TABLE RONDE N° 2 : DES OPPORTUNITÉS À SAISIR ?
Le Brexit : "perdant-perdant" ou "perdant-gagnant" ?
Intervenants :
• Thierry DRILHON, Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie franco-britannique ;
• Christophe LECOURTIER, Directeur général de Business France ;
• Arnaud de BRESSON, Délégué général de Paris Europlace ;
• Franck MARGAIN, Conseiller régional d'Île-de-France, Président de Paris Région Entreprises.
La table-ronde était animée par Didier MARIE, Sénateur de Seine-Maritime.
M. Didier MARIE, Sénateur de Seine-Maritime
Il nous revient la difficile tâche de vous inoculer une dose d'optimisme tant du point de vue des délais que de la forme que va prendre le Brexit. D'autres inquiétudes ont aussi été exprimées sur les moyens mis en oeuvre, sur le niveau de préparation de nos entreprises. Le Brexit sans accord n'est peut-être pas la catastrophe annoncée. Il ne faut pas négliger l'opportunité que pourrait représenter le Brexit pour notre économie. Nous avons entendu tout à l'heure Xavier Bertrand. Il a dessiné certaines pistes tendant à l'optimisme en nous décrivant l'état de préparation de sa région. Il en va de même de la Seine-Maritime dont je suis un des représentants. La Seine-Maritime est moins touchée que les Hauts-de-France, mais elle s'est tout de même préparée. Elle n'est pas la seule. Nombreuses sont les régions à avoir déjà intégré cette donnée et à avoir développé des stratégies de valorisation des territoires afin d'attirer les entreprises britanniques ou étrangères qui sont installées à Londres et qui souhaiteraient continuer à bénéficier du marché unique. Notre table-ronde réunit donc des représentants des entrepreneurs, des pouvoirs publics, d'une région et d'un secteur-clef, à savoir celui des services financiers. Avec eux, nous évaluerons les perspectives s'offrant à nous en termes de redéploiement et d'opportunités qui feraient de la France la gagnante du Brexit.
Nous débuterons avec Thierry Drilhon. Il préside la Chambre de commerce et d'industrie franco-britannique. Il a indiqué récemment que « le Brexit est une opportunité pour l'ensemble des entreprises car elles ont l'habitude de faire face aux incertitudes ». Je souhaite l'interroger sur le bénéfice que pourraient tirer les entreprises françaises du Brexit.
M. Thierry DRILHON, Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie franco-britannique
Je remercie le Président du Sénat et le groupe de suivi qui a organisé ce colloque : je crois qu'il est très important de bénéficier d'une vision globale et d'entendre tous les points de vue. Je vais vous parler comme dirigeant d'entreprise et comme président de la Chambre de commerciale et d'industrie franco-britannique. Aujourd'hui est le millième jour du Brexit. Je souhaite donc un joyeux anniversaire à nos amis d'outre-Manche. Ce Brexit est comparable à une série télévisée. Tous les jours il se passe quelque chose. On peut être successivement heureux, stressés, inquiets, sereins. Je crois que le Brexit est une réelle opportunité. Il est une opportunité pour l'Europe qui a fixé un cadre précis à cette rupture. À ce propos je salue le travail remarquable de Michel Barnier. L'Europe a progressé avec ce Brexit. Le Brexit est une opportunité pour notre pays dont l'attractivité n'a jamais été aussi forte en ce moment depuis quinze ans. 269 établissements financiers et banques ont choisi de quitter le Royaume-Uni pour s'installer dans d'autres pays européens, dont 41 à Paris. Parmi ceux-ci on trouve l'Autorité bancaire européenne. Le Brexit est également une opportunité pour le monde de l'entreprise. La sortie du Royaume-Uni de l'UE est l'occasion de repenser notre business model et les relations que nous entretenons avec nos amis britanniques.
Sommes-nous prêts ? Oui. Le Gouvernement français a accompli un travail qui est tout à fait remarquable. Cela impose aux entreprises de se préparer. Cela suppose qu'elles se préparent, planifient et mettent en oeuvre les mesures leur permettant de se préparer à cette opportunité dans les meilleures conditions possible. Songez simplement que les transactions entre la France et le Royaume-Uni s'élèvent à 95 milliards d'euros. Je crois qu'à un moment ou à un autre une solution sera trouvée permettant à chacun de poursuivre nos échanges économiques. La Chambre de commerce et d'industrie franco-britannique souhaite que le Brexit qui s'est traduit par un vote démocratique en faveur du leave s'accompagne toutefois d'un remain sur le plan économique. Les solutions mises en oeuvre entre l'Union européenne et le Royaume-Uni doivent être pragmatiques. Je nous encourage à faire preuve de calme et de détermination. Nous ne savons pas ce qui se passera dans les détails après le 30 mars. Nous savons, en revanche, que le Brexit doit être l'occasion de repenser nos relations avec nos amis britanniques dans une perspective fondamentalement différente. Je pense que dans dix ou quinze ans, le Brexit sera un micro-événement. En conclusion, je vous avoue mon inquiétude concernant les petites entreprises qui n'ont pas les moyens de se préparer au Brexit, notamment en termes de délocalisation. Nous allons donc devoir les accompagner à cette échéance. La Chambre de commerce et d'industrie franco-britannique a constitué à cet effet un think tank , le Cross Channel Institute, qui a vocation à préparer le futur des relations avec le Royaume-Uni.
M. Didier MARIE
Je cède la parole à Arnaud de Bresson. 269 établissements bancaires et financiers ont quitté le Royaume-Uni. 41 se sont installés à Paris, dont l'Autorité bancaire européenne. Je suppose que cela vous enchante !
M. Arnaud de BRESSON, Délégué général de Paris Europlace
La place financière de Paris ne considère pas que le Brexit soit une bonne nouvelle pour la France, le Royaume-Uni, l'Europe et la compétitivité dans le monde. Un nouveau vote ne serait peut-être pas une mauvaise nouvelle dans les prochains mois. Cela dit, les Britanniques ont choisi. Nous nous orientons vers une sortie irrémédiable du Royaume-Uni de l'Union européenne. Pour répondre à votre question, Monsieur le Sénateur, je rappelle, qu'en 2016, au moment de l'annonce du referendum, nous sommes allés à la rencontre de nos amis britanniques pour leur dire que le moment venu, la place de Paris serait prête à les recevoir. Leur réponse fut cinglante : « Paris ? Never ! ». En l'espace de trois ans, Paris est pourtant en tête des annonces de relocalisation d'activité, notamment dans le domaine de la Banque de financement et d'investissement (BFI). Cela représente 4 800 emplois directs. À titre comparatif, Francfort vient derrière Paris (entre 3 500 et 4 000). Cela traduit les efforts considérables accomplis par la place de Paris depuis deux ans pour accroître son attractivité, notamment en termes de fiscalité. Ceci accroît la compétitivité de la place de Paris, même si beaucoup d'efforts doivent encore être menés. Nous assistons à un mouvement de transferts significatifs qui concerne à la fois les principales banques de financement et d'investissement et la gestion d'actifs. On assiste aussi au retour des jeunes sociétés d'actifs françaises qui étaient parties s'installer à Londres. Nous sommes persuadés que le mouvement va s'étendre à d'autres secteurs d'activité, notamment le secteur industriel ou celui des fintechs .
Reste à savoir quelle sera l'ampleur de ce mouvement et quelles seront les étapes à venir. Une petite partie du mouvement est accomplie. Les relocalisations ne concernent à ce stade que 20 000 à 30 000 emplois. Si le Brexit intervient effectivement, le mouvement ne va pas se limiter à quelques dizaines de milliers d'emplois. Les ETI britanniques devraient à ce moment-là probablement faire évoluer leur position. Une seconde vague - qui va être plus importante que la première - surviendra à ce moment-là. Un retour en arrière, pour cause de mouvements populaires, sur les mesures fiscales prises depuis 2017, serait à n'en pas douter une très mauvaise nouvelle. Je songe évidemment à la mesure relative à l'ISF. Un tel retour en arrière serait un mauvais signal envoyé aux investisseurs internationaux.
Je veux aussi vous dire que Paris Europlace possède une stratégie qui tient en trois mots : attractivité, accélération des chantiers industriels, financement des grands projets d'infrastructure. Ces trois mots constituent notre feuille de route pour continuer d'attirer à nous les entreprises britanniques. Il s'agit d'accroître le rayonnement et l'influence de la place de Paris, tant à l'échelon européen qu'à l'échelon international. Notre ambition est de prendre la place de Londres.
M. Didier MARIE
M. Lecourtier, vous êtes Directeur général de Business France. Vous avez été chargé par le passé d'une mission sur l'internationalisation de notre économie. Pouvez-vous nous indiquer quels sont aujourd'hui nos atouts en vue d'attirer ces entreprises ?
M. Christophe LECOURTIER, Directeur général de Business France
Comme vient de le dire Arnaud de Bresson, le vote des Britanniques intervenu il y a mille jours aujourd'hui n'est pas une bonne nouvelle. Pour la France, le marché britannique est un marché important, l'un de nos rares marchés excédentaires en Europe. Il offre des débouchés considérables pour nombre de nos PME. Il est donc essentiel que le travail de préparation initié par les pouvoirs publics et les entreprises débouche sur quelque chose de concret et d'efficace. Les modalités d'échanges entre le Royaume-Uni et la France vont nécessairement évoluer du fait du Brexit. Il convient que celui-ci soit un deal gagnant pour la France. Il est en train de l'être, d'abord parce que les Britanniques paient le prix de leur incertitude comme le redisait récemment Michel Barnier. Ils le paient dans le domaine des investissements financiers : le spectacle de la transhumance des établissements bancaires et financiers depuis la City, auquel nous assistons, est à ce titre édifiant. Ils le paient, par ailleurs, dans le domaine industriel. Nissan, Honda, Airbus, Panasonic ont ainsi annoncé leur intention de quitter la Grande-Bretagne. D'autres entreprises suivront. Une page de l'histoire économique du Royaume-Uni est en train de se tourner. 2018 est l'année durant laquelle les investissements étrangers en France ont été les meilleurs. Le précédent record de 2017 a été battu en 2018. La Grande-Bretagne est devenue le troisième investisseur en France en 2018 : nous avons assisté à une hausse des investissements britanniques en France l'année passée. Business France a réalisé des études récemment, en particulier à destination du Président de la République. Il en ressort que, pour 87 % des investisseurs étrangers, la France est un pays qui est jugé attractif. Il en ressort également que les gilets jaunes n'ont eu absolument aucun impact sur l'économie française. Paradoxalement, notre pays a plus gagné en attractivité après le mouvement des gilets jaunes qu'avant ! Je conclurai en évoquant le troisième temps du Brexit, troisième temps que personne n'évoque. Il sera à n'en pas douter gagnant-gagnant. Cela dépendra de nous tous. Il s'agira de bâtir un cadre multilatéral efficace, cohérent, pragmatique et incitatif dans lequel viendront s'inscrire des coopérations industrielles ambitieuses. Quels que soient les choix politiques du Royaume-Uni, il demeurera pour nous un partenaire de long terme avec lequel nous avons vocation à mettre en oeuvre une relation de long terme.
M. Didier MARIE
Franck Margain, vous êtes président de Paris Régions Entreprises. Vous utilisez très régulièrement l'expression « bataille de l'attractivité internationale » pour décrire le contexte économique actuel. Comment l'Île-de-France s'organise-t-elle pour attirer les entreprises ?
M. Franck MARGAIN, Conseiller régional d'Île-de-France, Président de Paris Région Entreprises
Dès que nous avons réalisé que le vote des Britanniques s'orientait vers le leave , Valérie Pécresse et moi-même, accompagnés de quelques entrepreneurs, nous sommes rendus au Royaume-Uni afin d'expliquer les atouts de l'Île-de-France. Nous sommes en situation de concurrence avec les grandes régions métropoles, Amsterdam, Berlin, Milan ou Bruxelles, pour ne citer que ces quelques exemples. Ces régions métropoles déploient d'importants moyens pour développer leur attractivité. À cette fin, Paris Région Entreprise a été recentré sur une mission d'attractivité, à la demande de Valérie Pécresse. Nous avons en Île-de-France des atouts très notables et des entrepreneurs réellement mobilisés pour faire de la région capitale un territoire d'attractivité. Notre région est polycentrique et nous pourrions gagner encore davantage de projets si nous étions encore mieux organisés. On parle beaucoup du Brexit en évoquant les flux en provenance du Royaume-Uni vers le Continent. Nous connaissons ces flux. Une approche géopolitique de ces flux me semble intéressante. Londres détenait il y a encore deux à trois ans une hégémonie comme terrain d'atterrissage en Europe des investissements financiers en provenance du monde entier : les Britanniques étaient parvenus à ce que Londres devienne le hub d'accès pour investir en Europe. Nous assistons à un mouvement inverse. Londres a perdu sa prééminence en termes d'attractivité. Les entreprises mondiales font le constat que la place de Londres n'a plus vocation à être une option préférentielle. Elles réfléchissent donc à une autre option préférentielle.
Avec Valérie Pécresse, le travail que nous entreprenons consiste donc à ce que la région Île-de-France devienne le territoire d'élection des investissements en Europe et soit le « mot magique » dans tous les boards des grandes entreprises mondiales. Le Brexit est donc pour nous une opportunité internationale. C'est la raison pour laquelle les supports de communication de Paris Région Entreprise ne sont pas seulement rédigés en anglais, mais aussi en chinois ou en coréen, à titre d'exemple. La région Île-de-France se prépare donc dans les meilleures conditions au défi absolument colossal que constitue le Brexit par une présence renforcée au MIPIM, le salon international de l'immobilier. Pour la première fois, la Région Île-de-France dispose d'un stand unique à ce salon. En nombre d'entreprises qui se délocalisent, Paris ne détient pas de position hégémonique. Certes les sièges sociaux n'y sont pas installés. Ils le sont plutôt à Francfort, par exemple. En revanche, c'est dans la plupart des cas à Paris que les équipes opérationnelles sont installées. Je terminerai en évoquant le « guichet unique », que nous avons constitué et qui est dénommé « Choose Paris Region », que nous avons constitué. Nous sommes associés à Business France, à la Ville de Paris et à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, notamment, pour recevoir les dossiers de demandes d'implantation. Ce guichet unique rencontre un grand succès et constitue un élément de différenciation par rapport à toutes les autres régions métropoles.
M. Thierry DRILHON
Dans la perspective du Brexit, il importe que les relations franco-britanniques soient gagnantes, tant du côté français, du côté britannique que du côté européen. Par ailleurs, il importe que nous préservions, nous Français, des relations extrêmement étroites avec nos partenaires britanniques, quelles que soient les évolutions de ces prochains mois.
M. Christophe LECOURTIER
Je souhaiterais évoquer un aspect du Brexit que nous n'avons que brièvement évoqué. Nous avons décrit les intérêts des entreprises qui commencent à se délocaliser en France ou ailleurs. Mais nous n'avons pas évoqué les hommes et les femmes qui les constituent et les talents qui les caractérisent. Le Brexit doit être l'occasion de leur montrer ce que nous sommes en mesure de leur offrir, pas seulement en termes de carrière, mais aussi en termes de mode de vie ou de manière d'être. C'est ainsi que nous capterons les talents qui nous aideront à remettre la France à la place qu'elle n'aurait jamais dû quitter.
M. Franck MARGAIN
Nous avons lancé, à l'initiative de Valérie Pécresse, une grande politique en faveur de l'intelligence artificielle. Nous considérons, en effet, que nous devons aussi en ce domaine être identifiés comme une région attractive. Nous devons être là aussi the place to be . Ce domaine de l'intelligence artificielle est très intéressant parce qu'il impactera la plupart des métiers de demain. Nous sommes dans une dynamique forte. Mais reconnaissons que tout cela est d'une très grande fragilité. En effet, nous sommes talonnés par les grandes régions métropoles. Nous ne disposons pas d'un leadership incontestable. Il appartient en conséquence à chacun d'entre nous d'être vigilant et de croire que la France est un pays aussi intéressant. Nous devons d'autant plus l'être que ces autres régions métropoles font un effort d'attractivité tout aussi important.
M. Didier MARIE
Je retiens de nos échanges que notre pays dispose de nombreux atouts et que si nous savons les valoriser et les porter, nous les ferons partager. Nos atouts ne sont pas moindres que ceux des autres. Soyons-en donc fiers.