N° 652
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2019 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la gestion des ressources humaines dans les armées ,
Par M. Dominique de LEGGE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Jean Bizet, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel . |
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS
DU
RAPPORTEUR SPÉCIAL
Les principales observations Les armées ont connu, ces soixante dernières années, de profondes mutations aux implications importantes en termes de ressources humaines , telles que le changement du contexte géostratégique et des menaces, la professionnalisation et, depuis 2009, une importante phase de déflation, dans un contexte de rationalisation de l'État (RGPP). Cette dernière a pris fin en 2015, pour prendre en compte le nouveau contexte sécuritaire, et laisser place à une remontée en puissance, qui a impliqué une importante mise sous tension de son appareil RH : le ministère recrute ainsi, depuis 2016, de l'ordre de 26 000 militaires et civils par an, soit un renouvellement d'environ 10 % de ses effectifs budgétaires. Les militaires sont régis par un statut général dérogatoire à celui des autres fonctionnaires de l'État, caractérisé par un régime de sujétions particulièrement marqué, qui caractérisent ce que le législateur a qualifié de « condition militaire » . La spécificité de la condition militaire entraîne également l'existence d'une organisation originale de la fonction RH . Cette dernière, et notamment l'architecture budgétaire des dépenses de personnel, mise en place en période de déflation des effectifs, pourrait faire l'objet d'une reconsidération. En 2018, les dépenses de personnel du ministère des armées ont été inférieures de 211 millions d'euros aux prévisions de la loi de finances initiale . Cette sous-consommation est due au caractère perfectible des prévisions et aux difficultés de recrutement et de fidélisation des effectifs. Malgré l'inflexion, de la trajectoire des effectifs, qui a nécessité d'adapter le modèle de recrutement afin d'atteindre des cibles positives après plusieurs années de fortes réductions d'emplois, la r éalisation des cibles de recrutement ne pose, au niveau général, pas de difficulté majeure . Les résultats apparaissent toutefois plus fragiles sur le plan qualitatif : la sélectivité baisse, les viviers apparaissent plus fragiles (inaptitudes médicales plus fortes, augmentation des candidats ayant des antécédents judiciaires), et une importante « déperdition » de candidats subsiste entre le premier contact dans les centres de recrutement et l'incorporation, ainsi que lors de la période probatoire. Le problème majeur est toutefois celui de la fidélisation insuffisante des effectifs incorporés, qui pourrait mettre en péril la capacité opérationnelle des armées. Ce problème touche notamment les spécialités marquées par leur caractère aride ou répétitif (fusiliers), ainsi que celles en concurrence directe avec le secteur privé (atomiciens, maintenanciers aéronautiques, etc.). De manière générale, les armées sont confrontées à un raccourcissement de la durée des contrats des nouveaux recrutés et à des taux de renouvellement des contrats trop faibles pour optimiser les coûts de formation et disposer de soldats ayant une bonne expérience opérationnelle. Des mesures indemnitaires visant à renforcer la fidélisation ont été prises, tournées vers certaines spécialités techniques. La mise en place à compter de 2019 de la prime de lien au service, spécifiquement créée pour faire face aux difficultés de fidélisation du ministère, constitue une évolution bienvenue . Son montant apparaît toutefois trop faible pour offrir une solution durable, qui passe davantage par une amélioration générale de la condition militaire. En dépit des mesures de revalorisation spécifiques, le niveau général de rémunération des militaires apparaît faible , en comparaison des armées alliées et des autres emplois de la fonction publique. Le régime de retraite spécifique des militaires, caractérisé notamment par des durées de service courtes, une pension à liquidation immédiate et des bonifications particulières, permet la prise en compte des sujétions et risques et la viabilité du modèle RH d'armée jeune. La prochaine réforme des retraites prochaine, dont les contours restent à définir, pourrait rompre cet équilibre, et constitue légitimement la préoccupation majeure des militaires. La mobilité des militaire s est plus forte que dans la fonction publique, et les difficultés qu'elle implique en termes de vie personnelle sont en décalage croissant avec les aspirations contemporaines (notamment celles des conjoints de militaire à être actifs). Ces contraintes doivent impérativement être atténuées ou compensées, au risque de mener sinon à une réelle impasse. La mobilité forte entraine également d'importantes difficultés de logement pour les militaires. Face à cette problématique, le ministère des armées met en place une politique du logement, qui a connu une importante progression ces dernières années en termes de dotation budgétaire. Malgré ces efforts, la proportion de logements attribués par rapport au nombre de demandes ne s'établit ainsi en 2017 qu'à 56 %. Enfin, la marine nationale fait face à des difficultés particulières en matière de conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle. Certaines missions impliquent une absence de prévisibilité particulièrement difficile à vivre, et tendent à fragiliser davantage la fidélisation des effectifs embarqués. Les principales recommandations Axe n°1 : renforcer la gouvernance RH du ministère des armées Recommandation n° 1 : réévaluer la pertinence de l'architecture budgétaire actuelle du ministère des armées, conçue dans le cadre révolu de la déflation des effectifs et poursuivre l'amélioration de la gouvernance RH du ministère. Recommandation n° 2 : afin d'améliorer la portée de l'autorisation parlementaire, poursuivre la fiabilisation des prévisions de dépenses de personnel des armées, en privilégiant des estimations fondées sur les exercices passés et les mouvements RH observés plutôt que sur un modèle purement prévisionnel.
Axe n°2 : poursuivre la mise en place de
mesures visant à renforcer l'attractivité
Recommandation n° 3 : afin d'améliorer le fonctionnement des centres d'information et de recrutement des forces armées (CIRFA), poursuivre la mutualisation de leurs moyens et l'optimisation de leur maillage territorial. Recommandation n° 4 : afin de rendre compte de l'efficacité des mesures prises par le ministère des armées en matière de fidélisation des effectifs, créer un indicateur de performance permettant d'évaluer les progrès réalisés en la matière. Ce dernier pourrait reposer sur le taux de renouvellement des contrats, les taux d'attrition des cohortes ou la durée de l'engagement effectif dans certaines spécialités tendues. Recommandation n° 5 : après avoir procédé à son évaluation (métiers les plus en tension, risques d'effets d'aubaine), renforcer la prime de lien au service pour les spécialités connaissant les plus fortes tensions, tout en poursuivant la coopération avec les acteurs privés employant d'anciens militaires.
Axe n°3 : pour renforcer durablement la
fidélisation des effectifs,
Recommandation n° 6 : afin de ne pas se heurter aux mêmes difficultés que les précédents projets de rationalisation de la rémunération des militaires et ne pas susciter un fort sentiment d'incompréhension, la NPRM doit intégrer une réévaluation indiciaire et prendre en compte les spécificités opérationnelles de chaque armée afin d'en assurer une juste rétribution. Recommandation n° 7 : afin d'affirmer la différence entre la retraite à jouissance immédiate et une « retraite anticipée », envisager une nouvelle appellation des pensions militaires (comme « reconnaissance de la Nation ») pour ce dispositif. Recommandation n° 8 : afin d'adapter les carrières aux aspirations contemporaines et de limiter la mobilité non-consentie, lancer une réflexion visant à limiter la mobilité aux strictes nécessité opérationnelles et à en atténuer au maximum les effets néfastes pour les personnels en privilégiant des bassins géographiques proches. Recommandation n° 9 : afin de mieux compenser les difficultés de logement qu'implique la mobilité des militaires, accroître le parc de logements du ministère des armées, notamment à Paris, en reconsidérant la cession du Val-de-Grâce, et optimiser la gestion de ce parc en la ciblant sur les personnels connaissant une forte mobilité. Recommandation n° 10 : afin de garantir la qualité de vie des marins embarqués sans limiter les capacités opérationnelles, augmenter le nombre de bâtiments aux contraintes particulièrement fortes disposant de double équipages. |