III. TABLE RONDE : « AUDIOVISUEL PUBLIC ET PRIVÉ : QUELLES MISSIONS ? QUELLES DIFFÉRENCES ? »
A. INTRODUCTION DE LA TABLE RONDE
Jean-Pierre LELEUX,
Sénateur, rapporteur pour avis
des crédits de l'audiovisuel
L'opinion des Français telle qu'elle ressort du sondage exclusif qu'a commandé notre commission de la culture à l'institut OpinionWay mérite d'être rappelée.
L'audiovisuel public serait très différent des médias privés ? Rien n'est moins sûr puisque si 87 % des plus de 65 ans situent France 2 dans le service public, les moins de 24 ans ne sont que 57 % à le faire, 30 points de moins !
Plus troublant encore, alors que 12 % des plus de 65 ans estiment que TF1 est toujours une chaîne publique cette proportion passe à 28 % chez les moins de 24 ans, ce qui constitue un résultat aussi inattendu que surprenant. Les plus jeunes ne voient-ils pas la différence entre les deux chaînes ou bien ont-ils cessé de les regarder l'une et l'autre ? Dans les deux cas, cela doit nous interpeller.
Nous avons interrogé les Français pour connaître leur sentiment sur la programmation des chaînes publiques et privées. Si une majorité d'entre eux reconnaissent une différence pour les documentaires ce sentiment s'estompe pour les séries, les divertissements et les films. Seuls 40 % considèrent que l'information est différente sur le service public alors que c'est une de ses missions essentielles.
Lorsque l'on pose cette question de la différence des programmes entre public et privé dans les cinq grands pays d'Europe, on observe qu'en Allemagne les films, les séries et les divertissements sont considérés comme différents sur les médias publics par 60 % des sondés contre moins de 45 % en France.
Faut-il considérer qu'il y a un lien entre une faible perception d'une différence entre contenus publics et privés et la satisfaction des citoyens vis-à-vis du service public ? Il y a tout lieu de le penser car si 56 % des Français sont satisfaits des programmes proposés par les médias publics, ce taux nous place seulement au 4ème rang en Europe derrière l'Espagne (60 % de satisfaits), l'Allemagne (61 % de satisfaits) et surtout la Grande-Bretagne où 86 % des Britanniques sont satisfaits des programmes de la BBC.
Nous avons eu, ce matin, le privilège de pouvoir échanger avec des responsables de grands médias publics européens et notamment le président de la BBC. Il est essentiel à mes yeux que nous tirions toutes les leçons du modèle que constitue le groupe britannique. Je l'avais déjà indiqué en 2015 lorsque, dans un rapport préparé avec mon collègue André Gattolin, nous avions prôné un regroupement des entreprises de l'audiovisuel public au travers d'un holding public et que nous avions préconisé d'engager la suppression de la publicité sur les antennes publiques.
La création d'une présidence commune doit permettre d'assurer l'indépendance du management vis-à-vis des interventions quotidiennes des tutelles politiques et administratives. La suppression de la publicité doit permettre de prémunir l'entreprise de la dépendance vis-à-vis de l'audience et des annonceurs pour donner la priorité à l'originalité et à la qualité.
Si un changement de culture du service public de l'audiovisuel est indispensable c'est aussi que 69 % des Français jugent que le montant de la redevance n'est pas justifié ce qui constitue une menace pour l'avenir de ces sociétés comme nous l'a montré le débat référendaire en Suisse. Il est temps de jeter les bases d'un nouveau modèle qui saura retrouver la confiance des Français.
Ce nouveau modèle doit à mon sens reposer sur trois fondements.
Un préalable tout d'abord. L'audiovisuel public doit cesser d'être associé à une culture de la dépense. Des efforts ont déjà été faits pour réduire, par exemple, le nombre des personnels mais il faut aller beaucoup plus loin et se donner pour objectif une baisse de la masse salariale d'au moins 10 % d'ici 2022. Un effort doit également être fait concernant les programmes afin de mieux maîtriser leurs coûts - cela vaut pour la production de programmes originaux comme pour les achats.
Cette baisse des dépenses de fonctionnement doit permettre de dégager des moyens en faveur du développement numérique qui reste embryonnaire comparé à celui des grandes plateformes. Les Français sont favorables à la création d'une plateforme sur laquelle ils pourraient retrouver gratuitement tous les programmes publics. Ils sont aussi favorables à la création d'un média numérique unique rassemblant France 3 et France Bleu au niveau local.
Cette transformation numérique des entreprises de médias publics français doit aussi s'accompagner d'une remise à plat de leur financement. Il est temps de mettre en chantier la réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) et, dans le même temps, de supprimer la publicité pour mieux distinguer médias publics et privés. Je rappelle que la publicité est la seule ressource des chaînes privées et que l'on ne saurait imaginer que les chaînes publiques se lancent dans la publicité adressée et le recueil de données personnelles qui constituent les fondements du modèle économique d'Internet.
Il est temps de redonner son sens, ses valeurs et ses moyens à l'audiovisuel public.
Jean-Pierre Leleux,
Vice-Président de la
commission de la culture, de l'éducation et de la communication