EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 2 octobre 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission des affaires sociales examine le rapport d'information de Mme Pascale Gruny et M. Stéphane Artano sur la santé au travail.

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous examinons ce matin le rapport de la mission d'information sur la santé au travail, présenté par nos collègues Pascale Gruny et Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano , rapporteur . - Le rapport de notre collègue députée Charlotte Lecocq sur la santé au travail a fait couler beaucoup d'encre depuis sa parution, en août 2018. La proposition d'une révolution copernicienne du système de santé, articulée autour d'une agence nationale, France Santé Travail, et de guichets uniques régionaux, a été diversement accueillie par les partenaires sociaux et les acteurs de la prévention : si certains y ont vu un effort de simplification bienvenu dans un paysage particulièrement fragmenté, d'autres ont regretté une inadéquation du schéma proposé avec le service de proximité que les entreprises, qui financent la santé au travail, sont en droit d'attendre.

Pour autant, le rapport Lecocq a eu le mérite de poser la question de la cohérence de notre système de prévention des risques professionnels et du service rendu aux principaux intéressés, les salariés et les entreprises. Le sujet est politiquement et socialement délicat : au sein du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT), les partenaires sociaux ont échoué à s'entendre sur les orientations à impulser pour la réforme de la santé au travail. Le Gouvernement, qui reste déterminé à intervenir, annonce un projet de loi pour l'année prochaine.

Notre commission a décidé de prendre part à ce débat en se penchant sur les principaux axes de réforme envisagés par le Gouvernement : la gouvernance du système de santé au travail, son financement et ses missions fondamentales. Pascale Gruny et moi-même avons entendu au cours de cinquante et une auditions plus de cent personnes, représentant l'ensemble des parties prenantes ; nous avons également effectué deux déplacements, dans les Hauts-de-France et au Danemark.

Nos propositions s'articulent autour des quatre objectifs qu'il nous semble nécessaire d'assigner à toute réforme de la santé au travail : améliorer la cohérence et la lisibilité de la gouvernance ; garantir un service universel de santé au travail à tous les travailleurs, et pas seulement aux salariés ; renforcer les moyens humains et financiers de la santé au travail ; enfin, faire de la santé au travail une composante à part entière de notre politique de santé publique, en l'imposant comme un levier de la prévention primaire.

En matière de gouvernance, le réseau des services de santé au travail (SST) pâtit de l'absence d'un pilotage national propre à garantir des prestations de qualité sur tout le territoire et pour l'ensemble des entreprises, quel que soit leur effectif. De fait, aucun référentiel national des prestations que les SST sont tenus d'assurer n'existe. En pratique, faute de coordination nationale et de moyens, la politique d'agrément mise en oeuvre par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) a échoué à garantir une qualité des prestations des SST homogène sur le territoire.

Un interlocuteur national unique capable de définir un socle de prestations et d'en assurer l'effectivité nous semble donc s'imposer. C'est pourquoi nous proposons la création d'une agence nationale de la santé au travail, ayant pour missions principales d'établir un référentiel de certification des SST, de fournir à ceux-ci un large éventail d'outils d'intervention en matière de prévention et de favoriser l'utilisation d'un seul système d'information dans tous ces services.

Cette agence, qui rassemblerait en son sein différents organismes nationaux intervenant dans la prévention des risques professionnels, aurait le statut d'un groupement d'intérêt public, avec pour membres l'État, au travers des ministères du travail, de la santé et de l'agriculture, la sécurité sociale, au travers de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et la Mutualité sociale agricole (MSA), ainsi que les agences sanitaires compétentes en matière de santé au travail, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) et Santé publique France.

La procédure de certification des SST suivrait la logique de celle qui a été mise en oeuvre par la Haute Autorité de santé (HAS) pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous considérons en effet la santé au travail comme une mission de service public déléguée à des organismes privés : il n'y a pas de raison que les SST soient les seules structures de santé où se pratique la médecine à ne pas faire l'objet d'une certification, quand bien même la prise en charge y est essentiellement préventive.

Pour ce qui est de l'organisation du réseau territorial de la santé au travail, nous écartons la mise en place d'un guichet unique régional, proposée par le rapport Lecocq. Nous estimons en effet que le réseau doit continuer de reposer sur le service de proximité que les SST doivent incarner. En revanche, des marges de manoeuvre existent dans l'articulation de ces services avec les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et les associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), pour clarifier la répartition des compétences et mieux distinguer conseil et contrôle.

Les Carsat offrent une vraie valeur ajoutée, compte tenu de la complémentarité de leurs missions d'assureur et de conseil ; en repérant les entreprises à la plus forte sinistralité, elles sont capables d'orienter les actions de prévention vers les entreprises qui en ont prioritairement besoin. Quant aux Aract, elles se sont spécialisées dans l'amélioration de la qualité de vie au travail. Une réunion de ces deux types de structures au sein de caisses régionales de la santé au travail offrirait une expertise couvrant l'ensemble des risques professionnels. Toutefois, aucun rapprochement ne saurait donner lieu à une réduction des effectifs : l'État et la sécurité sociale se sont engagés, dans la convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP, au maintien des effectifs de préventeurs.

La collaboration entre, d'une part, les SST et, d'autre part, les Carsat et les Aract serait renforcée en privilégiant des protocoles d'intervention graduée. Les caisses régionales de la santé au travail alerteraient les SST sur les entreprises à fort risque de sinistralité. Ensuite, les SST mettraient en oeuvre un plan d'action coconstruit avec l'entreprise, le cas échéant avec le soutien humain et financier des caisses. Les caisses n'interviendraient comme contrôleurs qu'en dernier ressort, au cas où l'entreprise n'aurait pas respecté ses engagements.

Mme Pascale Gruny , rapporteur. - S'agissant du financement des services de santé au travail, nous sommes défavorables à la proposition de fusion de la cotisation AT-MP et de la cotisation au service de santé au travail interentreprises (SSTI) : la première est une cotisation de sécurité sociale, la seconde correspond à la prise en charge par l'employeur de son obligation de prévention. Toutefois, afin d'avoir une idée plus précise des flux financiers en jeu, nous souhaitons que les SSTI informent les Direccte des sommes qu'ils collectent, et que des statistiques consolidées soient établies au niveau national.

Pour dynamiser les ressources des services de santé au travail, nous proposons de donner à ceux-ci une plus grande liberté pour fixer leurs cotisations, en leur permettant de retenir un critère de masse salariale ; certains le font déjà, dans l'illégalité. Cette mesure, proposée par notre collègue Michel Amiel, a été adoptée par le Sénat en 2016. En outre, il nous semblerait souhaitable que, dans la limite des ressources publiques, les SST puissent bénéficier de financements de l'État ou du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles pour mener à bien des projets précis.

Enfin, les aides financières simplifiées versées par les Carsat demeurent difficilement accessibles pour certaines très petites entreprises du fait de la condition de cofinancement. Nous proposons de permettre, dans un cadre déterminé par la convention d'objectifs et de gestion, la prise en charge à 100 % d'investissements en faveur de la prévention.

Un certain nombre de travailleurs ne bénéficient pas aujourd'hui du système de santé au travail.

Il s'agit d'abord des travailleurs non-salariés, catégorie qui regroupe aussi bien les artisans et les commerçants que les chefs d'entreprise. Aux difficultés propres à la nature même de leur activité s'ajoutent bien souvent des risques psychosociaux importants, liés à la responsabilité personnelle. En outre, on observe bien souvent chez les travailleurs indépendants un certain déni de leurs problèmes de santé, conduisant à l'aggravation de ceux-ci.

Il est donc souhaitable que ces publics bénéficient plus facilement d'un suivi de leur état de santé. S'agissant des chefs d'entreprise, nous proposons qu'ils puissent être suivis, à leur demande et selon des modalités qu'ils choisiraient, par le service de santé au travail de leur entreprise. Il s'agit en fait d'étendre ce qui est déjà possible dans le secteur agricole. Compte tenu du faible coût marginal de cette mesure, il nous semble qu'aucune cotisation supplémentaire n'est à prévoir.

S'agissant des autres travailleurs non-salariés, il nous semble nécessaire d'aller vers une obligation de rattachement à un service de santé au travail. Il ne saurait toutefois être question d'imposer aux indépendants une cotisation supplémentaire sans qu'ils y consentent. La mise en place d'une telle obligation doit résulter de la concertation avec les représentants des travailleurs non-salariés.

Outre les indépendants, il existe des catégories de travailleurs dont le suivi, bien que prévu par le code du travail, s'avère difficile. Celui des intérimaires, par exemple, est partagé entre le service de santé au travail de l'entreprise de travail temporaire et celui de chacune des entreprises utilisatrices dans lesquelles ils interviennent ; il ne peut donc être que fragmenté et lacunaire. Nous proposons que, à l'échelle du département ou du bassin d'emploi, chaque branche identifie un SST compétent pour le suivi des intérimaires employés par les entreprises de son domaine, service qui se verrait reverser les cotisations correspondantes.

Le développement de la sous-traitance conduit, notamment dans les grandes entreprises, à l'externalisation d'un certain nombre de tâches, comme le nettoyage et la maintenance. Les conditions de travail des travailleurs extérieurs relevant davantage de l'entreprise donneuse d'ordres que de leur propre employeur, il nous paraît souhaitable que, lorsqu'une telle situation perdure, les salariés de l'entreprise sous-traitante soient suivis par le service de santé au travail du donneur d'ordres.

Enfin, s'agissant de la fonction publique, nous estimons que l'existence d'un système distinct de celui du secteur privé demeure pertinente. Néanmoins, nous recommandons la mise en place de partenariats entre les services de médecine préventive des employeurs publics et les agences de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) pour le suivi de l'état de santé des agents intervenant sur des chantiers.

Le renforcement des moyens des SST suppose également de répondre au défi de la démographie médicale. Au-delà des mesures tendant à renforcer l'attractivité de la médecine du travail, qui mettront du temps à produire leurs effets, il nous semble nécessaire d'expérimenter des dispositifs susceptibles de répondre en urgence à la pénurie de médecins du travail que connaissent certains SST.

Nous proposons ainsi d'autoriser, dans des zones sous-dotées en médecins du travail, la signature de protocoles de collaboration entre le SST et des médecins non spécialisés en médecine du travail : s'inspirant de ceux qui sont prévus pour le suivi médical des salariés du particulier employeur, ces protocoles prévoiraient des garanties en termes de formation des médecins non spécialistes.

Nous recommandons également un élargissement du champ de l'exercice infirmier en pratique avancée au diagnostic de certains risques professionnels, afin de renforcer la pluridisciplinarité des équipes de santé au travail et de libérer du temps médical disponible.

M. Stéphane Artano , rapporteur . - Par ailleurs, notre rapport met l'accent sur la rénovation indispensable du contenu des missions des SST, pour que la prévention primaire en milieu de travail soit enfin une réalité.

Le procès des dirigeants de France Télécom ou encore l'extension du champ du préjudice d'anxiété montrent à quel point il est important pour les employeurs de prouver qu'ils ont tout mis en oeuvre pour répondre à leur obligation de sécurité. À cet égard, le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) ne doit plus être regardé comme une simple formalité, mais comme un véritable document stratégique qui engage non seulement toute la communauté de l'entreprise, mais également le SST.

Nous plaidons donc pour une implication obligatoire des SST dans l'élaboration du DUERP afin d'accompagner l'employeur et les représentants des salariés dans l'inventaire des risques et l'identification des actions et outils de nature à protéger les salariés.

Le développement de la prévention primaire par les SST suppose également un décloisonnement entre la médecine du travail et la médecine de ville. Nous proposons ainsi un accès, partiel ou total, du médecin du travail au dossier médical partagé (DMP) sous la stricte réserve du consentement explicite du travailleur. Le travailleur pourra ainsi décider de partager avec son médecin du travail des éléments sur son parcours de soins qui devront être pris en compte dans son environnement professionnel. C'est en particulier pertinent pour des personnes atteintes de maladies chroniques ou de cancer dont le protocole de soins nécessite un aménagement des conditions de travail.

Notre rapport fait également une large place à la prévention et à la gestion des risques psychosociaux et à l'amélioration de la qualité de vie au travail. L'exemple danois nous a en effet inspirés : dans un contexte de quasi plein emploi, les entreprises danoises doivent rivaliser dans ce domaine pour attirer une main-d'oeuvre de plus en plus exigeante. Dans cette logique, il pourrait être pertinent de charger les SST de conduire une évaluation triennale de la qualité de vie au travail dans chaque entreprise par le biais d'un questionnaire anonymisé rempli par les salariés qui débouchera, le cas échéant, sur un plan d'action coconstruit entre l'employeur, les représentants du personnel et le SST, et validé par le comité social et économique ou les autres instances représentatives du personnel pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - J'aborderai pour finir notre présentation la question de la prévention de la désinsertion professionnelle, qui doit être une des finalités de la protection de la santé des salariés.

Il convient premièrement d'oeuvrer à la prévention des arrêts de travail. C'est en effet par des arrêts prolongés que s'amorcent les processus de désinsertion. En effet, si les arrêts de travail résultent généralement de causes externes à l'entreprise, le nombre croissant de ces arrêts suggère que l'organisation et les conditions de travail jouent un rôle important. Nous reprenons ainsi certaines des propositions du rapport Bérard-Oustric-Seiller remis l'année dernière au Premier ministre.

Premièrement, il conviendrait que chaque entreprise ait connaissance de son profil d'absentéisme en comparaison avec les autres entreprises de son secteur d'activité. Nous proposons pour cela que la Cnam transmette aux entreprises les informations qu'elle tire du signalement des arrêts de travail. À l'inverse, l'employeur devrait être tenu de signaler au médecin du travail toute absence prolongée ou répétée.

En écho à certaines des propositions formulées par nos collègues René-Paul Savary et Monique Lubin sur l'emploi des seniors, nous recommandons que l'entretien professionnel biannuel soit l'occasion, pour les salariés exposés à des facteurs de pénibilité, d'évoquer la possibilité d'une évolution professionnelle interne à l'entreprise vers un poste moins exposé.

Enfin, pour favoriser le maintien dans l'emploi, nous considérons qu'il faudrait systématiser les visites de préreprise et faire intervenir cette visite le plus tôt possible. Il serait également pertinent que les services de santé au travail bénéficient tous en leur sein d'une cellule spécifiquement dédiée au maintien dans l'emploi.

Mme Catherine Deroche . - Y a-t-il une loi en préparation ?

Les auditions que nous avons réalisées dans le cadre du groupe d'études sur le cancer nous ont permis de mettre en évidence l'importance des dispositifs de retour à l'emploi, qu'il s'agisse du temps partiel thérapeutique, de dispositifs comme le congé maladie fractionné, qui existe dans la fonction publique mais pas dans le privé, ou encore de la forfaitisation des arrêts de travail.

Par ailleurs, certaines entreprises s'étant engagées dans une démarche d'entreprise bienveillante ont obtenu des résultats remarquables en termes de réduction de l'absentéisme au travail.

M. Gérard Dériot . - Je félicite les rapporteurs pour ce rapport qui correspond tout à fait à la réalité. Il me paraît notamment nécessaire que la santé au travail continue de s'exercer dans les SST départementaux.

Le manque de médecins de travail demeure catastrophique, dans le privé comme dans le public. Nous n'y apporterons pas de solution demain, mais il est important de le redire.

Par ailleurs, il paraît nécessaire d'éviter les antagonismes entre la médecine du travail et les chefs d'entreprise afin d'améliorer la prévention, qui a permis, ces dernières années, la diminution du nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Mme Catherine Fournier . - Je remercie à mon tour les rapporteurs. L'ensemble des chefs d'entreprise sont désormais sensibilisés à la responsabilité sociétale qu'ils ont vis-à-vis de leurs salariés.

Vous faites état du « déni » des travailleurs indépendants en matière de suivi médical. Vous proposez qu'ils puissent bénéficier d'un suivi, mais comment les faire sortir du déni et les inciter à en faire la demande ?

Par ailleurs, si l'obligation de rattachement des travailleurs non-salariés à un service de santé me semble indispensable, quelle forme doit-elle prendre et quelles en seront les conditions financières ?

Mme Michelle Gréaume . - Le nombre de médecins du travail est très insuffisant pour couvrir les besoins de toutes les entreprises. En effet, on compte 5 000 médecins du travail pour 20 millions de salariés. Malgré la succession des réformes, leur nombre continue de diminuer. En dix ans, on a ainsi observé une baisse de 30 % des effectifs. Les départs à la retraite ne sont pas non plus compensés, alors que 75 % de ces médecins ont plus de 55 ans.

Par ailleurs, de nombreux médecins du travail sont victimes de pressions de la part des entreprises qui contestent les actes qu'ils établissent. Ils sont même parfois sanctionnés et interdits d'exercice ou condamnés à verser des dommages et intérêts. Cela n'est pas de nature à rendre cette profession plus attractive ni à améliorer la prévention en matière de santé.

Il faut régler le problème principal, le fait que les médecins du travail sont rémunérés par les entreprises, ce qui ne garantit pas leur indépendance. Pourquoi ne pas rattacher ces médecins à la sécurité sociale ou prendre des mesures qui empêcheraient les employeurs de contester leurs diagnostics ?

M. René-Paul Savary . - Nous partageons le point de vue des rapporteurs : il faut impérativement maintenir les seniors dans l'emploi. La retraite progressive est une voie à explorer pour atteindre cet objectif.

Je suis surpris que le rapport n'évoque pas la question de la télémédecine du travail. Les salariés pourraient d'ores et déjà obtenir un diagnostic via des cabines connectées, ce qui permettrait de distinguer les salariés qui ont véritablement besoin d'un suivi au sein d'un SST des autres. Cette innovation, pourtant au point aujourd'hui, pourrait répondre au moins en partie aux difficultés d'embauche des médecins du travail.

Mme Victoire Jasmin . - La plupart du temps, les critères d'évaluation des entreprises n'intègrent que des données financières. Parmi ces critères ne pourrait-on pas prendre en compte les données relatives à la santé des salariés, puisque le rapport démontre l'importance de la prévention pour la performance même des entreprises ?

Mme Monique Lubin . - Ce rapport comporte des mesures concrètes, intéressantes et complémentaires des propositions que René-Paul Savary et moi-même avions formulées sur l'emploi des seniors, notamment sur le maintien de ces salariés dans l'emploi.

J'émettrai tout de même une réserve sur la proposition n° 14. Intégrer tous les salariés des sous-traitants dans les effectifs suivis par le service de santé au travail du donneur d'ordres complexifierait beaucoup le dispositif. Ne serait-il pas préférable d'obliger le donneur d'ordres à s'assurer que les salariés de l'entreprise sous-traitante bénéficient bien d'un suivi médical ?

Je trouve vos propositions sur les travailleurs non-salariés très intéressantes. On ne pense pas assez aux salariés dits « ubérisés », qui n'ont souvent aucune couverture en matière de santé au travail.

Mme Véronique Guillotin . - Mon postulat de départ est simple : améliorer la santé et le bien-être au travail des salariés est bon pour eux, mais aussi pour l'économie de l'entreprise et pour l'économie de la sécurité sociale.

Premièrement, il faut donner davantage d'importance à la prévention primaire au travail. Il reste beaucoup à faire en France sur le sujet, ainsi que sur la promotion de l'activité physique et la lutte contre la sédentarité. Voici quelques chiffres : un salarié sédentaire, qui démarre une activité physique, augmente sa productivité de 6 à 9 %. Une entreprise qui encourage l'activité physique et sportive de ses salariés enregistre des gains de productivité de 2,5 à 9 %. On estime que chaque salarié peut ainsi faire économiser 300 à 350 euros de dépenses de santé à son entreprise par an. Chaque salarié économise lui-même environ 35 euros par an et augmente son espérance de vie de trois ans.

Aujourd'hui, hélas, l'activité physique et sportive est considérée comme un avantage en nature, ce qui freine son développement. Il faudrait probablement approfondir cette question.

Deuxièmement, la télésanté soit être encouragée. Il faut créer des passerelles entre cette e-santé, les SST et la médecine de ville. Cela permettrait d'améliorer la médecine préventive et de combler les besoins en médecins.

Mme Jocelyne Guidez . - Lors des auditions, la question si importante des proches aidants a-t-elle été évoquée ?

Mme Corinne Imbert . - Je remercie les rapporteurs d'aborder la question de la santé des chefs d'entreprise, notamment leurs souffrances psychologiques et morales face aux difficultés financières qu'ils peuvent rencontrer.

Je souhaite faire la publicité de l'association Apesa France, qui vise à apporter une aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance psychologique aiguë. L'association a notamment pour objectif de prévenir le suicide des chefs d'entreprise. Son réseau associatif fédère 43 antennes locales qui sont autant de sentinelles pour tenter de prévenir les drames et de prendre en charge la solitude ressentie par certains entrepreneurs.

M. Guillaume Arnell . - Prévoyez-vous une déclinaison de vos propositions sur l'ensemble du territoire national, en particulier dans les territoires ultramarins ? Comment ces propositions s'appliqueront-elles concrètement dans les territoires éloignés ou reculés, afin qu'elles conservent toute leur efficacité et leur effectivité ?

Mme Corinne Féret . - Disposez-vous d'informations précises sur la date d'examen du futur projet de loi sur la santé au travail ? L'an dernier, nous avions commencé à travailler ce sujet avant qu'un rapport complémentaire ne soit demandé à la députée Charlotte Lecoq sur le volet « fonction publique ».

Je veux insister sur trois axes essentiels de ce rapport : la nécessité d'une présence territoriale de l'organisation de la santé au travail, le maintien dans l'emploi des seniors et la prévention.

Je crains que la proposition n° 14 sur les sous-traitants ne complexifie la gestion du suivi de la santé des salariés dans les grandes entreprises, qui ont déjà beaucoup de personnels à gérer. En revanche, je suis très favorable à la proposition n° 21, qui autorise des médecins non spécialisés en médecine du travail à intervenir dans les zones sous-denses ; à la proposition n° 30, qui autorise, avec le consentement du patient, des téléconsultations entre le médecin du travail et le médecin traitant ; ainsi qu'à la proposition n° 29, qui autorise l'accès du médecin du travail au dossier médical partagé du salarié.

- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - Nous avons souhaité conserver la notion de proximité et souligner le rôle primordial du médecin du travail dans l'accompagnement sur site des salariés.

Cela rejoint la problématique de la télémédecine du travail : les nouvelles technologies doivent être utilisées ; pour autant, le médecin du travail doit aujourd'hui être davantage présent dans l'entreprise pour suivre le salarié sur son poste de travail. C'est pourquoi je ne suis pas du tout favorable à l'intervention des médecins traitants dans les visites d'embauche, sachant, en outre, que ces derniers ne sont pas en nombre suffisant.

Cette observation apporte aussi une réponse aux nombreuses questions concernant les cotisations. Pourquoi payer chaque année pour une visite médicale qui n'existe plus systématiquement, comme le pensent de nombreux chefs d'entreprise ? À nouveau, parce que la mission du médecin du travail est bien d'intervenir au plus près de l'entreprise, en accompagnement de ses salariés et de ses dirigeants.

Je vous invite à regarder de plus près les organigrammes que nous avons fournis : ils montrent le travail de clarification et de simplification réalisé.

S'agissant du maintien dans l'emploi, une expérimentation menée dans ma ville par un groupe de chefs d'entreprise ouvre des pistes intéressantes de réflexion : en collaboration avec l'Aract et la Direccte, on a procédé à des transmissions de contrat entre entreprises voisines pour des salariés qui, ne pouvant plus rester dans une structure donnée, pouvaient néanmoins aller travailler au sein d'une autre. Notre séjour à Copenhague nous a bien montré la priorité qui était accordée au maintien dans l'entreprise, y compris réduit à une heure de travail par semaine.

La question du déni des dirigeants quant à leur santé constitue effectivement un vrai sujet, notamment au vu du tissu économique français, qui se fonde principalement sur les très petites, petites et moyennes entreprises. Les organismes patronaux doivent évoquer cette question, notamment pour inciter ces dernières à se rapprocher de la médecine du travail.

Au sujet des sous-traitants et des donneurs d'ordres, nous visons les salariés intervenant dans l'entreprise au-delà d'une période minimale, donc réellement intégrés aux équipes. Mais tout dépend du métier, de l'entreprise, de l'existence d'un service autonome ou pas.

M. Stéphane Artano , rapporteur . - D'après la ministre Muriel Pénicaud, un projet de loi serait en cours d'élaboration sur le dossier de la santé au travail et le rapport de notre collègue Charlotte Lecocq sur la santé des fonctionnaires est attendu dans le courant du mois d'octobre. Les deux assemblées devront se mettre en ordre de bataille pour que la loi en question puisse apporter une réelle valeur ajoutée.

On peut néanmoins regretter que les partenaires sociaux n'aient pas réussi à se mettre d'accord au sein du COCT, n'ayant pas compris qu'un groupe d'experts soit mandaté par le Gouvernement parallèlement à leurs travaux. Alors qu'une troisième voie pouvait émerger de ces discussions, entre le statu quo et le big bang préconisé par Charlotte Lecocq, le Gouvernement va reprendre la main sur le dossier.

Je signale, au regard de certaines remarques, qu'il nous était impossible de couvrir l'ensemble des champs dans le rapport. Mais toutes les thématiques évoquées ici devront être traitées au fil de l'avancée de nos discussions.

Pour répondre à Gérard Dériot, dont le rapport de 2010 est terriblement d'actualité, les services autonomes de santé au travail ont tendance à « siphonner » l'effectif de médecins du travail en offrant des conditions d'accueil peut-être plus favorables. Quand un déséquilibre est constaté dans une région, nous préconisons la signature d'accords de coopération entre services autonomes et interentreprises, afin de gommer les effets de la baisse de la démographie médicale au sein de la médecine du travail.

D'ailleurs, nous proposons d'intégrer une sensibilisation à la médecine du travail dès les premières années d'études de médecine - ce n'est pas le cas aujourd'hui - pour tenter de susciter des vocations.

S'agissant de la proximité départementale, nous avons cherché à améliorer l'efficacité du dispositif pour répondre aux besoins des entreprises, en particulier des très petites entreprises (TPE) et des PME, aucunement à détruire ce qui fonctionnait !

On compte 2 millions de travailleurs indépendants en France. Il faut s'intéresser à leur cas ; c'est une évidence pour nous !

Quant aux chefs d'entreprise, il nous semble nécessaire de démystifier leur rôle : ce sont avant tout des hommes et des femmes, ayant leurs propres fragilités. Le fait que nous ayons choisi de parler de « service universel de la santé au travail » témoigne de notre souhait de réduire la fracture entre salariés et patrons. Il faut continuer de sensibiliser sur la santé au travail de ces derniers, notamment favoriser le développement national du dispositif de prévention du suicide des chefs d'entreprise, le dispositif Apesa.

Au sujet de la télémédecine, nous voulons faire passer ce message : la politique de santé au travail doit devenir une politique de santé publique. Les modifications apportées par la dernière loi « Santé » aux conditions d'accès au dossier médical en santé au travail désormais intégré au dossier médical partagé constitue déjà une avancée pour faire travailler ensemble médecine du travail et médecine de ville ; nous entendons aller plus loin avec notre proposition n° 30, visant à autoriser, avec le consentement du patient, des téléconsultations entre les praticiens.

M. René-Paul Savary . - Dans la vraie vie, le médecin du travail prévient le médecin en ville au moindre problème !

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - Permettez-moi de vous contrarier : j'ai vu des cas où le médecin du travail refusait de prendre son téléphone pour partager une information avec le médecin traitant. D'où notre proposition. S'agissant de téléconsultation et de télémédecine, j'insiste à nouveau sur le fait que, en médecine du travail, c'est bien la connaissance de l'entreprise qui prime.

Par ailleurs, l'indépendance des médecins du travail est bien réelle : déjà, il faut l'autorisation de l'inspection du travail pour procéder à un licenciement.

Mme Michelle Gréaume . - Les médecins du travail subissent des pressions !

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - D'expérience, j'ai plutôt constaté qu'ils faisaient peur aux dirigeants, car ils pouvaient faire fermer l'entreprise en cas de risque important. Nous dressons le même constat à partir des remontées de terrain, y compris issues des organisations syndicales salariées.

M. Stéphane Artano , rapporteur . - Je confirme que les sous-traitants dont il s'agit doivent rester à demeure au sein de l'entreprise utilisatrice pour une période minimale afin qu'ils soient considérés comme presque entièrement intégrés dans l'entreprise. Aussi, cette dernière doit-elle être responsabilisée à leur égard.

Monsieur Arnell, on peut envisager d'étendre le droit à l'expérimentation, non seulement à l'outre-mer, mais aussi aux territoires ruraux de métropole, pour répondre à des problématiques spécifiques.

Mme Catherine Deroche . - Lors des auditions du groupe d'études sur le cancer, nous avons clairement constaté le cloisonnement entre le médecin traitant, le médecin du travail et le médecin-conseil, qui ont parfois des visions différentes du patient : cette situation peut beaucoup perturber le retour à l'emploi.

M. Dominique Théophile . - Lors des auditions, avez-vous évoqué l'accueil du médecin du travail au sein des locaux de l'entreprise ? Ces médecins disposent de camions aménagés, mais les consultations n'ont pas toujours lieu dans des conditions optimales. Pourrait-on prévoir, suivant le nombre de salariés, un dispositif d'accueil de la médecine du travail, par exemple pour imposer aux grandes entreprises l'acquisition des équipements qui s'imposent ?

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - Les grandes entreprises disposent souvent d'un service de santé autonome. Quant aux camions aménagés, ils ont un avantage : ils évitent aux salariés de se déplacer sur les lieux de la médecine du travail. Toutefois, si le médecin du travail estime ne pas être placé dans de bonnes conditions, il peut tout à fait décider de ne pas se rendre sur le site de l'entreprise, ce qui, d'ailleurs, représente un coût, et de convoquer les salariés. Le choix est opéré au cas par cas, par un dialogue entre l'entreprise et la médecine du travail.

Mme Élisabeth Doineau . - Du fait de la démographie médicale, la médecine du travail est en grande difficulté. Mais les communautés professionnelles territoriales de santé pourraient jouer un rôle important pour resserrer les liens avec les entreprises ; les pôles de santé et les maisons de santé pluridisciplinaires doivent aider à décloisonner les mondes en suscitant l'intérêt pour telle ou telle activité au sein de l'entreprise. Je pense, par exemple, aux pratiques sportives, que les contrats locaux de santé peuvent promouvoir. C'est précisément le cas dans mon territoire.

M. Michel Forissier . - J'ai commencé ma vie professionnelle comme chef d'une entreprise artisanale et, à la fin de ma carrière, je dirigeais plusieurs milliers de personnes : j'ai donc une certaine expérience des ressources humaines. En la matière, il y a le règlement et la loi, mais il y a aussi les bonnes pratiques, sans lesquelles rien n'est possible. Au lieu d'empiler des obligations, qui finiront toujours par entrer en contradiction les unes avec les autres, il faut tenir compte de la culture propre à chaque entreprise, à chaque collectivité. C'est le seul moyen de développer le bien-être au travail.

M. Stéphane Artano , rapporteur . - Les conditions d'accueil du médecin du travail sont déjà fixées dans les grandes entreprises ; peut-être peut-on aller plus loin. Ce travail sera beaucoup plus difficile à mener pour les TPE-PME, mais il faut faire confiance au médecin du travail, qui refusera de venir sur place si les conditions d'une bonne consultation ne sont pas réunies.

Au sujet des liens avec les communautés médicales, je vous renvoie à la proposition n° 28, relative aux conventions de partenariat avec les centres hospitaliers universitaires (CHU).

Cela étant, ces solutions ne régleront pas tout ; et, de son côté, le législateur ne peut pas tout. Il faut bel et bien faire confiance à l'intelligence collective de l'entreprise, qui passe par une prise de conscience via le management. À cet égard, je ne stigmatise personne : d'ailleurs, nous insistons sur l'obligation, pour le salarié, de prendre soin de sa propre santé. La performance de l'entreprise est liée au bien-être du salarié : cette réalité est bien connue et, avec Mme Gruny, nous n'avons jamais perdu de vue le facteur humain dans le cadre de nos travaux.

Les partenaires sociaux doivent, eux aussi, s'associer à cet effort. Je le dis souvent aux différents interlocuteurs : retrouvez-vous autour d'un déjeuner, et les postures, les positions dogmatiques voleront en éclat, dans l'intérêt du salarié. Les représentants de la CFDT m'ont quelque peu surpris en déclarant qu'il était indispensable de commencer à discuter collectivement de l'organisation du travail.

M. René-Paul Savary . - Il est temps !

M. Stéphane Artano , rapporteur . - Il s'agit là d'un point central, mais la coconstruction est un long chemin ; au Danemark, la culture de la bienveillance s'observe à tous les étages de l'entreprise. La France doit aller dans ce sens : rien n'est impossible, et nous, parlementaires, devons tourner les projecteurs vers les initiatives positives menées dans les territoires.

M. René-Paul Savary . - Très bien.

Mme Catherine Deroche . - Bravo.

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - Dans une entreprise, le capital le plus important, ce sont les salariés. Un patron ne peut rien faire sans ce capital humain et, aujourd'hui, le bien-être au travail est réellement pris en compte par les chefs d'entreprise. Les initiatives se multiplient : fitness, coaching, organisation de matchs sportifs interentreprises, etc. - même dans les petites entreprises. Nous ne sommes pas encore à Copenhague, mais nous avançons. En ce sens, il faut former à la fois les encadrants et les salariés face aux risques psychosociaux : si un employé va mal, ses collègues doivent savoir comment intervenir.

Mme Catherine Fournier . - Je me permets d'ajouter un bémol à propos de la responsabilité partagée : la bienveillance doit aussi venir du salarié. Parfois, la compréhension n'est pas réciproque.

Mme Brigitte Micouleau . - De nombreuses entreprises font déjà de grands efforts pour organiser du coaching ; mais encore faut-il qu'elles puissent assumer le coût de ces prestations.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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