MARDI 15 MAI 2018
Mme Madeleine Mathieu,
directrice de la protection
judiciaire de la jeunesse (PJJ),
accompagnée de Mme Catherine
D'Herin,
cheffe du bureau de la législation et des affaires
juridiques
et de Mme Aurore Daniel,
adjointe à la cheffe du bureau
des méthodes et de l'action éducative
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous recevons Mme Madeleine Mathieu, qui est à la tête, depuis février 2017, de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) au ministère de la justice.
Avant d'exercer ces fonctions, vous avez occupé différents postes dans la magistrature, ainsi qu'en administration centrale. Vous avez notamment travaillé comme juge des enfants au début des années 1990.
Vous êtes accompagnée de Mme Catherine D'Herin, cheffe du bureau de la législation et des affaires juridiques, et de Mme Aurore Daniel, adjointe à la cheffe du bureau des méthodes et de l'action éducative.
Je précise que votre audition fait suite à celle du directeur des affaires criminelles et des grâces et à celle de la sous-directrice de l'administration pénitentiaire. Vous pourrez nous apporter un éclairage complémentaire à celui qui nous a été fourni par ces deux personnalités, en nous présentant les actions que mène la PJJ pour la réinsertion des mineurs dont elle a la charge.
J'ajoute que nos deux premiers déplacements - à l'établissement pénitentiaire La Valentine à Marseille et à la maison d'arrêt de Villepinte - nous ont donné l'occasion de rencontrer des professionnels de la PJJ. Ces professionnels nous ont parlé de leur travail auprès des mineurs détenus dans ces établissements. Nous avons pu apprécier la qualité de leur engagement professionnel, mais aussi commencer à mesurer la difficulté de leur tâche.
Si l'intitulé de notre mission vise les « mineurs enfermés », nous sommes conscients que la prise en charge de ces mineurs s'inscrit toujours dans un parcours associant mesures éducatives en milieu ouvert et, le cas échéant, mesures de privation de liberté. Vous pourrez donc replacer le sujet des mineurs enfermés dans le contexte plus général des interventions que mène la PJJ en faveur de ce public.
Je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire, puis mes collègues vous poseront des questions.
Mme Madeleine Mathieu, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse . - Permettez-moi de débuter par une présentation générale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui fait partie des directions du ministère de la justice. Elle travaille, avec la direction des affaires criminelles et des grâces, à l'élaboration des textes relatifs à l'enfance délinquante et elle est également compétente, en lien avec le ministère de la santé et des solidarités et avec la direction des affaires civiles et du sceau, pour l'élaboration des textes relatifs à l'enfance à protéger. Enfance délinquante et protection de l'enfance sont les deux champs de compétence des juges des enfants. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant a confié à la PJJ le pilotage de l'ensemble de la politique judiciaire de protection de l'enfance, ce qui comprend le versant « protection » qui est extrêmement intéressant. En effet, bien que nos outils statistiques soient perfectibles, il apparaît de façon assez claire que les mineurs délinquants ont eu, le plus souvent, un antécédent de protection ou qu'ils auraient dû en avoir un. La rénovation en cours de nos systèmes d'information devrait permettre de le mettre en évidence de façon encore plus nette.
Il existe un certain nombre d'idées reçues sur la délinquance des mineurs que démentent les statistiques.
En premier lieu, la délinquance des mineurs ne connaît pas une progression exponentielle, supérieure à celle des majeurs ; les deux courbes connaissent une progression parallèle. Après un pic observé dans les années 1980, le nombre de faits de délinquance commis par les mineurs a diminué de 30 %, atteignant un point bas en 2016. La baisse a été particulièrement forte pour les atteintes aux biens, mais plus limitée, de l'ordre de 8 % à 10 %, pour les atteintes aux personnes, qui recouvrent un champ très large d'infractions, y compris de simples menaces sans violence.
Deuxièmement, nous n'observons pas de rajeunissement important des mineurs délinquants, la plupart d'entre eux ayant plus de seize ans. Toutefois, on constate parmi les mineurs incarcérés une hausse de la population plus jeune. J'y vois un lien avec la question des mineurs non accompagnés (MNA), dont la délinquance est liée à la difficulté de leurs conditions d'existence.
Les mineurs délinquants sont à 90 % des garçons, même si l'on observe une augmentation du nombre de jeunes femmes, parfois du fait d'infractions en lien avec la radicalisation, comme l'apologie du terrorisme. Je tiens à préciser que la radicalisation concerne moins d'1 % des mineurs pris en charge par la PJJ. À ce jour, il n'y a pas eu de passage à l'acte terroriste de la part d'un mineur. Un travail de recherche mené par deux chercheurs de l'université de Nanterre, Laurent Bonelli et Fabien Carrié, fait le portrait d'une partie des auteurs de ces infractions et, là encore, balaie de nombreuses idées reçues.
Il convient de souligner également que 80 % des mineurs délinquants sont déscolarisés, souvent depuis plus d'un an. Si l'on considère l'ensemble des mineurs pris en charge par la PJJ, on observe que pour la grande majorité - 65 % - les mesures alternatives prononcées (rappel à la loi, stages de citoyenneté, mesures de réparation) sont une réussite : nous ne les reverrons plus. Il convient de préciser que le taux de réponse pénale à ces délits est très élevé, de l'ordre de 93 % ; nous ne sommes donc pas loin de la tolérance zéro.
Les 35 % restants tendent à s'ancrer dans la délinquance, qui concerne particulièrement la tranche d'âge qui va de 16 à 25 ou 28 ans. Dans une maison d'arrêt comme celle de Fleury-Mérogis, 80 % des détenus ont entre 20 et 25 ans. En revanche, dans les établissements où sont exécutées les peines plus longues, la moyenne d'âge est beaucoup plus élevée, de l'ordre de 45 ans. Il s'agit de deux types de criminalité bien distincts.
J'évoquerai maintenant l'ensemble des dispositifs de prise en charge existants. La PJJ dispose d'un panel de mesures et de structures, relevant du secteur public ou du secteur associatif habilité, pour prendre en charge les jeunes en conflit avec la loi : milieu ouvert, dispositifs d'insertion, hébergement collectif ou diversifié (familles d'accueil, foyers de jeunes travailleurs, lieux de vie et d'accueil).
Au début d'un parcours de délinquance, si la famille peut soutenir le mineur, sera privilégié l'accompagnement en milieu ouvert par un éducateur de la PJJ, qui fera un rapport au juge des enfants. Si l'environnement familial est déficient, voire générateur de difficultés, le juge peut prononcer un placement et décider de mesures d'accompagnement en parallèle. Il arrive que la délinquance prenne le dessus ; dans ce cas, un volant large de mesures pénales existe en fonction de la situation du jeune, pour une prise en charge individualisée. Les principes de spécialisation de la justice des mineurs et de primauté de l'éducatif, qui sont au coeur de l'ordonnance du 2 février 1945, demeurent. Les mineurs sont des êtres en construction que l'on peut faire évoluer en mettant l'accent sur l'action éducative.
Parmi les dispositifs d'hébergement diversifié, il faut insister sur le rôle des familles d'accueil, qui sont des bénévoles indemnisés. Le bilan qui en a été tiré, en 2012, par l'inspection générale de la justice est positif et doit beaucoup à l'engagement de ces bénévoles. Ces familles sont soutenues dans leur action par des éducateurs spécialisés de la PJJ, avec un taux d'encadrement d'un éducateur pour six jeunes, ce qui permet un accompagnement régulier.
L'hébergement collectif permet de placer les jeunes dans la vie en collectivité, ce qui ne les empêche pas de continuer à suivre une activité de jour en milieu ouvert. On compte quatorze éducateurs par unité éducative d'hébergement collectif (UEHC).
Viennent ensuite les centres éducatifs renforcés (CER), caractérisés par une prise en charge intensive du jeune par une équipe nombreuse, souvent de quinze ou seize éducateurs, et un accompagnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les CER fonctionnent par sessions de trois mois et sont souvent liés à une activité spécifique : voile, marche, chantier d'insertion, etc.
Enfin, dernière marche avant l'incarcération, les centres éducatifs fermés (CEF) font l'objet d'une attention toute particulière, le dernier rapport d'évaluation a été établi, en 2015, par les inspections générales de la justice et des affaires sociales. Je vous rappelle que le projet de loi de programmation pour la justice prévoit la création de vingt nouveaux CEF. Accueillant un maximum de douze mineurs, chaque CEF compte 26,5 professionnels en équivalent temps plein (ETP), dont des cadres, des éducateurs, une infirmière, du personnel de maison. En 2012, les effectifs ont été renforcés afin de mieux répondre à la problématique des difficultés psychologiques et psychiatriques, très prégnante faute de structures de prise en charge sanitaire adaptées. Il convient de souligner que la limitation de l'accueil des jeunes majeurs dans ces centres a entraîné un recul de la diversité des publics accueillis en CEF ; ceux qui y sont placés aujourd'hui tendent à cumuler les difficultés. Les problèmes que connaissent les établissements - dont certains sont en crise - expliquent que le taux d'occupation ne dépasse pas 85 %.
Les CEF ont fait l'objet de remarques positives qui expliquent leur succès auprès des magistrats : il s'agit d'une alternative crédible à l'emprisonnement, offrant un emploi du temps individualisé, qui met l'accent sur l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. La prise en charge est organisée autour d'un phasage en trois étapes : deux mois d'accueil, deux mois d'observation et deux mois de préparation à la sortie.
Deux critiques principales sont adressées aux CEF. En premier lieu, je rappelle qu'ils ne sont pas physiquement fermés ; les centres sont certes clôturés, mais ce sont des clôtures que l'on peut franchir, si on le veut vraiment, ce qui explique d'ailleurs que l'on constate régulièrement des fugues. Le caractère fermé des CEF est donc surtout un concept juridique qui signifie que le non-respect des obligations auxquelles ces mineurs sont astreints, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, avant la condamnation, ou dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve, est sanctionné par l'incarcération. Or, la compréhension de cette notion par les jeunes concernés est très variable. Ceux qui ont été souvent placés en protection de l'enfance ont par exemple du mal à comprendre qu'ils risquent maintenant la prison. Les équipes éducatives ont parfois tendance à se replier sur elles-mêmes pour contenir les jeunes, ce qui a pu donner lieu à des incidents.
La seconde critique porte sur la sortie des jeunes, qui passent sans transition d'un dispositif très cadré à un autre qui l'est beaucoup moins, comme le retour dans leur famille ou le suivi en milieu ouvert. C'est à ce stade que le risque de réitération est élevé.
C'est pour répondre à cet enjeu que le projet de loi de programmation pour la justice a pour objectif d'intégrer les CEF dans un dispositif global de prise en charge, dans lequel le milieu ouvert demeure présent, y compris pendant la durée du placement. Il s'agit aussi de mettre en oeuvre une nouvelle stratégie d'implantation des CEF, qui doivent être situés à proximité d'un bassin d'emploi et d'un réseau de transports afin de faciliter l'accès des familles et l'insertion professionnelle. Il s'agit également d'ouvrir des possibilités d'accueil hors des CEF, pendant la durée du placement, que ce soit pour permettre des soins, par exemple en cas de crise de santé mentale, ou pour des respirations en famille d'accueil ou dans des séjours encadrés par des éducateurs. En fin de placement, l'accueil à l'extérieur du CEF peut être utile pour préparer le retour en famille ou le parcours d'insertion professionnelle. Le projet de loi de programmation contient, à cet égard, une disposition qui vise à donner une base juridique à la pratique des magistrats consistant à accorder à la famille du jeune placé en CEF un droit de visite et d'hébergement.
Enfin, le projet de loi introduit une mesure éducative d'accueil de jour, qu'il convient de distinguer des activités de jour au sens de l'ordonnance du 2 février 1945 ; il s'agit de permettre au juge de confier un jeune à la PJJ pour la journée en vue d'une prise en charge globale ; c'est un moyen terme entre le milieu ouvert et le placement. La diversification des instruments est une réponse au constat que beaucoup de placements en CEF se font dans l'urgence du défèrement, alors même que les faits ou le profil du mineur ne le justifiaient pas forcément. Cette mesure d'accueil de jour est une expérimentation sur trois ans, qui nécessite un travail pluridisciplinaire, avec notamment l'intervention d'un psychologue, pour redonner à des mineurs déscolarisés le savoir-être nécessaire pour communiquer avec les adultes, et celle d'un assistant de service social pour aider le jeune à faire valoir ses droits.
Nous travaillons en interne sur un affinement des projets de service des UEHC, qui auraient vocation à être communiqués aux juges pour enfants, afin que ces derniers puissent faire le choix de la solution la plus appropriée en toute connaissance de cause.
Je tiens à préciser que nous sommes sortis de l'idée qu'il fallait garder les jeunes le plus longtemps possible dans les dispositifs de la PJJ ; au contraire, pour faciliter leur réinsertion, il s'agit de les ramener le plus vite possible dans la société.
Faciliter la réinsertion passe également par la collaboration, que nous cherchons à développer, avec les entreprises et les associations d'insertion et avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). J'ai pu observer, dans un restaurant d'insertion en Bretagne, que les jeunes relevant de la PJJ qui y travaillaient s'y investissaient d'autant plus qu'il s'agissait d'un vrai travail, au service d'une vraie clientèle. La future plateforme des travaux d'intérêt général (Tige) va faciliter ce type de démarches. Nous poursuivons aussi un développement du mécénat, à l'occasion notamment de manifestations nationales qui ont pour objet de favoriser les rencontres entre notre public et les entreprises partenaires. Je citerai « Les parcours du goût », le concours culinaire national de la PJJ dont la dernière édition s'est déroulée à Toulouse, le mois dernier, et à la suite de laquelle un des participants s'est vu proposer un emploi chez Lenôtre.
Je citerai aussi l'opération « Rêves de gosse », réalisée en partenariat avec l'association « les chevaliers du ciel », qui organise, au cours de ses neuf étapes, des baptêmes de l'air pour des enfants handicapés, accompagnés par les jeunes de la PJJ qui sont chargés de réaliser les repas, ce qui représente un total de 250 repas par jour. Des entreprises comme Carrefour ou Pomona participent à l'opération, ce qui permet de multiplier les contacts et contribue à changer l'image des jeunes de la PJJ. Nous sommes fiers de constater que lorsque l'accroche se fait, la qualité de la relation professionnelle qui en naît est très forte.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous avons pu apprécier le rôle essentiel que joue la PJJ. Je me permets cependant de vous soumettre un point qui m'a choqué : à l'occasion de nos déplacements dans deux établissements pénitentiaires, nous nous sommes vu expliquer, à plusieurs reprises, que la collaboration aboutie entre les différents partenaires, parmi lesquels la PJJ et l'administration pénitentiaire, pourtant essentielle, butait encore sur des difficultés d'ordre culturel. Comment se fait-il, après tant d'années, que ces clivages ne soient toujours pas dépassés ?
Mme Madeleine Mathieu . - Vous soulevez, madame la présidente, le problème difficile de la collaboration d'administrations différentes autour de la prise en charge de jeunes faisant l'objet d'un suivi judiciaire. C'est un problème culturel ancien dont on ne peut nier l'importance mais dont on peut néanmoins distinguer les causes. À l'origine, l'éducation surveillée des jeunes délinquants relevait de la compétence exclusive de l'administration pénitentiaire, ce qui, particulièrement au cours du siècle dernier, se traduisait par des pratiques répressives très préjudiciables à leur développement. Je vous renvoie notamment à l'histoire éloquente de la prison de la Petite-Roquette. La récupération de la compétence éducative par la PJJ est le résultat d'une revendication forte de leur part d'une sortie de cette culture essentiellement répressive. On peut donc comprendre que le retour de la PJJ en milieu fermé, dans le courant des années 2000, leur fut particulièrement difficile à vivre et qu'il se soit traduit par l'expression d'antagonismes entre une administration pénitentiaire très axée sur la sécurité et une PJJ plus préoccupée d'action éducative.
Cela étant, ces phénomènes d'antagonismes sont surtout identifiés dans les établissements touchés par la surpopulation, particulièrement en Ile-de-France. Ailleurs, nous avons de bons retours de ces collaborations, qu'illustrent les taux de rotation très faibles de nos éducateurs PJJ, dont les effectifs sont remarquablement stables en quartiers pour mineurs et en EPM.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Vous avez apporté une réponse anticipée à bon nombre de mes questions. Je voudrais cependant vous faire part de mon sentiment à l'issue de la visite du quartier pour mineurs de l'établissement pénitentiaire de Villepinte. En raison de l'étanchéité des quartiers pour adultes et mineurs, ces derniers se voient refuser l'accès à des installations sportives de bonne qualité et doivent se contenter d'un lieu de promenade particulièrement austère. Ne pourrait-on, sans engager de grands frais, améliorer un peu leurs conditions de détention ? En tant qu'ancien vice-président de conseil départemental chargé de l'enfance, je m'interroge, par ailleurs, sur la collaboration, à l'échelle du département, entre la PJJ et l'aide sociale à l'enfance (ASE). Enfin, pensez-vous qu'il soit nécessaire de procéder à une refonte générale de l'ordonnance de 1945 ?
Mme Madeleine Mathieu . - Concernant l'exemple particulier de l'établissement de Villepinte, je signale simplement que la PJJ a financé une salle de sport à destination des mineurs. Vous abordez de façon plus générale le sujet sensible de la séparation des mineurs et des majeurs : il est exact que cet impératif, sur laquelle nous n'estimons pas souhaitable de revenir, entraîne pour les établissements pénitentiaires qui disposent de quartiers pour mineurs des difficultés supplémentaires d'aménagement et d'organisation.
La collaboration entre la PJJ et l'ASE dépend beaucoup de la qualité des contacts que nous entretenons avec les conseils départementaux. Ces derniers ont reçu une formalisation bienvenue lors du vote de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfance, qui a créé de nouveaux outils destinés à faciliter la transmission de l'information entre administrations. Les observatoires départementaux de la protection de l'enfance sont un vivier inestimable de données et d'analyses susceptibles d'étayer le travail de la PJJ. L'enjeu est en effet de très grande importance : il s'agit d'assurer la bonne coordination entre les antennes locales de la PJJ, chargées du suivi judiciaire du jeune, et les cellules départementales chargées de la collecte des informations préoccupantes. Sans que le sujet se rattache nécessairement aux problématiques de la détention, la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) illustre assez bien ce partenariat, avec la mise en place d'une mission nationale qui vise à coordonner leur répartition entre départements.
Sur votre question plus générale sur l'ordonnance de 1945, nous nous accordons tous sur les quelques ajustements qu'il conviendrait de lui apporter. L'agenda de la ministre, très mobilisée sur les cinq grands chantiers de modernisation de la justice, empêche néanmoins que ce point soit actuellement porté à l'ordre du jour.
Mme Michelle Meunier . - Je tenais à intervenir pour mentionner le projet de construction d'un CEF à Nantes, dont je suis très attentivement l'avancement, et qui apporte pour le moment toute satisfaction. Vous avez longuement évoqué les avantages de cette formule de prise en charge, qui semble éviter les conséquences fâcheuses de l'enfermement carcéral. À cet effet, quels sont selon vous les éléments déterminants d'une sanction qui, tout en remplissant son rôle punitif, limite le plus possible les risques de rupture de parcours à la sortie du jeune ? Par ailleurs, je suis curieuse de recueillir votre opinion sur la mixité dans les CEF.
Mme Madeleine Mathieu . - En évoquant la sanction, vous posez en creux la question de la meilleure préparation possible au retour dans leur famille des jeunes faisant l'objet d'un suivi judiciaire. Plusieurs mesures sont en cours de confection pour que la transition soit la plus réussie possible. Un premier aspect concerne les relations des jeunes avec l'extérieur. Comme je l'indiquais, le projet de loi de programmation pour la justice consacre un droit de visite et d'hébergement ponctuel en faveur de la famille du jeune. En outre, nous serons désormais attentifs à ce que les CEF soient construits dans des zones moins isolées, proches de bassins d'emplois importants, afin que le lien entre le jeune et l'extérieur ne soit jamais rompu. Je tiens à ce titre à signaler l'exemple du CEF de Liévain, dont le projet d'établissement donne une importance déterminante au maintien du lien avec la famille et à l'intégration dans son environnement. Ses efforts ont été couronnés de belles réussites : les dix ans du CEF ont, par exemple, fait l'objet d'un événement festif où le voisinage a été invité. De façon plus générale, il me paraît important de rappeler que les CEF et les structures d'hébergement collectif sont, aux termes de la loi du 2 janvier 2002, des établissements sociaux et médico-sociaux et qu'à ce titre ils ont le devoir de protéger les droits de leurs usagers. La contrainte que suppose l'entrée dans ces établissements ne doit jamais faire oublier que leurs résidents sont titulaires de droits, notamment vis-à-vis de leurs liens avec l'extérieur, dont le respect doit être assuré.
Une autre préoccupation concerne les soins et le bien-être des jeunes résidents. C'est une dimension trop souvent négligée de leur séjour en hébergement collectif ou en CEF, alors qu'un travail sur l'estime de soi peut revêtir un réel intérêt en matière de prévention de la récidive. Je suis personnellement convaincue qu'il y a là un moyen efficace et peu exploité de lutter contre la réitération du délit. Je signale d'ailleurs que le CEF de Villepreux, en Ile-de-France, s'est fait une spécialité de cet engagement, avec là aussi de beaux résultats.
Enfin, sur la mixité, elle est effective dans les structures d'hébergement collectif et les CEF, à la condition que des modules spécifiques d'hébergement soient organisés notamment pour les jeunes filles. Nous comptons engager un vaste programme d'équipement en douches individuelles des chambres dans les structures d'hébergement collectif, ce qui facilitera leur mixité.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Que pensez-vous de la mixité dans les EPM et les quartiers pour mineurs ?
Mme Madeleine Mathieu . - J'y suis également favorable. L'établissement de Quièvrechain la pratique dans d'excellentes conditions.
Mme Catherine Conconne . - En tant que sénatrice de la Martinique, et ancienne maire adjointe de Fort-de-France chargée des questions de sécurité, j'ai activement milité auprès de la population locale très inquiétée par l'implantation d'un CER. Je puis témoigner qu'encore aujourd'hui, et malgré les réussites que vous avez évoquées, le travail de conviction du voisinage de ces établissements peut être difficile.
Notre visite récente de l'établissement de Villepinte m'inspire deux remarques. D'une part, les jeunes que nous y avons rencontrés nous ont alertés sur le faible volume horaire de leurs activités. Seulement 12 heures de cours par semaine, et un enfermement allant jusqu'à 23 heures sur 24 le week-end ! D'autre part, j'ai pu recueillir un témoignage direct de violences physiques commises par l'administration pénitentiaire à l'égard de ces jeunes.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Je rebondis sur les propos de ma collègue. En effet, une seule heure de promenade par jour est accordée à ces jeunes, au motif que l'administration ne peut les faire sortir par groupe de plus de cinq personnes, afin d'éviter les tensions et les violences entre détenus.
Mme Madeleine Mathieu . - Je ne peux que déplorer les actes que vous avez recueillis, et que j'attribue à la confrontation de culture qui oppose les différentes administrations qui oeuvrent au parcours pénitentiaire de ces jeunes et qui, je le répète, ne s'observent vraiment que dans les établissements touchés par la surpopulation.
M. Jean-Marie Morisset . - Je vous remercie beaucoup de votre témoignage très éclairant. En tant qu'ancien président de conseil départemental, je suis particulièrement sensible au problème que vous avez mentionné de la collaboration entre acteurs. Nous sommes sur le terrain autant confrontés aux problèmes de délais de la justice pour mineurs qu'à la diminution de nos moyens financiers qui met les acteurs associatifs sous tension. Par ailleurs, j'aurais aimé recueillir votre avis sur les conséquences des nouvelles grandes régions sur les partenariats entre PJJ et acteurs départementaux.
Mme Madeleine Mathieu . - Il est tout à fait exact que le contour redéfini de nos régions a impacté le travail de la PJJ. Une première inflexion avait été donnée en ce sens par la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui avait décidé de la réduction des territoires d'intervention de la PJJ de quinze directions régionales à neuf directions interrégionales et à la création de 54 directions territoriales en remplacement des directions départementales. De fait, les distances à couvrir par nos intervenants sont plus importantes et le lien à maintenir est mécaniquement plus distendu, même si nous tenons à ce que nos responsables éducatifs restent sur la structure. Nous espérons que ces problèmes pourront être palliés par le déploiement important à venir, au sein du ministère de la justice, de nouveaux moyens de communication : l'équipement en téléphones portables, en ordinateurs portables, le développement de la visioconférence sont autant d'outils qui peuvent remédier à l'allongement des distances.
Vous avez parlé de la diminution des moyens alloués. Il me paraît important de souligner qu'un investissement important a été porté dans le domaine de la prévention de la radicalisation, dont les retombées sont peut-être moins visibles mais non moins certaines. Ce sont ainsi 270 ETP ont été créés dans le cadre de cette politique. Permettez-moi une illustration rapide de l'enjeu stratégique de la prévention, qui s'éloignera un peu de notre sujet. Le rapport rendu par Laurent Bonelli et Fabien Carrié a permis de dégager deux grands profils de mineurs touchés par la radicalisation : les jeunes en révolte adolescente, plus facilement réversibles, et les jeunes dont l'engagement puise ses racines dans un effondrement psychique lié à des ruptures dans des parcours familiaux et scolaires auparavant sans problème. L'identification préalable de ces profils permet d'affiner le travail de la prévention et de lui donner tout son sens.
Enfin, on ne peut qu'être favorable au travail de rapprochement entre les services départementaux de l'ASE et la PJJ. Comme je l'ai précédemment mentionné, la loi du 14 mars 2016 définit les outils et structures aptes à organiser leur dialogue. Le Conseil national de la protection de l'enfance est placé auprès du Premier ministre ; l'Observatoire national de la protection de l'enfance procède à la collecte et à l'analyse des données des observatoires départementaux ; le juge des enfants, par sa double compétence en matière de délinquance et de protection de l'enfance, est une des traductions institutionnelles les plus manifestes de ce rapprochement. Le défi qu'il nous reste à relever concerne le suivi statistique de ces jeunes : trop de ruptures sont aujourd'hui imputables au défaut de compatibilité des systèmes d'information des services de la protection de l'enfance et de la PJJ, qui elle-même perd toute trace de ces jeunes au-delà de leurs 25 ans. Nous travaillons à ce que l'application GAME - gestion automatisée des mesures éducatives ordonnées par les magistrats en charge des dossiers relatifs à la jeunesse - conçue par le service informatique de la PJJ, intègre un suivi exhaustif du parcours du jeune.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Vous déplorez que le suivi statistique des jeunes suivis par la PJJ s'interrompe brutalement à 25 ans. Concernant leur prise en charge, seriez-vous favorable à ce qu'elle s'étende au-delà de leurs 18 ans ? Une telle mesure pourrait jouer en faveur d'une plus grande continuité de leur accompagnement.
Mme Madeleine Mathieu . - Votre proposition rencontrerait plusieurs obstacles. D'une part, avant les lois de décentralisation, l'État assurait naturellement, au double titre de la protection de l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse, une continuité de l'accompagnement, qui pouvait facilement se poursuivre au-delà de la majorité sous réserve du recueil du consentement du jeune. La décentralisation, en dissociant ces compétences, a de fait introduit une première rupture. Mais c'est surtout l'inflexion décidée en 2008, qui a réorienté la PJJ vers le suivi pénal des jeunes, qui a éloigné nos équipes de la prise en charge des jeunes majeurs dont l'incarcération répond à des caractères tout différents. Il est bien entendu possible d'assurer, dans le cadre d'une mesure civile, un suivi d'une année supplémentaire au maximum et des dispositions spécifiques prévoient que le suivi d'une mesure pénale puisse être assuré jusqu'à 21 ans.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Madame la directrice, je vous remercie de votre présentation très exhaustive et de la qualité de vos réponses à nos questions.