C. LE CONTENTIEUX PRUD'HOMAL CONNAÎT UNE FORTE BAISSE AUX CAUSES MULTIPLES
1. Un contentieux de plus en plus conflictuel
a) Un contentieux qui porte désormais presque exclusivement sur la rupture du contrat de travail
Bien que les CPH soient compétents pour connaître des litiges entre salariés, ce type de contentieux a presque disparu aujourd'hui. Les demandes liées à la rupture d'un contrat de travail représentent 94,5 % des saisines des CPH et le motif du licenciement est contesté dans 82,6 % des affaires. Seules 1,6 % des demandes sont formulées en l'absence de rupture du contrat de travail.
Cette évolution s'est accompagnée d'une complexification du droit du travail dont témoigne le recours croissant à des avocats par les justiciables. `
b) Un contentieux qui en devient plus conflictuel
Il ressort des auditions et rencontres du groupe de travail que ces évolutions du contentieux ont un effet sur l'état d'esprit des parties au procès prud'homal et sur leur disposition à s'inscrire dans une logique de conciliation, qui est la vocation première du CPH.
2. Un contentieux en forte baisse notamment en raison de la baisse du nombre de licenciements et du recours croissant à la rupture conventionnelle
On observe depuis plusieurs années une tendance à la baisse du contentieux prud'homal malgré des pics en 2009 et en 2013. Ainsi, le nombre d'affaires nouvelles devant les CPH est passé de 208 396 en 2005 à 119 491 en 2018, soit une baisse de 43 %. Cette tendance s'est même accélérée sur la période récente, mais pourrait commencer à se stabiliser, avec une baisse de 19 % en 2016, de 15 % en 2017 et de 6 % en 2018.
Nombre d'affaires nouvelles devant les CPH
Source : ministère de la justice
Si la baisse du nombre d'affaires nouvelles semble devoir principalement s'expliquer par la baisse du nombre de licenciements, des réformes récentes pourraient avoir un impact à l'avenir.
a) Une baisse qui s'explique en grande partie par le recours croissant à la rupture conventionnelle en lieu et place du licenciement
Le contentieux prud'homal étant essentiellement lié à la rupture du contrat de travail, le nombre de licenciements a un impact direct sur son volume. Or, après la crise économique de 2008-2009, le nombre de licenciements a eu tendance à se réduire sur la période récente.
Cette réduction est en partie liée à l'essor de la rupture conventionnelle depuis sa création par la loi du 25 juin 2008 52 ( * ) . La rupture conventionnelle faisant l'objet d'un accord entre les parties, contrôlé par l'administration, il est moins probable qu'elle débouche sur un contentieux prud'homal.
Source : Dares
b) L'effet potentiel des nouvelles modalités de saisine
Le décret du 20 mai 2016 a renforcé les exigences formelles relatives à l'introduction des requêtes devant les conseils de prud'hommes, en précisant que celle-ci doit contenir « un exposé sommaire des motifs de la demande » et être accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions 53 ( * ) .
Cette mesure vise à mettre à la disposition des conseillers, dès l'introduction de la demande, un dossier étayé en vue de faciliter le traitement des affaires.
Afin de permettre aux justiciables de se conformer à cette exigence, l'administration a édité un formulaire Cerfa, dont l'utilisation n'est pas obligatoire. Même s'il a été simplifié en 2017, la complexité de ce formulaire conduirait, selon certains interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs, à un renoncement par certains justiciables à faire valoir leurs droits et imposerait une charge de travail excessive aux greffes, chargés d'accueillir les justiciables et de recueillir les demandes.
Il convient toutefois de noter qu'il est sans doute plus facile au justiciable qui n'est pas assisté par un avocat de se conformer aux exigences posées par le décret du 20 mai 2016 en remplissant chacune des cases du formulaire Cerfa qu'en rédigeant sa demande sur papier libre. Lorsque le justiciable est assisté d'un avocat, ce qui est le cas majoritaire, la complexité du formulaire ne doit pas être regardée comme un obstacle.
Au demeurant, ces nouvelles exigences étant applicables aux requêtes introduites à compter du 1 er août 2016, elles ne sauraient suffire à expliquer la baisse du contentieux prud'homal qui avait débuté avant.
c) Une baisse qui pourrait se poursuivre compte tenu de réformes récentes
L'encadrement des indemnités prud'homales, vivement critiqué par bon nombre des interlocuteurs de vos rapporteurs, pourrait conduire, en réduisant l'espérance de gain, à dissuader un certain nombre de justiciables d'engager des procédures devant le conseil de prud'hommes. Dans la mesure où ces nouvelles règles ne sont applicables qu'aux licenciements intervenus à compter du 22 septembre 2017, il semble toutefois trop tôt pour faire une telle observation.
Il en va de même pour les autres mesures visant à sécuriser les licenciements prévues par les ordonnances du 22 septembre 2017.
3. La question du nombre de conseillers prud'hommes
a) Un nombre relativement important de conseillers prud'hommes
Il y a aujourd'hui 14 512 postes de conseillers prud'hommes 54 ( * ) pour un nombre d'affaires nouvelles qui s'élevait en 2018 à 119 491, soit un ratio de 8,2 affaires par conseiller 55 ( * ) . À titre de comparaison, les 3 386 juges consulaires ont été saisis de 150 274 affaires en 2017, soit un ratio de 44,4 affaires par juge.
b) Le maintien du nombre de conseillers malgré les réformes récentes
La réforme de la carte judiciaire de 2008 a conduit à la suppression de 62 des 271 conseils de prud'hommes (23 %) qui existaient alors. Toutefois, conformément aux engagements pris par la ministre de la justice de l'époque, le nombre total de conseillers prud'hommes n'a pas été modifié. Ainsi, certains conseils de prud'hommes ont vu leur effectif progresser de manière substantielle sans que cette évolution soit liée à l'évolution du contentieux.
Le renouvellement des mandats de conseillers prud'hommes intervenu en 2017 n'a pas été l'occasion d'une révision du nombre et de la répartition des conseillers prud'hommes. Il est vrai que la réforme du système de désignation constituait une nouveauté importante qu'il convenait sans doute de mettre en oeuvre avant `d'envisager à une telle révision.
Lors du renouvellement général des conseils de prud'hommes, en décembre 2017, 13 482 conseillers ont été nommés, pour 14 512 sièges à pourvoir, laissant vacants 1 030 sièges, soit 7,1 %. La première désignation complémentaire, en avril 2018, a permis de nommer 564 conseillers, 1 207 sièges étant à pourvoir, compte tenu de démissions intervenues depuis le début du mandat. La deuxième désignation complémentaire, en décembre 2018, a permis de nommer 312 conseillers, 991 sièges étant à pourvoir. Les opérations relatives à la troisième désignation complémentaire viennent de commencer, en juin 2019. Selon le ministère de la justice, 1 377 sièges seraient à pourvoir, soit 9,5 %. Vos rapporteurs déplorent un tel taux de vacance, quasi structurel, qui ne peut que peser sur le bon fonctionnement des CPH.
* 52 Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail.
* 53 Art. R. 1452-2 du code du travail. Dans sa rédaction antérieure au 20 mai 2016, cet article ne mentionnait que les chefs de demande.
* 54 Un certain nombre de postes sont vacants, qu'ils n'aient pas pu être pourvus, faute de candidats, à l'occasion de la désignation initiale ou des désignations complémentaires ou que ces vacances résultent des démissions intervenues, pour diverses raisons, en cours de mandat. À l'issue du dernier renouvellement général, un peu plus de 1 000 sièges étaient vacants.
* 55 Ce ratio n'est qu'indicatif et ne permet pas de déduire le nombre d'affaires traitées par chaque conseiller dans la mesure où quatre conseillers siègent dans chaque formation de jugement.