MARDI 26 JUIN 2018
Mme Laetitia
Dhervilly,
vice-procureur, chef de la section des mineurs au Parquet de
Paris
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Merci, madame Laetitia Dhervilly, d'avoir accepté notre invitation. Je rappelle que vous êtes vice-procureur, chef de la section des mineurs au parquet de Paris.
Dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés, nous avons reçu les différents acteurs de la chaîne pénale : juges pour enfants, protection judiciaire de la jeunesse, administration pénitentiaire. Nous n'avions pas encore reçu de représentant du parquet, alors que vous jouez un rôle important dans la prise de décision qui peut conduire à l'enfermement d'un mineur. Aussi, nous aimerions connaître votre point de vue concernant l'utilité de placer un mineur en centre éducatif fermé (CEF) ou de l'incarcérer. Ces mesures sont-elles nécessaires pour stopper le parcours de délinquance de certains mineurs et amorcer avec eux un travail de réinsertion ?
Mme Laetitia Dhervilly, vice-procureur, chef de la section des mineurs au Parquet de Paris . - Merci de votre invitation. Le parquet de Paris a une organisation particulière, compte tenu de sa taille ; aussi ce que je vous dirai n'est pas forcément vrai pour d'autres parquets. La section des mineurs est composée de dix magistrats et de trente greffiers et fonctionnaires. Nous travaillons en autonomie ; c'est nécessaire pour traiter en temps réel la délinquance des mineurs. Le procureur des mineurs a une double casquette : il a un rôle en matière pénale, mais aussi en matière d'assistance éducative. Un mineur auteur est par définition en fragilité, victime de son environnement. Nous sommes présents non seulement au début de la chaine pénale, mais tout au long de son déroulement. Nous décidons s'il y a lieu de saisir le juge des enfants ou le juge d'instruction s'il s'agit d'un crime. Le principe est de préférer l'éducatif avant tout, et, si cela ne fonctionne pas, de passer au répressif.
Le ressort parisien a enregistré 18 000 nouvelles affaires en 2017, 14 000 au pénal et 4 000 au civil ; mais ces chiffres doivent être interprétés avec précaution, car une affaire au pénal s'accompagne souvent d'une mesure civile.
Vous voulez en savoir plus sur la réinsertion des mineurs enfermés. L'enfermement recouvre pour vous trois situations : l'incarcération, le centre éducatif fermé (CEF) et la psychiatrie. Nous sommes confrontés, comme sur tout le territoire national, à une pénurie de places en psychiatrie, ce qui a un impact sur les autres structures.
Vous me posez la question des indicateurs - c'est une question pertinente. La Justice est assez mauvaise dans ce domaine. Au sein de la section, nous avons développé un outil spécifique, car le logiciel Cassiopée ne permet pas de répondre à une question précise, comme le nombre de réquisitions sur les mineurs en une semaine par exemple. Je ne suis pas en mesure de vous donner le nombre de mineurs incarcérés de mon ressort en ce moment - ces chiffres sont tenus par la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Je connais en revanche le nombre de réquisitions prononcées en 2017.
Nous traitons plus de 7 500 gardes à vues par an ; plus de 3 300 mineurs concernés ont été déférés ; nous avons requis 230 incarcérations, 55 contrôles judiciaires en CEF, 316 contrôles judiciaires simples et 116 mesures de liberté surveillée préjudicielle. Ce dernier régime consiste en la contrainte d'être suivi par un éducateur de la PJJ, qui peut proposer des mesures de réparation, des activités, sans que le non-respect en soit sanctionné - contrairement au contrôle judiciaire - mais qui fera l'objet d'une évaluation jusqu'à l'audience, permettant de faire le bilan de l'adhésion du jeune lors de celle-ci.
Nous disposons d'indicateurs sur les catégories d'âge. Il y a des seuils légaux qui nous imposent d'autant plus de mesures éducatives que les mineurs sont jeunes. Nous avons requis 55 détentions provisoires de jeunes de moins de seize ans, dont cinq d'un âge déclaré de moins de treize ans - mais dont il était raisonnable de penser qu'ils étaient bien plus âgés. Sur les 230 réquisitions d'incarcérations, 175 concernaient des mineurs de plus de seize ans. Pour connaitre le nombre de mineurs condamnés, il faudrait interroger les juridictions du siège.
La PJJ, les maisons d'arrêt et les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) nous communiquent régulièrement les chiffres de leur population carcérale : nous savons ainsi s'ils font face à une surpopulation. Cela ne modifie pas nécessairement nos réquisitions : la politique pénale dépend de la personnalité du mineur et de la gravité des faits commis. L'année 2018 est marquée par la surpopulation. Nous essayons d'être systématiquement présents en commission d'incarcération des mineurs de Fleury-Mérogis, car le tribunal de Paris est le principal pourvoyeur en détenus mineurs. Cette maison d'arrêt nous demande parfois des transfèrements pour éviter la surpopulation.
Le parquet n'a pas de légitimité à se prononcer sur le choix de l'établissement ; le juge des libertés et de la détention choisit seul. Nous lui donnons parfois des indications liées au dossier, comme la nécessité de ne pas mettre plusieurs mis en cause dans une même maison d'arrêt s'il faut éviter des pressions. L'âge est très important ; cela répond à l'une de vos questions : plus les mineurs sont jeunes, plus nous préférons un établissement pénitentiaire pour mineurs comme Porcheville, où la politique de réinsertion est forcément plus efficace, au vu du plus faible nombre de détenus.
Quel est le profil des mineurs déférés ? Nous en déférons 3 300 à l'année, soit en moyenne vingt par jour. Ce chiffre est plus élevé que dans le reste de l'Île de France.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Et cela a tendance à augmenter !
Mme Laetitia Dhervilly . - Oui, ce chiffre a augmenté de 20 % depuis 2016. Le flux migratoire et les mineurs non accompagnés (MNA) sont notamment en cause.
Établir un profil est difficile : tous les mineurs sont concernés. Nous définissons une politique pénale en fonction de la gravité des faits, de la présence d'une atteinte aux personnes, de l'adhésion du mineur aux mesures éducatives. Il faut se protéger de la tentation de définir des profils - ce n'est pas dans l'ADN de la justice des mineurs.
Évidemment, on peut identifier des thématiques, par ressort et par année. Sur la période 2016-2018, il y a eu, par exemple, quatre décès de très jeunes mineurs de moins de seize ans dans les rues parisiennes tués d'un coup de couteau. Cela nous a conduit à être plus vigilants sur certains faits et à déférer automatiquement les mineurs porteurs d'un couteau et appartenant à une bande.
Le défèrement répond à la volonté d'apporter une réponse immédiate à certains faits. L'ordonnance de 1945 est bien faite, il ne s'agit pas forcément de sanctionner mais de prendre en charge. L'éducateur est présent, et nous pouvons, à la faveur du recel d'un Vélib par exemple, identifier une situation dramatique pour le mineur. En revanche, si nous pouvons attendre, par exemple si un cadre parental ou autre le permet, nous ne déférerons pas et le mineur attendra l'audience.
Les MNA représentent 70 % de mon activité au pénal - c'est énorme ! Il y a dix ans, nous les appelions des mineurs isolés étrangers, mais ils n'étaient pas vraiment isolés : Bosniens ou Roumains, ils étaient victimes de la traite des êtres humains, et incités par des clans de mafieux à commettre des délits. Aujourd'hui, la plupart déclarent une nationalité du Maghreb. Nous sommes confrontés en particulier au problème des mineurs marocains dits « de la Goutte d'Or », qui sont une trentaine, âgés de dix à douze ans. Nous travaillons avec les autorités marocaines, mais il est difficile de trouver une solution.
Nos réquisitions d'incarcération ab initio , sans mesures éducatives antérieures, sont limitées aux crimes, par exemple pour le meurtre à coups de couteau survenu récemment dans le XI e arrondissement de Paris, où la victime avait quinze ans et l'auteur treize ans. Mais c'est très limité et réservé aux faits les plus graves, pour lesquels la préoccupation de l'ordre public l'emporte. Le plus souvent, l'ensemble des intervenants de la chaîne pénale, y compris l'éducateur de la PJJ, soutient la mesure d'incarcération.
Pour le reste des cas, nous tentons la liberté surveillée préjudicielle ; si cela ne fonctionne pas, nous passons au contrôle judiciaire ; s'il n'est pas respecté, nous demandons un placement en CEF ; si cela ne fonctionne pas, nous pouvons demander l'incarcération. Nous ajustons cette logique à chaque cas d'espèce.
La création des EPM a-t-elle été un progrès par rapport aux quartiers pour mineurs ? Oui, évidemment : ils permettent une concentration de moyens et de personnels spécialisés. Mais il ne faut pas dénigrer l'action conduite dans les quartiers pour mineurs. Il n'est pas idéal de mélanger des adultes et des mineurs. Le seul problème que pose l'EPM est son éloignement par rapport au domicile des familles. Il peut être compliqué de s'y rendre pour les familles.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Imaginons qu'il y ait suffisamment de places en EPM. Les quartiers pour mineurs seraient-ils encore utiles ?
Mme Catherine Troendlé, présidente . - C'est un vrai débat entre nous.
Mme Laetitia Dhervilly . - Entre nous aussi, sur le terrain. Clairement, plus un mineur est jeune, moins on l'incarcère en quartier des mineurs. Mais envoyer à Fleury-Mérogis un mineur très aguerri de dix-sept ans et demi peut aussi être risqué, au regard de la dimension criminogène de cette maison d'arrêt. Le radicalisé ira, quel que soit son âge, en établissement pénitentiaire pour mineurs.
Un paradoxe de l'ordonnance de 1945 est que la détention provisoire ne peut durer plus d'un mois, renouvelable une fois. Comment voulez-vous dans ces conditions que la PJJ développe des mesures de réinsertion ?
Les cas d'incarcération sont heureusement très limités : je n'en ai requis que 230 l'an passé et mes réquisitions ne sont pas toujours suivies. Il nous arrive parfois de requérir l'incarcération devant le juge des enfants tout en lui demandant de ne pas saisir le juge des libertés et de la détention. Cela lui permet de dire au mineur : « cela suffit comme cela, le procureur a même requis de l'incarcération. » À l'audience, nous tenons un discours d'ordre public que le mineur entend ; après, le juge peut choisir une autre option et cela nous convient parfaitement. Il arrive souvent qu'il y ait trois ou quatre saisines du juge des libertés et de la détention avant qu'un mandat de dépôt ne soit finalement prononcé. On peut ainsi dire au mineur qu'il a été prévenu. Mais pour un procureur des mineurs, c'est toujours un échec de ressortir avec un mandat de dépôt signé.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous avons visité des quartiers pour mineurs et des établissements pénitentiaires pour mineurs. La qualité de la prise en charge éducative nous a paru nettement supérieure dans les EPM.
Les détenus que nous avons rencontrés dans un quartier pour mineurs nous ont indiqué qu'ils passaient certains jours 23 heures sur 24 dans leur cellule. Que peut-on apprendre dans ces conditions ?
Mme Laetitia Dhervilly . - L'incarcération est aussi une parenthèse nécessaire pour protéger la société, et éviter qu'il y ait d'autres victimes.
Je voudrais souligner l'investissement des éducateurs de la PJJ, qui ont une démarche très proactive avec certains détenus. Je pense par exemple aux délinquants roumains que j'évoquais précédemment. Il faut savoir qu'ils repoussent souvent toute prise en charge, car ils sont sous l'emprise des réseaux mafieux. En incarcération, il a pourtant été possible d'en convaincre quelques-uns de dénoncer leur réseau.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Nous avons visité la maison d'arrêt de Villepinte qui ne nous a pas laissé une bonne impression. Aux Baumettes, à Marseille, en revanche, j'ai visité le quartier réservé aux jeunes filles, où ne se trouvaient que quatre détenues. J'ai eu le sentiment que les choses étaient totalement différentes.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Elles étaient quatre et c'étaient des jeunes filles !
Mme Laetitia Dhervilly . - Il faut distinguer les filles et les garçons, que ce soit en centre éducatif fermé ou en détention, ne serait-ce que parce que les filles y sont beaucoup moins nombreuses. Ce n'est que dans une telle situation que le quartier pour mineurs peut investir dans la réinsertion.
M. Michel Amiel, président . - Quelle est l'articulation entre procureur, juge des enfants et juge des libertés et de la détention ? Que fait la police en premier lieu ? Qui décide qu'un jeune sera orienté soit vers le milieu ouvert, soit vers un CEF, soit vers l'incarcération ? Idéalement, on s'attend à ce que cela soit décidé en fonction du délit et du profil du jeune, mais il nous semble que la décision est souvent prise en fonction des places disponibles.
Mme Laetitia Dhervilly . - Au début de la procédure, un policier place le mineur en garde à vue et alerte le procureur. Nous prolongeons très souvent la garde à vue de 24 heures à 48 heures pour lui permettre d'achever l'enquête.
M. Michel Amiel, rapporteur . - La durée de la garde à vue n'a-t-elle pas été portée à quatre jours ?
Mme Laetitia Dhervilly . - Elle a été porté à 96 heures pour la criminalité organisée des plus de seize ans en lien avec un majeur ou pour le terrorisme.
Pendant la garde à vue, nous rassemblons des informations pour orienter la décision du juge des enfants. Les parents sont entendus.
Le procureur de permanence reçoit en moyenne 90 appels par jour : deux minutes de compte-rendu par la police doivent lui permettre d'appréhender la situation globalement. Cela, nous savons le faire.
Quatre greffiers assistent le procureur de permanence et éditent le tableau des antécédents de chaque mineur. Cela nous aide à prendre une décision à la fin de la garde à vue car nous savons précisément de quelles mesures le mineur a fait l'objet : placement dans une famille d'accueil, suivi en assistance éducative, etc. Tous les soirs nous établissons un tableau de défèrement, en moyenne d'une vingtaine de mineurs - mais il faut aussi tenir compte de la capacité d'absorption de la juridiction. Je n'envoie donc au juge des enfants que les affaires les plus graves qui nécessitent une contrainte. Le tableau est transmis à l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale. A Paris, comme à Marseille, nous disposons d'un dépôt, qui nous permet de garder les mineurs une troisième nuit à l'issue de leur garde à vue, et ainsi de ne pas les mettre en examen à trois heures du matin - ce qui ne serait dans l'intérêt de personne.
Le mineur rencontre son éducateur de la PJJ et son avocat. A ce stade, il ne voit pas le procureur. Il est conduit menotté dans le cabinet du juge des enfants. Il est démenotté et assiste à sa mise en examen. Il s'explique sur les faits. L'éducateur de la PJJ, présent si possible, aura fourni une proposition éducative alternative à ma réquisition d'incarcération - il arrive parfois que je doive passer moi-même des coups de téléphone si l'éducateur n'a pas réussi à trouver une structure prête à accueillir le jeune... Le juge des enfants écoute tout le monde et prend sa décision.
S'il saisit le juge des libertés et de la détention, je n'ai toujours pas vu le mineur ; je ne le connais que par les informations transmises par le policier et par les antécédents dont je dispose. Le débat devant le juge des libertés et de la détention a lieu en fin de journée, sans public car il s'agit d'un mineur, mais de manière contradictoire. Nous discutons des cas les plus sérieux mais nous sommes rarement en opposition avec la PJJ. Dans notre vie quotidienne judiciaire, ces audiences ne sont pas un affrontement, contrairement à ce qu'elles sont souvent pour les majeurs. Lorsque le juge des libertés et de la détention prend une décision d'incarcération, le jeune est conduit en maison d'arrêt.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Vous est-il déjà arrivé, lorsque le juge des enfants ne suivait pas votre réquisition d'incarcération, de faire appel ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - Bien sûr. Nous pesons la cohérence de nos réquisitions d'incarcération. Nous pouvons aussi, pour les crimes ou délits punis de dix ans d'emprisonnement - majoritairement le trafic de stupéfiants ou le vol aggravé - anticiper un refus du juge des enfants en saisissant directement le juge des libertés et de la détention. Si le juge des libertés et de la détention ne prononce pas l'incarcération, nous prenons le temps de la réflexion. Les cas les plus complexes font l'objet de discussions et d'un aval hiérarchique. Ce matin, les huit personnes impliquées dans un trafic de stupéfiants d'envergure dans le XVIII e arrondissement de Paris que nous avions déférées ont été placées, contre notre avis, sous contrôle judiciaire : nous avons examiné les dossiers un par un et discuté de l'opportunité de faire appel pour chacun d'entre eux ; dans un cas, nous avons estimé que le contrôle judiciaire était en effet la meilleure solution. La jurisprudence de la chambre de l'instruction, juridiction d'appel dans ce contexte, nous permet de retirer des enseignements de nos expériences passées.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Le juge des enfants a-t-il suffisamment de temps pour prendre connaissance de la situation de chaque enfant ? Le nombre de dossiers dont ils sont saisis ne les contraint-il pas à faire de « l'abattage » ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - Nous sommes conscients de notre responsabilité de ce point de vue et renonçons parfois à des défèrements. La solution résiderait, sans doute, dans une meilleure organisation et le recrutement de plus de magistrats... En l'état actuel des choses, le juge des enfants n'accorde pas plus de quinze minutes en moyenne à chaque mineur qui lui est déféré. « L'abattage » est donc une réalité. En outre, le juge des enfants de permanence devant qui le jeune est déféré n'est pas forcément celui qui connaît le mieux sa situation... Mais nous appelons alors le bon interlocuteur pour coordonner nos actions. Les failles peuvent être plus grandes le weekend, lorsque les juges sont seuls ou peu nombreux.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Quinze minutes... Le jeune a-t-il seulement conscience de passer devant un juge ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - Pas tous, cela dépend des profils. Un jeune mis en garde à vue et déféré toutes les semaines peut hausser les épaules à chaque défèrement et dire qu'il connaît la musique : nous lui accorderons alors moins de temps, pour lui manifester la lassitude de l'institution judiciaire, qui ne s'occupe pas que de lui... jusqu'au déclic, au vingtième défèrement peut-être : c'est alors qu'il faut prendre davantage de temps. L'important est de garder la cohérence de l'institution... et d'optimiser l'organisation, autant que possible.
M. Michel Amiel, rapporteur . - L'incarcération est-elle une menace dissuasive pour ces jeunes ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - Pour certains, oui, ce qui est rassurant. Dans certains cas, l'effet qu'elle produit sur le mineur nous conduit à y renoncer. Dans d'autres, l'action de la justice, qui a sa violence, provoque des réactions compréhensibles de refus. J'ai vu des mineurs proférer outrages et insultes pendant les 48 heures de leur garde à vue, puis s'effondrer devant le juge des libertés et de la détention : c'est le signe qu'une prise de conscience a eu lieu.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Le comportement des filles diffère-t-il de celui des garçons ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - Oui, la jeune fille délinquante est plus complexe. Lorsqu'elle bascule, sa violence est difficilement rattrapable. Il faut avec elle beaucoup plus de patience et d'autres modalités de prise en charge. Elles sont parfois auteurs et victimes de violence, se mettent elles-mêmes en danger, suivent des parcours difficiles - je songe aux faits de prostitution et de proxénétisme.
M. Michel Amiel, rapporteur . - L'esprit des ordonnances de 1945 et 1958 est-il encore respecté ou est-ce que, depuis les années 2000 et les lois Perben, le répressif prime l'éducatif ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - J'ai commencé il y a vingt ans au parquet des mineurs de Pontoise, y suis revenue il y a dix ans après avoir occupé divers postes, et je me trouve à la tête de la section des mineurs du parquet de Paris depuis trois ans : mon expérience me conduit à répondre que l'esprit de l'ordonnance de 1945, qui fixe un cadre faisant primer l'éducatif, est toujours vivant et inspire l'action des services. Les lois Perben ont pu introduire dans le code de procédure pénale des restrictions aux libertés individuelles pour renforcer l'efficacité de l'enquête, mais ces dispositions ne s'appliquent pas toutes aux mineurs.
Toutes les failles de l'ordonnance de 1945 n'ont cependant pas été comblées. Le contrôle judiciaire par exemple, qui est une atteinte aux libertés individuelles, est aux termes de l'ordonnance de 1945 prononcé « sans délai ». Encore faut-il que la PJJ ait les moyens de suivre tous les mineurs concernés pendant les deux ans que peut durer un contrôle judiciaire ! Une durée maximale de six mois pour mettre en oeuvre une telle mesure serait utile. Autre exemple : la césure, c'est-à-dire le fait que le magistrat qui met un mineur en examen ne soit pas celui qui le juge, afin de conserver un certain recul, n'est pas évidente à mettre en oeuvre. Cela étant, l'ordonnance de 1945 reste cohérente, et la primauté de l'éducatif, tant que l'on maintient une bonne coordination entre tous les acteurs, n'est pas remise en cause.
M. Michel Amiel, rapporteur . - Le recentrage de la PJJ sur le pénal, alors que l'ordonnance de 1958 la situait au carrefour du pénal et du civil, n'est-il pas un obstacle dans le suivi du parcours des jeunes délinquants ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - La loi du 14 mars 2016 nous a autorisés à désigner la PJJ pour la mise en oeuvre de mesures civiles dans les dossiers complexes, en matière de prévention de la radicalisation par exemple, et c'est tant mieux. Peu importe le service désigné par le juge, aide sociale à l'enfance (ASE) ou PJJ ; notre travail consiste à faire se rencontrer les services civils et ceux de la PJJ. Il nous faut créer des dispositifs de coopération indépendamment des textes. Prenez le cas des bandes : un groupement local de prévention de la délinquance (GLPD) spécialisé a été créé ; à l'issue d'une procédure pénale, la PJJ se voit confier la conduite de mesures éducatives individuelles, ce qui ne peut toutefois suffire à pacifier le quartier. Je demande alors à l'ASE, signalements à l'appui, de contacter tous les acteurs, jusqu'aux clubs de prévention et aux mairies d'arrondissement, pour vérifier que chacun fait le nécessaire. La PJJ et l'ASE se rencontrent pour faire le point régulièrement. Le procureur des mineurs a un rôle pilote à jouer dans la conduite de politiques partenariales à l'échelle de la ville.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - En somme, le procureur donne le la.
Mme Laëtitia Dhervilly . - Oui. Le travail judiciaire est ainsi plus étayé. Notre conclusion opérationnelle est toutefois que le manque de moyens nous met souvent en difficulté...
M. Michel Amiel, rapporteur . - La ministre de la justice a annoncé conformément au programme du président de la République, la création de vingt nouveaux CEF. Ne vaudrait-il pas mieux déployer les nouveaux moyens sur l'ensemble des dispositifs - à plus forte raison si l'on ferme les centres existants qui ne fonctionnent pas ?
Mme Laëtitia Dhervilly . - C'est tout le problème. Nous n'avons pas assez de centres éducatifs fermés, mais ces créations se feraient-elles au détriment d'autre chose ? En réalité, nous manquons de tout. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un panel, d'une diversité de solutions. Le parcours d'un jeune peut, selon les situations, les inclure toutes, ou certaines seulement, mais nous devons avoir toutes les cartes en main. Et avant même les centres, c'est d'éducateurs de la PJJ que nous manquons.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Merci pour votre pédagogie. Vous nous avez expliqué clairement que la prise en charge était individualisée, laissant une chance à chaque mineur, sans pour autant les soustraire à la possibilité de l'enfermement lorsqu'elle s'impose - ce que nos concitoyens ne comprennent pas toujours.
Mme Laëtitia Dhervilly . - Nous ne faisons pas n'importe quoi avec les mineurs : nous appliquons les textes ! Les décisions des juges du siège ne nous satisfont pas toujours, mais il reste dans ce cas la voie de l'appel. Je comprends que les procureurs, qui défendent l'ordre public, soient la cible du mécontentement de nos concitoyens, que la délinquance excède car elle les empêche parfois de rentrer chez eux tranquillement le soir. Lors des réunions publiques que j'organise dans les mairies d'arrondissement, je leur dis la même chose qu'à vous : voilà comment les choses fonctionnent ; elles pourraient mieux fonctionner.
Mme Catherine Troendlé, présidente . - Nous vous remercions.