V. SURVEILLANCE ET CAPACITÉS D'INTERVENTION
A. DES BANQUES MIEUX SURVEILLÉES MAIS UN DOMAINE FINANCIER PARALLÈLE EN PLEINE EXPANSION
En matière de surveillance du système financier, l'Union européenne a fait un réel effort pour combler son retard sur les USA et le Royaume-Uni.
Aux dispositifs nationaux se sont ajoutés divers systèmes de supervision de niveau européen au point qu'on est pris de doute sur l'intérêt de cette accumulation de régulateurs.
Au niveau français, ils ne manquent pas : AMF au statut d'AAI, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution placée à la Banque de France, Haut conseil à la stabilité financière placé auprès du ministre de l'Économie et des Finances, tous composés en très grande majorité de hauts fonctionnaires et de financiers.
Un gage de professionnalisme dont on a pu apprécier l'efficacité lors du krach (!) mais pas forcément d'esprit critique sur le fonctionnement du système.
1. Le mécanisme de supervision unique (MSU)
La nouveauté, au niveau européen, c'est la mise en place d'un mécanisme de supervision unique (MSU).
Confié à la BCE, il a en charge la supervision de quelque deux cent soixante banques dont cent trente transnationales, soit 30 000 Md€ d'actifs.
Depuis 2014, les établissements sont soumis par vagues, à des « stress tests » ou simulation de situations critiques et de ce qu'il en résulterait pour eux, compte tenu de leur structure financière (niveau de fonds propres, capacité de mobilisation de liquidités, etc.)
Le test de 2014 a révélé que 25 des 128 établissements de crédit européens présentaient des niveaux de fonds propres inférieurs aux exigences réglementaires.
Sans surprise, les banques les plus fragiles sont les banques italiennes.
Le test de 2018, visant à mesurer la capacité de survie de 48 banques à un scénario économique catastrophe ou à un krach boursier, montre, selon l'Autorité bancaire européenne (ABE) en charge de l'administration des tests, une amélioration en matière de fonds propres : « Le résultat des tests de résistance montre que les efforts des banques pour solidifier leur base capitalistique ces dernières années ont renforcé leur capacité à résister à des chocs importants ».
S'agissant des banques de la zone euro, selon la BCE, « les 33 plus grandes banques directement supervisées ont amélioré leur capacité de résistance aux chocs financiers ces deux dernières années. En dépit d'un scénario adverse plus sévère que lors de l'exercice 2016, le ratio CET1 moyen de ces trente-trois banques, au terme d'une période de trois ans de tensions, s'élève à 9,9 %, un niveau supérieur au chiffre de 8,8 % obtenu il y a deux ans ».
Tout va donc pour le mieux... Sauf que, selon l'ABE, les banques européennes devront mobiliser 135 Md€ de capital supplémentaire pour satisfaire, dans deux ans, les nouvelles normes prudentielles.
Sauf que tout le monde ne partage pas l'optimisme officiel pour des raisons qui vont du doute sur la fiabilité des modèles mathématiques utilisés, au rejet de la conception simpliste des crises, de leurs causes et du processus critique qui sous-tend la démarche en question :
- La conformité à des ratios de fonds propres corrigés de risques calculés selon des formules contestables, ratios trop faibles pour garantir la résistance de l'établissement en cas de crise d'une certaine importance.
- Des calculs qui reposent souvent sur des hypothèses invérifiables comme, par exemple, l'effet sur le bilan d'une banque, d'une baisse de quelques pourcents du PIB.
- L'absence de garantie que les fonds propres théoriquement disponibles le seront en réalité.
- Surtout, le fait que la résistance d'une banque à un coup dur ne peut s'apprécier indépendamment de l'écheveau de ses relations avec les autres établissements - qu'évidemment les contrôleurs ne peuvent mesurer - indépendamment de son insertion dans le système financier global et des inquiétudes du moment.
« Une banque qui fait faillite, c'est une banque qui ne peut pas se refinancer, ou qui ne peut le faire à des conditions qui ne grèvent pas complètement sa rentabilité (Dexia). C'est une banque qui affronte une défiance générale des prêteurs (Lehman) ou la fuite de ses déposants (les banques islandaises en 2008, par exemple). Ceci, parce que l'incertitude est trop forte quant aux risques réels qu'elle porte (cas de plusieurs banques espagnoles après la crise) ou quant à sa capacité à générer des résultats suffisants pour combler les défaillances qu'elle enregistre sur ses crédits (Monte Paschi). Pourquoi, interroge Guillaume Alméras, les tests de résistance de l'EBA, cependant, n'en tiennent-ils pratiquement aucun compte ? 76 ( * ) »
Même la Commission européenne, elle-même, n'est pas convaincue par ces résultats rassurants.
Certes la situation retenue en 2018 est plus grave que celle de 2014 quant à la baisse du PIB mais, étrangement, son impact est moindre en termes de pertes pour les banques : « le manque de transparence et l'hétérogénéité des pratiques bancaires pour prédire les pertes induites affaiblissent considérablement la crédibilité du test et limitent son utilité pour soutenir la discipline de marché parmi les banques européennes. »
La Cour des comptes européenne estime aussi, début juillet 2019, que ces tests « présentaient des insuffisances dans l'évaluation de la résilience aux risques systémiques... Les chocs stimulés étaient en réalité moins violents que ceux subis lors de la crise financière de 2008 et le scénario défavorable ne reflétait pas de manière satisfaisante l'ensemble des risques systémiques pour le système financier de l'Union. » 77 ( * )
La Cour relève aussi que toutes les banques n'étaient pas soumises aux mêmes tests, les banques et les pays fragiles ayant un traitement de faveur. Par exemple, les tests réservés à la Suède étaient deux fois plus sévères que ceux subis par l'Italie.
Apparemment un certain nombre de banques fragiles ont été exclues de l'épreuve.
On n'est jamais trop prudent.
Disons donc que si, incontestablement, l'effort d'analyse de la solidité du système bancaire européen est réel et suivi, on est encore loin de pouvoir mesurer sa résistance réelle à une situation critique et d'autant moins que le halo d'obscurité qui entoure cette nouvelle transparence, en même temps, s'est approfondi 78 ( * ) .
2. Le système européen de supervision
Abondance de biens ne pouvant nuire, outre les supervisions nationales et le MSU, sera mis en place un système européen de supervision composé de l'Autorité bancaire européenne (ABE), de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), de l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) et un Comité européen du risque systémique (CERS).
* 76 Guillaume Alméras BFM Business 28/11/2018.
* 77 Le Figaro du 11 avril 2019.
* 78 Blog Michel Crinetz - 18 juillet 2018 - reference au rapport de la Commission : In-Depth Analysis - How demanding and consistent is the 2018 stress test design in comparison to previous exercises ? - PE 614.512 - Committee on Economic and Monetary Affairs