Ouverture du colloque
par Gérard Larcher, président du
Sénat
Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon,
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs,
Madame Brigitte Gonthier-Maurin, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes,
Madame la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre,
Mesdames et messieurs les officiers,
Mesdames et messieurs les professeurs,
Mesdames, messieurs,
Je voudrais, tout d'abord, vous exprimer le plaisir que j'ai d'être parmi vous ce matin et d'ouvrir ce colloque organisé par la délégation aux droits des femmes. La Première Guerre marquera pour moi cette journée, puisque je rejoindrai dans un moment le président slovaque avec qui j'évoquerai le souvenir du général Stafanik, fondateur de la Tchécoslovaquie, légionnaire engagé dans nos armées pendant la Grande Guerre, astronome, voyageur, et dont l'histoire se confond aussi avec les terribles événements de 1914-1918.
À l'occasion du Centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, la délégation aux droits des femmes a souhaité consacrer une journée de débats et d'échanges à la place et au rôle des femmes pendant la Grande Guerre. C'est l'occasion d'aborder ce thème à la lumière de l'historiographie récente, tout en l'ouvrant sur l'actualité. Vous invitez ainsi le passé et le présent à dialoguer de façon singulière et originale.
Je suis heureux que le Sénat prenne ainsi part aux différentes manifestations organisées sur l'ensemble des territoires dans le cadre de ce Centenaire. Le colloque a reçu le label de la Mission du Centenaire , ce qui distingue la qualité de cette manifestation et la fait connaître plus largement.
Le Sénat s'est associé à plusieurs occasions à la commémoration du Centenaire de la guerre de 1914-1918. Ainsi, à l'initiative de la direction de la Bibliothèque et des Archives, il a mis à la disposition du grand public et des chercheurs, sur son site Internet, tous les travaux du Sénat de la période de la guerre, à partir de la numérisation du compte rendu des débats en séance ainsi que des procès-verbaux des commissions et des comités secrets.
Nous nous trouvons ce matin dans la salle Clemenceau : n'oublions pas que le président de la commission de la Guerre à l'époque, jusqu'au moment où il fut appelé à présider le conseil des ministres, en 1917, s'appelait... Georges Clemenceau.
Une cérémonie d'hommage à Georges Clemenceau s'est du reste déroulée dans l'hémicycle le 14 novembre 2017. Nous avons également accueilli, durant quelques semaines, l'exposition « Nourrir au front », qui évoque le ravitaillement et l'alimentation des soldats de 14-18. Élu de Rambouillet, j'ai une pensée pour l'Intendance et le Commissariat aux armées, qui ont joué un rôle important dans de telles périodes.
Il est juste que le Sénat contribue à mettre en valeur le rôle des femmes à l'effort de guerre : c'est un aspect important de l'histoire de la Première Guerre. Elles ont accompli cet effort, intense et essentiel, dès 1914 lors des moissons, puis dans les usines à partir de 1915, ainsi que dans le quotidien des familles. Un monument en hommage aux femmes du monde rural, inauguré à Verdun en juin 2016, rend ainsi hommage au labeur des femmes pendant les deux guerres mondiales - ces guerres qu'on espère les dernières, même si la situation actuelle a de quoi inquiéter. Cette sculpture fait mémoire de leur contribution, si souvent oubliée, apportée à la Nation avec courage et sans jamais se plaindre, durant ces temps de guerre.
Les témoignages iconographiques de cette époque reflètent deux images du rôle des femmes pendant le premier conflit mondial : la figure féminine maternelle et rassurante de l'infirmière, de la mère ou de la fiancée ; et celle de la femme au travail ayant repris le flambeau des hommes dans les activités économiques. C'est cette réalité complexe qui caractérise la condition des femmes durant les années de guerre. Les femmes sont alors à la fois dans l'attente et dans l'action.
Elles attendent, elles espèrent des nouvelles de leur fils, de leur fiancé, de leur mari mobilisés sur le front. Elles en redoutent aussi la blessure ou la mort, cette terrible nouvelle qui était portée par les maires aux familles.
L'absence de la figure masculine se perpétue au-delà de la fin de la guerre. Trois millions de veuves, six millions d'orphelins : ces chiffres se passent de commentaire.
La guerre fait massivement appel aux femmes pour soigner les blessés. Ce sont ainsi plus de 100 000 infirmières - religieuses, salariées, bénévoles - qui s'engagent à l'arrière du front. Je songe à la figure emblématique de Marie Curie... Elles y côtoient les horreurs de la guerre, les corps mutilés, les âmes blessées. Elles font preuve d'une exceptionnelle abnégation. Par leur présence et leur engagement auprès des soldats meurtris par les combats, elles servent leur pays, apportant la lumière d'une humanité irremplaçable, comme les actrices et les chanteuses du théâtre de guerre, de Sarah Bernhardt à Nine Pinson 4 ( * ) , apportent aux soldats un peu de joie.
La guerre redéfinit les rôles de chacun au sein de la société. Aux hommes la guerre, aux femmes le rôle de chef de famille. Cette nouvelle répartition se traduit sur un plan législatif, avec la loi du 3 juin 1915 qui permet à la mère de disposer de l'autorité du père absent pour la durée du conflit.
Dans les campagnes, elles assurent la gestion des exploitations agricoles. Dans les villes, elles exercent des métiers auparavant exclusivement destinés aux hommes. Elles deviennent conductrices de tramways, aiguilleuses de chemin de fer, chauffeurs de taxi... Dans ma ville de Rambouillet, elles fabriquaient et remplissaient des caisses de munitions destinées au front.
Elles prennent aussi une part active dans les mouvements sociaux jusqu'à la fin du conflit.
Le président du Conseil, René Viviani, lance dès le 6 août 1914 un appel aux femmes françaises : « Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n'y a pas dans ces heures graves de labeur infime : tout est grand qui sert le pays ».
Vous avez également souhaité montrer que la résistance contre l'occupant n'est pas spécifique à la Seconde Guerre mondiale et qu'au cours du premier conflit mondial, les femmes contribuent de façon décisive à la résistance contre l'ennemi. Pourtant leur héroïsme est rarement mis en avant. C'est pourquoi vous avez choisi d'évoquer une page méconnue de notre histoire : la vie dans les territoires occupés pendant la Première Guerre.
Cette séquence soulignera l'héroïsme de femmes telles que Louise de Bettignies, héroïne de la résistance contre l'occupant dans le Nord, arrêtée en 1915 et condamnée à mort, puis à la détention à perpétuité dans la forteresse de Siegburg, où elle meurt quelques semaines avant le 11 novembre 1918. Le conservateur du musée de l'Ordre de la Libération présentera la vie d'Émilienne Moreau qui, héroïne de la Première Guerre et résistante contre l'occupant allemand, devient après la Seconde Guerre l'une des six femmes Compagnons de la Libération.
Le colloque n'aborde pas tous les aspects de la place et du rôle des femmes dans la Première Guerre. Vous avez délibérément choisi de sélectionner des thèmes faisant écho à de précédents travaux de la délégation aux droits des femmes : le travail des femmes, plus particulièrement dans l'agriculture, les viols de guerre, les femmes dans la résistance contre l'occupant allemand et le rôle des femmes dans les armées françaises.
Le président de la République Raymond Poincaré, dans un hommage aux héros de la guerre, place de la Concorde, après le 11 novembre 1918, proclama « honneur aux mères qui n'embrasseront plus leur fils, honneur aux femmes qui cherchent sur les champs de bataille la tombe de leur mari ». Il leur était pourtant demandé de laisser les emplois aux hommes revenus du front ! Et si des propositions de loi furent adoptées par la Chambre des députés pour accorder le droit de vote aux femmes, ces textes furent rejetés par le Sénat - il faut le dire, même si certains ont fait remarquer que les députés votaient cette disposition en sachant qu'elle serait bloquée dans l'autre assemblée... Il fallut attendre 1944 et le général de Gaulle pour que les femmes aient le droit de voter. La loi retira même leur pension de veuve aux femmes qui se remariaient : c'est un fait à méditer aujourd'hui...
Cette journée est aussi l'occasion d'aborder des thèmes d'actualité. Ainsi, vous avez souhaité terminer ce colloque par une table ronde associant quatre femmes militaires engagées dans les armées. M'étant rendu à N'Djamena il y a quelques mois, je profite de l'occasion pour saluer nos forces.
Cette séquence n'est pas sans lien avec le travail qu'a conduit la délégation en 2015 avec la publication d'un rapport sur la féminisation de nos forces armées.
Ces femmes militaires conviées aujourd'hui répondront aux exposés des historiens en faisant part de leur propre expérience dans des opérations extérieures. Il sera intéressant d'entendre la réaction d'une femme officier, médecin en chef du Service de santé des armées, à l'exposé d'une historienne sur les infirmières ou « anges blancs ».
Je tiens à remercier plus particulièrement la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, Rose-Marie Antoine, qui a rendu possible cette contribution. Je pense que cette réflexion sur les femmes et la guerre aujourd'hui sera un des temps forts de cette journée et montrera le lien fort entre le passé et le présent, entre les forces armées et la Nation.
Vous avez également souhaité mettre à l'honneur deux lieux consacrés à ce premier conflit mondial, le musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux ainsi que le musée Guerre et Paix en Ardennes, dont la responsable interviendra sur « La vie des femmes dans les territoires occupés : le cas des Ardennes ».
La délégation a également eu à coeur d'animer ce colloque de reproductions de dessins d'enfants de l'époque, appartenant au fonds du musée de Montmartre. Ils illustrent bien la perception des réalités de la guerre par des petits Parisiens d'un quartier populaire. De nombreux dessins témoignent de la vie des femmes et des familles pendant la guerre qui a bouleversé notre Nation, et l'Europe tout entière. De nouvelles nations virent le jour - la signature du traité de Versailles fut célébrée par un banquet de la paix ici même, dans la salle des conférences. Une nouvelle organisation en découla pour l'Europe comme pour le Moyen-Orient au travers des accords Sykes-Picot. La Tchécoslovaquie est née alors, son premier gouvernement siégeait tout près d'ici, rue Bonaparte, la nation était incarnée par 6 000 légionnaires tchèques et slovaques, aidés par les membres de la diaspora, dont 3 000 s'étaient engagés dans l'armée américaine.
Je vous souhaite une excellente journée consacrée à la mémoire, au passé, au présent et à l'avenir.
* 4 Chanteuse ; a interprété entre autres titre Le cri du Poilu (1916), de Vincent Scotto.