B. LEVER LES BARRIÈRES À L'ENTRÉE SUSCEPTIBLES DE DÉCOURAGER LES NOUVEAUX ENTRANTS
Au risque d'indépendance du gestionnaire d'infrastructure s'ajoute, d'après plusieurs intervenants, l'existence de barrières à l'entrée du marché . Ces barrières peuvent être de nature technologique ou non technologique 16 ( * ) .
Pour Claude Steinmetz, il existe d'abord une « iniquité concurrentielle dans le calcul de la masse salariale » entre les entreprises ferroviaires nouvelles entrants et l'opérateur historique.
En outre, Bernard Roman a souligné les difficultés pour les nouveaux entrants à accéder aux matériels nécessaires au système de communication et de sécurité des trains sur les lignes commerciales. À titre d'exemple, certains équipements (les TVM 17 ( * ) notamment) sont aujourd'hui fabriqués par SNCF Mobilités.
À ces difficultés s'ajoute la problématique plus globale de l'accès des nouveaux entrants aux données . Dans la perspective de l'ouverture à la concurrence des services conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs par les autorités organisatrices de transport (faculté à compter du 3 décembre 2019 et principe à partir du 25 décembre 2023), la transmission d'informations constitue un enjeu central et une condition sine qua non à la réussite de l'ouverture à la concurrence du secteur . En effet, comme le souligne l'Arafer : « l'asymétrie d'information existante entre l'opérateur historique sortant d'une part, et les AOT comme les autres candidats d'autre part, est de nature à constituer une barrière à l'entrée du marché ». Cette transmission d'information peut être de deux ordres 18 ( * ) :
- d'une part, la transmission aux autorités organisatrices de transport (AOT) d'informations relatives aux services faisant l'objet d'un contrat de service public, prévue à l'article L 2121-19 du code des transports ;
- d'autre part, la transmission par les AOT des informations nécessaires aux opérateurs économiques participant à une procédure de passation d'un contrat de service public pour préparer une offre, prévue à l'article L. 2121-16 du code des transports.
À ce titre, la loi pour un nouveau pacte ferroviaire prévoit qu'un décret en Conseil d'État pris après avis de l'Arafer détermine les catégories d'informations concernées et les conditions d'application de ces articles.
Au 10 juillet 2019, jour de la table ronde, ce décret n'avait pas encore été publié. L'Arafer avait émis un avis sur le projet qui lui avait été communiqué en mai 2019. Elle a procédé à une consultation publique, en raison de « l'importance stratégique des enjeux attachés à ce projet de texte réglementaire qui est structurant pour le bon déroulement de l'ouverture à la concurrence de services domestiques conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs ».
L'Arafer avait ainsi estimé que le projet de décret « compromet[tait] gravement l'objectif de la loi » 19 ( * ) , pour plusieurs raisons, évoquant notamment les incertitudes quant au périmètre des informations concernées, et estimant que le décret devrait constituer « un socle minimal de garanties applicables ». Au total, pour l'Arafer, la procédure prévue par le projet de décret ne « garanti[ssait] pas un accès rapide des AOT aux informations nécessaires à la préparation des appels d'offre ».
Claude Steinmetz a partagé ces inquiétudes à l'occasion de la table ronde du 10 juillet 2019. Concernant le matériel et la maintenance, il a indiqué regretter que le projet de décret prévoie que les entreprises ferroviaires aient uniquement accès au plan de maintenance constructeur (et non au plan de maintenance actualisé), alors même que le matériel a plusieurs années. Cet accès au seul carnet d'entretien constructeur serait source de risques pour la sécurité du public . D'après Bernard Roman, si l'historique n'est pas transmis, « l'opérateur pourrait ne pas connaître exactement l'état du matériel avec lequel il fait rouler le public dans les TER ».
Or, le décret en question, publié après cette table ronde 20 ( * ) , a fait l'objet d' ajustements visant en partie à prendre en compte l'avis de l'Arafer et les inquiétudes des nouveaux entrants. Cette nouvelle version est plus favorable aux AOT : le délai de transmission des informations existantes est réduit de deux mois à un mois et le plan de maintenance actualisé leur sera mis à disposition.
Lever les barrières à l'entrée pour les nouveaux entrants est une condition indispensable pour une ouverture à la concurrence effective . Ce sujet est d'ailleurs sources de différends : le Conseil régional des Hauts-de-France a ainsi autorisé son président, Xavier Bertrand, à saisir l'Arafer pour le règlement d'un différend avec SNCF Mobilités concernant la transmission d'informations 21 ( * ) . Xavier Bertrand avait ainsi estimé que ce défaut de transmission d'information constituait une « entrave à l'application de la loi » 22 ( * ) .
* 16 Arafer ; L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en France - Lever les obstacles pour une ouverture à la concurrence réussie , mars 2018.
* 17 Transmission Voie Machine (système de signalisation ferroviaire en cabine sur les lignes à grande vitesse).
* 18 Arafer, Avis n °2019-037 du 13 juin 2019 portant sur le projet de décret relatif aux informations portant sur les contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs et aux éléments nécessaires à l'exploitation des matériels roulants transférés .
* 19 Arafer, Communiqué de presse, « Ouverture à la concurrence des services conventionnés : le projet de « décret données » compromet gravement l'objectif de la loi », 17 juin 2019.
* 20 Décret n° 2019-851 du 20 août 2019 relatif aux informations portant sur les services publics de transport ferroviaire de voyageurs et aux éléments nécessaires à l'exploitation des matériels roulants transférés, et à la protection des informations couvertes par le secret des affaires .
* 21 Région Hauts-de-France, Séance plénière du Conseil régional, délibération n° 2019.01070 .
* 22 Ville Rail & Transport, « Concurrence ferroviaire : Xavier Bertrand s'apprête à saisir l'Arafer », 2 avril 2019 .