B. AU-DELÀ DE LA « START-UP NATION », DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES À LA PEINE
En France, le degré de maturité numérique des entreprises est assez inégal. Alors que ce retard paraît accentué pour les PME, les ETI semblent avoir pris conscience de la nécessité de ce virage stratégique pour leur développement.
Par ailleurs, le décalage entre la maturité numérique des consommateurs et celui des PME est particulièrement préoccupant : 7 consommateurs sur 10 achètent et paient en ligne, alors que seule 1 PME sur 8 fait usage de solutions de vente en ligne.
1. Un retard accentué pour les PME et TPE
a) Une révolution subie par les PME et les TPE
En septembre 2017, une enquête de terrain conduite par BpiFrance 68 ( * ) auprès de 1 814 dirigeants de PME et d'ETI faisait apparaître que la révolution numérique était subie, extérieure à l'entreprise, invisible et fondamentalement encore trop incomprise .
En effet, 45 % de ces dirigeants n'avaient pas de vision de transformation numérique de leur entreprise et 73 % avouaient qu'ils étaient très peu avancés dans la numérisation, 63 % n'avaient pas établi de stratégie, 47 % estimaient que l'impact sur leur entreprise ne sera pas majeur avant 5 ans et 20 % que le temps de la transformation numérique n'était pas encore venu.
En particulier, 60 % des PME-ETI n'exploitaient pas les données liées à la vente ou à la relation client alors qu'il s'agit, comme on l'a vu, du « carburant » de l'économie numérique et qu'elle constitue une source de valeur.
En France, plus la dimension d'une entreprise est réduite, moins elle est susceptible d'offrir des solutions de vente en ligne ou d'intégrer des outils numériques efficients .
Tandis que près de la moitié des entreprises de grande taille (250 employés et plus) réalisent des ventes en ligne en France, seule une PME sur huit propose cette solution. Les microentreprises sont également moins digitalisées que les autres PME. A l'inverse, en Allemagne, les microentreprises font jeu égal avec les autres PME en ce qui concerne leur propension à réaliser des ventes en ligne.
Tandis qu'une entreprise de grande taille sur trois affirme utiliser certains outils numériques, seule une PME sur dix réunissant entre 10 et 49 employés fait de même. L'écart dans l'adoption de ces outils entre les entreprises de grande taille et les PME de 10 à 49 employés est réduit de moitié en Finlande par rapport à la France.
Pour Mc Kinsey, le retard des TPE-PME est net en matière d'expérience client et de dématérialisation des processus d'entreprise : seules 63 % des TPE françaises ont un site internet contre 91 % en Allemagne et l'automatisation de la chaîne logistique ( supply chain 69 ( * ) ) n'a été engagée que par 25 % des PME françaises (et 11 % des TPE) contre 43 % au Danemark (26 % pour les TPE) ou 41 % en Allemagne (21 % pour les TPE).
Un tiers des dirigeants de ces TPE-PME ne sont pas à l'aise avec les outils numériques mais la majorité ne souhaite pas d'aide pour leur transition numérique et un sur quatre ne pense pas qu'une telle évolution soit inéluctable d'ici 2025.
Par ailleurs, d'autres facteurs expliquent ce retard : les rigidités organisationnelles internes (la dématérialisation des processus percute l'aversion française pour l'incertitude, trois fois plus élevée par rapport à la Suède) ; le déficit de compétences numériques (la France compte deux fois moins de développeurs 70 ( * ) par tête qu'en Suède) ; le manque de marges de manoeuvre financières (les marges opérationnelles des PME françaises sont de 10 points inférieures à la moyenne européenne).
L'étude réalisée par l'Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNIC) sur la présence en ligne des PME-TPE d'août 2018, conduite auprès de 3 249 entreprises sur la base d'un autodiagnostic, a souligné que 11 % seulement de ces entreprises utilisaient quotidiennement des outils numériques.
LA PRÉSENCE EN LIGNE DES TPE/PME SELON L'AFNIC Présenter son activité sur le web est une nécessité bien intégrée : la très grande majorité des entreprises répondantes (94 %) ont aujourd'hui intégré la nécessité d'être sur internet. Si elles ne l'envisagent pas toutes comme indispensable, elles considèrent cela au minimum comme utile à leur activité pour pouvoir présenter cette dernière (68 %), être trouvé facilement (49 %), communiquer avec ses clients et prospecter (34 %). Les investissements financiers et en moyens humains sont cependant modestes : 61 % y consacrent moins de 300 € par an, 22 % sont prêts à investir entre 300 € et 1 000 € et 7 % seulement consacrent plus de 5 000 € à leur dispositif internet. Là encore, la taille de l'entreprise joue beaucoup. Si seulement 4 % des micro-entreprises investissent plus de 5 000 € par an, le chiffre passe à 28 % pour les PME. Concernant le temps passé à gérer sa présence en ligne, 59 % n'y consacrent pas plus d'une heure par semaine et 26 % moins d'une heure par mois. Ces pourcentages passent respectivement à 60 % et 26 % pour les micro-entreprises 40 % et 22 % pour les PME. Le retour sur investissement leur paraît faible car 60 % des répondants ne savent pas quelle part de leur chiffre d'affaires est réalisée grâce à internet ou pensent qu'il n'y contribue que de manière marginale. Cette proportion est de 55 % pour les micro-entreprises et de 76 % pour les PME. Ce décalage s'explique, les PME dépendant beaucoup moins d'internet dans la réalisation de leur chiffre d'affaires. Seulement 10 % d'entre elles déclarent réaliser plus de 30 % de leur chiffre d'affaires grâce à leur présence en ligne, ce qui est le cas pour 26 % des micro-entreprises. La production de contenus est faible : si 96 % des PME-TPE proposent sur leur site internet une présentation de leur entreprise, de leurs produits et services, leurs coordonnées et horaires d'ouverture (71 %), seule une minorité (37 %) recourt à des contenus à valeur ajoutée comme des articles de blog, des témoignages de clients ou de la vidéo. Faute de moyens humains, 63 % des entreprises ne mettent pas leur site à jour plus d'une fois par mois et 10 % le font tous les jours. Ces proportions sont de 65 % et 9 % pour les micro-entreprises et de 43 % et 26 % pour les PME. Les investissements sur les réseaux sociaux sont jugés peu rentables par 77 % des entreprises présentes sur ces réseaux. Par ailleurs, la moitié seulement affirme avoir connecté son site internet à ses pages sur les réseaux sociaux. Les plateformes les plus utilisées par les entreprises présentes sur ces réseaux sont Facebook (90 %) et LinkedIn (51 %). Cependant, les pratiques sont assez liées à la taille : 90 % des micro-entreprises sont sur Facebook contre 83 % des PME, et 49 % des micro-entreprises sont sur Linkedin contre 70 % des PME. Ces contrastes se retrouvent aussi sur Twitter (respectivement 34 % et 64 %) et YouTube (20 % et 53 %). On peut toutefois noter une plus large utilisation d'Instagram par les micro-entreprises (35 %) que par les PME (20 %). Parmi les outils de développement commercial , sont utilisés, dans l'ordre décroissant, les courriels ( emailing ) (fortement utilisés par les PME -68 %- mais moins par les micro-entreprises -34 %-), les formulaires de contact (utilisés de façon plus homogène), la newsletter. Demeurent marginales les réservations ou rendez-vous en ligne (14 %) et les codes de promotion (10%). Pour le cybercommerce ( e-commerce ), 65 % des entreprises accordent une importance particulière à la diversité des moyens de paiement et 60 % aux moyens de contact mais un peu moins d'une entreprise sur deux propose un espace client (44 % pour les micro-entreprises et 58 % pour les PME). Alors que posséder son propre nom de domaine et sa propre adresse email sont la base d'une réputation maitrisée , 57 % des entreprises utilisent une adresse e-mail liée à leur nom de domaine (alors que 91 % déclarent posséder leur propre nom de domaine). Cette proportion est plus faible chez les micro-entreprises (54 %) que chez les PME (82 %). Pour le reste, 24 % utilisent une adresse en gmail.com. Les deux tiers des entreprises (toutes tailles confondues) déclarent ne mener aucune action de publicité en ligne. Les avis et notes en ligne sont peu pris en compte et la moitié des entreprises gère systématiquement les commentaires et notations à son sujet, ce chiffre n'étant que de 43 % pour les PME. 19 % ne s'en préoccupent pas du tout, cette proportion tombant à 13 % chez les PME. 11 % seulement réalisent systématiquement des évaluations en ligne de la satisfaction de leurs clients. Cette donnée ne varie pas en fonction de la taille. 67 % des répondants ne le font jamais, cette proportion « tombe » à 56 % pour les PME (ce qui reste considérable). Enfin, les PME-TPE éprouvent des difficultés à bien se positionner sur les moteurs de recherche et le référencement se révèle négligé ou géré de manière trop artisanale par les entreprises qui se concentrent en priorité sur le référencement naturel dit « gratuit »mais qui nécessite un travail à long terme de la part de l'entreprise. Seuls 38 % des entreprises s'affirment bien positionnées dans les moteurs de recherche. Cette proportion qui atteint 55 % pour les PME et 36 % chez les micro-entreprises. 68 % des entreprises mènent des actions en vue d'améliorer leur référencement naturel. En revanche, les achats de mots-clés payants sont plus rares : 12 % pour les micro-entreprises et 28 % pour les PME. Source : Étude AFNIC « Réussir avec le web ». |
La situation semble particulièrement préoccupante en matière de numérisation des achats .
Si une PME sous-traitante n'est pas équipée en échange de données informatisé (EDI) 71 ( * ) , elle risque d'être « déréférencée » par l'entreprise donneuse d'ordre : ainsi, « les PME qui ne suivent pas risquent d'être éjectées du marché » 72 ( * ) .
b) Une révolution ambivalente pour les PME
La révolution numérique est ambivalente. Elle à la fois prometteuse et dangereuse, comme toute révolution.
(1) Des PME challengées
Dans le rapport Lemoine de 2014, les risques de cette transformation étaient pointés : d'une part, certaines entreprises, les plus petites, les artisans ou petits commerçants, pouvaient être des « victimes » , d'autre part, les dangers d'une vassalisation des économies et des nations interrogent les conditions d'exercice de la souveraineté numérique. C'est la raison pour laquelle le Sénat a constitué, en mai 2019, une commission d'enquête consacrée à ce sujet.
La combinaison de ces deux facteurs pouvait déboucher sur une demande de protection, de rigidités et de contraintes .
Dans une étude commandée par Le Groupe La Poste et le Groupe Caisse des dépôts réalisée en novembre 2014 par TheFamily 73 ( * ) , la transition numérique était également pointée comme « une menace » pour l'emploi, pour les positions de marché des entreprises qui les dominent, pour la protection des données personnelles, voire pour la souveraineté des nations.
Selon cette analyse, les grandes entreprises encore dominatrices dans leur filière « continuent de définir et mettre en oeuvre leur stratégie à l'aide d'outils et de méthodes qui appartiennent à une époque révolue » alors que le numérique dévore le monde , qu'il provoque un déséquilibre global dans la répartition géographique de la valeur et remet en cause les principes fondamentaux de la stratégie d'entreprise .
En février 2015, les experts de Bpifrance Le Lab qualifiaient également le numérique de « déroutant 74 ( * ) » en raison de ses effets disruptifs majeurs et avertissait que « la création de valeur portée par les nouveaux paradigmes peut être précédée d'une phase de destruction de valeur préjudiciable aux entreprises et en particulier aux PME ».
Le numérique recompose en effet la chaîne de valeur et en améliorant, dans un premier temps, la fluidité grâce au logiciel que le nouvel arrivant propose, avant, dans un second temps, de capter la valeur, cependant que les couches basses de la valeur ajoutée demeurent confiées aux acteurs historiques du secteur.
L'exemple de l'hôtellerie-restauration est particulièrement significatif.
COMMENT ONT ÉMERGÉ LES PLATES-FORMES DE RÉSERVATION Par confort et par manque d'anticipation de ces facteurs de recomposition possible de la chaîne de valeur liée au numérique, les hôteliers ont, tout d'abord, considéré les plates-formes de réservation comme une opportunité, qui leur permettait d'optimiser sans efforts leur visibilité sur internet. La structuration de cette nouvelle couche intermédiaire sous la forme d'un oligopole a donné aux plates-formes de réservation un pouvoir de marché de plus en plus important, qui les met désormais en situation de pouvoir imposer des conditions défavorables aux hôteliers et notamment des commissions importantes (de 15 % à 30 %) qui compriment d'autant la marge des hôteliers. Ces derniers se retrouvent dorénavant dans un schéma où l'entrée d'un nouvel acteur a réduit leur rôle et leur valeur ajoutée. Ils ont, en effet, perdu une bonne partie de l'intermédiation-client, et la visibilité de leur hôtel sur internet dépend dorénavant d'acteurs extérieurs : en définitive, leur activité s'est recentrée sur les tâches de manutention et d'entretien au quotidien de leur établissement. L'étape suivante, déjà engagée, consiste à proposer aux hôteliers et restaurateurs l'implantation de systèmes d'informations de gestion de l'entreprise (réservations, bases clients, stocks, marketing promotionnel...) couplés aux plates-formes de réservation. Par ces logiciels, la prise de contrôle de l'entreprise par l'opérateur internet devient totale. Source : « Le numérique déroutant », février 2015, étude de Bpifrance Le Lab |
L'intérêt de ce rapport de Bpifrance est de mettre en garde les PME sur le caractère illusoire de « lignes Maginot » qui se révèlent incapables de les protéger :
• la relation de proximité , voire le sentiment de lien indéfectible, entre une entreprise, notamment une PME, et ses clients est une chimère comme peuvent en témoigner les libraires ou les loueurs de DVD à qui leurs clients demandaient des conseils de lecture ou de films, ce qui n'a pas empêché l'essor de plateformes, telles Amazon ou Netflix ;
• la protection règlementaire , une fois qu'un utilisateur s'est habitué à un service dématérialisé, constamment disponible et souvent facile à manipuler, est une illusion quand bien même elle préserverait davantage les intérêts des acteurs du secteur. La loi du 8 juillet 2014 interdisant de cumuler la remise de 5 % sur le prix et les frais de port gratuits, dite loi « anti-Amazon », a ainsi été détournée par l'entreprise américaine dès le lendemain du vote, au travers d'une facturation des frais de port à 1 centime d'euro 75 ( * ) , comme l'ont rappelé nos collègues députés qui ont dressé un bilan en demi-teinte de l'application de cette législation 76 ( * ) ;
• la non délocalisation est également une protection illusoire : « le fait d'être dans des services de taille réduite, avec un ressort géographique circonscrit et un potentiel de développement limité, peut donner l'illusion d'être protégé, comme en dehors de la transformation numérique ». Ce raisonnement ne peut pas tenir avec la mondialisation de l'économie et l'effondrement des coûts de transport.
Les dirigeants de PME ont été appelés à ne pas rester dans le déni ou comme pétrifiés mais invités à agir et réagir, à « disrupter », c'est-à-dire bouleverser des marchés établis, pour ne pas être « disruptés » .
Quatre filières 77 ( * ) étaient prises en exemple par ce rapport pour recomposer la chaîne de valeur au profit des PME.
Enfin, le numérique suppose de développer une nouvelle compétitivité, relationnelle , fondée sur la capacité à construire des leaderships partagés avec d'autres acteurs. Cette logique d'interaction croissante ne fait pas partie de la culture entrepreneuriale traditionnelle des PME, fortement individualiste. Or, « l'écosystème ne fait plus partie des aménités, il est dorénavant à considérer comme une des composantes clefs de la performance entrepreneuriale » 78 ( * ) . Par exemple, une PME spécialisée dans les équipements de logistique interne peut s'allier avec une ETI spécialisée dans la connectique pour numériser son offre, compte tenu des coûts et délais nécessaires pour internaliser les compétences.
Une entreprise de l'industrie 4.0 sera ainsi amenée à travailler, dans les années à venir, avec jusqu'à 70 autres entreprises . Dans ce nouvel écosystème , l'individualisme des PME devient mortifère .
(2) Des PME qui challengent les grandes entreprises
La transformation numérique de l'économie permet également à des PME-TPE d'accéder au marché mondial et de challenger des grandes entreprises. Elle bouscule la hiérarchie entrepreneuriale.
La nouvelle économie s'affranchit des contraintes géographiques et matérielles ; sa nouvelle frontière est l'accès au réseau : la transition numérique peut donc se déployer dans des espaces de densités très variables. Ainsi, Jeuxvideo.com installé à Aurillac en 1997 est-il devenu leader en Europe et numéro 3 mondial sans être handicapé par sa localisation physique.
La numérisation permet de s'affranchir des ancrages géographiques habituels 79 ( * ) , en facilitant le travail à distance, des modes de production nomades mais également en accédant à une visibilité sans frontière permettant de communiquer, de vendre et d'échanger avec des clients jusque-là inaccessibles aux PME-TPE. Ces dernières ont désormais le monde comme zone de chalandise .
Un tournant semble s'être opéré en 2018 . Selon une étude sur le e-commerçant 80 ( * ) , la proportion des PME de plus de 5 salariés a doublé en trois ans (de 12 % en 2015 à 25 % en 2018) au détriment des entreprises unipersonnelles. Ces PME sont, à 45 %, implantées dans des villes de moins de 20 000 habitants. 80 % des chefs d'entreprise qui gèrent un site de e-commerce appartient à la tranche 35-64 ans : ils sont donc expérimentés. 83 % de leurs sites sont rentables ou à l'équilibre. Leur principale motivation est d'améliorer le service au client (55 %) avant d'en conquérir de nouveaux (29 %) ou d'optimiser les coûts (16 %). 80 % des dirigeants de PME constatent un impact de leur site sur leur magasin physique contre 56 % en 2016 et 60 % de ceux qui possèdent une boutique physique et une boutique en ligne ont vu leur chiffre d'affaires progresser de plus de 10 %. Alors que 12 % des entreprises françaises exportent, celles qui font du e-commerce sont 57 % à le faire. Parmi les réseaux sociaux utilisés, si Facebook reste dominant (79 % en 2018 comme en 2016), Instagram perce (37 % en 2018, contre 11 % en 2016) tandis que Twitter régresse (20 % en 2016, 15 % en 2018). Les applications utilisées sont dominées par Google Ads et FaceBook Ads (utilisés chacun par 55 % des e-commerçants). Si seulement 29 % des sites marchands utilisent des places de marché sur internet, 45 % des vendeurs qui y commercent réalisent une hausse de leur chiffre d'affaires supérieur à 10 %.
Avec un léger décalage temporel, les PME semblent donc suivre la voie tracée par les ETI et s'engagent résolument dans le e-commerce.
(3) Des PME confrontées à la complexité du RGPD
Le rapport de notre collègue Olivier Cadic, consacré au cycle de vie de l'entreprise 81 ( * ) , avait évoqué l'inquiétude des PME face aux nouvelles obligations du RGPD, leurs difficultés à dégager des moyens pour se mettre en conformité. Il citait un article 82 ( * ) d'après lequel les PME devraient recevoir chaque mois 89 demandes liées au RGPD et rechercher dans 23 bases de données ; à raison de cinq minutes par base de données, le temps dédié à la seule recherche de données dépasserait 172 heures par mois ». Il dénonçait le marché de la peur avec une « jungle d'experts plus ou moins autoproclamés », la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) reconnaissant elle-même que « certains pratiquent un grossier marketing de la peur en accentuant les difficultés du RGPD pour vendre des prestations parfois inutiles à un prix exorbitant ».
Peu après la parution de ce rapport, et pour faciliter la tenue du registre des activités de traitement 83 ( * ) , la CNIL proposait, le 14 mai 2018, un nouveau modèle « destiné à répondre aux besoins les plus courants en matière de traitements de données, en particulier des petites structures », dont les TPE/PME. Puis, la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Paris Île-de-France organisait le 29 mai 2018, en collaboration avec la CNIL, un Forum Europe 2018 au cours duquel experts et entreprises « ont pu partager sur les nouveaux process à suivre et comment s'en servir pour dynamiser leur activité commerciale ».
Un guide pratique élaboré conjointement par la CNIL et Bpifrance, rendu public en avril 2018 84 ( * ) , est censé répondre aux dirigeants de PME et de TPE qui « peuvent se sentir assez démunis face à la réglementation ». Les TPE et les PME, pour lesquelles les données personnelles ne sont pas au coeur de l'activité, n'auront à déployer que des moyens limités. En effet, l'unique critère à prendre en compte est le volume ou la sensibilité des données traitées.
Valorisant l'opportunité créée par le RGPD pour inciter les PME à « passer au numérique » 85 ( * ) , ce guide estime que le RGPD « peut se traduire par la création de services et d'axes de développement nouveaux pour l'entreprise. En ce sens, il peut constituer un projet d'entreprise et être créateur de valeur ». La Présidente de la CNIL souhaitait « en finir avec l'alarmisme sur le RGPD », affirmait sa facilité « en adoptant simplement de bons réflexes » et estimait que proposer une relation de confiance à ses collaborateurs, clients, prospects, serait « aussi utile à l'entreprise ».
Ce guide doit être popularisé au travers d'évènements organisés sur l'ensemble du territoire et au sein des « Accélérateurs » de Bpifrance. La banque prévoit également de développer un module d'accompagnement accessible sur sa plateforme gratuite de formation en ligne et un MOOC 86 ( * ) a été conçu par la CNIL le 11 mars 2019 pour se familiariser avec les principes fondamentaux du RGPD ; il est structuré en 4 modules avec une durée moyenne de 5 heures 87 ( * ) .
Au total, le RGPD, même s'il créé des complexités et des lourdeurs incontestables pour les PME et surtout les TPE, représente également une opportunité pour faciliter leur appropriation de la transition numérique.
(4) Des PME encore trop peu sensibilisées à la cybersécurité
La cybersécurité est l'une des principales failles du e-commerce .
Le cabinet PwC, dans son étude mondiale 2017, a estimé les pertes financières subies par les entreprises françaises en raison de problèmes de cybersécurité à 2,25 millions d'euros en moyenne , un chiffre en hausse de 50 % par rapport à l'année précédente. Or 75 % des failles identifiées sont humaines .
Selon une autre étude 88 ( * ) de janvier 2019, 4 PME sur 10 ont subi des attaques informatiques : 24 % du phishing 89 ( * ) , 20 % un malware 90 ( * ) , 16 % un rançongiciel 91 ( * ) et 6 % une fraude au président 92 ( * ) . Malgré ces attaques, les protections sont peu activées : seules 36 % des entreprises changent les mots de passe des ordinateurs au moins tous les six mois, 39 % disposent d'une triple protection 93 ( * ) pour ces derniers et 30 % pour le réseau informatique de l'entreprise. Cependant, 98 % des entreprises disposent d'au moins un outil de sauvegarde : un support externe (68 %), une solution cloud 94 ( * ) (49 %), un serveur de stockage interne (45 %). Seules 17 % sont assurées contre des attaques informatiques. Si 76 % d'entre elles sensibilisent leurs salariés au moins une fois l'an, 38 % ont nommé un référent à la sécurité informatique.
La sécurité informatique constitue un double défi pour les entreprises.
Il s'agit d'abord de recruter massivement . En 2018, ce secteur devait générer en France un chiffre d'affaire de 2,5 milliards d'euros, en croissance de 17 %. Dans une étude réalisée par l' Observatoire paritaire des métiers du Numérique, de l'Ingénierie, des Etudes et du Conseil et l'événement des métiers (OPIIEC) en 2017, la cybersécurité représentait 24 000 emplois de la branche des métiers concernés. Les entreprises de la branche anticipaient une croissance des effectifs en cybersécurité de 6 %, soit 1 400 créations nettes d'emplois.
Par ailleurs, la cybersécurité doit devenir une culture de l'entreprise numérisée, une préoccupation constante . Une approche globale et systémique doit être conduite car la cybersécurité est un sujet transversal. Il doit être partie intégrante de tout projet numérique et donc de toute démarche de transformation numérique. Ainsi, une formation en cybersécurité doit couvrir l'ensemble de la chaîne, de la conception à la production.
2. Une maturité numérique des ETI susceptible d'entraîner les PME
Six mois après le rapport de Bpifrance, un rapport 95 ( * ) élaboré pour le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) 96 ( * ) considérait, en février 2018, que les ETI étaient entrées dans une phase active de transformation numérique .
Si 32 % seulement des ETI avaient lancé une initiative concrète en 2016, 80 % de ces entreprises travaillaient activement, en 2017, au déploiement de leur stratégie numérique car 94 % de leurs dirigeants étaient convaincus que cette transformation est « très importante ».
Cet engagement est moins important pour les entreprises industrielles. Ainsi, bien que 47 % des ETI industrielles interrogées affirment avoir procédé à des expérimentations technologiques, plus d'une sur deux n'a défini ni stratégie de transformation ni feuille de route pour transformer l'essai. Les tests concernent la modélisation et la digitalisation de l'environnement de production et des processus (67 %), la robotique (67 %), la maintenance prédictive (50 %), ou encore les objets connectés (46 %). Au total, 45 % des entreprises de ce secteur demeurent encore au stade exploratoire.
L'étude conclut en considérant que la transformation numérique n'en est encore qu'à ses débuts : « les entreprises qui en tireront in fine le meilleur parti ne sont pas nécessairement les plus avancées aujourd'hui, mais celles qui s'empareront des principes constitutifs du digital et porteront leur transformation la plus profonde sur le plan culturel ».
Une étude réalisée par l'ACSEL 97 ( * ) en avril 2019 souligne que les entreprises engagées dans leur transformation numérique ont 2,2 fois plus de chance d'être en croissance que celles qui n'ont entamé aucune transformation. Parmi les acteurs interrogés, une écrasante majorité (77 %) juge que le numérique participe à leur croissance. Les ETI sont encore plus nombreuses, puisque 87 % d'entre elles considèrent le numérique comme un levier de croissance. Avec une augmentation de 8 points par rapport à 2017, ce sont désormais 64 % des ETI qui ont pleinement mis en oeuvre leur numérisation. Au total, 34 % des entreprises reconnaissent que le numérique contribue pour plus de 25 % à leur croissance.
Les digital champions , entreprises qui ont mis en place les bonnes pratiques et en tirent des bénéfices, déclarent à 64 % avoir connu de meilleurs résultats en 2018, 19 points de plus que le total du panel. Ils prévoient à l'unanimité une croissance en 2019, contre 46 % des autres entreprises. Le numérique est donc un vecteur de croissance que les entreprises ne peuvent négliger. Les digital champions sont pour 93 % des PME.
Tous les freins à la mise en oeuvre d'une stratégie de numérisation de l'entreprise sont en baisse par rapport à 2017, qu'il s'agisse du manque de temps (54 %), du coût (49 %), de la complexité de mise en oeuvre (39 %), ou encore du manque de formation (36 %).
Cependant, il apparait dans cette étude que la numérisation n'irrigue pas suffisamment tous les services de l'entreprise et reste très orientée vers la communication , la stratégie digitale des entreprises demeurant trop en silos. Si 73 % des entreprises interrogées ont une équipe dédiée à la transformation numérique, seules 33 % d'entre elles sont en interaction avec d'autres départements.
D'après les résultats du baromètre, les entreprises doivent mettre en place quatre bonnes pratiques pour réussir leur transformation numérique :
1. une politique volontariste de l'entreprise,
2. une équipe dédiée avec des relais forts avec les autres départements de l'entreprise,
3. une bonne connaissance client,
4. pour les entreprises commerciales, mettre en place une stratégie phygitale (stratégies physique et web complémentaires).
Grâce à cette stratégie, les entreprises ont observé pour 86 % une augmentation des ventes, pour 78 % une amélioration de la satisfaction client et pour 69 % une meilleure efficacité opérationnelle.
* 68 « Histoire d'incompréhension : les dirigeants de PME et ETI face au digital ».
* 69 La supply chain se réfère à la gestion de chaîne logistique garantissant le bon fonctionnement d'une entreprise (on parle de « supply chain management », SCM en anglais). C'est cette gestion des tâches et des flux (d'information ou de produit) qui lui permet de maîtriser la production et l'approvisionnement de son produit (auprès du fournisseur) ainsi que respecter ses engagements en termes de délai et de coût (auprès du client).
* 70 Le développeur informatique réalise un cahier des charges fixant les besoins des utilisateurs et décrivant les solutions techniques envisagées. Pour écrire un programme, il utilise des logiciels prêts à l'emploi (progiciels) qu'il adapte aux besoins spécifiques du projet. Ces logiciels de travail lui permettent d'orienter son activité de plus en plus vers l'analyse. En fin de parcours, il effectue des tests puis participe au lancement des applications. Il réalise également les notices techniques ainsi que les guides pour les utilisateurs. Selon les cas, il peut aussi assurer le soutien technique, la formation ou la maintenance technique du logiciel. Les développeurs travaillent en majorité dans des entreprises utilisatrices comme les banques ou les grandes entreprises. D'autres sont employés chez des fournisseurs, essentiellement des sociétés de services et d'ingénierie en informatique (SSII) répondant à la demande des entreprises qui leur passent commande. Celles-ci sous-traitent tout ou partie de leur informatique auprès des SSII.
* 71 Échange de Données Informatisé : fait d'échanger de façon automatisée et informatisée des informations entre deux entités grâce à des messages standardisés
* 72 « Les PME françaises menacées de mort numérique », Les Échos, 10 avril 2018.
* 73 Fondée en 2013, l'objectif de cette entreprise est de promouvoir l'émergence d'un écosystème de start-ups européennes dans le champ de l'économie numérique, en fournissant aux start-ups de son portefeuille de l'accompagnement, des services. En contrepartie, il entre à leur capital. Les locaux de l'entreprise accueillent des conférences qui visent à promouvoir l'entrepreneuriat et le thème de la transition numérique .
* 74 « Le disrupteur créé, impose, ébranle et transforme un marché : il déroute ».
* 75 « La quasi-gratuité des frais de port proposée par l'entreprise pour les délais normaux, sans rapport avec les coûts exigés par les différents prestataires, a évidemment un coût pour l'entreprise, mais celle-ci refuse de communiquer sur le sujet » est-il rappelé dans le rapport d'évaluation ci-après.
* 76 Rapport d'information n° 862 (15 ème législature), du 11 avril 2018 sur l'évaluation de la loi n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition, de MM. Yannick Kerlogot et Michel Larive.
* 77 Le tourisme (déjà largement impacté par le numérique), le transport routier (de petits colis), la plasturgie et le bâtiment qui comptent plus de 90 % de TPE-PME, soit quatre secteurs emblématiques, qui sont structurés autour d'un tissu dense de PME, dont les spécificités ne les orientent spontanément ni vers le numérique, ni vers la concurrence internationale.
* 78 « Industrie 4.0, une révolution industrielle et sociétale », Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz, Futuribles, n° 424, mai-juin 2018.
* 79 « Que peut le numérique pour les territoires isolés ? », Terra Nova, 11 janvier 2017.
* 80 « Le profil du e-commerçant, 12 ème édition », 2019, Oxatis, FEVAD et EY, du 5 février 2019.
* 81 Rapport d'information de M. Olivier CADIC, fait au nom de la Délégation sénatoriale aux entreprises n° 405 (2017-2018), 5 avril 2018.
* 82 Les Échos, 28 mars 2018.
* 83 La constitution et le maintien d'un registre est une obligation prévue à l'article 30 du RGPD. Elle s'applique à tous les organismes qui traitent des données personnelles de façon régulière dans le cadre de leurs activités.
Le registre des traitements doit permettre d'identifier précisément : les parties prenantes qui interviennent dans le traitement des données ; les catégories de données traitées, à quoi servent ces données ; qui y accède et à qui elles sont communiquées ; combien de temps elles sont conservées ; comment elles sont sécurisées.
Au-delà du respect de l'obligation légale, la tenue du registre permet de recenser, comprendre et maîtriser son patrimoine de données personnelles. Sa constitution et sa tenue sont l'occasion de se poser les bonnes questions et de limiter les risques au regard du RGPD. Il s'agit donc d'une étape essentielle pour respecter les obligations du RGPD, qui permettra de déduire un plan d'action de mise en conformité aux règles de protection des données.
* 84 https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/bpi-cnil-rgpd_guide-tpe-pme.pdf
* 85 Pour Nicolas Dufourcq, Directeur général de Bpifrance, le RGPD « est une brique supplémentaire afin qu'elles utilisent pleinement le levier du digital ».
* 86 Pour massive open online course , ou formation en ligne ouverte à tous ( FLOT ), aussi appelée cours en ligne ouvert et massif (CLOM), est un type ouvert de formation à distance capable d'accueillir un grand nombre de participants .
* 87 https://atelier-rgpd.cnil.fr/
* 88 Enquête CPME réalisée en partenariat avec le CINOV-IT, le CLUSIF, le dispositif cybermalveillance.gouv.fr, l'Union-IHEDN, la Cyber TaskForce et les associations Kexatrust et Alliance pour la Confiance Numérique auprès de 374 dirigeants de PME en janvier 2019.
* 89 Ou hameçonnage : technique utilisée par des fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels dans le but de perpétrer une usurpation d'identité.
* 90 Un logiciel malveillant ou maliciel, aussi dénommé logiciel nuisible ou programme malveillant ou pourriciel : programme développé dans le but de nuire à un système informatique, sans le consentement de l'utilisateur dont l'ordinateur est infecté.
* 91 Ou rançongiciel, logiciel rançonneur, logiciel de rançon ou logiciel d'extorsion : logiciel malveillant qui prend en otage des données personnelles.
* 92 Elle consiste pour des escrocs à convaincre le collaborateur d'une entreprise d'effectuer en urgence un virement important à un tiers pour obéir à un prétendu ordre du dirigeant, sous prétexte d'une dette à régler, de provision de contrat ou autre.
* 93 Antivirus, firewall, solution antispam.
* 94 L'informatique en nuage ou l'infonuagique consiste à exploiter la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants par l'intermédiaire d'un réseau, généralement Internet . Les serveurs sont loués à la demande, le plus souvent par tranche d'utilisation, selon des critères techniques (puissance, bande passante , etc.), mais, également, au forfait.
* 95 Réalisé par EY, un des leaders mondiaux de l'audit, du conseil, de la fiscalité et du droit, des transactions, et APAX Partners, un des leaders du capital-investissement ( private-equity ) en Europe.
* 96 Fondé en 1995, le METI, anciennement ASMEP-ETI, est le mouvement qui fédère et représente les 5 000 Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) françaises.
* 97 L'ACSEL, l'association de l'économie numérique, revendique 1 200 professionnels et près de 150 grands groupes, ETI et prestataires. L'Acsel et ses partenaires Google, Salesforce, Solocal, la CCI Paris Ile-de-France, le Meti, Prestashop et le MBA DMB, ont présenté le 12 avril 2019 les résultats de la troisième édition du baromètre "Croissance& Digital", au ministère de l'Économie et des Finances. Étude réalisée par Ipsos en février 2019. Cible: dirigeants et décisionnaires d'entreprises prenant part à la transformation digitale. Échantillon de 600 répondants 450 interviews d'entreprises de 20 à 4 999 salariés et 150 ETI.