PREMIÈRE TABLE RONDE
LE TISSU ENTREPRENEURIAL : LES ENJEUX
D'UNE GOUVERNANCE FÉMINISÉE
PROPOS INTRODUCTIF
Thani
MOHAMED SOILIHI
Vice-président du Sénat et sénateur
de Mayotte
Monsieur le Président du Sénat, votre présence ici témoigne du fort attachement que vous avez à l'égard des outre-mer. Pour nous, vos collègues, la démonstration n'est plus à faire, mais je tenais à le souligner devant cette assistance. Merci pour votre présence.
Madame et Messieurs les ministres,
Madame la présidente de la Délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon,
Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel,
Mesdames et Messieurs les parlementaires et élus,
Mesdames, vous qui venez révéler les talents de nos territoires,
Chers amis,
Il me revient aujourd'hui d'introduire la première de nos trois tables rondes et j'en suis sincèrement honoré.
Comme l'a évoqué le président Magras dans son propos liminaire, les femmes sont au centre de l'organisation sociale de Mayotte et leur rôle a été déterminant pour son ancrage dans la République française. Sur le mode de l'audace, de l'astuce pour contourner les interdictions et les dérives de la violence, les « Chatouilleuses » ont été de redoutables combattantes qui ont su, dans un registre pour le moins original, endiguer la spoliation foncière et politique et préserver le destin de leur île. Je présume que vous connaissez toutes et tous cet extraordinaire épisode de l'histoire de Mayotte, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, qui a illustré l'ingéniosité des femmes mahoraises parvenues, par de simples chatouilles, à rejeter à la mer les gouvernants comoriens indésirables et à retenir sur l'île les notables mahorais !
Mais l'inventivité, le pragmatisme, l'audace, la passion et le courage ne sont pas l'apanage des seules femmes mahoraises - même si nous venons de voir que ces qualités culminent chez elles, et en toute objectivité bien sûr ! Ce sont des qualités bien partagées par les femmes de nos outre-mer, et ma collègue Annick Billon, présidente de la Délégation aux droits des femmes qui a déjà une belle expérience de nos territoires, l'a parfaitement souligné dans son propos d'ouverture.
À l'occasion des nombreux colloques organisés par notre Délégation sénatoriale aux outre-mer, nous avons maintes fois eu l'occasion de mettre en avant ces talents féminins, et singulièrement ceux qui s'épanouissent dans la sphère économique, au gré des conférences organisées pour les trois bassins océaniques de 2015 à 2017 ou lors de nos colloques sur le tourisme notamment. J'ai souvenir de fortes personnalités et de profils impressionnants. Je n'en citerai que trois, une par océan, avec :
- Carol Ostoréro, alors présidente de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane ;
- Josiane Kaémo, gérante d'une société de tourisme de croisière à Lifou et qui nous a, ici même, initiés au rituel de la coutume kanake ;
- ou encore Danièle Le Normand, fondatrice du musée La saga du rhum à La Réunion, musée adossé à la maison Isautier, qui nous a malheureusement quittés prématurément et dont je salue ici la mémoire.
Mais la journée d'aujourd'hui concentre les talents féminins du monde de l'entreprise et nous sommes très heureux que vous ayez répondu si nombreuses à notre sollicitation.
Notre première table ronde va montrer que, non contentes de s'illustrer par leurs performances dans de très nombreux secteurs, y compris là où on ne les attend pas nécessairement, les femmes dirigeantes d'entreprises des outre-mer prennent des responsabilités politiques dans les organes de représentation du tissu entrepreneurial.
Leur pragmatisme et leur forte implication dans le domaine associatif leur ont fait prendre conscience de l'importance de développer l'économie sociale et solidaire, dont le maillage territorial est un vecteur crucial de cohésion et qui constitue en quelque sorte une pouponnière d'entreprises de nos territoires. Djémilah Hassani et Pascaline Ponama, toutes deux fortement impliquées à Mayotte et à La Réunion, feront un focus à ce sujet sur la base de leur expérience personnelle.
Puis, les têtes pensantes et stratèges, dirigeantes de nos chambres consulaires et de nos CPME, issues des deux autres océans, nous expliqueront, là aussi à partir de leur vécu, quelle place les femmes cheffes d'entreprises occupent dans leurs territoires respectifs, comment elles réussissent et quels parcours d'obstacles elles doivent emprunter. Je dois d'ailleurs souligner que le panel réuni sur la première table ronde n'épuise pas les ressources féminines de la représentation patronale et consulaire ultramarine : la CPME Nouvelle-Calédonie est en effet également présidée par une femme, Chérifa Linossier, qui préside aussi la Représentation patronale du Pacifique sud englobant la Polynésie française ; de même le Medef Mayotte avec Carla Baltus. Je n'oublie pas Nadine Hafidou, que j'ai vue dans la salle, première présidente des CCI d'outre-mer mahoraises.
Nos outre-mer sont donc riches de leurs femmes dirigeantes d'entreprises, engagées au premier plan des instances économiques représentatives, pour le plus grand bénéfice de la gouvernance entrepreneuriale de nos territoires. C'est à elles que revient maintenant la parole sous la douce férule de Francette Florimond, éditrice de presse et économiste distinguée, qui dirige depuis désormais vingt ans InterEntreprises , magazine économique qui couvre l'actualité des trois territoires de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane.
Avant de lui passer la parole, permettez-moi de rendre hommage à une femme qui a porté hauts nos outre-mer, même si elle n'en est pas originaire. Je veux parler d'Agnès Moulin, responsable du secrétariat de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, qui va malheureusement quitter notre délégation pour d'autres horizons, car elle a été promue par le président et le Bureau du Sénat, et c'est tout à fait mérité.
[Applaudissements]
Madame Florimond, nous vous remercions d'avoir accepté d'orchestrer notre après-midi. Je vous passe la parole.
Francette FLORIMOND
Directrice des
Éditions
InterEntreprises
, modératrice
Bonjour à tous. Je suis effectivement la créatrice du magazine que vous avez reçu, InterEntreprises , que j'ai lancé il y a vingt ans. Mes trois territoires d'activité sont la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. J'ai le plaisir d'avoir témoigné pendant la conférence économique des bassins, en tant que Présidente des Conseillers du commerce extérieur, à cette place même. Je me sens donc un peu chez moi !
La première table ronde concerne les enjeux de la gouvernance féminisée. Nous ferons l'économie du protocole, car chaque intervenante ne dispose que de cinq minutes et parce que ce qu'elles ont à dire est plus important que remercier encore une fois les uns et les autres. Je vais donc formuler ce commentaire pour chacune d'elles : merci encore de nous recevoir, car nous avons, nous les femmes, non seulement beaucoup à dire mais aussi beaucoup à montrer, ainsi que des routes à tracer. Comme vous allez le voir, ces routes sont fort belles.
La première table ronde va se scinder en deux parties. La première portera sur la gouvernance des chambres consulaires, puis la seconde aura trait à l'économie sociale et solidaire. Là aussi, des exemples de créativité forts intéressants émanant des outre-mer seront évoqués.
[Applaudissements]
Je propose de laisser tout de suite la parole à Jennifer Seagoe, qui va évoquer l'entrepreneuriat en Nouvelle-Calédonie.
Jennifer
SEAGOE
Présidente de la Chambre de commerce et d'industrie de
Nouvelle-Calédonie
« L'entrepreneuriat féminin
en Nouvelle-Calédonie »
Je remercie infiniment le Sénat pour l'organisation d'un colloque sur cette thématique. Cela n'aurait pas été imaginable il y a trente ans.
[Un document en projeté]
Le président Larcher a indiqué que nous étions pauvres en statistiques. Je suis d'accord. C'est pour cette raison que j'ai décidé de vous montrer les photos des treize femmes élues des trois Chambres consulaires de Nouvelle-Calédonie.
Ces photos ont été placées sur les grilles de la mairie de Nouméa, le 8 mars, pour célébrer la Journée de la femme. Elles sont restées sur place pendant quinze jours. Ces femmes représentent les principaux secteurs d'activité de Nouvelle-Calédonie.
Je tiens à commencer par un constat qui est valable en Nouvelle-Calédonie mais aussi ailleurs. Les femmes sont moins présentes que les hommes dans la gouvernance des entreprises, alors que les rares statistiques que nous détenons montrent qu'elles font preuve, en Nouvelle-Calédonie, d'une meilleure réussite scolaire et qu'elles sont davantage diplômées que les hommes.
Un changement de mentalité s'est pourtant opéré dans la société calédonienne, qui reste réputée assez machiste, en tant que terre de pionniers. Ce changement permet aujourd'hui aux femmes de davantage s'épanouir dans leur vie professionnelle et d'accéder plus facilement à des postes à responsabilité. Ce changement s'opère aussi dans la communauté mélanésienne, où des initiatives publiques aident les femmes à s'émanciper, ce que chacune d'elles appelle de ses voeux.
En 2015, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, à travers son secteur de la condition féminine, a par exemple initié le programme Cent Femmes Leaders , qui vise à renforcer la capacité des femmes au leadership.
Le programme Cadres Avenir constitue un autre indice du progrès. Ce programme de formation de cadres supérieurs est destiné au rééquilibrage économique et social de la Nouvelle-Calédonie.
La féminisation est en cours. Alors que le taux de femmes présentes dans ce programme n'était que de 20 % en 1989, il est passé à 51 % en 2015.
Les jeunes femmes expriment en outre de plus en plus de confiance en elles et s'engagent de façon volontaire dans la création d'entreprises. Ainsi, en 2017, le parcours CréaJeunes de l'association de microcrédit ADIE-NC comptait 100 % de jeunes femmes. Enfin, à la fin de l'année 2018, la toute première entreprise créée au sein du Parcours Entreprendre de l'école de gestion et de commerce de la CCI était portée par une jeune femme de 22 ans.
Quand elles occupent des postes de responsabilité en entreprise, les femmes sont en général plus à l'écoute, à la recherche de médiation et de consensus. Ce n'est pas un jugement subjectif mais un constat, qui est le fruit de ma longue expérience professionnelle.
En tant que première femme élue à la tête de la CCI de Nouvelle-Calédonie, en décembre 2014, je pratique moi-même ce mode de gouvernance, qui a conduit au rapprochement des trois chambres, qui étaient très séparées dans le passé. Nous avons lancé des initiatives communes et fédératrices, grâce à de nombreuses femmes qui, ensemble, veulent faire avancer les choses.
Les femmes qui ont su s'imposer à la tête d'entreprises, dans des secteurs traditionnellement masculins comme le BTP ou le traitement des déchets, sont respectées pour le travail accompli, leur rigueur ou leur engagement.
Avant d'être acceptée, une femme doit faire ses preuves, pas seulement en Nouvelle-Calédonie. Toute femme est alors amenée à redoubler d'efforts. Elles ont, de plus, la nécessité de créer un réseau d'échange et d'information. C'est un point très important. Toute femme qui se lance dans une activité professionnelle se rend compte très rapidement que les hommes sont organisés en réseaux et en clubs, dans lesquels les femmes ont du mal à entrer. Il leur faut non seulement participer à des groupes mixtes, mais aussi créer leurs propres réseaux, pour échanger des informations. En effet, il est difficile de faire son chemin dans l'entrepreneuriat de façon isolée.
En mars 2017, la première Semaine de l'entrepreneuriat au féminin a été organisée à Nouméa par le vice-rectorat, à travers le Comité 3E (Éducation, Égalité et École), à l'attention des lycéens et des étudiants. Il visait à montrer la diversité et la richesse de l'entrepreneuriat au féminin, estomper les stéréotypes, changer les représentations et encourager l'initiative et l'esprit d'entreprise. À l'issue de cette semaine de témoignages et d'échanges avec des femmes cheffes d'entreprises, Hélène Iekawé, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en charge de l'enseignement, a lancé aux jeunes réunis, en majorité des filles : « Osez dépasser le récif calédonien. Prenez des risques, les filles ! Prenez la place des hommes à la tête des entreprises ». Les jeunes filles qui étaient présentes étaient ravies et ont été très motivées pour appliquer cette recommandation.
Peut-être nous trouvons-nous à un moment charnière, où il ne suffit plus que la gouvernance du monde économique reflète l'évolution de la place des femmes dans la société. Peut-être faut-il que le monde économique prenne les devants et se montre exemplaire pour faire évoluer plus vite la société. En Nouvelle-Calédonie, à la CCI en particulier, nous parlons de l'esprit pionnier que j'ai évoqué précédemment. Pour rendre compte du goût du risque et de l'esprit d'initiative très spécifique qui ont modelé cette terre d'entrepreneurs, appliquer cet esprit pionnier à la féminisation de nos entreprises serait un beau challenge. Ce mouvement est déjà en marche en Nouvelle-Calédonie, comme le montrent les photographies qui sont diffusées.
A la CCI, nous comptons 70 % d'employés féminins. Nous comptons en outre plus de femmes que d'hommes dans l'encadrement. Ce n'était pas une volonté spécifique ou une recherche de parité, malgré les obligations en la matière. Ce n'est que le reflet de sélection des compétences et des capacités d'adaptation des femmes aux postes disponibles.
Aujourd'hui, les Calédoniennes sont de plus en plus présentes dans le tissu entrepreneurial, grâce à leurs convictions fortes. Elles continueront sur cette voie.
Une petite anecdote pour conclure : nous savons qu'il demeure une différence de salaire entre les hommes et les femmes à travers le monde, comprise entre 17 % et 23 %. À Melbourne, en Australie, un café pratique des tarifs majorés de 18 % pour les hommes !
[Applaudissements]
Lauriane
VERGÉ
Présidente de la Chambre de commerce, d'Industrie et
des Métiers de
l'Artisanat
(Wallis-et-Futuna)
« Le rôle des
femmes dans la société et l'économie de
Wallis-et-Futuna »
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,
Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je tenais tout d'abord à vous présenter mes plus respectueuses salutations et à vous exprimer la gratitude et l'honneur que vous faites à notre territoire, le plus éloigné de Paris, de permettre aux hommes et aujourd'hui plus particulièrement aux femmes wallisiennes et futuniennes d'être présentes dans cette grande institution.
[Un powerpoint est projeté pendant cette intervention]
Le territoire de Wallis-et-Futuna est formé de deux îles distantes de 230 kilomètres et comprend une zone économique exclusive de 266 100 kilomètres carrés. Cette collectivité française d'outre-mer est éloignée de 16 000 kilomètres de Paris et située au coeur du Pacifique, entre Fidji, Samoa et Tonga. Trois langues sont parlées : le français sur les deux îles, le wallisien et le futunien. Sa population, de 12 067 habitants en 2018 fait ressortir une forte diminution depuis ces dix dernières années. À titre d'exemple, la communauté wallisienne et futunienne en Nouvelle-Calédonie est plus nombreuse que celle qui vit sur les deux îles natales. L'organisation de cette collectivité est particulière, puisqu'elle comporte aujourd'hui, au sein de la République, les trois rois et leurs chefferies. Un administrateur supérieur, accompagné d'une assemblée territoriale, régissent l'activité politique et institutionnelle du territoire. Un conseil territorial regroupant les trois rois forme le troisième pilier institutionnel de ces deux îles. La religion catholique étant très forte dans nos îles, la femme wallisienne et futunienne est une femme catholique polynésienne.
Par son histoire, Wallis-et-Futuna n'a jamais été colonisé et a choisi en 1959, par un vote républicain, son rattachement à la France. Le statut de 1961, toujours en vigueur sur nos îles, est le cadre juridique du fonctionnement du territoire entre ces deux entités républicaines et ses monarques.
En termes économiques, il s'agit d'une économie traditionnelle et faiblement monétarisée, avec 2 065 emplois locaux et environ 400 fonctionnaires d'État. Deux tiers des emplois à Wallis-et-Futuna sont des emplois publics. À ce jour, nous comptons seulement 629 patentés, dont deux tiers sont à Wallis et seulement un tiers sont des femmes.
Les principales activités sont l'agriculture, l'élevage et la pêche, qui restent principalement vivriers. Le régime foncier de Wallis-et-Futuna est coutumier et est basé sur l'indivision de la terre. Dans ce contexte, l'Assemblée territoriale a adopté une stratégie de développement durable, qui priorise cinq secteurs économiques clés : le tourisme, le secteur primaire, l'économie numérique, l'économie bleue et l'innovation.
Sur la place de la femme à Wallis-et-Futuna, il faut préciser les éléments suivants : l'existence d'une Délégation aux droits des femmes, d'une Commission interne à l'Assemblée territoriale de la condition féminine et de l'artisanat, et d'un Conseil territorial des femmes. L'artisanat est un vecteur social traditionnel et identitaire de la femme wallisienne et futunienne, qui lui permet de s'émanciper socialement et économiquement.
Le programme « 40 cadres » a formé 31 femmes sur 66 candidats depuis 2003. Néanmoins, les femmes titulaires de Bac + 4 ont des postes moins valorisés que les hommes, à diplôme équivalent. Trois femmes sont à la tête d'un des vingt-quatre services de l'administration. Six femmes sont élues sur les vingt conseillers du territoire. Aucune femme n'a jamais été députée, sénatrice ou conseillère économique et sociale.
La chefferie et la coutume donnent une place institutionnelle plus importante aux hommes qu'aux femmes. Aujourd'hui, à travers la CCMA, la Chambre consulaire que je représente, notre objectif est d'intégrer les femmes les plus jeunes dans les formations spécifiques, afin de promouvoir la femme entrepreneure dans nos deux îles. Je vous remercie pour votre attention.
[Applaudissements]
Yvette TEMAURI
Présidente de la Chambre de l'agriculture et de la pêche
lagonaire
(Polynésie française)
« Les
femmes polynésiennes, source de modernisation du secteur
primaire »
Bonjour à toutes et à tous. Je vous salue, au nom du Président de la Polynésie française, son gouvernement et toute la population.
J'aimerais vous parler de notre Polynésie et de ses femmes, modèles de réussite qui ont réussi à percer dans le monde du secteur primaire. La Polynésie française est une collectivité d'outre-mer de la République, composée de cinq archipels regroupant 118 îles, dont 76 sont habitées : l'archipel de la Société, avec les îles du Vent et les îles Sous-le-Vent, l'archipel des Tuamotu, l'archipel des Gambier, l'archipel des îles Australes et les Marquises. Elle est située dans le Sud de l'océan Pacifique, à environ 6 000 kilomètres à l'Est de l'Australie et 21 000 kilomètres de Paris. Elle inclut aussi les vastes espaces maritimes adjacents.
D'après les chiffres de l'Institut statistique de la Polynésie française de 2008 sur la démographie locale, la population totale est de 268 207 personnes et les femmes sont au nombre de 130 111, soit 48 % de la population totale. Les salariés en Polynésie française sont au nombre de 65 121, dont 29 363 femmes, soit 45 % des salariés. Les femmes composent quasiment la moitié de la population et occupent la même place concernant le secteur économique. Depuis 1995, le secteur primaire est passé de 1 000 à 1 828 personnes en 2018, soit une progression de 82 % du nombre de personnes dans ce secteur. En 2018, nous comptions 40 % de femmes dans ce secteur pourtant souvent réputé masculin.
Plusieurs femmes sont représentatives de réussites.
Nathalie Convert a créé sa société, la Compagnie agricole polynésienne. Cette société fait le relais entre agriculteurs, professionnels et consommateurs. Elle concentre son énergie au rachat et à la vente de fruits, légumes et tubercules en vrac, mais elle contribue aussi à la fin du gaspillage alimentaire en transformant les aliments qui ne répondent pas aux normes de calibrage des grandes surfaces. Ces « indésirables » serviront à la Compagnie, pour confectionner des produits d'une qualité nutritive exceptionnelle : fruits séchés, en paillettes ou en concentré, farine sans gluten, à base d'uru, de mape ou de patate douce, tubercules précuits et transformés en frites rissolées ( hash brown ), des produits sans ajout d'aucune sorte et d'une diversité incroyable, pour se réapproprier le goût des aliments et se nourrir sainement.
Juliet Lamy, la fromagère de Tahiti, qui interviendra tout à l'heure, est une chef d'entreprise qui, malgré toutes les difficultés auxquelles elle fait face, continue son développement avec succès.
Keya Tina, qui est présente aujourd'hui dans la salle, représente l'agriculture biologique. Elle est également Présidente de l'association Bio Fetia, qui certifie les cultures biologiques de Polynésie française.
J'en aurais pour toute une journée à citer toutes ces femmes dynamiques qui ont modernisé notre secteur primaire, mais il y a aussi des freins au développement des femmes du secteur primaire.
Si aujourd'hui ces femmes ont réussi, ce n'est pas sans efforts. Nous pouvons reprendre l'expression de « plafond de verre », car malgré toutes les avancées politiques et économiques, la gentrification est toujours d'actualité. L'émancipation de la femme se fait tardivement. Elle se doit avant tout de se consacrer à sa famille, avant de pouvoir prendre ses propres décisions. L'environnement est souvent la plus grande source de démotivation : remise en cause de son statut lors de la création d'un projet, un travail considéré comme masculin, la famille selon le nombre de personnes composant le foyer qui influe sur le temps disponible à la réalisation de son projet, ou un conjoint un peu trop possessif. Il faut aussi considérer les problèmes liés aux îles, cet éloignement qui amplifie les difficultés, notamment les exploitations dans les îles, où les femmes se doivent de rester en centre-ville, pour l'éducation des enfants, et ne peuvent travailler dans les champs. Le manque de qualification ou de formation est un frein important. Une assistance financière sur de gros projets est un réel besoin et, parfois, cette assistance ne peut être attribuée. Le manque de terres accessibles pour son exploitation peut lui aussi être un frein, tout comme le manque d'accompagnement technique.
Heureusement, il y a aussi des moteurs. La Polynésie française encourage le développement de chaque projet, aux plans financier, domanial et technique : assistance à la création de projets, formation sur le secteur primaire, mise à disposition d'aides financières, mise à disposition de foncier, suivi des services du pays.
Il y a une véritable politique de motivation et d'accompagnement, tout au long de l'année. La Chambre joue également son rôle, ainsi que la Direction de l'Agriculture et le ministère de l'Économie verte, qui sont des acteurs actifs de leur développement.
En conclusion, malgré des difficultés présentes, les femmes en Polynésie sont valorisées dans le secteur primaire. Elles ont une place importante et reconnue, de la population et du pays. La politique et le secteur primaire ont un lien fort. En Polynésie française, le pays a compris depuis bien longtemps l'intérêt de ce secteur et y investit chaque année des moyens considérables. Je vous remercie.
[Applaudissements]
Angèle DORMOY
Présidente de la Chambre consulaire
interprofessionnelle
(Saint-Martin)
« Les femmes
dans la vie entrepreneuriale de Saint-Martin :
un enjeu pour la
reconstruction »
Henriette, Messeva ou Miss Éva, Miss Édith, Tatie Berthe, ce sont les femmes de mon territoire qui, à travers moi, vous disent bonjour. C'est en leur nom et avec fierté que je me présente à vous, ici, au Palais du Luxembourg, pour parler de l'entrepreneuriat au féminin, sur mon île en convalescence.
Je ne vous ferai pas l'injure de vous présenter Saint-Martin, puisque le cyclone Irma et les nombreux reportages qui en ont découlé ont fait beaucoup parler de nous, bien souvent négativement. Pour la petite histoire, le nom arawak de Saint-Martin est Walichi , ce qui veut dire Terre des Femmes . C'est un nom prédestiné ! Nous toutes, chez nous, avons baigné dans un environnement féminin et matriarcal très fortement ancré dans notre histoire et dans nos gènes. Pendant des siècles, les femmes ont été considérées comme des travailleuses à Saint-Martin. Elles attachaient la canne, picking salt and picking rocks . À Saint-Martin, nous sommes bilingues. Vous entendrez donc quelques mots en anglais dans mon exposé.
Aujourd'hui, l'île compte 7 726 entreprises immatriculées, avec près de 40 % créés ou gérées par des femmes, un peu plus que la moyenne nationale. Pour nous, c'est normal. Nous avons constaté un accroissement de l'entrepreneuriat au féminin après le passage du cyclone Irma. Curieux, me direz-vous, lorsqu'on sait que plus de 8 000 personnes ont quitté le territoire. Mais ce cyclone, dévastateur pour notre île, a tout de même fait surgir un sentiment de survie et de protection maternelle de notre industrie et de notre économie, ce qui est très féminin. Ma mère me répète souvent un proverbe créole qui dit : « fanm sé chatengn », ce qui signifie : « la femme est une châtaigne », car elle tombe mais elle se relève toujours. Saint-Martin, c'est une châtaigne ! La résilience dont ont fait preuve les femmes après le cyclone en confirme l'exactitude.
Beaucoup ont cru Saint-Martin à terre, complètement détruite, mais ma présence parmi vous aujourd'hui est la preuve vivante de notre résilience. Certaines ont erré pendant quelque temps. Certaines ont choisi de partir, mais beaucoup sont restées pour reconstruire notre territoire, brique par brique. Lorsque vous vous promenez à Marigot, notre chef-lieu encore en reconstruction, pratiquement tous les magasins sont tenus par des femmes. Jenny, Martine, Coco, Françoise, des prénoms encore, mais des prénoms très connus chez nous. Saint-Martin smiles again .
Si les femmes demeurent encore très sous-représentées dans les entreprises du BTP, elles ont pris toute leur place dans le monde de l'entreprise à Saint-Martin, et pas seulement dans les métiers traditionnellement associés à leur sexe. Pour leur apporter leur soutien, la CCISM que je préside oeuvre pour la formation, le renforcement des capacités et des chaînes de valeur et leur apporte un appui soutenu, dans tous les secteurs.
Cette démarche est adossée à une émission de radio hebdomadaire informant sur l'environnement de l'entrepreneuriat au féminin. Ce programme a déjà permis à bon nombre de femmes d'être accompagnées, formées ou sensibilisées à l'entrepreneuriat. Mais le travail ne s'arrête pas là. Il consiste aussi à la mise en réseau des forces économiques pour plus de synergies, à travers tout l'espace ultramarin, plus d'occasions de partenariat et de maillage, plus d'échanges de bonnes pratiques. Actuellement à Saint-Martin et comme dans tout l'espace ultramarin, les femmes entrepreneuses font la démonstration d'une extraordinaire créativité, de leur inventivité, de leur dynamisme et de leur persévérance. Oui, ce sont nos femmes, souvent avec l'appui des jeunes qui, ensemble, sont les vecteurs du changement et qui sont en marche.
L'entrepreneuriat au féminin n'est pas seulement économique chez nous. Il est également sociétal. Il est social et il est solidaire. Être entrepreneur, c'est saisir des opportunités, agir plutôt que regarder. Ainsi, beaucoup de femmes, y compris moi-même, se sont relevé les manches. Nous avons investi les décombres. Nous avons participé au déblaiement, au ravitaillement, à la distribution des denrées, au nettoyage des habitations des personnes fragiles et nous participons à la reconstruction de notre territoire.
Je voudrais nous dire merci. Thanks to all of us . Et même si à Saint-Martin les femmes ont pris toute leur place dans le domaine économique, comme elles l'ont fait dans la société, cela reste un combat, un combat avec nous-mêmes, nos préjugés et nos propres blocages familiaux et ancestraux, la peur d'être perçue comme une femme « djok », comme on dirait en Martinique, une femme autoritaire, une femme trop indépendante, qui émascule son compagnon, la peur de vivre seule. La réussite sociale et sociétale tient encore, dans nos mentalités, à un mariage ou une vie à deux, au risque de choquer mon sénateur. Pour dépasser ces préjugés, mon message serait le suivant : vous êtes très bien équipées pour devenir des cheffes d'entreprise. Vous êtes plus sensibles aux besoins des autres, plus concrètes, davantage conscientes de nos réalités, du sens des détails, plus exigeantes aussi. Notre île y gagne, n'hésitez pas : soyons audacieuses !
Le management au féminin est un atout dans nos temps de crise. Nous l'avons vécu au lendemain du passage de la gigantesque Irma - qui porte un nom féminin. Le management, c'est le meilleur remède auquel je crois pour l'avenir. Nous ne réussirons à transformer les mentalités que de deux façons : l'éducation et la responsabilisation. Inspirer les gens à penser de façon critique, regarder derrière l'étiquette et s'impliquer. Continuons ensemble le changement. Vive la République et vive Saint-Martin. We are still the friendly island .
[ Un film sur les femmes de Saint-Martin est projeté]
[Applaudissements]
Francette FLORIMOND , modératrice
Merci infiniment pour ces premiers témoignages. J'aurai moi-même des questions à poser à ces présidentes de chambres de commerce et de chambres des métiers. Pourquoi ces postes ne sont-ils pas visés par les hommes ? Vous me répondrez.
Djémilah HASSANI
Responsable de la stratégie régionale de
l'économie sociale et solidaire
de la Chambre régionale de
l'économie sociale et solidaire de Mayotte
(CRESS)
« Les femmes mahoraises, pionnières de
l'entrepreneuriat social et solidaire,
un enjeu économique pour
Mayotte »
Messieurs les Présidents et Ministres, Parlementaires et élus,
Monsieur le Vice-Président du Sénat et sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, fondateur de la Chambre régionale de l'Économie Sociale et Solidaire de Mayotte,
Mesdames les intervenantes,
C'est un réel plaisir et un honneur pour moi d'être entourée d'autant de femmes, pour raconter et écrire l'histoire économique et sociale des femmes, au Sénat, dans ce magnifique Palais du Luxembourg.
Je ne saurais assez vous remercier d'avoir convié la Chambre régionale de l'Économie Sociale et Solidaire de Mayotte (CRESS), dont je suis la représentante aujourd'hui. Je m'adresse aux femmes, aux Mahoraises et aux Mahorais, mais surtout au peuple français. Aujourd'hui, c'est une histoire que je souhaite vous raconter, car nous vivons une période importante et charnière dans l'avancée de notre histoire, dans l'histoire des femmes à Mayotte et dans l'histoire de l'humanité. À travers ce récit, j'espère démontrer pourquoi et comment les Mahoraises peuvent répondre aux enjeux d'une gouvernance féminisée.
Il est primordial de rappeler qu'à Mayotte, la filiation, l'héritage, passent par la mère. Cette matrilinéarité se traduit de façon concrète dans la vie sociale, politique et bientôt économique de Mayotte. Je pense notamment à nos aïeules, les « Chatouilleuses », qui se sont battues pour que Mayotte reste française, tout en préservant une tradition si riche et chère à notre coeur de Mahoraise et de Mahorais. Sans elles, je ne pourrais vous conter l'histoire du laboratoire d'économie sociale et solidaire (ESS) de l'océan Indien. Sans elles, je ne pourrais pas vous raconter comment les femmes gouvernent la vie dans les foyers et dans la cité mahoraise. Elles se sont battues pour que je puisse témoigner du terreau fertile que nous connaissons à Mayotte en matière de gouvernance et d'économie sociale et solidaire.
À Mayotte, l'économie sociale et solidaire trouve ses racines dans une vie économique qui s'est organisée de façon atypique par rapport aux modèles économiques dominants que nous avons connus. Mayotte et les Mahoraises ont toujours organisé une économie adaptée aux besoins humains et de la société, et ce en tout temps. Ne serait-ce pas la préfiguration de l'innovation sociale ? Les Mahoraises ont toujours favorisé la solidarité et l'entraide au sein de la société et dans son mode d'entreprendre. Les Mahoraises ont entrepris par la création de ce que nous connaissons aujourd'hui comme le financement collaboratif, que nous appelons chez nous le chicoa , basé sur un principe d'entraide bien précis, la musada . Ces termes barbares, que je rapporte aujourd'hui, sont la base de travail que nous avons à la CRESS. Ils répondent aux manières d'entreprendre que nous souhaitons raviver à Mayotte. Les Mahoraises ont toujours recherché le principe de gouvernance démocratique, en privilégiant un modèle associatif et participatif dans ces rassemblements. Elles ont toujours aspiré à l'utilité sociale, tout autant qu'au profit, grâce à des modèles pionniers de coopératives. Les Mahoraises ont toujours souhaité la gestion responsable, en développant des méthodes respectueuses de l'environnement et de la vie en société. Ces trois éléments sont le fondement d'entreprendre de l'économie sociale et solidaire, conformément à la loi du 31 juillet 2014 1 ( * ) . Est-ce que nous pouvons dire que les Mahoraises réunissent les compétences, les valeurs et l'héritage pour devenir un levier du développement économique mahorais ? Je nous invite à y réfléchir aujourd'hui.
À Mayotte, l'économie sociale et solidaire, ce sont 280 entreprises, soit 14 % des entreprises mahoraises, qui génèrent 27 % d'emplois. Plus de la moitié de ces emplois sont occupés par des femmes. Est-ce que nous pouvons dire que le dynamisme économique de Mayotte, porté par les femmes, sur un modèle d'économie sociale et solidaire, génère de l'emploi paritaire ? C'est encore un autre axe de réflexion que je nous invite à mener aujourd'hui.
Alors, comment écrivons-nous cette nouvelle histoire que nous souhaitons voir germer ? Comment participons-nous à la traduction de cette tradition séculaire ?
Tout d'abord, depuis 2016, depuis la création de la CRESS, nous avons mis en place un outillage technique concret, adapté aux besoins d'un territoire dépendant fortement de la commande publique et d'entreprises qui peinent à se structurer, surtout chez les femmes, lorsqu'on sait qu'elles subissent 42 % du chômage.
Le 17 décembre 2018, nous avons signé un Plan d'action régional, en partenariat avec la préfecture, le Conseil départemental et la Caisse des Dépôts en faveur de l'entrepreneuriat au féminin. Nous espérons appuyer cette démarche grâce à nos outils, qui sont en cours de création, tels que notre accélérateur des entreprises de l'économie sociale et solidaire et l'ouverture prochaine de pôles ESS qui permettront d'assurer un relais dans nos communautés de communes. Ces actions, menées depuis notre création il y a deux ans, témoignent de notre volonté forte à faire émerger le développement économique de l'île.
Celui-ci ne se fera pas sans les Mahoraises. Elles possèdent toutes les clés en main pour devenir un exemple en matière de gouvernance et d'économie sociale et solidaire. Ce déploiement ne se fera pas par magie, mais bel et bien par un retour à l'âme des Mahoraises, une empreinte forte que notre territoire accompagne et continuera à accompagner concrètement à l'avenir. Merci, Mesdames et Messieurs.
[Applaudissements]
Pascaline PONAMA
Présidente de la Fédération Méti-Tresse,
consultante en ingénierie de projets de l'économie sociale et
solidaire (ESS), militante associative
(La
Réunion)
« Entreprendre au féminin, un vrai
défi à La Réunion ? »
Mesdames, Messieurs, bonjour.
Je suis assez impressionnée par les différents discours que j'ai entendus. Je ne parlerai pas d'économie sociale et solidaire ; je n'ai pas non plus préparé de carte d'identité de l'île de La Réunion, que je représente aujourd'hui. Je laisse le soin aux sénatrices et sénateurs qui sont présents de le faire, si nécessaire.
Nous rencontrons les mêmes problématiques que les autres outre-mer. Notre société est peut-être un peu moins matriarcale que d'autres.
J'évoquerai la filière de la fibre végétale et ses enjeux d'évolution de développement. À La Réunion, l'artisanat est fortement représenté par les femmes. Par le passé, nous parlions d'une filière économique qui représentait deux millions d'euros de chiffre d'affaires par an. Développée sur l'ensemble du territoire, cette économie était plutôt familiale. Les hommes ramassaient les fibres, puis les femmes les tressaient. Cette filière a fortement décliné avec l'arrivée du plastique et l'évolution des modes de communication. Les jeunes se sont détournés de cette filière, le métier étant en outre particulièrement pénible. L'informel ou l'associatif sont aujourd'hui très forts, ce qui permet de compenser le manque de viabilité par des contrats aidés notamment. Néanmoins, dans le meilleur des cas, un vannier ou une vannière perçoit deux euros de l'heure, ce qui est insuffisant pour vivre.
La fédération Méti-Tresse a été créée il y a un peu moins de deux ans pour répondre à la problématique de la disparition de ces métiers. Nous avons décidé de repenser le modèle de cet artisanat, car il nous semble difficile de concevoir un développement de notre territoire sans culture ou tradition. La culture et le patrimoine constituent en effet le socle de notre histoire. Les perdre, c'est perdre une partie de notre âme.
Nous sommes une vingtaine d'acteurs, réunis aujourd'hui autour d'un nouveau défi. Ce défi doit passer par la professionnalisation de la filière, notamment par la formation. Il n'existe pas de formation diplômante et qualifiante à la vannerie. Il faudra s'assurer de l'apport de nouveaux métiers, du design et de l'ingénierie mécanique, mais aussi du développement de l'exportation, car notre situation économique nous empêche d'envisager un développement local uniquement. Il nous faut de surcroît développer un nouveau modèle économique viable, car un salaire de deux euros par heure n'est pas soutenable. La coopération régionale doit être privilégiée, avec les pays de la zone de l'océan Indien, sachant que tous ces pays pratiquent la vannerie.
De plus, et ce point est le plus important et c'est sur ce point que j'espère pouvoir le mieux témoigner, il nous faut concevoir un nouveau statut, pour que les femmes puissent concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Or le cadre réglementaire se heurte parfois à des traditions et des fonctionnements insulaires.
Nous avons envisagé de faire évoluer la fédération vers une Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). Nous serons certainement amenés à coopérer avec des couveuses et des coopératives d'activité et d'emploi, pour tester les différentes activités. Mais il nous faudra aussi bénéficier du droit à l'expérimentation pour un cadre plus approprié.
Nous n'avons pas encore trouvé la solution et nous comptons sur nos élus et nos dirigeants pour nous aider à y réfléchir.
Il nous semble prioritaire d'aider ces personnes, qui vivent de minima sociaux, à tenir leur ambition de développement d'une filière qui saura s'exporter. Tel est l'enjeu de notre fédération. Nous, les femmes de La Réunion, aurons besoin de vous.
[Applaudissements]
Francette FLORIMOND , modératrice
Merci pour ce témoignage très concret, qui vise à transformer une activité qui a existé depuis toujours en une activité viable, en particulier pour une population en marge.
Marie-France THIBUS
Présidente de la Confédération des Petites et
moyennes entreprises (CPME)
(Guadeloupe)
« Pourquoi
rendre grâce aux femmes chefs d'entreprises ? »
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,
Madame la Présidente de la Délégation au droit des femmes,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
C'est avec une immense joie et un grand honneur que je participe à ce colloque, organisé par la Délégation sénatoriale aux outre-mer et la Délégation au droit des femmes, et je suis d'autant plus heureuse que j'ai la satisfaction de constater que notre sphère économique en Guadeloupe a beaucoup changé. Il est fini le temps où les femmes avaient le sentiment de ne jamais pouvoir être à la hauteur ou du moins de devoir travailler trois fois plus pour réussir.
J'ai moi-même, en ma qualité de cheffe d'entreprise depuis presque quarante ans et aujourd'hui présidente d'une CPME que je dirige, j'espère, avec beaucoup d'acuité, eu affaire à la gent masculine, que j'ai dû dompter, par mes connaissances et mon savoir, pour lui faire admettre que ma place était méritée !
Le rôle et la place des femmes dans la vie économique et entrepreneuriale en Guadeloupe sont donc en constante expansion. Notre engagement constitue une réelle dynamique, qui concourt à développer la créativité et faire naître des vocations entrepreneuriales. C'est en cela qu'il faut rendre grâce aux femmes cheffes d'entreprises. C'est ainsi que nous observons en Guadeloupe une répartition très parlante des zones sélectionnées par les femmes pour créer leur entreprise.
[Un powerpoint est projeté]
La Guadeloupe ressemble par sa forme à un papillon, avec la Grande Terre et la Basse Terre. Ses zones sont matérialisées dans ma carte par des touches de couleur, qui permettent de vérifier la proportion des entreprises créées par des femmes en Guadeloupe.
Les zones les plus sectorisées dans le domaine économique sont les plus appréciées. Les secteurs les plus concentrés des Abymes, de Pointe-à-Pitre ou de Baie-Mahault sont les zones où les femmes sont les plus présentes, avec plus de 1 000 entreprises dirigées par des femmes. Je précise que ces statistiques m'ont été remises par la Chambre de Commerce et datent de 2016.
Dans ces zones, 1 097 entreprises dirigées par des femmes ont été enregistrées, contre 1 734 entreprises créées par des hommes. C'est la preuve de la volonté des femmes d'aller toujours plus loin.
Par ailleurs, la répartition des femmes par type d'activité montre que les femmes se concentrent sur le commerce et les services. Ces statistiques datent de 2016. 52 % des femmes créent des emplois dans le commerce, avec 7 088 femmes créatrices d'entreprises dans le secteur du commerce et des services. On dit que les femmes sont rares dans l'industrie. Une petite entreprise artisanale relève pourtant de l'industrie.
Il est important de mettre ensuite l'accent sur l'accélération de l'entrepreneuriat féminin à compter des années 2000. Nous sommes passés de 581 créations d'entreprises dirigées par des femmes en 2000 à 3 900 en 2018. Les micro-entreprises sont majoritaires. Or ces entreprises ne sont que rarement aidées, ce qui génère de l'inconfort et des difficultés de développement.
Plusieurs forces ont été identifiées. Une femme antillaise connaît bien ses atouts, d'abord sa sensibilité féminine. Une femme cheffe d'entreprise saura se montrer diplomate. Elle saura en outre faire preuve d'un réel sens de la créativité. Elle sait également fédérer la famille autour de ses activités, qu'il s'agisse du mari ou des enfants.
Parmi les faiblesses, on relève les délais administratifs et financiers, la conciliation de la vie familiale et du statut de femme entrepreneure, et la complexité des rapports hommes-femmes.
Enfin, parmi les besoins, il convient de noter la formation, l'existence de financements adaptés et une meilleure reconnaissance du statut et de la place des femmes dans la société économique.
Je vous remercie.
[Applaudissements]
Céline
ROSE
Présidente de la Confédération des Petites et
moyennes entreprises (CPME)
(Martinique)
« Tendance
entrepreneuriale et place des femmes
dans les organisations syndicales
patronales en Martinique »
Je suis une jeune présidente de l'Union régionale de la CPME pour la Martinique. Je ne me suis pas positionnée à la présidence de cette organisation en tant que femme, mais j'ai été beaucoup questionnée sur ce que cela représentait dans le paysage des organisations patronales.
Je commencerai mon exposé en évoquant le tissu entrepreneurial de la Martinique. 37 % des entreprises sont créées par des femmes.
52 % des entreprises se consacrent aux services (aux particuliers ou aux entreprises). Les secteurs du commerce, du transport, de l'hébergement et de la restauration regroupent 41 % des entreprises.
40 % se consacrent à l'industrie, 16 % à la construction et entre 16 % et 18 % à l'agriculture, sachant qu'il ne se trouve que trois ou quatre femmes pour 800 marins-pêcheurs. Dans ce secteur, elles ont été très actives sur le plan syndical, mais elles restent très peu nombreuses, essentiellement concentrées sur la pêche côtière et, de plus, elles partiront bientôt à la retraite.
Il convient par ailleurs de noter que deux des trois organisations patronales représentatives (le Medef, l'U2P et la CPME) sont présidées par des femmes (la CPME et l'U2P).
Quelques associations de chefs d'entreprise très actives sont présidées par une femme, comme l'Association martiniquaise pour la promotion de l'industrie (AMPI), Contact-Entreprises, qui fait la promotion des entreprises sur le territoire, le Cluster GAT Caraïbes ou l'Association des agriculteurs de Mana, qui est très dynamique dans le Nord de la Martinique. Nous comptons de plus un certain nombre d'associations de femmes cheffes d'entreprise, ce qui montre que nous savons nous montrer à l'écoute de nos pairs quand nous entreprenons. Ainsi, le Club Soroptimist décerne un trophée à l'entrepreneuriat au féminin. L'association Femmes Chefs d'Entreprises (FCE) a pour mission d'associer la représentativité des femmes cheffes d'entreprise dans les mandats patronaux. D'ailleurs, une ancienne présidente des FCE est par exemple présente au Conseil d'administration de la CPME et siège avec nous.
Une association particulière, Bizness Mam , mérite de surcroît d'être citée. Elle fédère les mamans cheffes d'entreprise. Enfin, nous avons dernièrement bénéficié d'un beau panel de Fanm Doubout , une association qui accompagne les créatrices d'entreprises sur le territoire. Comme vous le voyez, le dynamisme est très fort chez nous.
De son côté, la CPME Martinique que je préside compte douze membres à son conseil d'administration, dont sept femmes. Sans l'avoir cherché spécifiquement, nous avons agréablement constaté la parité au sein du conseil. Trois vice-présidents sur quatre sont des femmes, ainsi que la trésorière. En tout cas, la dynamique entrepreneuriale des femmes est importante au sein de notre organisation. Il est à noter qu'un tiers de nos entreprises adhérentes sont dirigées par des femmes.
Un bémol mérite toutefois d'être mentionné. Dans le cadre de l'activité de la CPME, il nous est demandé de compter autant d'hommes que de femmes pour nommer des mandataires. Il peut être difficile de trouver des candidates pour siéger. Les mêmes femmes sont souvent sollicitées et peuvent être surchargées, car il y a toujours moins de femmes entrepreneures que d'hommes.
De façon générale, les femmes qui entreprennent ne font pas qu'entreprendre. Elles s'inscrivent aussi dans le tissu associatif ou représentatif. Il nous faut continuer d'être dynamiques et croire en nous.
Par ailleurs, je souhaite préciser que présider une organisation telle que la CPME n'implique pas nécessairement d'être une personne d'un certain âge. Je suis une jeune femme et j'ai deux filles de 14 et 7 ans. Je me suis investie car je suis une militante et je ne pense pas que pour s'impliquer activement il faille attendre un certain âge et que les enfants soient déjà partis faire leurs études, ou qu'ils soient plus grands et indépendants.
En outre, la question de ma présence en tant que femme ne s'est posée que parce que l'on a commencé à m'interroger à ce sujet.
Pour conclure, dans nos démarches d'entrepreneures et militantes, il est surtout important de montrer que l'on a des choses à dire et que nous ne sommes pas là pour faire de la figuration. C'est ce que j'indique systématiquement quand j'interviens dans des écoles. Nous devons avoir conscience que nous sommes des modèles, avec toute l'humilité que cela implique, pour donner aux femmes l'envie de se lancer dans l'entrepreneuriat et, pourquoi pas, devenir ensuite militante dans une organisation.
[Applaudissements]
Joëlle
PRÉVOT-MADÈRE
Présidente de la
Confédération des Petites et moyennes entreprises
(CPME)
(Guyane)
« Être une femme et
réussir à se faire entendre »
Bonjour à tous.
Je commencerai par brosser la composition de certains secteurs économiques de la Guyane. Le pourcentage de femmes cheffes d'entreprises y est inférieur à celui de la Guadeloupe ou de la Martinique. Notre conseil d'administration ne compte que trois femmes sur douze membres. Pour autant, elles sont plus souvent présentes que les messieurs.
Dans le secteur minier, secteur dans lequel on ne s'attend pas à trouver des femmes, 20 % de nos 185 entreprises sont dirigées par des femmes.
Dans le secteur du transport maritime fluvial, vous trouvez 16 % de femmes cheffes d'entreprises.
Dans le secteur du transport routier de fret interurbain, comme le transport de bois de sciage, le transport de bétail ou le transport frigorifique, de containers ou de déchets, 11,4 % des 105 entreprises sont dirigées par des femmes.
Dans le secteur du transport routier de fret, 17 % des patrons sont des femmes.
Dans le domaine de l'exploitation forestière, leur part est de 9 %.
Dans le secteur agricole, elle est de 12 %.
Ces taux sont encore faibles, mais ce ne sont pas des secteurs où l'on s'attend à trouver des dirigeantes.
Je citerai ensuite mon expérience personnelle. Mon exposé s'intitule « Être une femme et réussir à se faire entendre ». Ce titre fait bien évidemment référence à la vie professionnelle, pas à la vie publique, où chacun s'organise à sa guise.
Je suis présidente de la CPME depuis 2006. En 2007, le préfet nous a annoncé que le prix du carburant allait croître de 30 %. Ce fut un choc pour tous, car il en a découlé une hausse tarifaire de 30 centimes par litre. Je précise que le carburant coûte plus cher en Guyane que partout ailleurs, que ce soit en Martinique, en Guadeloupe ou en métropole. J'ai alors mené des recherches sur cette formule de prix, annoncée comme une formule administrée.
Après six mois de recherches et d'échanges avec des spécialistes, je me suis tournée vers le monde économique (Chambre de commerce et d'industrie, Chambre d'agriculture, organisations professionnelles et interprofessionnelles, etc .). J'ai déclaré que la proposition était tout simplement inacceptable, car la formule retenue était illégale et comportait des irrégularités.
Tout le monde m'a découragée d'intervenir, y compris dans mon secteur économique. Au bout du compte, c'est une association de femmes (une association de consommateurs) qui m'a demandé de leur communiquer mes informations. Je leur ai présenté ces éléments un soir, à la Chambre de commerce, pour démontrer l'illégalité de la formule. Ces éléments montraient que l'État ne jouait pas son rôle de contrôle de la fixation de ce tarif administré.
Dans le même temps, les prix ont continué de croître, jusqu'en octobre 2008. Nous avons fait le tour des ministères, en délégation, pour leur démontrer que le prix n'était pas juste et que ce n'était pas supportable, économiquement et socialement parlant, pour le territoire. Nous n'avons été ni écoutées ni entendues.
L'association en question a alors décidé d'occuper tous les ronds-points de Guyane, pour faire signer une pétition. Plus de 10 000 signatures ont été recueillies. La pétition a été transmise au préfet, pour qu'il la fasse remonter au niveau national et pour que l'augmentation des prix cesse, afin de revenir à un prix plus supportable. Là aussi, nous n'avons pas été entendues.
Les blocages ont commencé en novembre 2008. C'est alors que la CPME nationale m'a appelée, car le gouvernement insistait pour que je fasse cesser les blocages. J'ai indiqué que je n'en étais pas responsable. J'ai juste fait remonter des éléments justifiant une telle manifestation de la population. Je ne souhaitais pas non plus faire cesser une démarche juste.
Le ministre de l'époque m'a alors appelée, pour me dire que je tuais mon pays. Le ton est monté, pour aboutir à une session de visioconférence avec le président directeur général de Total de l'époque, Christophe de Margerie, qui a confirmé que j'avais raison. Il ne comprenait d'ailleurs pas qu'on fasse venir du carburant en Guyane depuis les Antilles (auparavant, le carburant provenait de la zone des Caraïbes) par une raffinerie qui a des coûts de production très élevés.
La Guyane a finalement obtenu une baisse de 50 centimes des prix du carburant et le groupe missionné par Bercy pour contrôler les éléments mis en avant, a confirmé toutes les anomalies et irrégularités de la formule de prix.
Je n'ai pas de diplôme dans le domaine, seulement un BTS de biochimie. Je n'avais pas de compétences ou de connaissances, mais quand une femme décide de s'intéresser à un sujet, elle s'y intéresse vraiment. Elle n'attend pas de détenir un diplôme ou une compétence pour obtenir des résultats. Être une mère est déjà une mission éprouvante. Donc je le dis à chacune d'entre nous : n'ayez pas peur. Osez ! L'important n'est pas la formation ou les diplômes, ce qui est important, c'est de croire en soi, pour le bien-être de tous.
[Applaudissements]
Francette FLORIMOND , modératrice
Ces femmes vivent dans des zones en transformation. Aujourd'hui, les femmes sont partout. Peut-être sommes-nous les plus adaptées pour faire se transformer les pays. Merci encore, Mesdames.
[Les participantes à la deuxième table ronde prennent place à la tribune]
* 1 Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.