II. DE NOMBREUSES PME ONT DU MAL À S'ENGAGER DANS LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE

A. UN RANG MOYEN, ET QUI SE DÉGRADE, DE LA FRANCE EN EUROPE

Chaque année, le rapport sur l'état d'avancement de l'Europe numérique (EDPR) suit les progrès accomplis par les États membres en matière de numérisation, en associant les informations quantitatives fournies par l'indice relatif à l'économie et à la société numériques (DESI) à des informations qualitatives sur les politiques propres à chaque pays.

Cet indice compte cinq paramètres :

1) Connectivité (haut débit fixe, haut débit mobile, vitesse du haut débit et prix) ;

2) Capital humain (utilisation d'internet, compétences numériques élémentaires et avancées) ;

3) Utilisation des services internet (utilisation par les citoyens des services de contenu, de communication et de transactions en ligne) ;

4) Intégration de la technologie numérique (passage des entreprises au numérique et commerce en ligne) ;

5) Services publics numériques (administration en ligne).

En 2019, la France s'est classée en 15 ème position sur les 28 États membres de l'Union européenne contre le 16 ème rang en 2018 64 ( * ) , et le 14 ème en 2016. Elle appartient au groupe qui obtient des « résultats moyens » et « reste loin derrière les pays les plus performants de l'Union ».

Elle obtient de bons résultats en matière de compétences numériques, qu'elles soient élémentaires ou avancées, notamment en raison d'une forte proportion de diplômés dans les matières scientifiques et techniques (9 ème place). Elle affiche une performance moyenne en matière d'administration en ligne (services proposés en ligne et utilisation de ces services) et obtient de bons résultats pour les données ouvertes.

Néanmoins, son niveau de connectivité est inférieur à la moyenne européenne, ce qui « reste le principal point faible du pays en raison du caractère limité de la couverture à haut débit rapide et ultra-rapide » selon le classement DESI.

De plus, les entreprises françaises ont un degré d'intégration des technologies numériques inférieur à la moyenne. En ce qui concerne le commerce électronique, la France occupe une position moyenne.

Enfin, la France est en retard pour ce qui est de l'utilisation d'internet, tant sur le plan des contenus (actualités, musique et vidéo) que sur celui de la communication (réseaux sociaux), même si les transactions en ligne (banque, achats) sont largement pratiquées.

Or, on estime que ce classement très médiocre de la France lui coûte au moins un point de croissance .

L'économie numérique est un nouveau paradigme 65 ( * ) et u n nouvel eldorado pour les entreprises .

Pour Mc Kinsey 66 ( * ) , en avril 2017, libérer le potentiel digital de la France constituait l'un des dix enjeux cruciaux à l'horizon 2022 .

La France présente un PIB numérique d'un pays de taille intermédiaire : 5,5 %, soit une fois et demi inférieur aux pays les plus avancés : 10,1 % en Corée du Sud, 10 % au Royaume-Uni, 9,2 % en Chine ou 8 % aux États-Unis.

Elle n'exploite que 12 % du potentiel numérique de son économie (la moyenne européenne) tandis que les États-Unis utilisent 18 % de leur potentiel digital, le Royaume-Uni 17 %, les Pays-Bas ou la Suède 15 %.

Les emplois liés au numérique ne représentent que 2, 7 à 3, 7 % du total des emplois en France, dans la fourchette basse de la moyenne des pays de l'OCDE.

Les entreprises françaises dans leur ensemble sont comparativement peu numérisées (16 ème rang en matière de numérisation de leurs processus) et, en dépit de son dynamisme entrepreneurial, notre pays peine à faire émerger des licornes 67 ( * ) : elles sont moitié moins nombreuses qu'en Allemagne et six fois moins qu'au Royaume-Uni.

Enfin, alors que la Commission européenne estime que 90 % des emplois de l'Union européenne nécessitent au moins une culture numérique sommaire, 39 % des actifs en sont dépourvus en France , soit le double du Danemark ou des Pays-Bas. Il s'agit là d'un handicap critique d'employabilité autant que de productivité pour la France.

Si la France dépassait la position moyenne qu'elle occupe pour la numérisation de ses entreprises, le gisement de croissance serait considérable : on estime « qu'entre 245 et 390 milliards d'euros pourraient s'ajouter à la richesse nationale à l'horizon 2025 ».

Pour l'atteindre, le cabinet d'audit préconise de :

• Libérer le potentiel de création d'activité et la mobilité dans l'emploi , notamment en adaptant le cadre réglementaire sectoriel souvent peu favorable à l'émergence de nouveaux modèles d'affaires (par exemple en ouvrant l'accès aux données dans la santé), en favorisant l'activité indépendante, ou en fluidifiant la rencontre entre offre et demande d'emploi et la formation ;

• Bâtir le socle d'une transition numérique en s'alignant sur les meilleures pratiques mondiales. Le financement par dette des entreprises se situe ainsi dans la moyenne européenne, tandis que la France présente un déficit relatif de capital-innovation en pourcentage de son PIB (10 fois moins qu'en Israël et 7 fois moins qu'aux États-Unis), et qu'en matière de données publiques ( open data ), certaines bases sont encore réservées à un seul usage administratif ;

• Transformer le tissu et les secteurs productifs pour saisir de nouvelles opportunités et, en particulier, renforcer la maturité digitale des PME et ETI.

Or, au-delà du discours public volontariste et enthousiaste sur la « start-up Nation », la réalité moins prosaïque fait apparaître des PME à la peine face à la révolution numérique.


* 64 L'indice a été recalculé pour les années précédentes pour tous les pays afin de tenir compte de légères modifications dans le choix des indicateurs et de corrections apportées aux données sur lesquelles ils se fondent. La méthodologie est consultable sur : https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/desi Dans le classement 2018 la France occupait le 18 ème rang mais le classement DESI 2019 a réévalué cette position plaçant notre pays au 16 ème rang.

* 65 R eprésentation du monde , une manière de voir les choses, un modèle cohérent du monde qui repose sur un fondement défini. En science économique, Carlota Pérez et Christopher Freeman proposent la notion (empruntée à Giovanni Dosi) de paradigmes techno-économiques pour expliquer les cycles longs et leur succession (« The Diffusion of Technical Innovations and Changes of Techno-Economic Paradigm » , University of Sussex, 1986).

* 66 McKinsey & Company est une société de conseil auprès des directions générales qui conseillait, en 2002, 147 des 200 premières entreprises mondiales.

* 67 En économie, une licorne est une start-up valorisée à plus d'un milliard de dollars. Cette expression a été inventée par Aileen Lee, une spécialiste américaine du capital-risque qui réalise, en 2013, une étude démontrant que moins de 0,1 % des entreprises dans lesquelles investissaient les fonds de capital-risque atteignaient des valorisations supérieures à 1 milliard de dollars.

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