B. DES EXPÉRIMENTATIONS DESTINÉES À ÉVALUER LES EFFETS DE CERTAINES MESURES
À titre liminaire, s'agissant de propositions expérimentales dans le domaine judiciaire, vos rapporteurs précisent qu'elles sont juridiquement possibles, y compris pour l'organisation des juridictions et la composition des formations de jugement. Ainsi, la loi du 10 août 2011 91 ( * ) , validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-635 DC du 4 août 2011, a décidé, à titre expérimental, que des citoyens assesseurs participeraient à certaines juridictions répressives.
1. Modifier la répartition en sections
Si la répartition des conseillers en section vise à assurer que chaque affaire soit jugée par les pairs du demandeur et du défendeur, elle conduit parfois à des situations étonnantes. Par exemple, une boulangerie relève de la section industrie, à l'instar d'une usine sidérurgique, alors que les autres commerces d'alimentation relèvent de la section commerce. De même, les salariés du Crédit agricole relèvent de la section agriculture alors que leurs conditions de travail sont certainement plus proches de celles des autres salariés du secteur bancaire que de celles des ouvriers agricoles. Enfin, la section « activités diverses » correspond à des domaines très disparates 92 ( * ) .
En outre, les évolutions sociales et économiques de nos territoires peuvent conduire à ce que la répartition en section ne soit plus pertinente.
Dans ce contexte, il pourrait être pertinent de confier aux présidents et vice-présidents la possibilité de moduler l'organisation de leur CPH en supprimant ou regroupant certaines sections.
Le conseil de prud'hommes qui sera mis en place à Mayotte en 2022 ne comptera que deux sections : une section encadrement et une section compétente pour tous les autres litiges. Un système similaire pourrait être mis en oeuvre dans l'hexagone, le cas échéant à titre expérimental. Il reviendrait alors au président de désigner les conseillers les mieux à même de juger chaque affaire.
Recommandation n° 44 : Expérimenter la possibilité pour le président et le vice-président du conseil de prud'hommes, sur décision motivée, de supprimer ou de regrouper certaines sections, pour tenir compte des réalités économiques et contentieuses locales, sans remise en cause des règles de désignation des conseillers en fonction du secteur d'activité. |
2. Prévoir une orientation systématique vers la formation de départage pour certaines affaires
Les conseils de prud'hommes ne se sont pas saisis de la possibilité qui leur a été ouverte par la loi du 6 août 2015 de renvoyer directement certaines affaires devant une formation de jugement présidée par un magistrat professionnel 93 ( * ) .
Il pourrait donc être envisagé d'aller plus loin en rendant cette possibilité obligatoire dans certains cas, par exemple lorsque le demandeur allègue la nullité du licenciement (en cas de harcèlement ou de discrimination) ou lorsque le montant de la demande excède un certain montant par exemple. La présence d'un magistrat professionnel pour les dossiers les plus complexes permettrait de sécuriser les jugements rendus par les conseils de prud'hommes et d'accélérer les délais de jugement. La formation ne pourrait délibérer qu'à la condition d'être complète et le magistrat professionnel ne disposerait pas de voix prépondérante.
Recommandation n° 45 : Expérimenter, dans plusieurs conseils de prud'hommes, le renvoi obligatoire devant une formation de jugement comprenant un magistrat professionnel des affaires portant sur des demandes d'un montant supérieur à un montant fixé par décret ou sur des licenciements dont la nullité est alléguée. |
3. Introduction de juges professionnels en première instance et de conseillers prud'hommes en appel
La Belgique a mis en place depuis les années 1980 un système dans lequel des juges issus du monde du travail siègent avec des juges professionnels. Ce système est en vigueur aussi bien en première instance devant les tribunaux du travail qu'en appel devant les cours du travail.
Au cours de leur déplacement à Mons, vos rapporteurs ont pu constater qu'un tel système fonctionnait bien et recueillait l'approbation tant des juges issus du monde du travail que des magistrats professionnels, chacun reconnaissant l'apport de l'autre. La présence de juges non professionnels en appel permet en outre de les responsabiliser en les intégrant davantage dans le service public de la justice.
Par ailleurs, l'existence d'un double degré de juridiction spécialisé dans le droit social donne aux juges professionnels des perspectives de carrière et leur permet de se spécialiser.
Il semble à vos rapporteurs qu'un système s'approchant du modèle belge mériterait d'être expérimenté en France. Cette expérimentation, qui pourrait être menée dans le ressort de deux ou trois cours d'appel, consisterait à faire juger les affaires en première instance par deux conseillers prud'hommes et un juge professionnel. Contrairement aux formations de départage actuelles, ces formations ne pourraient délibérer qu'à la condition d'être complètes, et le juge professionnel n'aurait pas de voix prépondérante. Par parallélisme, une formation mixte comprenant des conseillers prud'hommes serait également introduite en appel.
Recommandation n° 46 : Expérimenter, dans le ressort de plusieurs cours d'appel, la mise en place de formations de jugement composées de conseillers prud'hommes et de magistrats professionnels, tant en première instance qu'en appel, permettant de conjuguer connaissance du monde du travail et compétence juridique et juridictionnelle. |
* 91 Loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
* 92 Relèvent notamment de la section activité diverses les salariés des particuliers employeurs, les sportifs professionnels, les salariés de chaînes de télévision, les salariés d'établissement d'hospitalisation privé à but lucratif ou encore les salariés de la Comédie française ou du diocèse de Paris.
* 93 Art. L. 1454-1-1 du code du travail.