MARDI 30 MAI 2018
Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants
accompagnée
de Mmes Fawouza Moindjie, juriste au sein du pôle
« défense des droits
de l'enfant », Elise Fradet,
chargée de mission responsable des questions pénitentiaires, et
Mmes Sarah Cassius-Hedjan et Lucile Rouet, magistrates
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous recevons aujourd'hui Mme Geneviève Avenard, qui occupe, depuis 2014, le poste de défenseure des enfants. Vous travaillez, à ce titre, auprès du Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, que notre commission des lois a reçu récemment pour la présentation de son rapport annuel. J'ajoute que vous avez été élue l'an dernier à la tête du réseau européen des défenseurs des enfants.
Au cours de votre carrière, vous avez exercé des responsabilités dans des conseils généraux, d'abord en Eure-et-Loir puis en Côte d'Or, ce qui vous a permis d'avoir une connaissance très concrète des politiques menées en faveur de la protection de l'enfance. Vous avez aussi travaillé dans le secteur associatif, en dirigeant notamment l'Acodège, association basée dans le dijonnais qui gère 26 établissements et services sociaux et médico-sociaux. Vous avez également été membre du conseil scientifique de l'Observatoire national de l'enfance. Ce parcours diversifié fait de vous une des meilleurs spécialistes de l'enfance dans notre pays.
Nous avons souhaité vous entendre afin de bénéficier de vos réflexions et de vos analyses sur la question des mineurs enfermés. Nous entendrons bien sûr également Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui est concernée au premier chef par la question de l'enfermement, mais nous avons pensé que vous pourriez nous apporter une vision transversale de notre sujet en le replaçant dans le cadre plus général des politiques en faveur de l'enfance.
Vous êtes accompagnée de Mme Fawouza Moindjie, juriste au sein du pôle « défense des droits de l'enfant » et Mme Elise Fradet, chargée de mission responsable des questions pénitentiaires. Vous êtes également accompagnée de deux magistrates, Mmes Sarah Cassius-Hedjan et Lucile Rouet, qui effectuent actuellement un stage auprès du Défenseur des droits. Elles exercent ou ont exercé des fonctions de juge des enfants et pourront donc partager avec nous leurs réflexions et leurs expériences. Pour terminer, je salue la présence de Mmes Tania Berthou et Juanita Muller, qui sont deux fonctionnaires de l'Assemblée de Polynésie en stage au Sénat. Elles vont assister à notre audition afin de mieux comprendre comment fonctionne une mission commune d'information.
Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants . - La loi organique du 29 mars 2011 confie au Défenseur des droits, assisté du Défenseur des enfants, un de ses adjoints, la mission de veiller au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et de ses droits, conformément à la loi, à différents textes européens, et surtout à la Convention internationale des droits de l'enfant. Le Défenseur des enfants a reçu 3000 réclamations en 2017, chiffre modeste en comparaison des 95 000 réclamations adressées au Défenseur des droits, mais en progression constante : les réclamations ont augmenté de 50 % entre 2010 et 2014, et augmentent régulièrement chaque année. Ainsi, en 2017, la hausse était de 8 %. Nous sommes saisis par des familles, des parents, des associations, des professionnels, mais aussi, parfois, par des mineurs. Un de nos objectifs est de faire en sorte que les mineurs nous connaissent mieux et puissent plus spontanément nous saisir. Le troisième protocole facultatif à la Convention des droits de l'enfant, ratifié par la France, autorise les mineurs ou leurs représentants à saisir directement le Comité des droits de l'enfant de l'ONU. Le premier motif de saisine - environ 40 % des saisines - concerne la protection de l'enfance, ce qui inclut les mineurs non accompagnés. Les mineurs incarcérés représentent 2 % des saisines, un pourcentage stable, même si le chiffre progresse en valeur absolue parallèlement à la hausse de l'activité du Défenseur des enfants. Ce faible taux ne rend pas compte, selon nous, de la réalité des atteintes aux droits des adolescents en conflit avec la loi car ces adolescents éprouvent souvent une défiance à l'égard des institutions : comme les jeunes en situation d'exclusion sociale, ils ne se sentent souvent pas concernés par ces procédures, se disant que ce n'est pas pour eux. C'est la tendance à «l'aquoibonisme » identifiée par Jacques Toubon. Ils croient que les atteintes à leurs droits font partie de la sanction. Ils n'ont pas conscience que la sanction ne doit consister qu'en une privation de liberté et que leurs autres droits fondamentaux leur restent acquis. C'est d'autant plus inacceptable que, dans la plupart des cas, ils sont détenus dans le cadre d'une détention provisoire et sont donc encore présumés innocents.
La grande majorité des saisines de jeunes incarcérés concerne les conditions de détention et des allégations de violences de la part de surveillants pénitentiaires. Le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont passé une convention en 2011 : lorsque nous sommes saisis d'une réclamation relative à des faits mettant en cause l'état, l'organisation ou le fonctionnement des lieux de privation de liberté, ou des atteintes aux droit fondamentaux dans ce cadre, nous saisissons Mme Hazan, avec laquelle nous travaillons de manière régulière. Nous avons ainsi préparé ensemble l'examen périodique de la France devant le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, qui a ensuite adressé ses recommandations à la France en janvier 2016. Dans notre rapport annuel de 2017 nous indiquions que nous avions attiré l'attention de Mme Hazan sur la situation des mineurs enfermés car nous avions été saisis à propos de la situation de surpopulation carcérale de l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Porcheville. Nous avons transmis le dossier à la contrôleure générale des prisons.
Outre les conditions d'incarcération, nous sommes aussi saisis des conditions de transfert des mineurs détenus et des modalités de détermination de l'âge des mineurs incarcérés, dans le cadre de l'incarcération ou du placement en quartier disciplinaire, possible à partir de l'âge de 16 ans. Nous menons une politique active de sensibilisation à l'égard des adolescents incarcérés car il s'agit toujours de mineurs, aux termes de la Convention de l'ONU. Conformément à l'article 37 de la loi organique qui fixe son statut, le Défenseur des droits a désigné environ 500 délégués qui reçoivent le public dans 836 points d'accueil sur l'ensemble du territoire. En janvier 2018, 146 délégués interviennent ainsi dans un ou plusieurs établissements pénitentiaires avec pour mission d'instruire les réclamations et de participer au règlement des difficultés signalées. Sur les 186 prisons existantes, 173 bénéficient de la présence d'un délégué. Il y a également un délégué dans chacun des six établissements pénitentiaires pour mineurs. Cela ne signifie pas pour autant que les jeunes incarcérés saisissent facilement ces délégués. C'est pourquoi, nous travaillons avec tous les acteurs, les services éducatifs, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou les avocats pour faire connaître notre action et notre rôle. Nous avons aussi été saisis de dysfonctionnements de centres éducatifs fermés. Notre rôle est donc d'information et de sensibilisation au droit des mineurs incarcérés. Cette mission est aussi assurée par les jeunes ambassadeurs aux droits des enfants, programme qui existe depuis douze ans : de jeunes volontaires du service civique oeuvrent, dans le cadre d'associations habilitées, à informer les enfants et les adolescents de leurs droits, surtout dans les établissements scolaires, mais aussi dans les centres éducatifs renforcés (CER), les centres éducatifs fermés (CEF) ou les établissements pénitentiaires. Je regrette que ces ambassadeurs ne soient pas déployés sur tout le territoire. Le centre éducatif fermé de Saverne accueille ainsi depuis longtemps ces jeunes ambassadeurs et l'expérience est probante. Ce travail de sensibilisation aide les jeunes à comprendre la notion de citoyenneté et à prendre conscience de leurs droits, ce qui facilite leur réinsertion ultérieure.
Quel regard portons-nous sur les conclusions et recommandations en matière de justice des mineurs qui ont été adressés à la France en 2016 par le comité des droits de l'enfant des Nations unies ? Nous avons mis en place un mécanisme de suivi de la mise en oeuvre par l'État de ces recommandations et observations. C'est la première fois qu'un tel mécanisme est mis en place par une autorité administrative indépendante. Ce mécanisme s'appuie sur une veille juridique, documentaire et opérationnelle et sur un suivi de l'évolution des réclamations qui nous sont adressées en lien étroit avec les associations de terrain. Par ailleurs, pour les préparer à devenir les adultes de demain, nous mettons en oeuvre un processus de consultation des enfants. À cette fin, nous ne constituons pas un collège d'enfants, mais nous voulons au contraire aller vers les enfants les plus vulnérables, en particulier les mineurs enfermés, mais aussi les enfants handicapés, les enfants dont l'état de santé est défaillant ou ceux qui relèvent de la protection de l'enfance, en travaillant auprès des foyers et des institutions de tous ordres.
S'agissant des préconisations du comité, nous estimons d'abord que l'éducatif doit primer le répressif, en veillant à ce que la détention soit en pratique une mesure de dernier ressort et que sa durée soit la plus brève possible. En ce moment se tient à l'UNESCO un congrès mondial sur la justice des mineurs et la question de leur enfermement a été abordée. Hier, la présidente du comité des droits de l'enfant de l'ONU a posé la question : enfants en danger, enfants dangereux ?
Nous insistons également sur la nécessité de ne pas traiter les mineurs de seize à dix-huit ans comme des adultes, alors que la tendance ces dernières années était de les traiter avec une plus grande sévérité en apportant des réponses pénales identiques à celles des adultes. Heureusement, la situation a évolué comme le montre par exemple la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.
Concernant les moyens et la formation des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, il faut souligner le turnover important. Si l'on veut favoriser l'insertion de ces jeunes, il faut pouvoir disposer d'équipes a minima formées et stables. J'ai dirigé dans le passé un centre éducatif renforcé de douze places et la gestion du turnover du personnel occupait l'essentiel de mon temps, de même les questions de formation, laquelle était insuffisante.
Outre-mer, le manque de structures adaptées de type CER ou CEF conduit parfois à l'incarcération des mineurs faute d'autres solutions.
Autre problématique : l'incarcération des jeunes filles en conflit avec la loi. Une situation illustre les difficultés soulevées par le comité des droits de l'enfant de Genève : une jeune fille de quatorze ans est actuellement incarcérée au sein du quartier des mineurs d'un établissement ultramarin. Elle serait isolée pour des raisons de sécurité et n'aurait accès ni à l'instruction ni à aucune autre activité pour la simple raison qu'elle est la seule fille présente dans cet établissement. Nous avons interpellé l'administration pénitentiaire sur ce choix de l'incarcérer dans le quartier des mineurs et non dans le quartier des femmes, en lui demandant si son intérêt supérieur avait bien été pris en compte.
Les conclusions et recommandations formulées par le comité des droits de l'enfant des Nations unies n'ont pas toutes été mises en oeuvre à ce jour. Il n'est qu'à voir la hausse significative du nombre de mineurs incarcérés entre juillet 2016 et août 2017, ce qui avait conduit le ministère de la justice à recueillir les recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Le recours à l'enfermement peut-il être parfois une mesure nécessaire pour favoriser la réinsertion des mineurs délinquants ? Je réponds clairement par la négative. L'enfermement a pour but de garantir la sécurité générale.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Je partage votre avis et je reformule la question qui serait plutôt : est-il acceptable, à un moment donné, d'enfermer des enfants pour protéger la société ? De surcroît, la durée moyenne d'enfermement étant de trois à quatre mois, l'objectif de réinsertion n'est pas réaliste dans un délai aussi court.
Mme Geneviève Avenard. - Comme le prévoit la Convention internationale des droits de l'enfant, l'emprisonnement d'un enfant ne doit intervenir qu'en dernier ressort et doit être le plus bref possible. D'autant plus que les droits des mineurs incarcérés ne sont pas toujours respectés du fait notamment de la surpopulation carcérale.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Actuellement, je crois que l'on n'observe pas de surpopulation dans les établissements pour mineurs, pas plus que dans les CEF ou dans les CER.
Mme Geneviève Avenard. - Une telle surpopulation a été observée l'été dernier dans les établissements pénitentiaires.
Mme Fawouza Moindjie, juriste au pôle « défense des droits de l'enfant ». - La saisine dont il était question tout à l'heure concerne l'EPM de Porcheville. Sa directrice nous a expliqué qu'elle a été obligée de mettre un matelas au sol pour accueillir deux mineurs dans une cellule, alors même que les mineurs doivent normalement faire l'objet d'un encellulement individuel.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - On nous a expliqué qu'en cas de danger imminent, le juge peut décider l'enfermement d'un mineur, car la réponse doit être immédiate. Cela peut conduire à des situations de surpopulation pendant un ou deux jours, le temps de trouver une meilleure solution. Et un directeur d'établissement pénitentiaire ne peut pas refuser d'accueillir un jeune.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Le directeur est lui-même responsable en cas de problème s'il n'a pas respecté cette règle d'encellulement individuel.
Mme Geneviève Avenard. - Qu'en est-il de l'accompagnement socio-éducatif des mineurs enfermés dans les structures pénitentiaires comme dans les centres éducatifs fermés ou renforcés ? Ce temps qu'ils y passent représente autant de risques de rupture dans leur parcours. La continuité de l'accompagnement et de la prise en charge sont la condition de leur efficacité. Dans ce rôle de fil rouge que la protection judiciaire de la jeunesse devrait avoir tant pendant la privation de liberté du jeune qu'à sa sortie, il existe des marges de progrès importantes.
En 2016, nous avons consacré une partie de notre rapport à la question des droits fondamentaux des enfants, comme l'éducation et l'instruction. Nous nous sommes intéressés à la question des enfants enfermés. Nous avons noté des obstacles au bon déroulement de la scolarité des jeunes en conflit avec la loi, avec en particulier, en dépit de la volonté affichée par le ministère de la justice et le ministère de l'éducation nationale, une difficulté des équipes à mettre en oeuvre les orientations ainsi tracées. Cette difficulté s'explique par plusieurs facteurs : le manque de professionnels, notamment d'éducateurs spécialisés, ce qui conduit l'administration à embaucher des professionnels peu formés en contrat à durée déterminée ; le turnover important des agents.
Ce manque de moyens, de temps et de disponibilité empêche d'élaborer un projet sur la durée. Plus précisément l'évaluation qu'avaient faite les services du ministère de la justice et du ministère des affaires sociales et de la santé en 2015 avait confirmé que le nombre d'heures de scolarisation prévue pour les jeunes des CEF était rarement atteint dans la réalité, malgré la présence généralement effective d'un enseignant de l'éducation nationale. Autre difficulté, pour l'enseignant : être intégré dans cette équipe et construire véritablement un projet. Or sans projet pensé et porté par une équipe, il ne peut pas y avoir d'accompagnement socio-éducatif efficace.
Nous constatons aussi que dans les projets individuels du jeune, son droit à l'éducation n'est pas nécessairement prioritaire, d'autres considérations prenant le pas.
La mission diligentée par le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la justice a dressé le constat d'un isolement des enseignants qui se trouvent en CEF vis-à-vis des enseignants locaux et vis-à-vis de leur corps d'appartenance. Cela induit une discontinuité pour les jeunes eux-mêmes qui sont souvent placés dans des structures éloignées de leur domicile et éventuellement du lieu où ils étaient en formation professionnelle ou scolarisés. C'est toute la question de l'articulation entre le temps limité d'enfermement et le temps plus global du projet de vie de ces jeunes, de leur insertion.
C'était l'objet d'une de nos recommandations en 2016 : que des enseignants soient affectés à chaque CEF afin que chaque mineur bénéficie du nombre d'heures prévu. Nous avons encouragé les travaux visant à améliorer leur statut dans les équipes éducatives. Nous avons également insisté sur le fait que tout mineur enfermé doit être inscrit dans un établissement de rattachement, qui doit veiller à la continuité de son parcours scolaire. Nous n'ignorons pas les problèmes de décrochage, mais toute rupture dans le parcours scolaire est difficile à rattraper.
Le temps du placement doit constituer une opportunité de remobilisation pour le mineur. À cet égard, la continuité entre le travail des équipes du milieu d'enfermement et celles du milieu ouvert est essentielle dans la préparation de la sortie, qui est un moment périlleux. C'est pourquoi nous recommandions de rendre obligatoire le prononcé d'une mesure éducative provisoire, pour maintenir les liens avec l'extérieur. Nous demandions aussi de donner aux services de milieu ouvert les moyens d'accomplir leurs missions.
Les enfants enfermés sont d'abord des enfants, dont les droits fondamentaux doivent être respectés. La clef est l'articulation entre l'amont et l'aval. Le temps d'enfermement doit être utile. Le droit à l'éducation, comme celui à la santé, sont prioritaires. Les jeunes peuvent être sensibilisés à leur place de citoyen, ce qui favorisera une plus grande confiance, meilleure protection contre la défiance qu'ils inspirent aux adultes, surtout avec les récents problèmes de radicalisation. Ainsi, la direction territoriale de la PJJ de l'Est met en place un parcours citoyen, auquel nous apporterons notre pierre. Cette initiative doit être généralisée.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Nous avons déjà réalisé plusieurs auditions, dont il ressort qu'entre angélisme et excès de sévérité, il y a un juste milieu à trouver ; nous devons aboutir à des préconisations concrètes. Le point de départ est l'ordonnance de 1945 : est-elle vraiment dénaturée ? Faut-il revenir à son esprit initial ? La primauté de l'éducatif sur l'enfermement fait consensus. Faut-il écrire un code spécifique pour les enfants ?
Vous avez insisté sur l'articulation entre milieu ouvert et enfermement. Dans la réforme en cours, la part de la justice des mineurs n'occupe pas une grande place, sinon par la création de vingt CEF, dont les coûts de fonctionnement sont élevés. Ne vaudrait-il pas mieux irriguer davantage le milieu ouvert ?
Les éducateurs de la PJJ et les agents de la pénitentiaire n'ont pas la même culture, et les premiers considèrent parfois les seconds comme de simples « matons » pour parler familièrement. Pour mieux articuler leurs interventions, ne serait-il pas opportun d'organiser des formations conjointes ? Il est vrai que leurs statuts administratifs diffèrent.
Mme Geneviève Avenard . - Lorsque Mme Taubira avait envisagé de revoir l'ordonnance de 1945, nous avons indiqué que les modifications successives avaient nui à la cohérence de ce texte.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Sur quels points, exactement ?
Mme Geneviève Avenard . - Je vous adresserai une note.
Mme Camille Rouet, juge des enfants . - La multiplication des réformes a rendu ce texte illisible, notamment sur la révocation du contrôle judiciaire ou la détention provisoire, car il renvoie implicitement à des textes relatifs aux majeurs. Du coup, pour éviter la détention arbitraire, nous nous référons à des tables de correspondance réalisées par l'école nationale de la magistrature (ENM).
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Une circulaire ministérielle ne peut-elle suffire ?
M. Michel Amiel, rapporteur . - Pourriez-vous nous adresser une note sur l'ordonnance de 1945 et sa dénaturation ?
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Sur son manque de clarté, plutôt.
Mme Camille Rouet . - La législation antiterroriste ne prévoit rien pour les mineurs en matière d'expulsion du territoire. Or il n'est pas possible d'expulser un mineur.
Mme Geneviève Avenard . - Le résultat de ce manque de lisibilité est que, parfois, des enfants sont moins bien traités que des majeurs.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Si chaque magistrat a un pouvoir d'interprétation, le risque est d'aboutir à des solutions divergentes. Y a-t-il d'autres exemples ?
Mme Camille Rouet . - La loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite Loppsi II, a alourdi les peines pour les cambriolages : en réunion, ils sont passibles de sept à dix ans d'emprisonnement mais le cas particulier des mineurs n'a pas été envisagé. Du coup, le greffe pénitentiaire et le juge des enfants ne disent plus la même chose sur le délai de détention. Incroyable !
Mme Geneviève Avenard . - Je vous invite à consulter les avis que nous avions émis, qui contiennent des exemples précis sur les difficultés rencontrées.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Sur un autre sujet, la partie relative aux mineurs du projet de loi « asile et immigration » actuellement en discussion vous paraît-elle convenable ?
Mme Geneviève Avenard . - Nous avons fait observer que l'enfermement des mineurs en centre de rétention administrative (CRA) n'est pas acceptable.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Quelle est alors l'alternative ?
Mme Geneviève Avenard . - Nous pensons que l'assignation à domicile est la solution la plus appropriée, même si ce domicile est parfois précaire, comme c'est le cas pour les personnes qui vivent à l'hôtel par exemple.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Et pour les mineurs non accompagnés (MNA) ?
Mme Geneviève Avenard . - Leur situation est différente car ils relèvent de la protection de l'enfance. Ils sont pris en charge par les services sociaux des départements qui les mettent à l'abri et évaluent leur situation.
M. Michel Amiel, rapporteur . - J'ai eu à connaître de ces questions dans les Bouches-du-Rhône : l'État et le département se renvoyaient la balle ! Il n'est pas toujours facile de déterminer le lieu de résidence d'un immigré.
Mme Fawouza Moindjie . - On ne peut pas expulser un mineur non accompagné du territoire français. Si une personne détenue est un enfant, nous intervenons auprès du préfet. Les MNA n'ont pas leur place au sein d'un CRA. En ce qui concerne les mineurs qui sont dans leur famille, ils sont parfois en France depuis six mois ou un an et ont un lieu de résidence - souvent, ils sont aussi scolarisés.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Aucune association ne vous alerte sur les enfants qui vivent dans la rue ?
Mme Geneviève Avenard . - Nous réagissons aux réclamations que nous recevons et je reconnais que nous n'avons pas été saisis de ce type de situation.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Vous avez évoqué vos échanges d'informations avec la Contrôleure des lieux de privation de liberté. Lorsqu'elle va dans les CRA et constate qu'il y a des mineurs, ne vous saisit-elle pas ?
Mme Geneviève Avenard . - Nos niveaux d'intervention sont différents. Le cas échéant, la Contrôleure des lieux de privation de liberté nous interpelle, et nous faisons de même si besoin. Quand un enfant nous est signalé en CRA, nous saisissons le préfet, qui suit généralement nos recommandations en assignant la famille à résidence.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Quelle est la mission de la Contrôleure des lieux de privation de liberté ? Signaler les dysfonctionnements. La présence d'enfants dans un CRA en est un, qui doit être systématiquement dénoncé. Dès lors, pourquoi n'êtes-vous pas saisie de tous les cas ?
Mme Geneviève Avenard . - Nous ne pouvons pas être à la fois destinataire et à l'origine des réclamations. En un an, il y a eu autant d'enfants en CRA qu'au cours des trois années précédentes.
Mme Catherine Di Folco . - Nous avons visité des CRA avec M. François-Noël Buffet, dans le cadre de ses travaux sur le projet de loi « asile et immigration ». En réalité, peu de familles y sont accueillies.
Mme Michelle Meunier . - Les rares cas sont liés à des reconduites à la frontières tôt le matin : la famille est regroupée pour la nuit.
Mme Geneviève Avenard . - Il y a dix-huit mois, un petit est cependant resté 32 jours en CRA. Et je ne parle pas de Mayotte, où affluent les familles en kwassa-kwassa ...
M. Michel Amiel, rapporteur . - Faut-il à votre avis créer vingt CEF supplémentaires ?
Mme Geneviève Avenard . - Oui, à condition d'améliorer les moyens de la prise en charge. Sinon, ce sera inutile. Avec un personnel formé et pluridisciplinaire et une bonne articulation avec le milieu ouvert, c'est une bonne alternative à l'incarcération.
Mme Elise Fradet, chargée de mission responsable des questions pénitentiaires . - Quand les éducateurs sont revenus en détention, un vrai travail de formation commune a été fait par la PJJ et par l'école nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP). Mais à présent, avec les mutations, le personnel a changé et les bénéfices de cette formation se sont un peu perdus.
Mme Chantal Deseyne . - Je suis atterrée par la pauvreté de la présence de l'éducation nationale dans les centres éducatifs fermés. On propose aux jeunes sept heures d'enseignement par semaine ! Pour favoriser leur réinsertion, il faut leur donner accès à la connaissance. Quelle est l'alternative à l'enfermement des mineurs ? Celle-ci répond à une demande de la société, mais pas à leurs besoins. Le manque de détection précoce par les services éducatifs et sociaux est aussi préoccupant.
Mme Geneviève Avenard . - Le référentiel voudrait que ces jeunes bénéficient de quinze heures de formation par semaine. Encore faut-il attirer les enseignants. Pour cela, il faut un vrai projet. L'alternative à l'incarcération est l'accompagnement en milieu ouvert. Pour cela, il faut donner des moyens à la PJJ.
Quelques mots de l'articulation avec les politiques de la protection de l'enfance. Les jeunes qui ont connu des difficultés familiales, des violences, des échecs scolaires répétés, ont un sentiment d'injustice, d'exclusion, de relégation. Le travail ne saurait peser sur la seule PJJ ! Chacun, en ces matières complexes, doit assurer les missions que la loi lui a confiées.
L'un des principaux défis est de restaurer la confiance. L'ONU a commandé un rapport sur la confiance des 15-27 ans dans les institutions et sur le rôle des jeunes dans la résilience et la pérennisation de la paix. Le rapport montre combien l'attitude des adultes influence les enfants.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Merci de tout le temps que vous avez consacré à approfondir avec nous le sujet qui nous préoccupe.