B. DES ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES EN RÉFLEXION

1. La crise sociale de 2017 et ses suites

Alors que la collectivité territoriale de Guyane était tout juste installée, une crise sociale aigue a éclatée en Guyane au printemps 2017. La hausse du sentiment d'insécurité ainsi que la détérioration du contexte économique ont conduit de nombreux Guyanais dans la rue entre le 20 mars et le 21 avril 2017.

Pour répondre aux revendications guyanaises, les accords de Guyane ont été signés le 21 avril 2017 . Ils ont pris acte de deux types de documents que l'État et les collectivités territoriales se sont engagés à mettre en oeuvre : le plan d'urgence pour la Guyane et quinze accords thématiques signés dans la nuit du 1 er au 2 avril 2017. Le plan d'urgence pour la Guyane 67 ( * ) , entériné par le conseil des ministres du 5 avril 2017, comprend 30 mesures engageant l'État, tandis que les accords thématiques comprennent au total 141 mesures engageant l'État, les collectivités territoriales et les autres signataires.

2. La recherche d'une plus grande adaptation aux spécificités guyanaises

Les évènements du printemps 2017 en Guyane ont relancé les réflexions sur l'évolution institutionnelle de la Guyane .

Les accords de Guyane signés le 21 avril 2017 prévoient en effet que « le Gouvernement fera l'objet d'une saisine par le Congrès des élus de Guyane dans les conditions prévues par l'article 72-4 de la Constitution ». Il s'agit donc d'une demande par la collectivité d'une consultation des électeurs guyanais pouvant porter soit sur un changement de statut vers l'article 74 de la Constitution, soit sur une question relative à l'organisation, les compétences ou le régime législatif de la collectivité.

À la suite de la signature des accords de Guyane en avril 2017, la collectivité territoriale de Guyane a lancé des États généraux qui ont abouti à la rédaction d'un Livre blanc, transmis par la collectivité aux membres de la délégation lors de son déplacement en Guyane.

Lors de ces États généraux, une partie des élus guyanais a exprimé la volonté que soient transférées à la collectivité de nouvelles compétences sur des secteurs stratégiques, et que les compétences dévolues à la collectivité en matière d'aménagement du territoire et de développement économique soient renforcées .

Aucun consensus vers le passage à l'article 74 n'est cependant apparu , une partie des élus guyanais estimant que celui-ci n'apporterait pas plus d'autonomie. Il a cependant été considéré comme souhaitable qu'une nouvelle consultation soit organisée pour que la population puisse s'exprimer sur un changement de régime constitutionnel et, plus largement, sur un nouveau projet de société et de nouveaux transferts de compétences.

La clôture des États généraux a été prononcée par le congrès des élus de Guyane le 27 novembre 2018. Par une résolution adoptée à cette occasion, ce dernier a demandé à la collectivité territoriale de Guyane de saisir le Premier ministre :

- « pour l'organisation d'une consultation populaire en vue d'une évolution statutaire » (article 3 de la résolution) ;

- « pour un renforcement des compétences de la collectivité territoriale de Guyane au travers d'une loi pour la Guyane » (article 4 de la résolution).

Une commission dénommée « projet Guyane » a été chargée par le congrès des élus d'élaborer un projet pour la Guyane, sur la base des propositions issues des États généraux de la Guyane. Celui-ci prône la création de cinq districts , correspondant au périmètre actuel des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ainsi que le transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales guyanaises. La commission « Projet Guyane » donne comme exemples la gestion des ressources naturelles, l'agriculture, la pêche, la forêt, la fiscalité des activités économiques, la culture mais également des compétences dans des domaines régaliens comme la conduite de la politique étrangère, la sécurité et l'immigration. La commission « projet Guyane » souhaite également que la collectivité territoriale de Guyane puisse voter des « lois pays » et adapter les lois et règlement de la République.

La collectivité territoriale de Guyane réfléchit elle aussi à une adaptation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur en Guyane, et à de nouveaux transferts de compétences vers les collectivités guyanaises . L'assemblée de Guyane peut en effet, en vertu de l'article L. 7152-1 du code général des collectivités territoriales, « présenter au Premier ministre des propositions de modification ou d'adaptation des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration ainsi que toutes propositions relatives aux conditions du développement économique, social et culturel de la collectivité territoriale de Guyane ».

Ces différentes positions ont été présentées devant le congrès des élus le 14 janvier 2020. Trois options ont été discutées :

- l'adoption d'une loi relative à la Guyane, dans le cadre de l'article 73 de la Constitution ;

- le passage de la Guyane à l'article 74 ;

- la rédaction d'un nouvel article de la Constitution spécifique à la Guyane, sur le modèle de la Nouvelle-Calédonie.

Après de longs débats, le congrès des élus a décidé de la mise en place d'un groupe de travail , qui aura pour mission d'amender et de finaliser le « projet Guyane » . À la suite de cela, le congrès des élus a proposé que « le président de la collectivité territoriale de Guyane saisisse le chef du Gouvernement pour un statut « sui generis », sur la base du projet Guyane, amendé ».

3. Article 73 versus article 74 : les enjeux d'un débat mal posé

La question du changement de statut a fait l'objet de débats nourris lors du déplacement en Guyane , mais uniquement dans l'Est guyanais. Personne, dans l'Ouest, n'a abordé spontanément la question.

Un grand nombre d'acteurs dans l'Est plaide pour un passage à l'article 74 de la Constitution, vu comme un moyen d'obtenir plus d'autonomie. La collectivité territoriale de Guyane s'est plutôt positionnée en faveur d'un maintien de la Guyane au sein de l'article 73 de la Constitution, avec toutefois le vote d'une « loi Guyane » venant conférer de nouvelles compétences à la collectivité.

Les membres de la délégation ont été interpellés par la place qu'avait prise la question du statut dans les discussions de tous les jours à Cayenne, comme si le passage à l'article 74 constituait une solution permettant de régler l'ensemble des problématiques guyanaises. Ce n'est toutefois pas le cas .

Le passage d'une collectivité de l'article 73, régie en principe par le principe de l'identité législative, à l'article 74 permet de soumettre cette collectivité au principe de la spécialité législative , c'est-à-dire dans laquelle les lois et règlements s'appliquent dans les conditions prévues par le statut de la collectivité. Les conditions de l'autonomie doivent toutefois être définies par une loi organique spécifique portant statut de la collectivité. Le régime de l'article 74 permet toutes les combinaisons possibles, d'une quasi-assimilation 68 ( * ) à une grande autonomie 69 ( * ) , en fonction des collectivités et des matières concernées. Article 74 ne signifie donc pas nécessairement plus d'autonomie pour la collectivité .

Parallèlement, la Constitution autorise , depuis la révision constitutionnelle de 2003, des adaptations des lois et règlements dans les collectivités régies par l'article 73 « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Plus largement, et c'est cette disposition qui réduit la différence entre article 73 et article 74, « pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par [l'article 73] peuvent être habilitées [...] à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement ».

Le passage d'une collectivité de l'article 73 vers l'article 74 revêt toutefois un caractère symbolique fort , même s'il peut ne pas avoir de réelles conséquences pratiques. Les membres de la délégation ont pu constater que le passage de la Guyane sous le régime de l'article 74 ne faisait pas l'unanimité au sein de la population guyanaise 70 ( * ) .

Or, aucun changement d'une collectivité de l'article 73 à l'article 74 de la Constitution ne peut se faire sans l'assentiment de la population . L'article 72-4 de la Constitution dispose en effet que le consentement des électeurs devra être recueilli avant tout changement de régime constitutionnel. Cette consultation est décidée par le Président de la République sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées.

Au demeurant, et sous réserve des résultats d'une potentielle consultation sur le sujet, il semble aux rapporteurs que l'article 73 peut suffire à répondre au besoin d'adaptation des normes nationales en Guyane.


* 67 Doté d'une aide de 1,085 milliard d'euros.

* 68 C'est le cas de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin (loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions institutionnelles et statutaires relatives à l'outre-mer ).

* 69 C'est le cas de la Polynésie française (loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie fran çaise).

* 70 Cette position est tout particulièrement portée par la population créole, qui représente la grande majorité des élus de l'Assemblée de Guyane.

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