B. POURSUIVRE LES MOUVEMENTS DE DÉCONCENTRATION ET DE DÉCENTRALISATION POUR FAIRE VIVRE LA CULTURE DANS LES TERRITOIRES

1. Donner aux DRAC les moyens de mieux soutenir les initiatives culturelles locales

Si l'État doit rester chargé de définir les grandes lignes directrices, celles-ci doivent être plus en phase avec les attentes des territoires, ce qui suppose qu'il soit davantage à leur écoute. La volonté de mieux répondre aux besoins des territoires et de rapprocher la prise de décision des citoyens a conduit le ministère de la culture à accroître la déconcentration de ses crédits et à confier aux DRAC la gestion de plusieurs de ses dispositifs. Toutefois, ce mouvement n'a pas jusqu'ici permis d'appuyer suffisamment les initiatives culturelles menées par les territoires, manquant ainsi partiellement son objectif.

Dans ses voeux aux professionnels de la culture le 31 janvier 2019, le ministre de la culture, Franck Riester, indiquait ainsi que le ministère de la culture était là « pour jouer un rôle de facilitateur, accompagner les opérateurs, les élus et tous ceux qui organisent la vie culturelle, au quotidien, sur le terrain ». Il précisait alors que les DRAC devaient devenir « le premier interlocuteur, pour tous ces projets », représentant « le ministère sur les territoires, et auprès des élus ». Il garantissait que leur périmètre d'intervention serait préservé, développé et renforcé.

La question de l'adéquation entre les missions et les moyens confiés aux DRAC revêt, dans ce cadre, un enjeu majeur. Sans moyens appropriés, les DRAC ne parviendront pas à garantir l'égalité de traitement sur le territoire. Or, la liberté d'intervention des DRAC est aujourd'hui réduite.

D'une part, les DRAC manquent cruellement de marges de manoeuvre dans l'utilisation des crédits qui leur sont confiés, la quasi-totalité des crédits étant fléchée, soit en direction des structures labellisées, soit pour des appels à projets dont les acteurs culturels locaux peinent à avoir connaissance. L'essentiel de leurs ressources profite donc aux structures les plus importantes, dont les coûts de fonctionnement sont budgétivores, ainsi qu'aux acteurs culturels déjà installés. Elles n'ont guère la possibilité de soutenir des acteurs de dimension plus restreinte ou émergents, qui contribuent à la diversité culturelle et au maillage des territoires. Elles ne peuvent pas davantage accompagner les collectivités territoriales dans leurs expérimentations, alors même que celles-ci pourraient constituer des bonnes pratiques à adapter dans d'autres territoires si elles étaient couronnées de succès.

D'autre part, leurs moyens humains sont également très limités. La faiblesse de leurs effectifs est plus manifeste encore depuis la mise en place des régions élargies, qui s'est traduite par une augmentation des coûts et des temps de déplacement. La création de vingt équivalents temps plein, toutes DRAC confondues, en 2020, ne devrait pas suffire à apporter aux DRAC une véritable bouffée d'air, alors que leurs missions devraient être étoffées, suite à la déconcentration de la gestion de 63 nouveaux dispositifs jusqu'ici gérés par l'administration centrale.

Ces difficultés conduisent trop souvent les DRAC, malgré l'envie de leurs équipes de s'impliquer davantage sur le terrain, à adopter une attitude attentiste vis-à-vis des exécutifs locaux qui se sont, pour leur part, professionnalisés et ont acquis une expérience et un savoir-faire solides et autonomes en matière d'action culturelle.

Ce constat est d'autant plus regrettable que le rôle des DRAC sur le terrain est reconnu . Les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs n'ont pas caché qu'ils nourrissaient de fortes attentes à l'égard de ces services. Les acteurs culturels et les porteurs de projets espèrent voir leurs actions sur le terrain mieux prises en compte et leurs démarches simplifiées. Ils regrettent la multiplication des appels à projets, qui nécessitent des réponses chronophages à l'issue incertaine. Les élus locaux jugeraient utile de les voir jouer un rôle de médiateur pour faciliter la coopération entre collectivités publiques en cas de troubles, mais aussi un rôle de conseil pour mieux mobiliser à l'appui de leurs politiques culturelles les dispositifs de soutien financier mis en place par l'État ou l'Union européenne, y compris à d'autres fins que la culture (dispositifs en matière de politique de la ville, dotations aux territoires ruraux, fonds LEADER...) et ainsi créer de véritables synergies.

Il serait par ailleurs opportun de clarifier auprès des élus les missions remplies par les DRAC afin de fluidifier les relations entre les autorités locales et ces services déconcentrés de l'État, trop fréquemment perçues sous le prisme de la concurrence. Ce travail de pédagogie auprès des élus pourrait favoriser l'instauration d'une complémentarité durable entre les actions de l'État et des collectivités territoriales dans les territoires, au service de la démocratisation culturelle. L'expérience montre que la déconcentration des crédits encourage en effet les dépenses des collectivités territoriales, de même que la participation de l'État à un projet culturel constitue bien souvent, pour les collectivités territoriales, l'un des facteurs déclenchants de leur engagement.

Préconisation : poursuivre le mouvement de déconcentration à condition de donner aux DRAC les moyens de mener à bien leurs missions dans les territoires.

2. Approfondir la décentralisation culturelle en donnant plus de liberté aux collectivités territoriales

Le mouvement de déconcentration doit se conjuguer avec un approfondissement de la décentralisation culturelle. Cette décentralisation a été et reste un levier essentiel de la démocratisation de l'accès à la culture . Les collectivités territoriales ont largement contribué à la diffusion de l'action culturelle, grâce à leur connaissance fine des attentes des populations et à l'expertise croissante acquise par les exécutifs locaux en matière culturelle.

Alors que la loi NOTRe et la loi LCAP ont toutes deux consacré, à l'initiative de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, le principe des droits culturels au cours des dernières années, il serait souhaitable que les collectivités territoriales disposent de davantage de marges d'initiative et d'autonomie en matière culturelle pour cultiver leur singularité . Elles ont en effet un rôle essentiel à jouer dans la mise en oeuvre des droits culturels, qui ne peuvent se construire qu'au plus près des citoyens, à la fois pour :

- donner à chacun les moyens de s'émanciper, de s'épanouir et d'être curieux, en l'encourageant à participer, à dialoguer et à comprendre l'autre,

- créer les conditions d'un vivre-ensemble respectueux des personnes, où les singularités et les expressions de chacun peuvent être mises en commun,

- et lutter contre les menaces de standardisation culturelle.

Il ne faut pas oublier que c'est aujourd'hui sur les collectivités territoriales que repose le soutien aux structures culturelles « vernaculaires » - bibliothèques, médiathèques, écoles d'art, écoles de musique, écoles de danse, écoles de théâtre -, sans compter le soutien aux festivals. Ces équipements de proximité fondent leur activité sur l'engagement d'artistes, d'enseignants, de bénévoles et d'associations, qui forment un réseau dynamique de diffusion de la culture jusque dans les petites communes. Ce sont bien souvent ces structures, soutenues par les seules collectivités territoriales, qui marquent les premiers pas des artistes avant qu'ils n'émergent.

Or, les collectivités territoriales sont aujourd'hui soumises à des contraintes qui entravent de manière croissante leur capacité à soutenir ce réseau essentiel à la mise en oeuvre des droits culturels à l'échelle locale. Parmi ces contraintes figure la nécessité de limiter la croissance de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 % et les appels croissants de l'État à ce qu'elles contribuent au financement des priorités culturelles nationales.

Des acteurs culturels et des élus plaident d'ailleurs pour exclure du dispositif les dépenses culturelles, qui sont généralement les premières sacrifiées en période de contraintes budgétaires. La mise en place d'une telle exception en faveur de la culture fragiliserait toutefois ce dispositif contractuel destiné à garantir la soutenabilité des finances publiques en entraînant des revendications similaires en faveur d'autres champs de politiques publiques qui seraient tout aussi légitimes. Aussi son introduction ne paraît-elle pas souhaitable, d'autant que la mise en place de ce pacte financier n'a pas empêché plusieurs collectivités co-contractantes de rendre des arbitrages budgétaires favorables à la culture.

Il conviendrait en revanche que l'État veille à ne pas faire autant reposer sur les collectivités territoriales la charge financière liée à la mise en oeuvre des politiques définies au niveau national. Ce faisant, il les prive peu à peu de toute marge de manoeuvre pour lancer leurs propres initiatives, en contradiction avec les fondements de la décentralisation culturelle et du maintien de la compétence partagée. C'est la raison pour laquelle, sans exclure l'ensemble des dépenses culturelles de l'application du dispositif de Cahors, il serait logique que les dépenses de fonctionnement supplémentaires engagées par les collectivités territoriales pour mettre en oeuvre les nouvelles politiques culturelles gouvernementales ne soient pas prises en compte dans le calcul de la croissance de leurs dépenses de fonctionnement .

Il apparaîtrait également souhaitable que les collectivités territoriales se voient octroyer la possibilité de décider, en accord avec la DRAC, de la manière dont pourrait être affectée une partie des crédits déconcentrés , afin d'accroître le soutien à des structures ou des actions artistiques et culturelles qu'elles auraient identifiées et qui ne bénéficient généralement pas du soutien de l'État. Une telle évolution permettrait de donner du corps au principe de la compétence partagée en rendant possible une véritable co-construction des politiques culturelles. Elle ouvrirait de nouvelles perspectives dans la mise en oeuvre des droits culturels en favorisant le soutien aux actions de proximité, qui sont souvent de plus petite envergure.

Préconisation : laisser les collectivités territoriales être de véritables acteurs des politiques culturelles afin de favoriser la mise en oeuvre des droits culturels.

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