EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le lundi 29 avril 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Vincent Éblé, président, sur le contrôle de l'application des lois .
M. Vincent Éblé , président . - Comme chaque année, notre commission contrôle l'application des lois qu'elle a examinées au fond au cours de la session précédente, c'est-à-dire les lois promulguées entre le 1 er octobre 2017 et le 30 septembre 2018. Les statistiques sont arrêtées au 31 mars 2019.
Un débat sur le bilan de l'application des lois aura lieu en salle Clemenceau le 11 juin prochain, après un échange avec le Secrétaire général du Gouvernement le jeudi 16 mai, sous la conduite de la vice-présidente chargée de ce sujet, notre collègue Valérie Létard.
Pour ce qui concerne la commission des finances, le taux de mise en application des lois promulguées durant la session 2017-2018 atteint 81 %. Il est légèrement inférieur à celui de la session précédente qui était de 83 %, mais pour un nombre de mesures attendues supérieur, soit 98 mesures contre 82. Point négatif, les délais se sont dégradés : alors que l'an passé 67 % des mesures d'application avaient été prises dans le délai de six mois prescrit par une circulaire du Premier ministre du 29 février 2008, cette année ce taux atteint 50 %. Cependant, le délai moyen de publication ne dépasse que légèrement les cinq mois, ce qui relativise cet indicateur, qui varie très fortement d'une année à l'autre.
Nos statistiques pour cette session portent sur l'application de la loi de finances pour 2018 et des deux lois de finances rectificatives pour 2017, ainsi que sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022.
La loi ratifiant l'ordonnance portant transposition de la directive du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, dite « DSP 2 », et celle du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude sont également concernées, de même que 17 articles de la loi pour un État au service d'une société de confiance du 10 août 2018, qui avait fait l'objet d'un examen par une commission spéciale.
Les conventions fiscales et les traités internationaux ne sont pas pris en compte pour le contrôle de l'application des lois.
Tout d'abord, deux lois étaient d'application directe, à savoir la loi de règlement des comptes de l'année 2017 et la première loi de finances rectificative du 1 er décembre 2017. Il n'y a donc pas lieu d'y revenir.
Ensuite, pour ce qui concerne l'application de la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022, une seule mesure réglementaire d'application était prévue. Elle a été prise sous la forme du décret n° 2018-309 du 27 avril 2018 fixant les modalités de calcul de divers éléments pris en compte dans le cadre de la contractualisation entre l'État et certaines collectivités territoriales.
Pour ce qui concerne l'application de la loi portant transposition de la directive dite « DSP 2 », seules deux mesures réglementaires étaient attendues. La première consistait en un décret pour préciser les modalités de fourniture d'espèces par les commerçants aux consommateurs ou cashback . Le décret n° 2018-1224 du 24 décembre 2018 a fixé ces montants, mais dans une limite comprise entre 1 euro au minimum et 60 euros au maximum, ce qui paraît bien faible au regard des besoins de certains territoires et en comparaison des plafonds retenus par nos voisins européens - 150 euros en Allemagne, dont on connaît l'attrait de ses habitants pour les paiements en cash.
Notre récente audition sur la dématérialisation des moyens de paiement a permis d'aborder ces sujets.
Un second décret n° 2018-1228 a été pris le 24 décembre 2018 concernant les modalités de communication entre prestataires de services de paiement et gestionnaires de comptes, de sorte que l'ensemble de la loi est appliquée.
Concernant la seconde loi de finances rectificative, sur 33 textes réglementaires prévus, 27 ont été pris et 2 sont devenus sans objet. Parmi les dispositions réglementaires prises, on notera celles qui concernent la procédure de recouvrement unique, prévue par l'article 73, qui porte sur la saisine administrative à tiers détenteur. Le décret n° 2018-1118 du 10 décembre 2018 relatif aux frais bancaires perçus par les établissements de crédit à la suite de la notification d'une saisie administrative à tiers détenteur fixe le montant maximum des frais bancaires à 100 euros, toutes taxes comprises.
L'article 75 introduit une obligation pour l'État, les collectivités territoriales et certains établissements publics d'offrir un service de paiement en ligne. Le décret n° 2018-689 du 1 er août 2018 fixe les conditions de mise en place de ce service de paiement, détermine les critères écartant cette obligation et établit l'échéancier de la mise en oeuvre de cette obligation, avec un terme fixé au 1 er janvier 2022. L'arrêté fixant la liste précise des personnes morales de droit public auxquelles s'applique cette obligation n'est pas encore pris, même si sa publication est promise avant le 1 er juillet 2019.
L'article 90, qui affecte les recettes issues du « Loto du patrimoine » à la Fondation du patrimoine, a trouvé son application par deux arrêtés : l'un du 26 novembre 2018 et l'autre du 13 décembre 2018, qui ont affecté successivement les sommes de 16,47 millions d'euros et 3,12 millions d'euros à la Fondation du patrimoine. Cela ne résout évidemment pas le sujet de la fiscalité sur ces jeux...
Pour ce qui concerne les quelques mesures encore non prises, il s'agit de décrets concernant l'extension du recours obligatoire aux téléprocédures par les entreprises, qui devront intervenir à compter de 2020.
Concernant la loi de finances pour 2018, sur 45 mesures d'application attendues, 40 ont été prises et 1 est devenue sans objet. Ainsi, seules 4 mesures sont encore attendues, mais le fait que certaines n'aient pas été prises pose particulièrement question.
En effet, sur l'initiative de notre commission, l'article 68 de la loi de finances pour 2018 prévoyait un dispositif de plafonnement du montant des frais et commissions payés lors de l'acquisition d'un logement faisant l'objet du dispositif Pinel d'encouragement au développement du logement locatif intermédiaire. Ce décret n'est toujours pas pris, alors même que la loi de finances pour 2019 a précisé ce dispositif, sur proposition du Gouvernement, afin de faciliter sa mise en oeuvre !
Selon les informations du quotidien Le Monde parues le 2 mars dernier, le projet de décret serait bloqué depuis plus d'un an sur le bureau du ministre du logement... Nous allons demander des explications.
Par ailleurs, le Gouvernement devait remettre au Parlement, avant le 1 er septembre 2018, un rapport d'évaluation des zones géographiques du dispositif Pinel pour mieux apprécier la pertinence des critères de classement des communes : celui-ci a été remis seulement en mars 2019 et est de portée limitée, puisqu'il ne se base pas sur les données fiscales de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ni même sur celles de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Les données de la DGFiP ont été transmises au ministre du logement après la publication du rapport et l'utilisation de celles de la CNAF nécessiterait la prise d'un décret en Conseil d'État après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) !
Une autre disposition, qui concerne la création d'une taxe sur les cessions de logements par les organismes de logement social, n'a pas trouvé à s'appliquer, car elle a été repoussée par la loi de finances pour 2019, ce qui montre, comme cela avait été soulevé par le Sénat, l'impréparation de cette mesure.
Enfin, l'article 171 de la loi de finances prévoyait de rendre gratuite la circulation sur autoroute pour les véhicules d'intérêt général prioritaires en opération. Or le ministère de l'intérieur estime désormais - suivant ainsi l'avis du Conseil d'État - qu'une telle exonération serait inconstitutionnelle en raison d'une rupture d'égalité des usagers devant le péage. Il faudrait à tout le moins qu'une solution soit proposée par le Gouvernement pour répondre à l'intention du législateur ! Notre collègue Jean-Pierre Vogel avait souhaité instaurer ce dispositif.
Concernant la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, 17 textes réglementaires d'application étaient attendus, mais seulement 6 ont été pris. Plusieurs textes importants sont en attente ; ils concernent les conditions dans lesquelles les agents chargés de la lutte contre la fraude peuvent avoir accès à des informations par échanges entre administrations, la responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires, la publication des sanctions administratives pour les personnes morales à raison de manquements fiscaux graves et frauduleux - name and shame -, et les nouvelles modalités de fonctionnement de la commission des infractions fiscales (CIF) à la suite de la réforme du « verrou de Bercy ».
Compte tenu de l'importance de la lutte contre la fraude fiscale, il est absolument nécessaire que toutes ces mesures d'application soient prises dans les meilleurs délais. Le délai de six mois pour l'application de cette loi du 23 octobre 2018 est désormais dépassé, et il est regrettable qu'il n'ait pas pu être tenu.
Enfin, s'agissant de la loi pour un État au service d'une société de confiance, qui avait fait l'objet d'une commission spéciale, sur un total de 17 articles relevant de la compétence de notre commission, seuls deux articles nécessitaient des mesures réglementaires d'application. Ces mesures ont été publiées.
Le décret n° 2018-1350 du 28 décembre 2018 permet au public d'accéder à l'ensemble des éléments d'information détenus par l'administration fiscale s'agissant des valeurs foncières déclarées à l'occasion des mutations intervenues au cours des cinq dernières années.
Le décret n° 2018-944 du 31 octobre 2018 concerne le recours au rescrit douanier. Au cours de son audition du 11 avril 2019 devant notre commission, le directeur général des douanes a souligné l'impact favorable de cette nouvelle mesure, 40 rescrits douaniers ayant été signés depuis la parution de ce décret, contre seulement 7 pour toute l'année 2017.
J'en viens enfin aux textes antérieurs à la session 2017-2018, en dressant le constat que certains dispositifs ne sont toujours pas appliqués depuis plusieurs années.
Même si au cours de l'année écoulée, 18 mesures attendues au titre des lois du « stock » ont été publiées ou sont devenues sans objet, le stock des mesures issues des lois anciennes toujours en attente s'élève à 20. À la suite des remarques que nous avons faites l'an passé, l'article 37 de la loi de finances pour 2019 a enfin abrogé les dispositions législatives prévoyant la publication d'un décret concernant les redevances de concession de brevet, qui datait de la loi de finances pour 2011, mais 3 mesures d'application de la loi de finances pour 2012 n'ont toujours pas été prises, concernant par exemple le régime des redevances perçues à l'obtention de certificats sanitaires pour exporter des produits alimentaires d'origine non animale, ou encore le régime d'octroi des licences de vente du tabac dans les départements d'outre-mer.
Dans ce dernier cas, après le report de la mesure à de multiples reprises, un régime transitoire permettant la vente de tabac aux particuliers au plus tard jusqu'au 30 juin 2019 a été mis en place. Aucune information n'a pu cependant être obtenue sur le régime qui s'appliquera au-delà de cette date.
Par ailleurs, comme indiqué l'an passé, la loi de finances rectificative pour 2011 avait créé une redevance sur les gisements d'hydrocarbures en mer, avec un décret fixant le taux qui permet le calcul de la redevance. Cependant, aucune mesure d'application n'a été prise, car aucune exploitation de gisement d'hydrocarbures en mer n'a été lancée. Les premières exploitations ne sont pas prévues avant 2020. L'anticipation de la loi sur la réalité est parfois très forte...
Il en va de même d'ailleurs du décret et de l'arrêté prévoyant les modalités de déclaration et le taux de la taxe due par les entreprises de transport aérien pour le financement du CDG Express, prévus dès la loi de finances rectificative pour 2016, mais qui n'ont pas encore été pris puisque la perception ne devrait pas intervenir avant le 1 er avril 2024...
L'article 45 de la loi de finances pour 2016 prévoyait un décret concernant les opérations éligibles au financement du fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD), étendues aux actions de prévention de la radicalisation. En raison d'un désaccord entre le ministère de la justice et le Conseil d'État sur la nécessité d'une codification, ce décret a pris beaucoup de retard, mais devrait être soumis au Conseil d'État prochainement. En attendant, le pouvoir réglementaire continue d'agir sur le fondement d'un décret inadéquat.
On rappellera également que l'article 80 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », prévoyait des modalités d'affectation sous forme de don des sommes déposées sur le livret de développement durable et solidaire, mais ces mesures n'ont toujours pas été prises. Notre commission avait, à l'époque, sans être entendue, souligné le manque de précision du dispositif proposé.
Concernant maintenant les ordonnances, 16 ordonnances ont été ratifiées au cours de la période de contrôle, dont 15 par un article de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, qui est actuellement soumise au Conseil constitutionnel et donc non encore promulguée. Huit ordonnances demeurent en attente de ratification et une ordonnance n'a pas encore été signée.
Parmi les lois suivies au titre de la session 2017-2018, la loi relative à la lutte contre la fraude prévoyait une habilitation à légiférer par ordonnance, alors que la loi pour un État au service d'une société de confiance en prévoyait deux.
Pour la loi de lutte contre la fraude, il s'agissait de transposer la directive du Conseil du 25 mai 2018, qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal. Un délai de douze mois étant prévu pour la prise de cette ordonnance, ce délai court encore jusqu'en octobre 2019.
La loi pour un État au service d'une société de confiance habilite le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance les mesures pour renforcer la sécurité juridique des entreprises soumises à des impôts commerciaux. L'ordonnance devait être publiée d'ici avril 2019 ; elle est cependant très compromise, si ce n'est abandonnée. Le ministre de l'action et des comptes publics a en effet déclaré dans un discours le 14 mars 2019 qu'aucune disposition législative nouvelle n'était nécessaire et que le Gouvernement s'appuierait sur les procédures existantes, à savoir le rescrit.
La même loi habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour simplifier le droit financier et le droit de la consommation et pour lutter contre des surtranspositions de directives. À ce jour, l'ordonnance n'est pas publiée.
J'en viens pour terminer aux rapports. Seuls 85 des 157 rapports attendus pour des lois promulguées depuis 2010 ont été effectivement remis au Parlement, soit à peine plus de la moitié... Au cours de la session 2017-2018, pas moins de 37 dispositions législatives ont prévu la transmission de documents à destination du Parlement - rapport, nouvelle annexe au projet de loi de finances, bilan d'expérimentation, etc. Le nombre de demandes de rapports est sans doute trop élevé, mais outre que certains, notamment en matière de dépenses fiscales, sont indispensables au travail parlementaire, bon nombre de rapports n'ont pas été remis alors même que la disposition avait été insérée par le Gouvernement lui-même. C'est ainsi le cas de 6 des 10 dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022. Seuls 2 de ces 6 rapports attendus ont été remis : il s'agit de l'annexe budgétaire au grand plan d'investissement et du rapport sur les relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Il revient donc au Gouvernement de tenir ses engagements dans ce domaine.