CLÔTURE
M. Jean-Baptiste LEMOYNE, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères
Je voudrais d'abord remercier le groupe de suivi pour le Brexit et la refondation de l'Union européenne du Sénat de m'avoir invité à clôturer ce colloque.
À travers ce groupe, créé le 11 juillet 2016, soit moins d'un mois après le referendum, le Sénat s'est montré, avec son expérience et sa sagesse, particulièrement attentif, actif et réactif sur la question du Brexit qui nous occupe depuis près de trois ans. Il a pleinement joué son rôle de lien avec les territoires et de contrôle parlementaire sur les aspects de ce processus, qu'il s'agisse de la négociation de retrait, ou de la préparation des mesures nationales de « contingence », à travers la loi d'habilitation du 19 janvier 2019.
Ces deux chantiers étaient l'un et l'autre également importants et nous le mesurons aujourd'hui : en effet, à moins de dix jours de la date prévue de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, nous ne savons toujours pas comment elle s'effectuera : un retrait ordonné, conformément à l'accord négocié par Michel Barnier et validé par le Conseil européen à 27 et le gouvernement britannique, option qui a bien entendu notre préférence, ou sortie « sèche », le 29 mars à minuit. Ces deux options de l'alternative ont été, l'une comme l'autre, écartées mardi et mercredi derniers par la Chambre des Communes. Aucune autre alternative crédible n'apparaît à ce stade à Theresa May. Comme l'a rappelé Nathalie Loiseau hier en marge du Conseil des Affaires générales, une absence de décision côté britannique équivaut à une sortie sans accord.
Lorsque le Président Bizet m'a invité à clôturer cet après-midi d'échanges et que j'ai découvert le titre du colloque, j'ai souhaité venir, même si nous ne connaissons toujours pas la date de ce fameux « jour d'après » ! On ne connaît toujours pas la date de sortie, puisque, très probablement, Mme May, va demander une extension de l'article 50, dont le Conseil européen à 27 discutera demain sans nécessairement en décider formellement d'ailleurs. Un nouveau vote la semaine prochaine n'est pas exclu. En cas de vote positif, nous serons bien entendu ouverts à une extension technique de l'accord de retrait, afin que les institutions britanniques finalisent la ratification du texte. En revanche, en l'absence de vote approuvant l'accord de retrait, une extension longue de nature politique ne se justifie que s'il y a une stratégie alternative de la part du Royaume-Uni. Cette extension doit de surcroît être accompagnée de clauses qui préservent les intérêts de l'Union.
Il y a parfois de quoi perdre patience également : à l'orée des élections européennes et du renouvellement des institutions, nous avons besoin de concentrer toute notre attention sur l'avenir du projet européen. C'est la raison pour laquelle nous exigeons aujourd'hui, de façon légitime, de la clarté sur les intentions du Royaume-Uni. C'est la raison pour laquelle nous avons dit qu'une extension autre que technique n'était ni évidente, ni automatique.
Cette impatience légitime ne doit pas devenir dédain, amertume ou ironie blessante. Je citerai Spinoza dans son Traité politique : « Non ridere, non lugere neque destestari sed intelligere » (« ne pas tourner en dérision, ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre »). Comprenons, en l'espèce, que le Royaume-Uni se trouve face à un choix parmi les plus importants de son histoire, un choix qui a été apparemment tranché par le referendum de juin 2016. C'est bien la difficulté des referendums : d'une réponse simple à une question simple, voire simpliste, il n'est pas toujours évident de déduire une politique prenant en compte la complexité du monde et les aspirations contradictoires des citoyens. Le Royaume-Uni est plus divisé que jamais. Ce doit être une leçon pour nous tous alors que nous cherchons aujourd'hui comment surmonter les lignes de fracture qui traversent la société française. Nous devons comprendre car il ne faut jamais perdre le respect de nos voisins et alliés avec lesquels nous continuerons de nourrir une relation bilatérale étroite, comme cela a été rappelé il y a un an à l'occasion du Sommet franco-britannique, et avec lesquels l'Union européenne souhaite également bâtir une relation future ambitieuse, sans comparaison avec les autres partenariats conclus par l'Union : partenariat économique, partenariat en matière de sécurité et accords sectoriels. Je veux là aussi préciser un point : il faut d'abord que la sortie du Royaume-Uni intervienne pour que les négociations sur la relation future puissent débuter. De ce point de vue, une extension de l'article 50 ne saurait remettre en cause le principe du séquençage validé par les 27. Dans ce contexte de forte incertitude susceptible de se prolonger jusqu'à la dernière minute la semaine prochaine, il est indispensable de revenir aux fondamentaux, et notamment à la maxime stoïcienne : « Il est des choses qui dépendent de nous et d'autres qui ne dépendent pas de nous ». Pour garder le contrôle, il faut agir sur les choses qui dépendent de nous.
Il y a des questions auxquelles nous n'avons pas de réponse : elles dépendent de la vie politique britannique. Il y aussi des questions auxquelles nous pouvons répondre car de nombreux éléments dépendent de nous. Nous les avons traités, à 27 comme sur le plan national, du mieux que nous pouvions. C'est d'abord l'unité de l'Union que nous avons su maintenir jusqu'à aujourd'hui qui dépend de nous. Dépend aussi de nous la solidarité avec l'Irlande pour laquelle le Brexit représente un défi particulier. C'est fort de cette unité que le négociateur de l'Union a pu proposer le meilleur accord de retrait possible au Royaume-Uni, un accord qui respecte d'un côté les lignes rouges posées par les autorités britanniques, et de l'autre l'intégrité du marché intérieur ainsi que le caractère inacceptable d'une frontière « dure » entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Ceci est le meilleur accord possible parce qu'il protégera les droits de nos concitoyens qui résident au Royaume-Uni, en leur permettant de continuer à y vivre, à y travailler et à y étudier dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. Il est un bon accord parce qu'il assure la protection des intérêts financiers de l'Union : le Royaume-Uni s'acquittera des obligations qu'il a souscrites pendant toute la période pendant laquelle il aura été un État membre. Il est un bon accord parce que l'application temporaire du droit de l'Union au Royaume-Uni, à compter de son retrait et jusqu'au 31 décembre 2020 au moins, assurera une transition sans heurt vers le régime futur. Il est un bon accord, enfin, parce qu'en cas d'absence d'accord sur la relation future, la mise en place, après la fin de la période de transition, d'une union douanière entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, assortie d'un alignement réglementaire de l'Irlande du Nord sur l'Union, permettra d'éviter le rétablissement d'une frontière physique sur l'île d'Irlande.
Vous avez débattu autour de trois questions aujourd'hui. La première est la suivante : la France est-elle prête ? Oui, je crois qu'elle l'est. Elle l'est tout d'abord en cas de retrait ordonné puisque fondamentalement le retrait ordonné signifierait le statu quo pour les citoyens et les opérateurs économiques jusqu'au 31 décembre 2020. Le seul changement concernerait le statut du Royaume-Uni qui, n'étant plus État membre, perdrait l'ensemble de ses droits politiques au sein de l'Union. C'est pour cela qu'il reste notre option préférée. La France s'est également préparée à l'hypothèse d'une sortie sans accord, hypothèse qui n'est aujourd'hui pas du tout écartée. Les travaux ont été lancés dès le printemps, après que le Conseil européen a invité la Commission européenne comme les États membres à s'y préparer. Cette invitation s'est faite pour des raisons pratiques car cette hypothèse apparaissait plus crédible à mesure que se creusaient les oppositions à Londres, mais aussi parce que se préparer au no deal était un moyen de renforcer la main de l'Union dans la négociation. Ce travail a été conduit de manière aussi exhaustive que possible, avec engagement et humilité. N'ayant jamais vécu le retrait d'un État membre de l'Union, nous avons cherché à couvrir toutes les hypothèses, en ayant conscience que nous pourrions, assez tard dans le processus, être pris par surprise. Pour la France, c'était un défi de taille, peut-être plus important que pour d'autres pays de l'Union car 80 % des flux de marchandises entre le Royaume-Uni et l'Union passent par la France. Nous assurons le contrôle à la frontière pour le compte du reste de l'Europe. Il faut donc s'assurer que les contrôles soient les plus efficaces possible. C'est une responsabilité qui pèse sur nous. Le premier objectif était d'assurer que les droits de nos entreprises et de nos concitoyens seraient préservés, mais sans donner au Royaume-Uni les avantages de l'appartenance à l'Union.
L'ensemble des ordonnances ont été prises au cours des dernières semaines, le Premier ministre ayant assumé très ouvertement dès le 17 janvier que la France devait se préparer activement à une sortie sans accord. Je ne vous rappellerai pas les ordonnances que vous connaissez par coeur (gestionnaire d'infrastructures, licences d'exportation pour les matériels de défense, statut des ressortissants britanniques en France, licence pour les transports routiers, assurances). Ce cadre juridique est indispensable, mais il ne suffit pas. Un plan d'investissement et d'organisation de 50 millions d'euros a été lancé dans les ports et les aéroports. Nous avons intensifié la préparation des administrations chargées de contrôler les flux aux frontières, le statut de pays tiers signifiant l'établissement d'une frontière en dur. Les douanes, mais aussi la police aux frontières et les services vétérinaires et sanitaires, sont concernés. Nous avons recruté 500 douaniers. Vous avez auditionné ici même en janvier le coordinateur pour les ports nommé par le Premier ministre. L'une des priorités identifiées a été de sensibiliser les entreprises, pour qu'elles se préparent à tous les scenarii et anticipent les impacts possibles, notamment sur leurs ressources humaines, leurs fournisseurs, leurs distributeurs, leurs clients, leurs coûts, le stockage de leurs données, leurs contrats, etc. Sous l'autorité des préfets, les DIRECCTE, les douanes et les autres services déconcentrés de l'État, en lien avec les acteurs économiques et consulaires locaux se sont mis à la disposition des entreprises et des diagnostics d'auto-évaluation ont été proposés. Agnès Pannier-Runacher et Nathalie Loiseau ont réuni à plusieurs reprises les acteurs de cette sensibilisation. Je sais combien il n'est pas très motivant d'investir dans la perspective d'un scénario qui n'est pas certain. Mais ces investissements ne sont pas à perte : ce n'est que dans l'hypothèse - aujourd'hui fort peu probable - d'un renoncement total au Brexit qu'ils seront inutiles.
La deuxième question que vous avez abordée est celle de l'ampleur du choc que va provoquer le Brexit. Les mesures de contingences que je viens d'évoquer ont été prises justement pour que, dans l'hypothèse d'une sortie du Royaume-Uni sans accord et donc sans période de transition, l'impact puisse être atténué et que des éléments juridiques et pratiques de transition, même s'ils sont unilatéraux, même s'ils ne portent pas sur toutes les matières du marché intérieur, puissent être préservés. Citons quelques exemples. Tout d'abord, en ce qui concerne le transport. Une connectivité minimale sera assurée en la matière. Les transporteurs aériens britanniques seront autorisés durant douze mois à survoler le territoire de l'Union européenne, à effectuer des escales techniques, ainsi qu'à atterrir dans l'Union et à rentrer au Royaume-Uni, sous condition de réciprocité. Une telle connectivité sera également assurée en matière de transport routier : un règlement est en cours d'adoption. Il devrait permettre aux transporteurs britanniques de transporter des marchandises vers un territoire de l'Union, sous condition de réciprocité. C'est la raison pour laquelle le Brexit ne sera pas un séisme : ses implications se matérialiseront progressivement pour l'ensemble des acteurs économiques. Plus que l'impact du « jour d'après », c'est l'incertitude persistante qui pèse sur les opérateurs économiques, ralentit les circuits de décision, dissuade ou retarde les décisions d'investissement qui est mauvaise pour nos économies. C'est ce qu'a très justement rappelé hier Michel Barnier en invitant les Européens à prendre en compte les coûts économiques mais aussi politiques d'une prolongation de l'article 50. Nous voyons que les conséquences économiques d'un retrait sans accord seront plus importantes pour le Royaume-Uni que pour l'Union.
D'abord, le rétablissement de droits de douane affectera l'économie britannique à court et à moyen terme, davantage que l'économie européenne. En l'absence d'accord, le Royaume-Uni sera en effet soumis aux tarifs douaniers engagés à l'Organisation mondiale du commerce, à savoir le tarif douanier commun (TDC) extérieur de l'Union Européenne. On peut lire des choses assez différentes mais l'estimation habituelle est que l'impact économique négatif d'un no deal sur l'UE et sur la France sera relativement modéré, entre 0 et ½ point de PIB. C'est ce que dit le Fonds monétaire international. Sur le long terme, l'impact dépend du type d'accord commercial conclu : le FMI l'estime ainsi entre -0,8 % et 1,6 %, les pays les plus intégrés économiquement avec le Royaume-Uni étant les plus vulnérables . Les conséquences économiques d'un retrait sans accord seront beaucoup plus importantes pour le Royaume-Uni que pour les pays de l'Union : en effet, le Gouvernement britannique estime de son côté le coût d'un no deal entre 8 et 10 % de PIB sur 15 ans en fonction des hypothèses notamment de solde migratoire avec l'UE. Ceci dit, en France, certains secteurs auront à souffrir beaucoup plus que d'autres, par exemple la pêche. Dans les directives de négociation que nous avons données à Michel Barnier, nous avons demandé que ce secteur ne soit pas isolé. Il faut dire la vérité : la situation demeure asymétrique. Nous sommes beaucoup plus demandeurs de conserver nos accès aux eaux britanniques que les Britanniques ne le sont pour les nôtres, sinon pour débarquer leur pêche, notamment à Boulogne. Aujourd'hui, un quart de nos captures en moyenne se font dans les eaux britanniques. Ce chiffre est beaucoup plus élevé dans certains ports. L'Union européenne s'est préparée à prendre des mesures provisoires pour l'année 2019 (l'accès réciproque à nos eaux et la possibilité de financer sur les fonds structurels des aides à l'arrêt temporaire des activités), qui sont sur la table, mais il faudrait pouvoir conclure un accord de pêche le plus rapidement possible. C'est ce que nous demanderons en cas de no deal , et nous saurons identifier les leviers pour cela. Le fait que le Royaume-Uni ait publié une notice précisant qu'en cas de sortie sans accord, les Européens ne pourront plus pêcher dans les eaux britanniques renforce encore notre détermination.
Je souhaite formuler une dernière remarque. Lorsque nous avons réfléchi aux mesures de contingence, il nous a fallu trouver un équilibre entre le besoin de continuité, le besoin de limiter l'impact, mais aussi la nécessité de tirer les conclusions de la sortie du Royaume-Uni du marché intérieur. Cela a notamment été le cas en matière de services financiers, où il a fallu concilier des objectifs de sécurité et de stabilité avec des principes de concurrence loyale et d'intégrité du marché intérieur. Les services financiers britanniques et européens étant intégrés, il était impératif d'éviter toute rupture pour assurer la stabilité financière. Nous avons adopté le 6 février dernier une ordonnance spécifique pour cela. Les mesures adoptées permettent d'assurer la continuité de la participation des membres français aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison d'instruments financiers de pays tiers (y compris les chambres de compensation britanniques), d'étendre la compétence de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour éviter toute rupture dans la supervision et la vérification des activités financières, de s'assurer que les conventions-cadres de droit français pourront se substituer aux conventions-cadres de droit britannique et que les contrats financiers passés avec des entités britanniques avant la perte du passeport financier demeurent valides.
La Commission européenne a également adopté des mesures permettant d'assurer la stabilité financière en garantissant qu'il n'y aurait pas de perturbation immédiate dans la compensation centrale des produits dérivés. Ceci étant posé et au-delà de ces mesures de contingence, la logique du Brexit est que demain Londres ne sera plus comme aujourd'hui une grande place financière européenne. Cela aura un impact sur l'importance de l'activité financière à Londres par rapport à Francfort, Paris ou Dublin. C'est d'ailleurs avec Dublin que nous avons été en phase finale avant de remporter pour Paris le siège de l'Autorité bancaire européenne, avec laquelle j'ai signé le 6 mars l'accord de siège. Bank of America a replié 200 banquiers à Paris en février et prévoit 200 autres transferts après le Brexit.
La troisième question est la suivante : le Brexit offre-t-il des opportunités à saisir ? La sortie du Royaume-Uni de l'Union présente plus de risques que d'opportunités. Personne ne le nie. Cela ne nous a pas empêchés de rechercher les opportunités qui pourraient se créer pour attirer les investisseurs et les talents. Il nous faut jouer notre carte. Il ne faut pas pécher par excès d'optimisme. L'attractivité du Royaume-Uni ou de la place de Londres ne tenait pas uniquement à son insertion dans le marché intérieur. Il y avait aussi des facteurs intrinsèques au Royaume-Uni. De la même manière, la concrétisation de ces opportunités viendra d'abord de l'attractivité propre de la France. Leur concrétisation dépend d'abord de nous et des réformes que nous souhaitons poursuivre. Nous constatons que bon nombre de pays tiers, qui comptaient sur le Royaume-Uni pour accéder à l'Union, sont venus nous dire que la France était désormais leur « gateway to Europe ». Je pense à certains pays du Golfe ou d'Asie ou encore aux pays émergents de l'Afrique anglophone. Depuis 18 mois, je constate une forte progression des investissements étrangers en France. Cette tendance se poursuit en 2018. En termes de nouveaux projets, la France s'est nettement rapprochée de l'Allemagne. La simplification de l'environnement administratif, un coût du travail qui a augmenté moins vite que dans le reste de la zone euro et l'appui du crédit impôt recherche ont favorisé cette attractivité. La vision des entreprises non européennes a changé. Leur approche du marché intérieur consistait auparavant à mettre en concurrence le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. La perspective du Brexit et a fortiori les fortes incertitudes qui l'entourent changent la donne : chaque entreprise doit, en effet, dorénavant se doter d'une stratégie britannique et d'une stratégie continentale distinctes. Il lui est plus difficile d'éviter une présence sur le continent. Il nous appartient donc de saisir ce moment. C'est ce que nous avons fait depuis 18 mois, en partenariat avec les régions, notamment grâce aux deux grands sommets Choose France , à travers la mission spécifique confiée par le Premier ministre à Ross Mc Inness pour les investissements à caractère industriel.
Nous surveillons aussi les opportunités en matière de chaîne logistique . Nous savons que les ports belges et néerlandais pratiquent le lobbying. Agissons de la même façon. Ils recrutent des douaniers ? Nous en recrutons également. Il s'agit de capter les flux de marchandises qui ne transiteront plus par le Royaume-Uni. C'est le moment, pour nos ports, de soumettre une offre aux Irlandais, en mettant en sourdine nos complexes et en faisant taire les rivalités entre des ports situés parfois à quelques kilomètres l'un de l'autre. Les grands ports doivent en outre être inscrits dans le « corridor » pour bénéficier des aides européennes : c'est maintenant qu'il faut répondre à l'appel d'offres dans le cadre du « Mécanisme pour l'interconnexion en Europe » (MIE).
Enfin, sur un plan plus global, les opportunités sont à saisir en vue d'un nouveau projet pour l'Europe. À ce titre, je relève que le groupe de suivi du Sénat sur le Brexit est également un groupe dédié à la refondation de l'Union européenne. Dès les lendemains du referendum britannique, les 27 chefs d'État et de gouvernement ont en effet marqué leur détermination à ce que l'Union européenne ne se laisse pas totalement consumer par les négociations sur le Brexit mais se donne un agenda positif. Ce fut celui de Bratislava. Le président Raffarin et le président Bizet avaient d'ailleurs publié un rapport à la veille du 60 ème anniversaire du Traité de Rome : Relancer l'Europe : retrouver l'esprit du Traité de Rome .
Avec le Royaume-Uni, l'Union européenne perd une de ses économies les plus développées, les plus innovantes, les plus engagées également dans la lutte contre le changement climatique, tout comme dans l'approfondissement du marché intérieur dont Londres a été un moteur pendant plus de trois décennies. Mais elle peut aussi recouvrir une certaine latitude pour rénover son approche du soutien à la croissance et à l'innovation, comme le propose le Président de la République et comme commenceront à l'engager les conclusions du Conseil européen de cette fin de semaine. Les sujets économiques seront au coeur de l'ordre du jour : ils concernent d'abord la politique industrielle qui doit être adaptée à tous les enjeux du 21 ème siècle et, en particulier, à une concurrence internationale qui ne joue pas toujours selon les règles en vigueur. Nous demandons à la Commission européenne de présenter dès la fin de l'année 2019 une stratégie de long terme assortie de propositions de mesures concrètes, afin d'atteindre des objectifs clairs, c'est-à-dire une économie neutre en carbone, inclusive, fondée sur l'innovation et assurant l'indépendance et la souveraineté de l'Union. Pour cela, il faut que la politique industrielle puisse s'appuyer sur des bases solides. La politique de concurrence doit être actualisée, afin de concilier les intérêts des consommateurs et le soutien à l'industrie européenne prenant en compte les enjeux de concurrence à l'échelle mondiale, tant par le contrôle des concentrations que des aides d'État. Enfin, le développement d'une économie numérique européenne doit se poursuivre, afin que l'Union puisse prendre la tête des nouvelles ruptures technologiques, comme l'intelligence artificielle par exemple, tout en s'efforçant de réguler les géants du numérique et en protégeant les citoyens. Nous souhaitons que le Conseil européen des 21 et 22 mars, même s'il doit écouter les demandes de Mme May soit aussi un moment d'affirmation de la souveraineté de l'Union européenne, notamment face à ses principaux partenaires comme la Chine, en matière de concurrence et de commerce, ou encore positionne l'UE comme chef de file sur des enjeux globaux, tels que l'innovation de rupture ou la lutte contre le changement climatique.
Je vous remercie de votre attention.