B. L'ATTENTION ACCORDÉE AUX VICTIMES DE TOUTES FORMES DE VIOLENCES
Le Conseil de l'Europe condamne les violences faites aux individus, quels qu'ils soient. Il n'est donc pas étonnant que l'Assemblée parlementaire s'attarde régulièrement sur les trop nombreuses situations qui contreviennent à cette préoccupation d'un espace commun sans violences. Cette session d'automne s'est plus particulièrement préoccupée du cas des victimes, sous deux angles : celles de violences terroristes et les femmes victimes de violences obstétricales et gynécologiques, plus ordinaires mais non moins condamnables que les autres.
1. Protéger et soutenir les victimes du terrorisme
Mercredi 2 octobre 2019, l'Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) , au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, une résolution et une recommandation sur la protection et le soutien à accorder aux victimes du terrorisme.
En ouverture de la discussion générale, la rapporteure a insisté sur l'importance et la sensibilité du sujet de ce débat, portant sur une meilleure reconnaissance et sur une aide la plus efficace et juste qui soit aux victimes du terrorisme. En la matière, le devoir de mémoire rejoint celui de justice, pour les victimes comme leurs familles. Or, malheureusement, le soutien aux victimes arrive parfois trop tard et est aussi insuffisant.
De nombreuses questions ont été évoquées lors de récents travaux du Conseil de l'Europe, comme la prise en compte des frais supportés par les victimes, l'indispensable écoute, la nécessaire information sur les suites données aux enquêtes et de façon plus large, l'opportunité d'un mécanisme de reconnaissance et d'indemnisation des victimes par l'État.
Ces dernières années, l'Espagne, le Royaume-Uni et la France ont subi des attaques terroristes de grande ampleur et, parfois, le terrorisme y persiste de façon ponctuelle mais toujours meurtrière. Ces pays et d'autres ont développé et mis en oeuvre des stratégies et des politiques de soutien aux victimes qui méritent aujourd'hui d'être partagées avec l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe. Parallèlement, l'Allemagne, qui a connu aussi des attaques, a, au travers de son expérience des dernières années, été confrontée à des problèmes dont les autres pays pourraient tirer des leçons, et donc, des orientations ont été reçues.
Un certain nombre d'instruments juridiques existants n'ont pas été pleinement mis en oeuvre, ni mis en pratique. Il faut donc une approche plus cohérente et systématique en matière de protection et de soutien aux victimes du terrorisme. Cette approche peut s'articuler autour de quatre thèmes : reconnaissance, soutien, lien avec la société civile et action au plan international.
Mieux reconnaître les victimes, tout d'abord, parce qu'il est primordial que les victimes des attaques terroristes soient facilement identifiables et formellement reconnues par la législation, les politiques et les procédures. Les besoins fondamentaux de toutes les victimes d'infractions incluent particulièrement : la reconnaissance du statut de victime et des souffrances endurées ; la protection de toute violence supplémentaire ou victimisation secondaire ; le soutien avec accès à une assistance juridique, financière, médicale et psychologique, à l'information ; la lutte contre toute forme de discrimination dont pourraient être l'objet les victimes ; la justice ; l'indemnisation.
Il convient toutefois de souligner que les besoins des victimes peuvent évoluer dans le temps. En outre, reconnaître les victimes consiste aussi à valoriser un contre-discours positif affirmant que la terreur ne détruira pas les principes fondamentaux de la démocratie et des droits humains, ainsi que les droits individuels de chaque victime.
Réaliser le soutien effectif aux victimes est, en deuxième lieu, essentiel. Si de nombreux États membres du Conseil de l'Europe ont instauré des mesures juridiques et institutionnelles pour soutenir les victimes d'infractions, celles-ci sont rarement spécifiques aux victimes du terrorisme. En outre, il existe une grande disparité des niveaux de protection et d'assistance en Europe, raison pour laquelle les Gouvernements doivent veiller à ce que les organismes non spécifiques d'aide aux victimes dans le secteur de la justice pénale reçoivent une formation et disposent de moyens pour répondre au mieux aux besoins. Lorsque cela est possible, les victimes doivent avoir la possibilité d'assister, de prendre part et d'être associées d'une manière ou d'une autre aux procédures judiciaires si elles le souhaitent. De même, des solutions non bureaucratiques et efficaces sont possibles, remettant la victime au centre du dispositif.
Conforter le lien avec la société civile, en troisième lieu, consiste à donner un rôle éminent aux organisations de victimes. Les Gouvernements devraient être à l'écoute des besoins de ces organisations et faire preuve de transparence dans la prise de décisions concernant leur financement.
Enfin, le dernier axe vise à consolider l'action au plan international. Il existe un mécanisme propre au Conseil de l'Europe, qui repose sur l'article 13 de la convention pour la prévention du terrorisme : aux termes de ce dispositif, chaque partie adopte les mesures nécessaires pour protéger et soutenir les victimes du terrorisme commis sur son propre territoire, ce qui inclut une aide financière et le dédommagement des victimes et des membres de leur famille proche. Il reste que ces stipulations ne s'appliquent qu'aux victimes au sein d'un État membre et ne concernent pas les citoyens européens touchés hors de l'Europe.
Les États membres sont généralement réticents à adopter des dispositions détaillées sur l'indemnisation des victimes dans les instruments juridiques internationaux, en raison de leurs importantes conséquences financières. Des modifications ont été apportées à la liste des lignes directrices pour la protection des victimes d'actes terroristes arrêtées par le Conseil de l'Europe en 2017. Et en juillet 2018, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle stratégie contre le terrorisme (2018-2022) axée sur la prévention, les poursuites et la protection et notamment l'aide aux victimes. Lors de sa troisième réunion plénière, les 14 et 15 mai 2019, le Comité des Ministres a aussi décidé de créer un réseau de points de contact uniques pour l'échange d'informations procédurales concernant le statut juridique des victimes dans les juridictions des États membres du Conseil de l'Europe. De façon globale et complémentaire, les Nations Unies et l'Union européenne oeuvrent pour la reconnaissance des victimes, mais la dimension internationale doit encore être renforcée en vue d'éviter les cas de double indemnisation, de coordonner l'assistance et de partager les bonnes pratiques, les expériences et l'expertise de chacun.
Se référant à l'expérience plus particulière de quatre États évoquée dans ses travaux (l'Espagne, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne), Mme Marietta Karamanli en a retiré que l'information aux victimes, l'existence d'un interlocuteur unique ou de coordination, une indemnisation juste, un suivi et un accompagnement dans le temps, un financement suffisant de l'aide, une coopération forte avec les associations dédiées, des mesures symboliques et partagées au sein des communautés nationales et une mobilisation coordonnée des acteurs constituent des axes forts ayant un réel impact sur les victimes. Elle a donc invité les autres États membres du Conseil de l'Europe et à statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l'APCE à prendre des mesures telles que la reconnaissance du statut de victimes du terrorisme, le soutien à l'échelle nationale et internationale ainsi que la coopération avec la société civile.
De même, l'Union européenne devrait faire de son Centre d'expertise pour les victimes du terrorisme un outil paneuropéen en lien avec le Conseil de l'Europe pour promouvoir la pleine application de la convention pour la prévention du terrorisme ainsi que de son protocole additionnel et des lignes directrices révisées du 19 mai 2017. L'Union devrait aussi, en concertation avec le Conseil de l'Europe, examiner la possibilité d'adopter une charte européenne des droits des victimes du terrorisme. L'APCE pourrait enfin exercer un suivi des mesures adoptées par les États.
En conclusion, la rapporteure a estimé que, si aux termes de l'éminent Irvin Yalom « lorsqu'on ne parle pas de l'essentiel, on ne parle de rien », évoquer l'effectivité des mesures, leur continuité dans le temps et l'espace, leur matérialité et leur financement revenait à débattre de l'essentiel et permettait de consolider la fraternité et la solidarité à l'égard des victimes du terrorisme.
Au cours des échanges qui s'en sont suivis, Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes - PPE/DC) a rappelé que le terrorisme est une idéologie mortifère qui a frappé à Nice, à Paris, à Utøya, à Moscou, à Londres, à Madrid et dans de nombreuses villes. À chaque fois qu'un être humain est blessé ou tué dans un attentat, c'est une part de notre humanité qui se trouve meurtrie.
Tous les membres de l'APCE ne peuvent que se rejoindre sur la nécessité d'une coopération internationale contre le terrorisme, qui, lui, ne connaît pas de frontière. Il est nécessaire de consolider et d'étendre le cadre juridique international en la matière, notamment celui découlant des conventions du Conseil de l'Europe.
À cet égard, les États membres qui n'ont pas encore signé et ratifié la convention pour la prévention du terrorisme devraient être incités à le faire. Si la détermination collective à agir contre le terrorisme doit être sans faille, il ne faut pas oublier les victimes du terrorisme, celles et ceux qui ont connu dans leur chair, dans leur coeur, les horreurs que cause cette idéologie barbare. Nombre d'entre elles gardent et garderont des séquelles morales et psychologiques lourdes.
Comme les militaires, les victimes du terrorisme souffrent souvent de syndromes post-traumatiques. Il est donc indispensable de les accompagner, de les soutenir, de les protéger, toutes, sans distinction, avec bienveillance et humanité. Les outils de soutien aux victimes à l'échelle nationale et internationale proposés par la rapporteure, associant la société civile, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, sont pertinents. Il s'agit là, aussi, d'un vecteur de contre-discours montrant que la terreur ne peut pas détruire les principes fondamentaux de la démocratie et des droits de l'Homme, que l'humanité l'emporte toujours sur la haine, que la résilience l'emporte toujours sur la destruction.
Dès lors, un soutien bienveillant des victimes par l'État et la communauté internationale est une réponse puissante de la civilisation à la barbarie. En cela, les textes en débat apportent une contribution utile et ne peuvent que susciter l'adhésion.
M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) , après avoir félicité la rapporteure pour la qualité de son travail et rendu hommage aux trop nombreuses victimes du terrorisme dans les États membres du Conseil de l'Europe, a caractérisé le terrorisme comme une menace pour les États, pour la démocratie, pour les droits de l'Homme, mais aussi comme un traumatisme pour les citoyens et les victimes, qui en réchappent parfois en « lambeaux », pour reprendre le titre d'un livre écrit par l'un des rescapés de l'attentat mené contre Charlie Hebdo , à Paris, le 7 janvier 2015.
La prise en compte des besoins spécifiques des victimes du terrorisme est indispensable, que ces besoins soient physiques, matériels, affectifs ou psychologiques, car ils ne sont pas simplement un dommage collatéral mais bien une partie intégrante du terrorisme, et donc du combat contre celui-ci. Les Gouvernements comme les Parlements devraient donc prendre des mesures appropriées pour traiter cette situation particulière, conformément aux lignes directrices révisées du Comité des Ministres du 19 mai 2017.
Malheureusement, un certain nombre d'instruments juridiques n'ont pas été pleinement mis en oeuvre. De plus, l'approche prévalant en matière de protection et de soutien aux victimes du terrorisme mériterait d'être plus cohérente et systématique dans tous les États membres du Conseil de l'Europe. Les textes proposés par la commission des questions politiques et de la démocratie méritent donc d'être adoptés, afin que les victimes d'actes terroristes puissent bénéficier, à l'avenir, d'une meilleure protection et d'un plus grand soutien.
M. Dimitri Houbron (Nord - La République en Marche) s'est associé aux hommages rendus aux victimes d'attentats terroristes sur le territoire des États membres du Conseil de l'Europe ainsi que dans le monde entier.
L'un des objectifs morbides du terrorisme consiste à déstabiliser un État en provoquant la défiance de la population vis-à-vis de la capacité de la puissance publique à assurer sa sécurité. Dit autrement, si l'État se montre incapable d'assurer la sécurité de la population, celle-ci peut être tentée de remettre en cause son modèle démocratique et ses libertés fondamentales. Ce danger est prégnant, ainsi que le démontre la rapporteure dans son travail.
Trois éléments de réflexion méritent plus particulièrement d'être développés sur la base de ce constat :
- tout d'abord, la mise en place d'une définition, la plus universelle possible, du concept de victimes de terrorisme s'impose pour donner de la clarté juridique et de l'efficacité aux moyens de protection et de soutien des victimes ;
- ensuite, sécuriser les coopérations internationales face au terrorisme mondial est un enjeu capital pour éviter qu'un État ou une région entière se retrouve isolé ;
- enfin, garantir un quotidien viable et vivable aux membres de la société civile qui livrent des informations importantes dans la lutte contre le terrorisme est une nécessité. Les citoyens qui, courageusement, alertent les services de renseignement ou de police de leur connaissance de l'imminence d'un attentat ou du lieu dans lequel seraient retranchés des terroristes, placés ensuite sous un régime spécial de protection des témoins, sont quotidiennement exposés aux représailles et ils doivent donc eux aussi être considérés comme des victimes du terrorisme.
En conclusion, M. Dimitri Houbron a salué la qualité du travail de la rapporteure, ainsi que son dévouement pour les causes qu'elle défend en France.
M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a souligné que, dans le cadre de la deuxième Journée internationale de commémoration et d'hommage aux victimes du terrorisme, célébrée le 21 août 2019, il était manifeste que, pour les victimes, les blessures morales ont parfois surpassé les blessures physiques. De ce fait, l'assistance médicale psychologique qui leur est apportée revêt une grande importance. Comme le rappelle le projet thérapeutique Mimosa, « outre le traumatisme et la violence subie, (...) la victime d'un acte terroriste n'est jamais directement visée. C'est avant tout ce qu'elle représente qui l'est. »
Incontestablement, les réparations matérielles et indemnisations doivent être aussi équitables que possible. Comme le terrorisme peut frapper n'importe où dans le monde, il paraît inacceptable d'établir des distinctions en fonction de la nationalité des victimes. Un des points les plus sensibles reste aussi la longueur des procédures et du versement des indemnisations ; sur ce plan, le rôle des associations est fondamental.
En France, les attentats de Paris en 2015, comme l'attentat de Nice en 2016, ont créé un réel effet de sidération qui a saisi le corps social. Des victimes directes et leurs proches, mais aussi des cercles plus larges de personnes qui, sans être directement concernées, ont été touchées par ces événements tragiques. Ainsi, des chercheurs du centre national de la recherche scientifique (CNRS), sous la direction de M. Peschansky, ont créé le programme dit « du 13 novembre », qui vise à travailler sur l'impact sur la mémoire individuelle et collective des attentats. Ce programme transdisciplinaire, qui vise à suivre un millier d'individus sur une dizaine d'années, doit permettre, à moyen terme, de disposer d'outils pour une approche médicale et psychothérapeutique mieux adaptée à toutes les victimes. Ainsi, une étude spécifique a été mise en place sur les très jeunes enfants de 4 à 12 ans, qui ont été particulièrement touchés lors de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice.
L'analyse « Remember », pour sa part, s'attache à saisir l'origine des inégalités individuelles face aux intrusions cérébrales : pourquoi certains sujets sont-ils plus ou moins capables que d'autres d'inhiber les images, les sons, les odeurs associés à des chocs traumatisants ? Les premiers résultats montrent que la notion même de victime du terrorisme ne peut avoir de sens que si l'on prend en compte ces troubles neurologiques, qui touchent des personnes bien au-delà des premiers cercles, et ceci aussi en grande partie en raison d'une médiatisation en continu, parfois outrancière, de ces événements tragiques.
Le travail de la rapporteure est excellent et, corrélativement, les textes en discussion méritent d'être adoptés sans hésitation.
2. Prévenir les violences obstétricales et gynécologiques
Lors de sa deuxième séance du jeudi 3 octobre 2019, l'APCE a débattu, sur le rapport de Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain), au nom de la commission sur l'égalité et la lutte contre les discriminations, d'une résolution sur les violences obstétricales et gynécologiques, qu'elle a ensuite votée.
En ouverture de la discussion générale, la rapporteure a souligné que son travail venait compléter la liste des précédents rapports relatifs aux violences faites aux femmes. Il aborde néanmoins une thématique non encore traitée par l'APCE, un sujet trop longtemps occulté et, par là même, trop longtemps méconnu. Pourquoi un tel silence ? Parce que la grossesse et l'accouchement sont des temps de la sphère privée, qui doivent être des temps de joie et de bonheur. Ternir ces moments par l'évocation de souffrances vécues n'est pas d'usage dans notre société. Ne dit-on pas : « Tu enfanteras dans la douleur » ?
Après avoir évoqué ses auditions et sa visite de travail en Croatie, à Zagreb, au service de maternité et néonatalité du plus grand hôpital universitaire du pays, ainsi que les témoignages de femmes, comme celui d'une parlementaire croate au sujet de son curetage sans anesthésie subi en urgence, Mme Maryvonne Blondin a constaté que ses préconisations rejoignaient celles de Mme Dubravka imonoviæ, rapporteure spéciale des Nations Unies, qui doit présenter concomitamment à New-York, à l'Assemblée générale des Nations Unies, son rapport sur ce même sujet.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est emparée de cette question dès 2014. Elle dénonçait déjà les traitements non respectueux et abusifs dont sont victimes les femmes. Elle a fait des recommandations qui, maintenant, commencent à porter leurs fruits : le taux de césariennes, d'épisiotomies a diminué, mais certaines pratiques professionnelles - qu'elle a pourtant interdites, comme l'expression abdominale, les épisiotomies inutiles, les touchers vaginaux non consentis - sont encore en vigueur. Il a fallu attendre les années 2017-2018, suite à la libération de la parole, via les campagnes sur les réseaux sociaux pour que soient mis en lumière ces problèmes.
En France, le Haut Conseil à l'égalité
(HCE) a élaboré un rapport en 2017, suite à
l'interpellation du Gouvernement, et les autorités professionnelles
- majoritairement composées d'hommes - ont fait de
même avant de commencer à réagir.
Les violences gynécologiques et obstétricales ne reposent pas sur l'intentionnalité du praticien dans ses actes ou dans ses paroles mais sur le ressenti et les séquelles de celles qui les subissent. En France, comme dans la plupart des pays, l'accouchement fut très longtemps l'affaire de femmes matrones ; ce n'est que vers la fin du XVI ème siècle que les hommes, des chirurgiens-barbiers, se sont introduits dans les chambres de naissance : ce faisant, ils prenaient le contrôle sur le corps des femmes, sur leur sexualité et leur capacité à enfanter. La prise en compte de la douleur n'est apparue que plus tard, sous le règne de la reine Victoria, avec le développement de la sédation par chloroforme.
Aujourd'hui, la surmédicalisation de l'accouchement favorise l'utilisation de moyens plus invasifs et les interventions obstétricales, alors que la majorité des naissances est à faible risque. Ce constat apparaît assez paradoxal.
L'objectif du travail effectué au sein de la commission sur l'égalité et la lutte contre les discriminations n'est pas de jeter l'opprobre sur une profession mais de mesurer la réalité des faits dénoncés et aussi des améliorations apportées, afin de recommander quelques bonnes pratiques dans le cadre des valeurs du Conseil de l'Europe.
Selon certaines sages-femmes, les violences envers les patientes seraient le quotidien dans de nombreuses maternités pour des raisons structurelles, culturelles et sociologiques. Les conditions de travail des professionnels de santé sont difficiles : le manque d'effectifs entraîne une surcharge de travail ; des locaux parfois vétustes sont peu adaptés à la confidentialité et à l'intimité ; enfin le manque de moyens financiers aggrave les tensions dans la prise en charge des patientes dans les meilleures conditions.
Ce qui ressort - c'est bien là le noeud du problème -, c'est le rapport d'inégalité entre les professionnels et les futures mères, une supériorité du médecin sur la patiente, une culture patriarcale qui se perpétue. Il faut dire que la position de la femme lors d'un examen gynécologique aggrave son sentiment d'infériorité. Il est difficile pour la femme d'interroger le professionnel sur les choix des soins qui lui sont apportés ou de s'opposer à son médecin. Or il existe, dans beaucoup de pays, une charte des droits des patients avec le droit de chacun à l'information sur sa propre santé, sur les choix thérapeutiques qui le concernent, sur le consentement, sur le respect de sa vie privée et de son intégrité.
Le travail accompli vise à permettre une prise de conscience pour lever les tabous.
S'exprimant au nom du groupe PPE/DC, Mme Laurence Trastour-Isnart (Alpes-Maritimes - Les Républicains) a noté que, parce qu'elles touchent à l'intime, parce qu'elles concernent le corps des femmes, les violences obstétricales et gynécologiques ont trop souvent été occultées ou niées. Pourtant ces violences, ces actes irrespectueux existent. Or, les femmes n'ont pas à endurer des accouchements ou des examens gynécologiques violents ou irrespectueux, parfois associés à des paroles infantilisantes, sexistes, à des gestes violents, exécutés sans consentement.
Tous ces actes qui agressent le corps des femmes, dans la prise en charge, peuvent entraîner des perturbations psychologiques analogues à un état de stress post-traumatique qui toucherait près de 5 % des femmes. C'est pourquoi il est important que les pouvoirs publics se saisissent de cette problématique pour sensibiliser les femmes et les acteurs du corps médical. Il faut briser le mutisme entourant ce sujet, reconnaître ces violences, les prévenir, faciliter les procédures de signalement et mieux légiférer.
Le travail présenté au nom de la commission sur l'égalité et la lutte contre les discriminations propose des recommandations pertinentes. Le groupe PPE/DC souhaite insister sur le renforcement de la formation des professionnels médicaux et paramédicaux, qui constituerait un moyen puissant pour lutter contre ces violences. Gynécologues, obstétriciens, médecins, sages-femmes, infirmières doivent être formés sur la prévention de ces violences. Les notions de consentement éclairé et libre, de bientraitance et de bienveillance doivent prendre une place spécifique dans l'enseignement.
À ce jour, la formation médicale est centrée sur la technique au détriment parfois des relations humaines. Or ces deux éléments ne doivent pas être antinomiques, ils doivent être complémentaires. En outre, les établissements de santé doivent être dotés d'un financement suffisant pour que les conditions d'accueil et de travail soient optimales. La prise en charge de la patiente avec respect et bienveillance doit être le seul objectif des services et non pas la rentabilité économique. Naturellement, les professionnels de santé font un travail exigeant et indispensable, dans des conditions souvent difficiles. Il faut donc les aider et cela passe notamment par des financements appropriés. Enfin, les législations nationales doivent traiter du consentement dans les actes obstétricaux, gynécologiques et plus largement médicaux.
Pour le groupe PPE/DC, le Conseil de l'Europe doit encourager les États à appliquer les législations posant le principe du consentement éclairé des patientes. C'est une question de protection des droits de l'Homme, de respect de la dignité de la personne humaine, de promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Mme Martine Wonner (Bas-Rhin - La République en Marche) a souhaité saluer l'engagement de la rapporteure en faveur de la défense du droit des femmes et la qualité de son travail. S'attardant plus particulièrement sur les discriminations envers les femmes lesbiennes, elle a considéré qu'il s'agissait d'un sujet important, tout particulièrement à l'aune du projet de loi de bioéthique, actuellement en débat à l'Assemblée nationale française.
Membre de la commission spéciale chargée de procéder à l'examen du texte, elle s'est félicitée de l'ouverture en France de la procréation médicale assistée (PMA) à toutes les femmes, la PMA étant jusqu'alors interdite en France pour les couples lesbiens et les femmes seules, alors que cette pratique est autorisée dans plusieurs autres pays de l'Union européenne.
Les professionnels de santé peuvent parfois avoir une perception biaisée des habitudes de vie sexuelles des femmes lesbiennes. Ces dernières manquent aussi d'informations et sont souvent victimes de clichés qui perdurent. Leur santé sexuelle semble être considérée comme à part et stigmatisée par le milieu médical. Le corps médical lui-même semble malheureusement ne pas être épargné par ce manque d'informations sur la sexualité des femmes lesbiennes. Or, cette ignorance du personnel médical a pour conséquence d'éloigner les femmes lesbiennes ou bisexuelles du système de santé, en raison de réactions inadaptées ou de nombreuses mauvaises expériences.
Afin que les femmes lesbiennes ou bisexuelles puissent bénéficier d'un meilleur suivi gynécologique et obstétrical, notamment pendant et après la grossesse, il faut rester vigilant sur leur accès aux soins. Éviter toute inégalité de traitement à leur égard suppose de lutter contre la présomption d'hétérosexualité, à laquelle elles sont souvent confrontées. La France devrait aussi s'inspirer des meilleures expériences ou pratiques au sein des autres pays européens.