C. ADAPTER L'ORGANISATION TERRITORIALE DE LA GUYANE POUR RENFORCER LA PROXIMITÉ

1. Assurer la proximité au sein des communes

Alors que la commune constitue la cellule de base de la démocratie, assurer la proximité au sein des communes guyanaises peut s'avérer difficile du fait de l'immensité du territoire . Certaines communes sont à l'échelle d'un voire de plusieurs départements métropolitains 112 ( * ) . Les moyens des communes guyanaises doivent donc être adaptés pour pouvoir mieux répondre aux attentes de leurs citoyens.

Communes guyanaises les plus étendues

Commune

Superficie (km 2 )

Maripasoula

18 761

Régina

11 470

Camopi

10 454

Mana

6 634

Saint-Élie

5 680

Saint-Laurent-du-Maroni

4 830

Saül

4 475

Roura

3 902

Source : commission des lois, à partir des informations
recueillies sur le site Internet de la collectivité territoriale de Guyane

S'il est possible d'ériger une portion de commune en commune distincte 113 ( * ) , il n'existe aujourd'hui aucun outil dans le droit français pour créer ex nihilo des communes déléguées ou des sections de communes . Celles-ci ne sont que la survivance d'anciennes communes s'étant regroupées pour créer une nouvelle commune. Or, il serait utile, dans les communes couvrant une vaste superficie, de bénéficier de représentants territoriaux, comme un maire délégué ou un conseil de la commune déléguée 114 ( * ) . Ces outils fonctionnent et ont prouvé leur utilité.

Plus généralement, il pourrait être envisagé de réfléchir à la création de nouvelles communes par scission des communes très étendues . Lors de la signature des accords de Guyane, la création d'une commune du Haut-Maroni avait à ce titre été évoquée.

Proposition n° 49 : Permettre la création de communes déléguées sur le modèle de celles existant dans les communes nouvelles dans les communes couvrant un vaste territoire.

Afin de couvrir l'ensemble de leurs territoires, les élus locaux et les agents publics sont amenés à réaliser de très longs déplacements . Ces déplacements se faisant à l'intérieur d'une même commune, ils ne peuvent généralement pas prétendre à une compensation financière . Hervé Freichel, inspecteur de l'éducation nationale dans la circonscription du Maroni, a fait part à la délégation de l'exemple d'enseignants de Pidima, village de la commune de Maripasoula, dont le déplacement requiert trois heures en période de basses eaux pour descendre le fleuve jusqu'à Maripasoula, et trois heures trente au retour. Le format des animations pédagogiques, auxquelles tout enseignant est obligé d'assister, leur impose en conséquence un déplacement qui ne peut s'effectuer que sur deux jours. Celui-ci ne peut être pris en charge financièrement, car il est entièrement réalisé dans une même commune. Les rapporteurs considèrent que l'interdiction de rembourser les frais de déplacement au sein d'une même commune est élaborée pour un modèle de commune hexagonale , couvrant une faible superficie. Elle devrait pouvoir être assouplie en fonction de la superficie de la commune et de la distance couverte par le déplacement.

Proposition n° 50 :  Permettre le remboursement des frais de déplacement des élus locaux et des agents publics au sein d'une même commune couvrant un vaste territoire.

2. Engager la collectivité territoriale de Guyane et tous les acteurs publics à rééquilibrer leurs actions sur l'ensemble du territoire

Lors de leur déplacement en Guyane, les membres de la délégation ont pu relever que Cayenne se sent oubliée de Paris, Saint-Laurent-du-Maroni de Cayenne, et Maripasoula du monde entier... Un sentiment de déshérence prédomine dans l'Ouest guyanais . Longtemps moins dynamique que l'Est sur le plan économique, l'Ouest est désormais en pleine explosion démographique et nécessite un effort important et global de tous les acteurs.

La collectivité territoriale de Guyane l'a bien compris, et son action est actuellement en cours de rééquilibrage , afin d'être aussi bien à destination des habitants de l'Est et du littoral que de ceux de l'Ouest. Cet effort doit être poursuivi. Trois chantiers sont prioritaires.

Le premier est celui de l'éducation . Aujourd'hui, les habitants de Maripasoula peuvent effectuer leur scolarité sur place jusqu'à la troisième seulement. La formation au lycée se fait nécessairement à Saint-Laurent-du-Maroni ou à Cayenne. Pour ce faire, les jeunes partent en famille d'accueil dans un milieu qu'ils ne connaissent pas. Des parents d'élèves ont ainsi indiqué que beaucoup décrochaient et devenaient des cibles faciles pour les trafiquants. Une solution devrait être apportée à cette problématique, puisque la construction d'un lycée à Maripasoula est prévue et devrait s'achever pour la rentrée de l'année 2022-2023. La problématique est toutefois la même au niveau du collège, puisqu'il n'existe qu'un seul collège sur l'ensemble du territoire gigantesque de la commune de Maripasoula, situé sur le village de Maripasoula. Les chefs coutumiers Wayana ont indiqué qu'à partir de 12 ans, leurs enfants étaient placés en famille d'accueil ou en internat pour pouvoir poursuivre leur scolarité. Ils ont exprimé la volonté qu'un collège soit construit dans le Haut-Maroni.

La commission considère que les écoles doivent, dans la mesure du possible, être situées au plus près des populations afin d'éviter le déracinement de jeunes. La demande des autorités coutumières Wayana semble donc de bon sens au vu de l'étendue de la commune de Maripasoula.

Proposition n° 51 :  Construire un collège dans le Haut-Maroni.

Le deuxième chantier prioritaire est celui de la desserte du territoire, notamment et principalement la desserte routière .

Le troisième est celui de la prévention en matière de santé . Il est aujourd'hui impossible d'offrir une offre de santé comparable à celle de l'Hexagone en Guyane du fait de l'insuffisance des équipements et du peu d'implantations existantes. La prévention en est d'autant plus importante. Toutefois, il n'existe pas de planning familial dans l'Ouest - alors même que la démographie est galopante - et l'assistance en matière d'aide sociale à l'enfance est largement insuffisante.

3. Favoriser l'accès au droit et aux institutions

Face à l'immensité du territoire, les collectivités territoriales ne sont pas les seules à se trouver en difficulté. C'est également le cas de l'État qui peine à assurer l'accès de l'ensemble des citoyens guyanais au droit et aux droits, ainsi qu'aux services publics qu'il gère.

Afin de rapprocher la justice des habitants, les audiences foraines , qui existent d'ores et déjà, pourraient être développées. Le tribunal administratif a ainsi organisé sa première audience foraine à Saint-Laurent-du-Maroni en décembre 2019, tandis que les représentants du monde judiciaire ont indiqué tenir régulièrement des audiences foraines à Saint-Laurent-du-Maroni et à Maripasoula. Par ailleurs, un magistrat du tribunal de grande instance 115 ( * ) a la qualité de « référent pour les relations avec les autorités coutumières en matière culturelle et juridique ». Il est chargé d'une double mission : rapprocher les justiciables du droit et de la justice ordinaire, et comprendre les modes traditionnels de régulation sociale.

En matière d'accès aux droits , la préfecture a mis en place depuis quelques années des « pirogues administratives », qui ont pour objectif de se déplacer sur le territoire guyanais pour répondre aux questions des administrés. Afin d'élargir les services apportés, il pourrait être envisagé de les remplacer par des maisons de services au public itinérantes en pirogue . Elles pourraient également, en lien avec le conseil départemental de l'accès au droit de Guyane, permettre d'informer les citoyens de leurs droits et de leurs moyens d'action en justice.

Il importe également de désigner et de former des référents dans chaque village , notamment de l'intérieur, qui serviraient de point de contact et d'information de la population sur ses droits . Ces référents pourraient être spécialisés sur des thématiques. Dans les villages aujourd'hui, les gendarmes jouent le rôle de référents de l'État et sont amenés à répondre aux questions des habitants en matière d'accès aux droits. Ce n'est toutefois pas leur rôle. Outre le fait qu'ils ne reçoivent pas de formation en la matière, ils ne parlent souvent pas la langue des habitants, ce qui peut conduire à des difficultés de compréhension. Des associations ont lancé la formation de femmes-relais dans les communautés de l'intérieur, chargées d'informer les femmes sur leurs droits face aux violences. Le conseil départemental de l'accès au droit a également commencé à élaborer une liste des « personnes ressources » pouvant, dans chaque commune, servir de relais à la justice. Les représentants de la justice rencontrés sur place évoquaient les chefs coutumiers comme potentiels conciliateurs de justice.

Les chefs de cour de Guyane ont mis en place, en novembre 2018, un groupe de travail nommé « justice pour tous », chargé de travailler sur l'accès aux droits et à la justice dans les communes de l'intérieur. Ce groupe vise à recenser les besoins, à travailler à la constitution d'un réseau de « référents justice », et à coordonner les audiences foraines.

La commission salue cette initiative. Il est nécessaire d' assurer la bonne information de l'ensemble des citoyens guyanais sur leurs droits et les moyens d'en assurer l'effectivité , en développant des ponts entre l'État et la population.

Proposition n° 52 :  Systématiser l'institution de référents de l'accès aux droits dans les communes de l'intérieur.


* 112 Les départements métropolitains couvrent entre 105 km 2 (Paris) et 10 000 km 2 (Gironde).

* 113 Articles L. 2112-2 et suivants du code général des collectivités territoriales.

* 114 Comme le maire délégué et le conseil de la commune déléguée dans les communes déléguées des communes nouvelles.

* 115 Désormais tribunal judiciaire.

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