B. LUTTER PLUS EFFICACEMENT CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS

Deux variables contradictoires déterminent la lutte contre le trafic de drogue en Guyane, que l'on peut aujourd'hui qualifier de phénomène de masse au vu de la densité des flux à traiter. La première : pour être efficace, les contrôles doivent se faire les plus nombreux possible afin d'envoyer un signal fort aux trafiquants . La seconde : les personnels qu'il est possible de consacrer à cette lutte sont limités du fait des autres problématiques auxquelles sont confrontées les forces de sécurité intérieure en Guyane.

1. Améliorer la prévention et la lutte contre les réseaux

La lutte contre le trafic de stupéfiants, pour être réellement efficace, ne doit donc pas se limiter au traitement répressif. Pour permettre une lutte globale, il est nécessaire d'agir plus en amont, tant dans la lutte contre les réseaux que dans la prévention en direction des personnes susceptibles de servir de « mules ».

Pour tenter de remonter les filières de trafiquants , un détachement de l'office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) a été créé à Cayenne en 2017. Il se concentre sur les réseaux organisant le trafic de stupéfiants sur le territoire guyanais et assume aujourd'hui plus de 80 % du volume total des arrestations des passeurs par les douanes et la police aux frontières, ainsi que l'intégralité du contentieux relatif au trafic de stupéfiants.

L' OCRTIS est devenu l'OFAST , office antistupéfiants, depuis le 1 er janvier 2020 33 ( * ) . Cette agence a pour mission de permettre une plus grande collaboration entre tous les services acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants , en vue d'adopter une stratégie globale commune à tous les services. En Guyane, il semble nécessaire que l'OFAST soit présent sur l'ensemble du territoire et non seulement à Cayenne, afin de mieux prendre en compte la route suivie par la drogue depuis Saint-Laurent-du-Maroni.

Le Gouvernement a annoncé vouloir renforcer la prévention , en lançant une campagne nationale de prévention sur les risques sanitaires et les risques pénaux liés au trafic de stupéfiants. La commission souhaite dans ce cadre engager le Gouvernement à adapter sa campagne en Guyane, pour la cibler non pas sur la consommation de drogue mais sur les risques encourus par les personnes acceptant de servir de mule. Les collectifs rencontrés par la délégation de la commission des lois ont déploré le fait qu'ils sont quasiment les seuls acteurs de terrain à se rendre dans les quartiers sensibles pour sensibiliser sur les risques. La commission considère que la multiplication des actions de prévention est impérative, au vu de la vitesse de diffusion du phénomène des « mules » en Guyane.

Proposition n° 14 :  Adapter la campagne nationale de prévention contre le trafic de drogue aux réalités guyanaises, en la ciblant sur les risques de sanction pénale et les risques sanitaires que peuvent courir les personnes transportant clandestinement des produits stupéfiants, qualifiées de « mules ».

2. Développer des stratégies répressives moins coûteuses en personnel

Le volet répressif reste néanmoins important dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. La stratégie adoptée doit permettre de faire face à l'objectif de saturation des forces de sécurité intérieure poursuivi par les trafiquants.

En amont de l'arrivée à l'aéroport , les services de l'État en Guyane travaillent depuis février 2019 sur un dispositif consistant à notifier des interdictions de vols à l'encontre de certains passagers , sur la base d'un faisceau d'indices laissant à penser qu'il existe un risque réel et sérieux qu'ils participent à un trafic de stupéfiants. Un arrêté a été annulé par la justice en mai 2019, considérant que le faisceau d'indices retenu ne permettait pas de privilégier « la prévention d'atteintes à l'ordre public » sur la « liberté d'aller et venir » 34 ( * ) , et que le préfet de Guyane ne pouvait se prévaloir du seul contexte général du trafic de cocaïne pour interdire à un individu de monter à bord d'un aéronef pendant trois jours. Mais sur plus de 1 000 arrêtés pris suivant le même modèle, seuls deux ont fait l'objet d'un recours.

Les services de l'État ont depuis retravaillé leur modèle d'arrêté pour le cibler sur les caractéristiques des personnes , indiquant dans le corps de l'arrêté ses justifications au regard de la situation personnelle du passager se voyant interdire de prendre l'avion. Cet arrêté individualisé intervient après que les personnes soupçonnées ont été entendues par la police aux frontières.

Ces arrêtés sont , aux dires des fonctionnaires rencontrés, efficaces dans la lutte contre le trafic de stupéfiants . Les services de la douane ont vu le nombre de « mules » sur les routes de l'Hexagone baisser depuis leur entrée en vigueur, et les trafiquants commencent à regarder à nouveau vers le Suriname. Cette stratégie permet donc de limiter la quantité de drogue arrivant dans l'Hexagone par la Guyane sans engorger la chaîne pénale. Elle n'autorise toutefois pas les saisies.

Pour pallier cette difficulté tout en évitant la saturation de la chaîne répressive (forces de sécurité, personnels judiciaires puis centres pénitentiaires), il est parfois proposé de passer d'une logique de répression des passeurs de cocaïne à une logique plus globale visant à rendre le passage par le vol Cayenne-Paris moins attractif pour les trafiquants. L'objectif serait de parvenir à saisir suffisamment de drogue sur chaque vol pour que l'utilisation de cette route ne soit plus rentable pour les trafiquants.

Pour ce faire, la mise en place d'une stratégie de contrôles systématiques est nécessaire . Le protocole de mise en oeuvre du plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des mules en provenance de la Guyane, signé le 27 mars 2019, prévoit de renforcer les contrôles dès la frontière du Suriname. En bout de chaîne, le protocole prévoit qu'une politique pénale de fermeté soit mise en oeuvre par les parquets de Cayenne et de Créteil, tant pour les poursuites que pour les réquisitions à l'audience 35 ( * ) . Le renforcement des contrôles depuis la frontière avec le Suriname jusqu'à l'Hexagone produit des résultats : entre le 1 er avril et le 1 er août 2019, 751 kg de cocaïne ont été saisies et 324 personnes interpellées, soit une hausse de 53 % des saisie et de 42 % des interpellations par rapport à la même période en 2018. Il faut cependant être prudent dans l'interprétation de ces chiffres, compte tenu de l'augmentation continue des volumes transportés par les trafiquants au cours des dernières années.

Atteindre l'objectif de contrôles systématiques ne pourra toutefois se faire, à moyens humains constants, sans concevoir des solutions permettant d'accélérer les procédures , l'objectif de la sanction judiciaire passant après l'impératif de tarissement des trafics. Certaines procédures pourraient être allégées. Le législateur pourrait ainsi réfléchir à l'opportunité d'attribuer aux officiers de douanes judiciaires une compétence propre en matière de recherche et de constatation d'infractions à la législation sur les stupéfiants. Il a également été suggéré à la délégation l'idée de réaliser des transactions douanières 36 ( * ) aux lieu et place d'une procédure judiciaire. Les transactions douanières constituent en effet une alternative aux poursuites tant pénales que fiscales 37 ( * ) , dès lors que la loi en dispose expressément 38 ( * ) . La possibilité de réaliser des transactions douanières en matière de trafic de stupéfiants existe , mais cette possibilité a semblé méconnue par les acteurs de la lutte sur place : un travail d'information gagnerait à être réalisé, qui pourrait se doubler d'une réflexion sur les seuils de drogue jusqu'auxquels ces transactions sont possibles. Sans cela, les transactions douanières ne seront que peu effectives du fait des quantités de drogue transportées par les « mules » depuis la Guyane. Par ailleurs, l'insolvabilité des délinquants ainsi que leur état de santé (lorsqu'ils transportent de la drogue in corpore ) réduit encore le champ possible des infractions douanières.

La possibilité de recourir à des transactions douanières
en matière de trafic de stupéfiants

La législation permet de recourir à des transactions douanières dans le domaine du trafic de stupéfiants.

Les faits constatés font en effet généralement l'objet de deux incriminations distinctes, l'une relevant du droit douanier (importation sans déclaration ou contrebande de marchandises prohibées - délit sanctionné par l'article 414 du code des douanes), l'autre du droit commun (infraction à la législation sur les stupéfiants) : les auteurs d'infractions sont donc susceptibles de faire l'objet de poursuites judiciaires tant au regard du droit pénal douanier qu'au regard du droit pénal commun.

Le II de l'article 28-1 du code de procédure pénale permet d'associer des agents des douanes habilités à exercer des missions judiciaires à la recherche et la constatation d'infractions à la législation sur les stupéfiants. Dans ce cas, l'article 343 du code des douanes ouvre la possibilité de confier l'exercice de l'application des sanctions fiscales à l'administration des douanes. L'article 350 du même code, portant sur les transactions douanières, est alors applicable.

En pratique, le recours à la transaction douanière est privilégié lorsque le parquet ne souhaite pas exercer l'action publique. À l'inverse, il n'y a généralement pas de transaction douanière lorsque les infractions de droit commun correspondantes font l'objet de poursuites judiciaires.

Proposition n° 15 :  Envisager la mise en place de procédures administratives et judiciaires adaptées à la massification du trafic de drogue en Guyane, par exemple par le développement du recours à des transactions douanières.

De manière plus immédiate, il est hautement souhaitable d'installer un scanner corporel à ondes millimétriques à l'aéroport Felix Eboué . Certes, contrairement à un échographe 39 ( * ) ou à un scanner à rayons X, cet instrument ne permet pas de voir sous la peau et donc de distinguer les ovules ingérés ou introduits dans le corps. Pour autant, son utilisation ne demande pas la présence d'une équipe médicale. Il pourrait donc être complémentaire aux autres modes d'action de la douane et de la police aux frontières en leur permettant de détecter la drogue transportée sur la peau (dans les sous-vêtements ou dans les chaussures par exemple) 40 ( * ) .

Surtout, la présence d'un tel appareil serait fortement dissuasive . Ainsi, lorsqu'un scanner a été mis en place pour test au sein des aéroports franciliens, une vidéo a circulé dans toute la Guyane pour avertir les trafiquants et les « mules » du danger.

Proposition n° 16 :  Installer un scanner corporel à ondes millimétriques à l'aéroport Felix Eboué de Cayenne.

Il pourrait également être envisagé de construire à proximité immédiate de l'aéroport Felix Eboué des locaux adaptés aux contrôles et parfaitement sécurisés, avec des équipements performants comme des caméras et des toilettes spéciales permettant la récupération des boulettes de cocaïne.

À plus long terme, le renforcement de la coopération internationale doit être poursuivi pour éviter de simples phénomènes de report entre les différents pays du plateau des Guyanes .

*


* 33 Dans le cadre de la nouvelle stratégie anti-drogue du Gouvernement, annoncée le 17 septembre 2019 par Christophe Castaner, Nicole Belloubet, Gérald Darmanin et Laurent Nuñez.

* 34 Tribunal administratif de la Guyane, n° 1900382, 28 mai 2019.

* 35 La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice permet dorénavant aux agents des douanes, sur instructions du procureur de la République, de délivrer aux passeurs de drogue une convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel pour y être jugés. La comparution différée devrait faciliter les poursuites.

* 36 Telles que définies par l'article 350 du code des douanes.

* 37 L'effet extinctif de la transaction douanière concerne aussi bien les sanctions pénales que les sanctions fiscales dès lors que l'autorité judiciaire en a admis le principe (Cour de cassation, 12 février 1990, n°88-85567 ; 8 octobre 2008, n°02-81609).

* 38 Article 2052 du code civil et article 6 du code de procédure pénale.

* 39 Un échographe a récemment été installé à l'aéroport Félix Eboué, mais son utilisation nécessite la présence d'une surveillance médicale. Il n'est donc que faiblement utilisé.

* 40 La règlementation européenne prévoit que les passagers doivent conserver le droit de s'opposer au passage dans un scanner à ondes millimétrées. Les agents de sûreté doivent alors recourir à des techniques de palpation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page