réfugiés - au moyen de concessions unilatérales en faveur d'Israël.

Dans ce contexte, nous notons l'importance d'une reprise rapide des négociations multilatérales sur le règlement israélo-palestinien sous l'égide internationale. Nous considérons que ce rôle pourrait être assumé par le Quartet de médiateurs internationaux comprenant les Nations unies, l'UE, la Russie et les États-Unis qui est le seul mécanisme reconnu par le Conseil de sécurité des Nations unies pour accompagner le processus de paix au Moyen-Orient.

La situation déjà complexe dans cette région explosive est exacerbée par la crise entourant le programme nucléaire iranien. La Russie et la France ont contribué de manière significative au succès des négociations E3/UE+3 qui ont abouti en 2015 à la signature du plan d'action global commun (JCPoA) sur le programme nucléaire iranien en échange de la levée des sanctions des Nations unies, des États-Unis et de l'UE contre l'Iran . La Russie et la France déplorent la position peu constructive des Etats-Unis qui ont décidé de se retirer unilatéralement de l'Accord et de rétablir les sanctions contre l'Iran, ce qui a conduit à un nouveau cycle de crise autour du programme nucléaire. Entre autres, les intérêts d'un certain nombre de sociétés russes et françaises qui avaient commencé à investir en Iran après la conclusion de l'Accord de 2015 ont été obérés. La Russie soutient l'initiative de la France et de l'UE visant à créer le système de paiement INSTEX qui permettra de contourner les sanctions extraterritoriales dans l'intérêt d'échanges commerciaux mutuellement bénéfiques entre l'Iran et les pays européens. La Russie et la France sont résolues à poursuivre leurs efforts pour maintenir l'Accord en vigueur et y faire revenir les États-Unis.

La Russie et la France ont des positions similaires sur le règlement dans plusieurs autres zones de conflit dangereuses. En particulier en République centrafricaine où la situation militaire et politique reste problématique, la Fédération de Russie apporte une contribution importante à la résolution et à la normalisation de la situation . En réponse à la demande du président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, la Fédération de Russie a décidé d'apporter une assistance technique et militaire gratuite à Bangui. Le 15 avril 2019, le président russe a signé un ordre portant sur l'envoi de 30 militaires des forces armées russes au sein de la MINUSCA. À l'heure actuelle la mission compte 13 observateurs militaires et officiers d'état-major russes. Le Comité du Conseil de sécurité des Nations unies est informé que des instructeurs russes ont été envoyés comme instructeurs pour former le personnel des forces armées et des services de sécurité de la République centrafricaine. À ce jour, ils ont formé plus de 4 000 militaires, 250 policiers et 310 gendarmes.

L'Union européenne fournit une aide substantielle à la réforme du secteur de la sécurité en République centrafricaine, la France jouant un rôle actif dans cet important processus . Depuis 2016 dans le pays se déroule la Mission de formation de l'Union européenne (EUTM RCA) qui participe à la formation des forces armées de la RCA (mandat valable jusqu'en septembre 2020). D'ici le printemps 2020, il est prévu de déployer sur place la Mission consultative civile de l'UE qui, en coordination avec la Mission de surveillance de l'Union européenne et la MINUSCA, devrait fournir aux autorités du pays une expertise dans le domaine de la sécurité intérieure et collaborer avec le ministère de l'intérieur et les services de sécurité (en l'occurrence la police et la gendarmerie) sur tout le territoire de la RCA.

L'assistance politique et diplomatique au règlement de la situation en RCA est fournie par le Groupe international de soutien à la RCA aux activités duquel la Russie participe. Le travail de mobilisation de fonds pour les besoins de la République centrafricaine se poursuit parmi la communauté internationale.

CONCLUSION

A. TEXTE DU CONSEIL DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

Le statut de nos pays, leur place et leur influence dans la politique européenne et mondiale font que leur coopération devient l'un des facteurs décisifs dans les relations internationales. En même temps, le dialogue franco-russe a une base exceptionnelle par sa richesse et son étendue. Le grand homme politique de France du ÕX e siècle Charles de Gaulle considérait la Russie comme « un interlocuteur avec lequel s'entendre et coopérer est tout à fait naturel » compte tenu de l'histoire, de la géographie, de la politique et des « éléments de similitude évidents tant au niveau des élites intellectuelles, littéraires, historiques et scientifiques qu'entre les peuples mêmes ».

Même dans les conditions d'une conjoncture politique extérieure défavorable, suite à la mise en place des sanctions économiques de l'Occident contre la Russie et la réduction du dialogue bilatéral initiée par les Etats-Unis et l'Union européenne, nos pays n'ont pas arrêté de chercher des solutions de problèmes satisfaisantes pour les deux parties, ils ont continué de coordonner les efforts dans l'intérêt de nos peuples et du monde entier.

Les rencontres des chefs d'État montrent une volonté commune de développement de relations pragmatiques et fructueuses. L'intensification, au cours des deux dernières années, de contacts bilatéraux, ainsi qu'un ordre du jour élargi, permettent de ramener le dialogue politique des deux pays au niveau qui correspond au statut d'États nucléaires et de membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU.

Une impulsion importante au rétablissement de la confiance dans le monde pourrait être donnée grâce à la réalisation de l'initiative politique du Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine soutenue par le chef d'État français concernant la création, dans l'année du 75 e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale et de la création de l'ONU, d'un Sommet spécial des chefs d'État membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU avec une responsabilité particulière au niveau de la paix et de la sécurité mondiales. Ce Sommet pourrait avoir comme résultat l'établissement de recommandations visant à assainir l'atmosphère de la communication internationale et à rétablir la confiance entre toutes les parties.

La France et la Russie, en prenant en compte le rôle fondamental que jouent les questions de la sécurité de l'ensemble de l'Europe dans leurs relations, en se basant sur les initiatives annoncées par le Président Emmanuel Macron concernant la recherche d'un nouveau modus vivendi dans le dialogue entre la Russie et l'UE, et en tentant d'utiliser au maximum la « fenêtre des possibilités » ouverte, affirment leur intention de travailler ensemble à la création d'une « feuille de route » du dialogue franco-russe qui conduirait à la construction d'une nouvelle architecture de la sécurité européenne. Cette « feuille de route » donnerait des directions concrètes pour la réalisation pratique des missions. Ceci étant, les missions notées sur la « feuille de route » pourraient être réparties par durée : court terme, moyen terme ou long terme. Dans un premier temps (par exemple, d'ici la fin de l'année 2020), la France et la Russie pourraient réaliser un « remontage des pendules » honnête et confidentiel des problèmes clés et formuler communément des questions : où ont-elles une vision commune des problèmes et où est-il nécessaire d'augmenter le niveau de confiance. Dans un second temps (par exemple, d'ici 2022), il serait bien de réaliser un échange de déclarations ou d'adopter une Déclaration commune sur leurs intentions, dans laquelle la Russie et la France pourraient désigner les priorités de cette collaboration et leurs obligations (par exemple, le refus d'utiliser la force en premier lieu et leur volonté de résoudre les questions litigieuses en Europe uniquement par le biais de moyens pacifiques). Par la suite, il serait souhaitable de placer cette déclaration sur une base juridique. Dans le cas de la réussite de missions au court ou moyen terme, les Parties pourraient se pencher sur la question de réaliser en Europe des délibérations multilatérales (par exemple, du type OSCE) dans l'esprit « nouvelle détente » qui aboutirait à la signature d'accords (éventuel « Helsinki 2.0 »), qui entérineraient le travail effectué.

Il est très important qu'actuellement nous sommes sur la voie de rétablissement de la coopération bilatérale en plein format, et le niveau parlementaire est l'un de ses éléments majeurs . Les relations entre le Conseil de la Fédération de Russie et le Sénat français sont actuellement en plein essor. Des contacts de confiance entre la Présidente du Conseil de la Fédération Valentina Matvienko et le Président du Sénat français Gérard Larcher contribuent de manière importante au développement de la coopération entre nos pays à une époque compliquée pour la Russie, comme pour l'Europe.

Une collaboration étroite et une coordination élevée doivent exister entre les parlements de la Russie et de la France pour permettre de rapprocher nos positions sur de nombreux sujets importants de l'ordre du jour bilatéral et international, et pour permettre finalement de résoudre tout type de problème pour le bien des peuples de nos pays. Un dialogue ouvert, équitable et sincère des parlementaires aide à trouver les points communs dans la vision des problèmes actuels, promouvoir un ordre du jour positif et unifiant, renforcer la confiance entre les pays.

Dans cette optique, nous proposons de prêter une attention particulière au travail commun sur les axes prioritaires suivants :

1. En 2020 nous célébrerons le 75 e anniversaire de l'ONU. Sa création sur l'initiative des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale est devenue l'une des plus grandes réussites de la communauté internationale après la fin de la Seconde guerre mondiale pour assurer la paix et la sécurité mondiales.

Nous considérons comme des objectifs prioritaires le renforcement de la collaboration interparlementaire et les manifestations communes plaçant l'accent sur la responsabilité particulière des pays fondateurs de l'Organisation des Nations unies liée à la protection et au développement durable de l'humanité, aux mesures de lutte contre les menaces créées par l'escalade de conflits régionaux, et notamment, une évolution ingérable de la situation au Proche-Orient et en Afrique du Nord, lors de la poursuite de l'opposition au sein de l'Ukraine dans le Donbass à cause du patinage dans les réalisations des Accords de Minsk dans la réalisation de leurs suivis, de l'aggravation de la situation dans un grand nombre de pays d'Amérique du Sud, pour beaucoup provoquée par une intervention extérieure, comme d'autres sujets brûlants liés aux décisions internationales. Il est important de défendre conjointement les principes de base fixés par les Statuts de l'ONU, tels que la souveraineté et l'égalité des pays, l'interdiction d'utilisation de la force ou le recours à la menace, le règlement équitable des différends.

2. Rappelant la Résolution de l'Assemblée Générale des Nations unies du 12 décembre 2019 intitulée « Renforcement et développement du système des traités et accords visant le contrôle des armements, le désarmement et le régime de la non-prolifération » appuyée activement par la France et la Russie, nous proposons de contribuer au début du dialogue interparlementaire en vue de consolider les traités en vigueur dans le domaine de la stabilité stratégique. Une « plateforme » du niveau parlementaire avec comme objectif le débat autour du problème de maintien des traités et accords existants pourrait en devenir un des moyens. A cette fin on propose d'établir un mécanisme d'évaluation au sens juridique international des problèmes en suspens, notamment sous forme d'une conférence de diplomatie parlementaire avec la participation des organisations publiques du type Conférences de la Haye avec Saint-Pétersbourg comme lieu de leur tenue.

3. Dans le cadre des festivités dédiées au 75 e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, nous estimons qu'il est nécessaire de consolider les efforts des gouvernements, des parlementaires et du grand public pour la lutte contre la déformation de la vérité historique, l'héroïsation du nazisme et une révision des résultats de la Seconde guerre mondiale, entérinés par les décisions du tribunal international militaire à l'encontre des dirigeants de l'Allemagne d'Hitler à Nuremberg.

Dans ce contexte, il est important de promouvoir une initiative mondiale pour la reconnaissance de la Victoire contre le nazisme dans la Seconde guerre mondiale en tant qu'héritage mondial de l'humanité, et les monuments aux combattants contre le nazisme dans tous les pays en tant que Mémorial mondial de l'humanité.

Nous pensons également qu'il est nécessaire d'accorder une importance particulière à la question de la publication, dans les manuels d'histoire scolaires des pays européens, d'informations véridiques sur la Seconde guerre mondiale conformes aux positions fixées par le Tribunal de Nuremberg. L'initiative russe pour la création d'archives documentaires, cinématographiques et photographiques sur la Seconde guerre mondiale, ainsi que l'initiative française sur la création, dans le cadre du Conseil de l'Europe, de l'« Observatoire sur l'enseignement de l'histoire en Europe » contribueront à ce projet.

4. Poursuivre le travail commun d'organisation du Forum des régions de Russie et de France pour le développement des relations existantes, la recherche de nouvelles possibilités dans les domaines commercial, économique et humanitaire.

La coopération interrégionale a une grande importance dans le contexte politique international actuel. Nous portons une attention particulière à l'organisation, en 2021, de l'Année croisée de la coopération régionale franco-russe.

5. Dans le cadre du développement des relations entre les États, continuer les consultations parlementaires pour un travail commun de création en Eurasie et dans la zone euro-atlantique d'un espace de paix, de sécurité, d'une large coopération équitable basé sur le principe d'une « sécurité égale et indivisible » fixé par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Emmanuel Macron a souligné récemment l'intention de Paris de « former l'architecture de la sécurité européenne en collaboration avec la Russie, et non sans elle ou contre elle »). En même temps, un travail commun d'harmonisation et de rapprochement réciproque de processus d'intégration en Eurasie et dans la zone euro-atlantique a également une grande importance.

Nous considérons nécessaire le renforcement des efforts bilatéraux ou multilatéraux pour la création d'une dimension parlementaire au « format de Normandie » (pour organiser des rencontres régulières des parlementaires russes, français, allemands et ukrainiens dédiés au règlement du conflit au Donbass).

6. Poursuivre le travail commun de renforcement de la collaboration dans le cadre de l'Union interparlementaire. Dans les conditions des turbulences politiques mondiales actuelles, l'Union interparlementaire devient un espace de consolidation des pays qui manifestent des positions similaires. La participation aux activités de l'Union interparlementaire présente de grandes possibilités d'utilisation de la diplomatie parlementaire pour la gestion des conflits régionaux, pour la paix nationale et interconfessionnelle. De ce fait, la 5 ème conférence des Présidents du Parlement des pays de l'Union interparlementaire en 2020, ainsi que la préparation de la Conférence mondiale du dialogue entre les religions et les ethnies sous l'égide de l'ONU, prévue pour 2022, revêtiront une grande importance.

7. Contribuer au développement du dialogue culturel, humanitaire, d'éducation et de la jeunesse, et notamment grâce à la participation à la formation de l'ordre du jour du Dialogue de Trianon. Nous comptons porter une attention particulière aux questions de la collaboration dans le domaine du patrimoine culturel, au renforcement des positions des langues russe et française (une mise à jour de l'accord sur l'enseignement des langues est nécessaire).

B. OBSERVATIONS DU SÉNAT FRANÇAIS

Le Sénat français a toujours cru au dialogue avec la Russie . Au plus fort des tensions, et sous l'impulsion de son Président, le Sénat a maintenu le contact avec le Conseil de la Fédération de Russie, mettant à profit ce canal privilégié qu'est le dialogue interparlementaire, qui permet de continuer à échanger, dans le respect mutuel, dans un contexte diplomatique difficile. Très tôt, notamment lors des déplacements du Président Larcher à Moscou en février 2015 et en avril 2016, le Sénat a plaidé pour une reprise des relations. Il l'a fait sans complaisance car il n'est pas question d'occulter ou d'effacer les différends de fond et les visions divergentes. Mais il a toujours considéré qu'il était plus pertinent de se parler que de s'ignorer car les incompréhensions et les malentendus prospèrent à la faveur des non-dits.

Le Sénat se réjouit que le dialogue s'engage aujourd'hui au plus haut niveau et souhaite qu'il puisse déboucher rapidement sur des résultats concrets . Des signaux positifs sont attendus de la part de la Russie. Pour la France, il importe en effet de pouvoir démontrer à ses partenaires européens , dont un certain nombre ne cachent pas leur scepticisme par rapport à cette main tendue, que le processus engagé est crédible , et permettra des avancées tangibles. À cet égard, la Russie est particulièrement attendue sur le conflit ukrainien, qu'elle a la capacité de faire évoluer positivement . Nous espérons qu'un nouveau sommet en Format de Normandie pourra se tenir prochainement, afin de prendre acte de réels progrès dans l'application des accords de Minsk.

Une autre attente particulièrement forte concerne nos relations en Afrique . Il faut que cessent les campagnes de désinformation et les critiques dirigées contre la présence française dans cette région. L'influence croissante de la Russie en Afrique ne devrait pas conduire à de nouvelles tensions. Ce continent confronté à tant de défis - démographiques, économiques, sécuritaires -, n'a pas besoin de cela.

La France agit en parfaite transparence à l'égard de ses partenaires européens et saisit toute les occasions qui se présentent pour leur expliquer sa démarche . Si elle est en mesure de leur prouver qu'elle a du sens et qu'elle porte ses fruits, elle pourra plus facilement les inciter à une réouverture du dialogue Union européenne-Russie , en l'orientant pour commencer sur des sujets comme l'environnement et la lutte contre le changement climatique, pour lesquels il existe un intérêt commun. Avec le changement d'équipe à la tête de l'UE, le contexte est plus favorable et la Russie n'a pas intérêt, notamment d'un point de vue économique, à continuer à tourner le dos à l'Union européenne et à tout miser sur la Chine.

Ensemble, nous devons sortir d'une stratégie qui ne fait qu'entretenir la confrontation et qui nous entraîne, malgré nous, dans une dangereuse course aux armements . Il nous faut clarifier nos relations et imaginer un nouveau modus vivendi au sein de ce continent européen que nous avons en partage. Il s'agit de repenser la manière dont l'Union européenne, la Russie et les pays du « voisinage commun » peuvent cohabiter pacifiquement et coopérer dans cet espace commun.


* 1 France-Russie : dialogue parlementaire pour rétablir la confiance, rapport d'information n° 387 (2017-2018) de MM. Christian CAMBON et Konstantin KOSSATCHEV, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français et du comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération de Russie, déposé le 28 mars 2018.

* 2 Anti-balistic missile.

* 3 La Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC).

* 4 En octobre dernier, l'AGNU a adopté en 3 e commission une résolution russe appelant à la négociation d'un tel traité, à laquelle la France s'est opposée. Les premières discussions auront lieu à l'été 2020.

* 5 OFAC : Office of Foreign Assets Control (OFAC), rattaché au Département du Trésor américain et qui est chargé de l'application des sanctions économiques.

* 6 Symétrique à celui qui a permis de créer des sections internationales de russe en France.

* 7 Protocole de Minsk du 5 septembre 2014, Mémorandum de Minsk du 19 septembre 2014 et Paquet de mesures de Minsk du 12 février 2015.

* 8 Comme le montre sa Stratégie pour les Balkans occidentaux.

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