Rapport d'information n° 717 (2017-2018) de M. Philippe DOMINATI , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 septembre 2018

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N° 717

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 septembre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enquête de la Cour des comptes sur les équipements de la police et de la gendarmerie ( acquisition et utilisation ),

Par M. Philippe DOMINATI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La nécessaire remise à plat de la gestion du parc automobile

Les véhicules représentent le premier poste de dépense au sein du périmètre de l'enquête confiée à la Cour des comptes, soit chaque année près de la moitié des dépenses d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales. Ainsi que l'a indiqué le major général de la gendarmerie nationale Christian Rodriguez lors de l'audition pour suite à donner, ces derniers revêtent une importance cruciale dans le quotidien des forces : « aujourd'hui, 3 100 brigades couvrent 95 % du territoire. La moyenne de la superficie d'une communauté de brigade est supérieure à celle de Paris et il n'y a pas de métro ! La voiture est un vrai besoin. Les gendarmes veillent à être capables de se déplacer. »

La Cour des comptes confirme ainsi le vieillissement du parc automobile, dont votre rapporteur spécial avait fait état lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 1 ( * ) .

Le taux actuel de renouvellement du parc, tant en police qu'en gendarmerie, ne permet que de ralentir son vieillissement : le remplacement de moins d'un dixième du volume en véhicules légers conduit, alors que les critères de réforme s'établissent à huit ans, à les faire glisser de fait vers les dix ans. Sur la période 2012-2016, le vieillissement des véhicules est supérieur à deux ans dans la police nationale (l'âge moyen des seuls véhicules légers est passé de 3,65 ans à 5,75 ans au 1 er janvier 2017). En outre, de nombreux véhicules remplissant les conditions de réforme sont encore en circulation (de l'ordre de 65 % dans la police nationale).

Nombre de véhicules de la police nationale et âge moyen

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses aux questionnaires budgétaires)

Des préoccupations de votre rapporteur spécial, relayées par l'enquête de la Cour des comptes, portent également sur l'inadéquation entre les véhicules en service et les besoins opérationnels. L'absence de concordance entre le matériel retenu et les besoins exprimés peut ainsi venir de divers facteurs :

1/ La contrainte budgétaire. Selon la Cour des comptes, la préfecture de police a ainsi indiqué avoir rencontré des difficultés pour remplacer des véhicules utilisés par les forces de primo-intervention en cas de tuerie de masse. Leur besoin d'une capacité d'emport plus importante aurait dû conduire à acquérir des véhicules de segment supérieur dont le coût unitaire était d'environ 40 % plus élevé. La préfecture regrette que le service de l'achat, de l'équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) , sans consulter les services, ait commandé des véhicules plus petits ou plus légers, certes moins chers, mais ne correspondant pas aux attentes.

2/ Une appréciation parfois erratique des besoins. L'exemple de l'armement embarqué dans les équipages BAC est, à cet égard, symptomatique. Des policiers des BAC ont ainsi indiqué à la Cour des comptes et à votre rapporteur spécial avoir rencontré des difficultés pour embarquer les nouveaux équipements acquis dans le cadre des plans de renforcement dans des véhicules acquis antérieurement aux attentats de 2015-2016 : leur définition actuelle n'intègre pas, en fonction de l'unité, la charge totale emportée, compte-tenu du nombre de fonctionnaires embarqués et de leurs équipements (armes, casques lourds, protections, etc.). Les nouveaux armements et équipements de protection ont, en effet, un poids qui limite les performances des engins et parfois excède leurs capacités. Ainsi, la définition du coffre sécurisé d'emport des fusils HK-G36 a été établie indépendamment du type de véhicule. L'implantation de cette arme lourde stérilise une part importante de leurs coffres, déjà remplis par l'équipement des agents des BAC.

Au total, votre rapporteur spécial estime qu'il est nécessaire d'entamer une réflexion d'ensemble sur la consistance du parc (taille du parc et nature des véhicules) et sur sa gestion, notamment en matière d'entretien.

Différentes pistes visant à assurer une meilleure adéquation du parc au besoin sans en augmenter le coût, comme la location, pourraient à cet égard être envisagées. Au cours de l'audition pour suite à donner, Eric Morvan, directeur général de la police nationale a ainsi indiqué ne pas s'interdire de s'interroger sur « le dimensionnement [du] parc de 30 000 véhicules. Comparaison n'est pas raison, mais les compagnies aériennes cherchent à réduire au minimum le temps passé par leurs avions au sol pour d'évidentes raisons de coût. [...] Si nous parvenons à trouver un modèle qui permette de garantir le maintien en condition opérationnelle et un âge moyen des véhicules à quatre ou cinq ans, ce sera une bonne option. Il se trouve que La Poste [qui a externalisé sa flotte de véhicules au début des années 2000] a un modèle que nous regardons, sur lequel l'inspection générale de l'administration travaille ». De telles solutions nécessitent toutefois un important effort d'anticipation et de collaboration avec les éventuels prestataires , afin d'assurer la conformité des véhicules loués aux besoins, très spécifiques, des forces de l'ordre.

En matière d'entretien, la Cour des comptes relève les gains attendus grâce au regroupement de certains ateliers. Votre rapporteur spécial souhaite également que la réflexion soit étendue à l'opportunité d'externaliser ces fonctions . Le major général de la gendarmerie nationale, Christophe Rodriguez a ainsi reconnu lors de l'audition pour suite à donner que l'organisation actuelle, reposant sur un dispositif d'entretien totalement centralisé, n'était pas nécessairement optimale : « on peut considérer approximativement que 20 % des effectifs doivent suffire, mais cela mérite d'y réfléchir encore ». La nécessité de conserver des effectifs dédiés à l'entretien peut se justifier notamment par la nécessité de pouvoir assurer un soutien opérationnel lors des éventuels déploiements dans les collectivités d'outre-mer : « si le modèle futur tend vers une externalisation du soutien automobile, ce qui peut s'entendre, nous devrons préserver une capacité, qu'il faut objectiver : la capacité permettant d'être projeté, par exemple, en Nouvelle-Calédonie. Si nous envoyons près de dix escadrons sur place, il faudra également envoyer le personnel pour entretenir les véhicules. »

En tout état de cause, votre rapporteur spécial estime qu'une plus grande externalisation, dont les contours restent à définir, pourrait être source d'économies et d'une meilleure réactivité. De telles externalisations ont d'ores et déjà été réalisées par le ministère de l'intérieur, par exemple pour le maintien en condition opérationnelle de la flotte aérienne de la sécurité civile, qui se distingue également par un niveau de contraintes et d'exigence élevé (réactivité et disponibilité du prestataire).

2. Une insuffisance des éléments de comparaison internationale préjudiciable à l'effort de modernisation

Dans son enquête, la Cour des comptes indique avoir saisi la direction de la coopération internationale (DCI) du ministère de l'intérieur et un certain nombre d'attachés de sécurité intérieure, et avoir reçu des contributions, mais qui se sont révélées être d'un « intérêt limité ». Le rapport ne comprend donc que peu d'éléments chiffrés relatifs aux comparaisons internationales. Il mentionne notamment l'exemple de la police berlinoise et le renouvellement fréquent de son parc de véhicules, à hauteur de 25 % chaque année. Le ratio véhicules/agent au Royaume-Uni est également mentionné et se révèle être sensiblement inférieur au Royaume-Uni et en Allemagne qu'en France, ce qui pourrait s'expliquer « par une meilleure organisation et une réelle mutualisation, ainsi que, dans le premier pays, par un recours important à la location ». Ces éléments de comparaison ponctuels ne sont toutefois pas de nature à alimenter la réflexion sur la structure et le niveau optimal de dépenses.

Les difficultés de l'exercice sont bien connues : les États conservent pour l'essentiel une organisation et des caractéristiques spécifiques héritées de l'Histoire. La France dispose de deux forces de sécurité intérieure nationales, ce qui n'est pas le cas de l'ensemble des pays comparables, lesquels ont parfois délégué ces compétences à leurs collectivités territoriales.

Votre rapporteur spécial estime que ces difficultés ne justifient toutefois pas l'absence d'approfondissement en la matière, qui doit constituer un préalable à tout projet de réforme ou de modernisation et devra nécessairement être étudié à l'avenir.

3. Une augmentation bienvenue des dépenses d'équipement au sein des deux forces depuis 2015...

La Cour des comptes relève que les dépenses en équipements et matériels des forces de l'ordre ont progressé très sensiblement entre 2012 et 2017 (+ 181 %). L'augmentation a été particulièrement marquée à partir de 2015 dans le cadre de plans successifs de renforcement (PLAT 2 ( * ) 1, PLAT 2, Plan migrants, PSP 3 ( * ) ) pour les quatre catégories d'achats retenues par l'enquête.

Évolution des dépenses d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales et de leur part dans l'ensemble des dépenses

(en millions d'euros, en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport de la Cour des comptes.

Les véhicules représentent le premier poste de dépense au sein du périmètre de l'enquête, soit chaque année près de la moitié des dépenses d'équipement de la police et de la gendarmerie. Les autres postes de dépense (habillement, moyens de protection, armes et munitions) ont également fait l'objet d'un effort très significatif entre 2012 et 2017.

Structure des dépenses de la police et de la gendarmerie nationales prises en compte par l'enquête

(en millions d'euros, en CP)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Variation

2012/2017

Armes et

munitions

12,1

8,4

6,6

19,6

50,4

40,4

+ 232,8 %

Habillement

52,8

68,2

54,3

52,4

67,9

78,2

+ 48,2 %

Moyens de

2,2

6,7

3,74

24

74,2

82,7

+3 731 %

protection

Véhicules

65,3

82,7

104,6

140,8

183,3

170,7

+ 161,2 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport de la Cour des comptes

Si elle constitue une évolution positive, cette forte augmentation des dépenses d'équipement doit être replacée dans le contexte plus général de forte augmentation du total des dépenses des deux programmes sur la période retenue par la Cour des comptes (2012-2017), incluant une hausse des dépenses de personnel.

4. ...qui doit être replacée dans le contexte plus général de baisse de la part des dépenses de fonctionnement et d'investissement dans le total des dépenses, laquelle fait courir un risque de paupérisation aux deux forces

La part des dépenses de personnel dans l'ensemble des dépenses atteint 87,03 % pour les deux forces en 2017. Certes, ce taux a légèrement diminué ; de presque 0,5 point (il s'établissait à 87,5 % en 2012) sur la période retenue, et ceci s'explique en partie par l'augmentation des dépenses d'équipement.

Évolution comparée des dépenses de personnel et des dépenses de fonctionnement et d'investissement

(en millions d'euros, en %)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Évolution 2012-2017

Police nationale

Titre 2

8 269,30

8 421,50

8 568,30

8 692,7

8 837,90

9 174,20

10,94%

Total

9 205,20

9 345,50

9 467,30

9 702,5

9 957,80

10 311,20

12,01%

Titre 2 / Total

89,80%

90,10%

90,50%

89,60%

88,80%

88,97%

Gendarmerie nationale

Titre 2

6 649,50

6 825,90

6 859,40

6 908,6

6 998,10

7 331,60

10,26%

Total

7 849,30

8 051,50

8 076,50

8 147,3

8 308,30

8 653,60

10,25%

Titre 2 / Total

84,70%

84,80%

84,90%

84,80%

84,20%

84,72%

Total

Titre 2

14 918,90

15 247,50

15 427,60

15 601,3

15 836

16 505,80

10,64%

Total

17 054,60

17 397

17 543,80

17 850

18 266,10

18 964,80

11,20%

Titre 2 / Total

87,50%

87,60%

87,90%

87,40%

86,70%

87,03%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Sur le temps long, la baisse relative des dépenses d'investissement et de fonctionnement est importante. Ainsi, de 2006 à 2017, alors que les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 30 %, les dépenses de fonctionnement et d'investissement ont connu une baisse de 6,89 %.

Évolution comparée des dépenses de personnel
et des autres dépenses depuis 2006

(en millions d'euros)

2006

2017

Évolution 2006 / 2017

Titre 2

12 685

16 505,8

30,12%

Hors titre 2

2 641

2 459

-6,89%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Divers éléments expliquent l'augmentation du montant des dépenses visées par la Cour alors même que le ratio dépenses de personnel / dépenses totales (investissement, intervention et personnel), mentionné par votre rapporteur spécial dans ses rapports budgétaires, s'est dégradé.

Les dépenses de fonctionnement et d'investissement sont plus larges que les seules dépenses d'équipement retenues pour le champ de l'enquête confiée à la Cour des comptes 4 ( * ) .

L'enquête de la Cour des comptes :
un périmètre circonscrit à certaines dépenses d'équipement

La Cour a précisé, par un courrier du Premier président du 15 mars 2017, le champ et les modalités de l'enquête, indiquant que « ceux-ci porteraient en priorité sur [quatre catégories d'achats :] les moyens mobiles (parc automobile), les armements et munitions, les équipements de sécurité et l'habillement des personnels en tenue . Ils permettront de mesurer, sur une base pluriannuelle, l'évolution des dépenses qu'y consacre l'État. Ils concerneront l'ensemble de la chaîne « achat - équipement - logistique », de l'expression du besoin à l'acquisition des biens, leur livraison, leur utilisation, leur stockage, leur maintien en condition opérationnelle et leur comptabilisation ».

Cette enquête a donc été effectuée sans prendre en compte les moyens suivants :

- les moyens mobiles autres qu'automobiles (gendarmerie maritime, hélicoptères) ;

- l'équipement numérique mobile (projets de tablettes numériques à destination des policiers et gendarmes - Néogend et Néopol) ;

- la vidéo-protection et les caméras-piétons ;

- les matériels et équipements spécialisés pour le renseignement et la police technique et scientifique 5 ( * ) .

Par ailleurs, elles n'incluent pas les dépenses immobilières, qui constituent une préoccupation majeure pour les deux forces, et dont les dépenses ont stagné sur la période étudiée.

Évolution des dépenses d'investissement immobilier

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses aux questionnaires budgétaires)

La plupart des dépenses visées sont comptabilisées dans les documents budgétaires comme des dépenses de fonctionnement, même si certaines dépenses, comme l'acquisition des véhicules entrent dans le champ de l'enquête alors qu'elles sont imputées en dépenses d'investissement. Ainsi, les dépenses sous revue par la Cour s'élevaient en 2017 à 193 millions d'euros en crédits de paiement (CP) pour la police nationale, alors que les dépenses de fonctionnement s'élevaient à 903 millions d'euros (et celles d'investissement à 197 millions d'euros) la même année. Pour la gendarmerie nationale, ces dépenses s'élevaient à 178,2 millions d'euros en CP en 2017, pour un montant de dépenses de fonctionnement de 1 302 millions d'euros. Les dépenses retenues ne constituent donc qu'une faible part de l'ensemble des dépenses hors titre 2.

Au total, votre rapporteur spécial estime que malgré la hausse des dépenses d'équipement, l'évolution générale du budget de la police et de la gendarmerie nationales, privilégiant les dépenses de personnel au détriment de l'investissement et des dépenses de fonctionnement, est particulièrement préjudiciable à la capacité opérationnelle des forces qui courent un réel risque de « paupérisation ».

Le contexte actuel ne semble pas propice à une évolution favorable dans ce domaine. Les dépenses de personnel devraient en effet être alimentées, dans les années à venir, par les 10 000 recrutements au sein des forces de sécurité intérieure annoncés par le Président de la République et par le dynamisme préoccupant des dépenses de rémunération, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un récent référé de la Cour des comptes 6 ( * ) , qui devrait limiter les marges de manoeuvre budgétaires. Au cours de l'audition pour suite à donner, Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour, a d'ailleurs rejoint cette analyse, estimant que « la double saturation des crédits par les revalorisations salariales et l'augmentation programmée des effectifs risque d'aboutir à un nouveau phénomène d'éviction des crédits d'équipement » malgré l' « effort » indéniablement consenti ces dernières années.

TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 19 septembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à une audition pour suite à donner à l ' enquête de la Cour des comptes , transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances, sur les équipements de la police et de la gendarmerie (acquisition et utilisation).

M. Vincent Éblé , président . - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission des finances en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur l'équipement des forces de l'ordre.

Nos deux forces de sécurité intérieure, la police et la gendarmerie nationales, ont connu ces dernières années des évolutions importantes qui ont fortement accru leur activité opérationnelle - les attentats terroristes, la crise migratoire ou encore la mise en place de l'état d'urgence. Cette forte mobilisation a entraîné une inflexion voire un changement de leurs missions et la mise en place de différents plans de renforcement : plans de lutte antiterroriste (PLAT), plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC), pacte de sécurité publique.

L'équipement - automobile, protection, armement, habillement - étant central dans l'amélioration de la capacité opérationnelle de nos forces, le budget qui lui est consacré a fortement augmenté, notamment depuis 2015. Mais de nombreuses questions subsistent sur le niveau réel des équipements et sur l'efficacité de la chaîne « achat - équipement - logistique ». C'est pourquoi notre commission a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur les moyens d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales.

M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes . - N'ayant pris mes fonctions qu'après la fin de ce travail, je tiens à souligner que tout le mérite en revient aux personnes qui m'accompagnent pour cette audition. L'enquête que je vous présente, dont le contour a été précisé au début de l'année 2017 avec le rapporteur spécial du budget de la mission « Sécurités », M. Philippe Dominati, se présente comme une analyse des processus d'achat des forces de sécurité intérieure.

Elle a mobilisé une équipe particulièrement nombreuse de la Cour des comptes, qui s'est rendue auprès des services compétents pour la réalisation de ces achats, mais aussi dans quatre secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (Sgami), de très nombreuses unités territoriales de police et de gendarmerie et les principaux établissements dépendant du service des achats des équipements de logistique de la sécurité intérieure. Le Centre de recherche, d'expertise et d'appui logistique (Creal) du Chesnay et l'Établissement central logistique de la police nationale à Limoges ont également été visités, ainsi que les principaux fournisseurs des forces de sécurité. L'équipe a travaillé sur des échantillons de marchés, et audité les systèmes d'information permettant de recenser - parfois avec difficulté - les achats réalisés ; enfin, elle a collecté des éléments de comparaison internationale.

L'enquête s'est déroulée dans de très bonnes conditions. Plus qu'un simple déroulé clinique des procédures d'achat, nous en avons retiré des connaissances approfondies sur les besoins de nos forces et les résultats des politiques menées. Nous avons également rencontré les organisations représentatives des personnels de police et des membres d'associations professionnelles de militaires de la gendarmerie nationale.

Vous avez, monsieur le président, rappelé que les attaques de 2015 avaient créé un contexte d'urgence. Deux autres éléments pèsent sur la procédure d'achat : le progrès technologique, qui implique un certain rythme de renouvellement, et les conditions opérationnelles d'exercice qui entraînent des besoins en matériel nouveaux.

Le contexte budgétaire, bien connu de votre commission, est un phénomène d'éviction des dépenses d'équipement, jusqu'au point bas atteint en 2012, où elles représentaient 1,1 % des crédits de la mission Sécurités. Les attaques terroristes de 2015 ont d'abord entraîné un considérable effort de rattrapage, la part des dépenses d'équipement remontant à 3 % en 2017, soit une augmentation de 180 %, de 132 à 372 millions d'euros. La mutualisation des équipements entre la police et la gendarmerie s'est accélérée, incarnée par deux institutions : le service de l'achat, de l'équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (Saelsi) et les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur.

La Cour des comptes a souhaité évaluer l'impact de ces efforts de rattrapage et de mutualisation et les résultats de l'organisation mise en place en 2014. Elle a pour cela conduit un audit complet de la chaîne d'achat, de la reconnaissance et de l'identification des besoins à la mise à disposition des matériels concernés et au maintien en condition ; avec, entre les deux, la fonction achat proprement dite. Ces trois chaînons sont l'objet des trois principaux chapitres du rapport.

Nous avons circonscrit l'enquête à quatre catégories de matériel : les véhicules, les armements et munitions, les équipements de protection et l'habillement. Si le rapport ne porte pas de jugement sur le niveau d'équipement souhaitable des forces de sécurité et le caractère satisfaisant ou non de celui-ci, il met en évidence des lacunes persistantes sur lesquelles je reviendrai en conclusion.

Premier maillon de la chaîne, l'identification des besoins est essentielle dans le processus car elle permet la priorisation des achats et les arbitrages. Notre audit montre que ce dispositif a gagné en cohérence, limité les redondances ou différences inutiles entre forces, et permis de progresser dans la recherche délicate d'un équilibre entre la vision nationale des besoins et l'ajustement des équipements des structures territoriales. L'indispensable approche pluriannuelle des projets a progressé avec l'institution en 2016 de revues de projet.

Le dispositif reste néanmoins perfectible. Ainsi, le dialogue entre forces utilisatrices et services d'achat, à travers les retours d'expérience, pourrait être amélioré. Le dispositif d'identification et de remontée est parfois lourd et insuffisamment normalisé. Enfin, le processus d'identification des besoins doit inclure une réflexion sur les conséquences de l'intégration des nouveaux matériels. Ceux-ci doivent s'inscrire dans une doctrine d'emploi, un environnement opérationnel et une configuration des forces qui doivent être pris en compte dès le début. Autre nécessité, un approfondissement de la veille technologique et une association plus systématique du service de prospective, le centre de recherches et d'études des forces de sécurité. Il conviendrait de formaliser davantage le besoin de dotation théorique des unités, la formalisation étant actuellement plus avancée dans la gendarmerie que dans la police. Ainsi, la Cour des comptes recommande que dans le domaine sensible des véhicules, la réflexion soit davantage fondée sur une analyse des besoins que sur la simple logique de renouvellement : nous observons que le ratio entre les effectifs et les véhicules est plus élevé en France que chez nos plus grands voisins.

Deuxième maillon de la chaîne, le dispositif d'achat proprement dit. Dans ce domaine, les voies d'amélioration reposent sur des systèmes d'information fiables permettant de suivre l'état et l'affectation des matériels, pour avoir une vision claire de l'existant. Le traçage reste aujourd'hui difficile. Deuxième problème, l'absence de formalisation d'une stratégie d'achat au niveau ministériel, pourtant prévue dans le cadre de la politique d'achat définie par l'État. Au cours de son enquête et de ses échanges avec le ministère, la Cour s'est interrogée sur l'existence d'un véritable document synthétisant cette stratégie.

Au cours de la période 2014-2017, le rattrapage que j'ai mentionné s'est placé sous l'égide des deux premiers plans de lutte contre le terrorisme, qui prévoyaient un renforcement urgent des moyens. Or, menées dans un tel contexte, les procédures d'achat n'ont pas été mises en oeuvre avec la plus grande rigueur. Certes le code des marchés publics prévoit des dérogations dans le cadre de l'« urgence impérieuse », néanmoins, la Cour des comptes a parfois eu des difficultés à retracer les achats conduits pendant cette période. Si l'urgence excuse beaucoup, il convient, plus généralement, de professionnaliser les achats. Le niveau pertinent d'achat, entre le niveau central et celui des Sgami ou des régions de gendarmerie, mérite d'être précisé. Ainsi l'augmentation constatée, pour la dernière année faisant l'objet de la revue, des achats en région ne s'explique pas entièrement par un souci de répartition rationnelle. Cela a conduit la Cour des comptes à recommander une meilleure identification du niveau d'achat pertinent, en privilégiant, si possible, les marchés nationaux.

L'attention portée à la performance du système mérite d'être accrue. Nous entendons, pour avoir dialogué avec les services concernés, que cette évaluation peut se prêter à des interprétations méthodologiques. Nous concédons volontiers que la marge de négociation est limitée lorsque l'on s'adresse à une centrale d'achat, mais même dans ce contexte, un dialogue plus exigeant avec les fournisseurs est souhaitable. Donnons cependant acte aux services concernés des progrès réalisés à l'occasion des renouvellements les plus récents : ainsi des gilets pare-balles ont été obtenus à 100 euros l'unité, ce qui marque une avancée notable par rapport aux fournitures commandées sous le régime de l'urgence.

Enfin, dans la fonction logistique, l'intégration entre les deux principales forces est moins importante que dans les deux autres maillons de la chaîne. Les systèmes d'information, les procédures d'approvisionnement logistique, le suivi des équipements au sein des forces reposent sur des circuits presque entièrement distincts, à l'exception, notamment, de la livraison des véhicules.

De façon générale, une attention insuffisante est portée à la fonction logistique. Des insuffisances ont été constatées dans l'exécution des marchés et le respect des délais ; ainsi, fin 2016, un tiers des véhicules commandés n'avaient pas encore été livrés. Le suivi de l'état des équipements, comme le kilométrage des véhicules, n'est pas automatisé. Les systèmes d'information sont dans une certaine mesure interfacés avec les systèmes comptables dans la gendarmerie, mais pas dans la police. Cela entraîne parfois un suivi des stocks dans des conditions non réglementaires. Ce problème est également lié à l'état très dégradé de certains locaux de police et de gendarmerie.

La fourniture de certains services indispensables, comme les stands de tir pour l'entraînement des forces, se rattache à la logistique. Ainsi les nouveaux fusils mitrailleurs ne peuvent être utilisés dans les stands existants, ce qui n'avait pas été anticipé lors de la commande. Il est indispensable d'intégrer dans la doctrine les conditions d'emploi des matériels.

En dépit des progrès constatés, la mutualisation reste à approfondir et consolider, sans se limiter à l'achat : il convient également d'harmoniser les doctrines et les méthodes des deux forces. La fonction logistique reste un point d'ombre : les Sgami continuent à travailler, pour l'essentiel, pour la police nationale.

Les systèmes de gestion utilisés méritent d'être remplacés et fiabilisés, notamment pour le suivi des achats et la connaissance de l'existant.

Les fonctions achat et logistique tendent à être négligées dans toutes les organisations dont la finalité est opérationnelle ; or elles nécessitent un niveau élevé de professionnalisation. Il est indispensable de retenir les spécialistes, peu nombreux, et de mettre en place une politique prospective des emplois pour recruter de bons acheteurs et logisticiens.

Enfin, la gouvernance de l'ensemble réclame des améliorations, en particulier l'intégration des Sgami dans le processus de décision de la police et de la gendarmerie.

En conclusion, l'effort de rationalisation doit être poursuivi autour de trois priorités : la définition des équipements des forces qui doit procéder d'une évaluation plus fine et plus complète de leurs besoins opérationnels, une politique d'achat inscrite dans une stratégie pluriannuelle formalisée intégrant les progrès technologiques, une revalorisation de la fonction logistique associée à un renforcement de la gestion des stocks. Je tiens à souligner la qualité des échanges avec les services concernés, qui pour l'essentiel n'ont pas contesté les conclusions de l'enquête.

Un dernier mot sur le contexte budgétaire. La Cour des comptes a alerté à de nombreuses reprises, et dernièrement dans un référé du Premier président sur le temps de travail et la rémunération des forces de police et de gendarmerie rendu public début juin, sur les tensions budgétaires dans la mission « Sécurités ». Vous connaissez bien le problème du mécanisme d'éviction des dépenses hors titre 2, consacrées à l'entretien et à l'investissement. Historiquement, c'est l'augmentation de la masse salariale induite par les plans de valorisation de 2006 qui a créé les conditions budgétaires de la crise des équipements de 2012. Or dans le contexte budgétaire actuel de la mission Sécurités, tous les éléments d'une nouvelle crise sont réunis. Comme la note d'exécution budgétaire 2017 le souligne, la mission Sécurités est déjà sous tension et les prévisions triennales ne sont pas réalistes, compte tenu des efforts déjà consentis sur le plan des rémunérations et des effectifs. La double saturation des crédits par les revalorisations salariales et l'augmentation programmée des effectifs risque d'aboutir à un nouveau phénomène d'éviction des crédits d'équipement. Or l'effort que j'ai évoqué n'épuise pas la question. Ainsi, le renouvellement des véhicules n'empêche pas la poursuite du vieillissement du parc. Il faut de nouveau suivre de très près les trajectoires de dépenses du titre 2 afin de conserver une marge suffisante pour consolider les améliorations intervenues entre 2012 et 2017.

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial de la mission Sécurités . - Je remercie la Cour des comptes pour sa présentation et pour son enquête qui apporte un éclairage intéressant et des analyses précises sur les moyens d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales, même si certains éléments entrent dans un niveau de détail qui me semble ne pas relever directement du niveau législatif.

L'examen de l'évolution du budget consacré à l'équipement depuis 2012 est un travail important et extrêmement instructif, puisque ces dépenses - automobile, protection, armement, habillement - ne sont pas isolées dans les documents budgétaires, et ne recoupent pas la catégorie des dépenses de fonctionnement et d'investissement. Leur analyse par le Parlement à l'occasion de l'examen des différents projets de loi de finances est donc rendue particulièrement difficile, tout comme leur traçabilité. Selon l'enquête de la Cour des comptes, les dépenses en équipements et matériels des forces de l'ordre ont progressé de 181 % entre 2012 et 2017, soit un triplement. L'augmentation a été particulièrement marquée à partir de 2015 dans le cadre de plans successifs de renforcement - Plans de lutte antiterroriste 1 et 2, Plan migrants, Plan pour la sécurité publique - pour les quatre catégories d'achats retenues par l'enquête.

Cette forte augmentation, très positive, doit être replacée dans un contexte plus général. La part des dépenses de personnel dans l'ensemble des dépenses atteint 87,03 % pour les deux forces en 2017. Certes, ce taux a diminué de près de 0,5 point sur la période retenue par la Cour des comptes, en partie grâce à l'augmentation des dépenses d'équipement. Toutefois, sur le temps long, on ne peut que déplorer la baisse importante des dépenses d'investissement et de fonctionnement. Ainsi, de 2006 à 2016, alors que les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 30 %, les dépenses de fonctionnement et d'investissement ont connu une baisse de 6,89 %. Cette évolution me semble particulièrement préjudiciable à la capacité opérationnelle des forces qui courent un réel risque de paupérisation.

Le contexte actuel ne me semble pas propice à une évolution favorable dans ce domaine. Les dépenses de personnel devraient en effet être alimentées, dans les années à venir, par les 10 000 recrutements au sein des forces de sécurité intérieure annoncés par le Président de la République et par le dynamisme préoccupant des dépenses de rémunération, objet d'un récent référé de la Cour des comptes. Enfin, cette hausse ne concerne pas les dépenses immobilières, qui ne sont pas dans le champ de l'enquête et constituent également une préoccupation majeure. Elles expliquent la relative stagnation du ratio malgré l'augmentation des dépenses d'équipement.

Cette enquête appelle plusieurs observations. D'abord, la quasi-absence de comparaisons internationales. À la demande de la Cour des comptes, la direction de la coopération internationale (DCI) du ministère de l'intérieur a saisi des attachés de sécurité intérieure dont elle a reçu des contributions d'un intérêt quelque peu limité. Le rapport ne comprend donc que peu d'éléments chiffrés relatifs aux comparaisons internationales - même si l'élu parisien que je suis a pu constater qu'à Berlin, le taux de renouvellement est deux fois plus important qu'à Paris. Cela ne fait-il pas obstacle à une meilleure identification des besoins et des matériels ? Le ministère de l'intérieur songe-t-il à effectuer une comparaison sérieuse des niveaux de dépenses d'équipement des forces de sécurité intérieures des grands pays européens ?

Le rapport confirme le vieillissement général du parc automobile. Le taux actuel de renouvellement, tant en police qu'en gendarmerie, ne permet que de ralentir son vieillissement : le remplacement de moins d'un dixième du volume en véhicules légers conduit, alors que les critères de réforme s'établissent à huit ans, à les faire glisser vers les dix ans. Sur la période 2012-2016, le vieillissement des véhicules est supérieur à deux ans dans la police nationale ; l'âge moyen des seuls véhicules légers est passé de 3,65 ans à 5,75 ans au 1 er janvier 2017. De nombreux véhicules remplissant les conditions de réforme sont encore en circulation, dans une proportion de 65 % dans la police nationale.

Un plan visant à enrayer le vieillissement du parc automobile est-il envisagé par le ministère de l'intérieur ? Une réflexion stratégique sur la consistance souhaitable du parc automobile est-elle prévue ? Les besoins du terrain seront-ils mieux pris en compte par la direction générale de la police nationale ? Ainsi, les véhicules de la brigade anti-criminalité (BAC) ne sont pas toujours compatibles avec la lourdeur de l'armement transporté dans le coffre. Des solutions utilisées à l'étranger, comme le recours à la location au Royaume-Uni, n'engendreraient-elles pas des économies substantielles ?

Pouvez-vous revenir sur le rôle de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) dans l'achat des véhicules ? Une reprise de cette compétence par le Saelsi ne permettrait-elle pas de gagner en efficacité ?

Concernant l'habillement, le système de compte à points permet à tous les personnels actifs de commander des effets d'uniformes, comme des gilets pare-balles ou des chaussures, sur un catalogue prédéfini. Toutefois, malgré les améliorations relevées par la Cour des comptes, de nombreux agents continuent à effectuer certains de leurs achats en dehors du catalogue, ce qui est bien évidemment interdit. Il n'est pas rare de voir autant de paires de chaussures différentes que d'agents au sein d'une même brigade. Ceci s'explique, selon les agents, par le faible nombre de points, par des délais de livraison trop importants et par la mauvaise qualité de certains équipements présents sur le catalogue. Quelles pistes d'amélioration envisagez-vous ?

L'armement de la police et de la gendarmerie a connu des évolutions récentes majeures ces dernières années, et le rapport relève que les conséquences induites, en particulier sur la formation au tir, ont été insuffisamment anticipées. La situation est critique dans la police. En 2017, 51 % des policiers n'avaient pas bénéficié de ces trois séances réglementaires. L'accès aux stands de tir constitue une difficulté récurrente. Quelles mesures sont prévues pour enrayer ce phénomène ? Est-il envisagé de faciliter l'usage de stands de tir privés en police nationale, en simplifiant leur homologation ?

Enfin, le rapport évoque de nombreuses pistes de mutualisation des achats, soit entre les deux forces, soit avec d'autres administrations comme l'armée ou la douane. Est-il possible de chiffrer les économies potentielles ? Y a-t-il des pistes avancées à moyen terme dans ce domaine ?

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale . - Je salue la qualité du travail de la Cour des comptes, dont les recommandations nous sont très utiles et constituent pour nous un guide et une référence incontestable, dans les discussions que les forces de sécurité conduisent avec les financiers.

Nous partageons le diagnostic porté sur les trois chaînons de l'achat. Le Saelsi est l'un des deux grands exemples, dans l'histoire récente des forces de sécurité intérieure, de mutualisation réussie, même si des progrès doivent être réalisés dans la logistique. L'autre exemple est le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (STSISI) qui construit le paysage numérique des deux forces. Cela méritait d'être souligné.

Le ministre de l'intérieur a décidé, précisément dans les domaines de l'achat et la logistique et du numérique, un approfondissement et une professionnalisation de ces missions. L'inspection générale de l'administration conduit en ce moment une mission de réflexion sur la constitution d'une direction du numérique au sein du ministère et d'une direction des achats intégrant les besoins de la police et de la gendarmerie, mais aussi de sécurité civile. C'est un point qui reste en débat, car ces deux grands corps veulent éviter que leur composante métier et leurs exigences opérationnelles ne soient diluées dans une organisation qui éloignerait les décideurs des réalités du terrain ; mais cela montre que la professionnalisation de certaines tâches est prise en compte dans la réflexion.

Depuis sa création le 1 er janvier 2014, le Saelsi a dû mettre en oeuvre les plans de lutte antiterroriste, contre l'immigration clandestine, le pacte de sécurité, mais aussi le plan de renforcement des Brigades Anti-Criminalité (BAC) de la police nationale et des pelotons de surveillance et d'intervention de la Gendarmerie (PSIG) et le plan pour la sécurité publique. La notion d'anticipation a été évoquée ; mais en 2011, il était difficile d'imaginer que nous serions amenés à commander, par dizaines de milliers, des armes longues dans la police et la gendarmerie, et d'anticiper les conséquences en matière de formation.

La convergence entre les corps de police et de gendarmerie est en marche et s'intensifie à la faveur du renouvellement ; nous disposons désormais d'éléments de protection entièrement communs sur lesquels le badge peut être apposé par un scratch. Il est vrai que nous avons conservé certains éléments de doctrine distincts. Ainsi, dans la police nationale, les armes portées sur la voie publique sont chambrées, et pas dans la gendarmerie. Tout policier doit considérer que son arme a une cartouche chambrée, même si ce n'est pas le cas. Autre exemple, la gendarmerie admet l'étui de cuisse pour les armes individuelles, au contraire de la police car nous considérons que dans certaines situations, ce positionnement de l'arme peut présenter un danger.

Ces choix ont des conséquences en matière d'équipement et de coût. La gendarmerie s'équipe d'étuis de cuisse ; la cartouche chambrée dans les armes de la police est éjectée au moment du remisage, pour des raisons de sécurité et de fiabilité, ce qui induit un coût assumé par la police nationale.

J'ai noté, monsieur le rapporteur, votre déception vis-à-vis des contributions de la direction de la coopération internationale. Nous partageons également le constat de la Cour des comptes sur l'ampleur du parc automobile et son vieillissement rampant, malgré les efforts de renouvellement. Quant à l'opportunité de continuer à passer par l'UGAP pour les achats, et la pertinence de la location, c'est une vaste question...

M. Jérôme Bascher . - Vaste réponse aussi !

M. Éric Morvan . - On peut aborder la question sous plusieurs angles. Le premier serait la définition d'un référentiel commun dans la police nationale, destiné à établir quels sont les véhicules les plus adaptés aux besoins sans se limiter au renouvellement de l'existant. Ce travail est en cours. Un exemple : avec le renforcement des BAC, les Peugeot 308 se sont révélées inadaptées ; nous sommes donc passés à un modèle supérieur pour embarquer le personnel dans de meilleures conditions de sécurité. Nous réfléchissons aussi aux véhicules de transport des CRS, dont le poids embarqué n'a cessé de croître avec l'évolution des équipements, jusqu'à la limite réglementaire du code de la route.

Je ne m'interdis pas de m'interroger sur le dimensionnement de notre parc de 30 000 véhicules. Comparaison n'est pas raison, mais les compagnies aériennes cherchent à réduire au minimum le temps passé par leurs avions au sol pour d'évidentes raisons de coût. Nos organisations ne nous ont-elles pas conduits à constituer un parc dépassant les besoins ?

Autre sujet d'interrogation, l'entretien des véhicules : nos garages sont insuffisamment mutualisés. La pertinence de l'intégration de la fonction de réparation au sein même des services du ministère doit être évaluée. D'abord, nous peinons à recruter des personnels techniques, peu attirés par la fonction publique pour diverses raisons, notamment de meilleures rémunérations et des garanties sur les rythmes de vie dans le privé. Nous le constatons dans les Sgami comme dans les garages centraux, dont celui de Pantin où de nombreux postes sont vacants.

Ensuite, comme les représentants des syndicats vous l'ont probablement indiqué, il faut parfois conduire un véhicule sur plusieurs centaines de kilomètres jusqu'à son lieu de réparation, et charger deux personnes de le faire qui, parfois, attendront sur place le temps de la réparation. Les coûts et les pertes de temps opérationnel liés à ces charges sont mal mesurés faute d'outils pour le faire.

C'est pourquoi certaines opérations d'entretien pourraient être externalisées, tout en conservant les compétences nécessaires pour certains véhicules spécialement équipés ou que, pour des raisons de discrétion, nous souhaiterions réparer nous-mêmes. L'inspection générale de l'administration conduit une mission sur ces sujets, avec des éléments de comparaison internationale. En la matière, la police française est l'une des plus centralisées. Nous achetons en pleine propriété, et réparons nous-mêmes nos véhicules. Certains de nos voisins externalisent la réparation, d'autres louent leurs véhicules à des prix que l'on peut juger prohibitifs.

Toutes ces questions, qui sont totalement pertinentes et mettent en cause des choix stratégiques, sont sur la table. J'espère que l'inspection générale de l'administration (IGA) pourra nous éclairer à la fois sur les coûts et les conséquences sociales.

M. Christian Rodriguez, major-général de la gendarmerie nationale . - Je voudrais revenir sur un point que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur spécial, et sur lequel je n'ai pas tout à fait le même avis que mon ami Éric Morvan. Il s'agit des véhicules, qui constituent un vrai sujet. L'âge moyen des véhicules a légèrement baissé entre le début de l'année et aujourd'hui, passant de 8,4 à 7,2 ans. Je vous concède que si la baisse pouvait encore s'accentuer, on signerait assez vite ! En gros, une fois qu'un véhicule a les pneus lisses, on en change, ce que les lois votées par le Parlement nous permettent de faire plus facilement aujourd'hui. Et nous sommes en train d'investir un petit peu plus sur ce plan.

Si nous parvenons à trouver un modèle qui permette de garantir le maintien en condition opérationnelle et un âge moyen des véhicules à quatre ou cinq ans, ce sera une bonne option. Il se trouve que La Poste a un modèle que nous regardons, sur lequel l'IGA travaille avec les deux inspections générales.

S'agissant de l'habillement, la Cour a évoqué, à un moment donné, un décalage possible entre notre action et les besoins que les personnels peuvent exprimer. Nous tenons un discours constant. Je préside pour ma part chaque année une commission des « tenues » au sein de laquelle siègent des représentants de l'ensemble des régions de gendarmerie de France. Nous travaillons en visioconférence avec les outre-mer et regardons, point à point, l'ensemble des matériels qu'il faut changer ou arrêter. Nous avons supprimé il y a peu la casquette, que les gendarmes ne supportaient pas, la remplaçant par le bonnet de police. Au-delà de l'anecdote, nous allons plus loin sur ce sujet et essayons d'avoir un réel dialogue avec les utilisateurs, qui nous disent de manière très claire ce qu'ils ont à nous dire au sein des commissions diverses et variées. Il s'agit pour nous d'être complètement en adéquation avec les besoins exprimés sur le terrain : nous sommes là non pour faire fonctionner une direction générale mais pour aider les gens de terrain !

Sur les stands de tir, les armes longues, nous sommes dans l'anticipation, si ce n'est que la construction d'un stand de tir demande un peu de temps. La décision de mettre en place les armes longues, dont nous nous souvenons tous, était liée à un besoin immédiat de nos personnels confrontés à des personnes dotées de ce type d'armes. Nous avions déjà des armes longues mais la demande est aujourd'hui plus importante que l'offre.

Cela étant, pour les armes de poing, notre ambition est non de construire de nouveaux stands de tir, mais de passer des conventions avec les fédérations de tir pour l'utilisation des stands. Nous considérons que c'est de la perte de temps et d'argent que de faire habiliter un stand déjà habilité par la fédération pour le même type de munition. Notre démarche est assez pratique : ce que l'on souhaite concrètement à terme - nous sommes pour l'instant à la moitié du chemin -, c'est permettre à un gendarme de faire ses tirs d'entretien. Il y a une partie de tir en situation que nous prendrons en compte, mais si le gendarme doit tirer 90 cartouches par an, nous souhaitons qu'il puisse le faire au stand de tir de la commune la plus proche de son unité d'implantation et qu'il puisse le faire tout seul. Ensuite, il remplit, sur la base de données personnelles, le tir qu'il a effectué, et pour nous, il aura coché la case ! Cela reposera sur la confiance. Sur des sujets comme ceux-là, les gendarmes sont aussi motivés que nous pour que les tirs puissent être effectués dans les meilleures conditions.

En ce qui concerne les garages, la Cour a relevé avec raison que, dans certains endroits, la situation est très perfectible, mais elle a également relevé que cela fonctionne bien dans d'autres, grâce à de bonnes pratiques. Je pense donc que le premier effort consiste à faire en sorte de les étendre partout, ce qui devrait pouvoir se faire assez rapidement.

Je voudrais enfin appeler votre attention sur un petit point de « désaccord » - le mot est fort. Il y a un sujet de résilience. On l'a vu quand vingt forces mobiles étaient déployées à Calais, on l'a vu avec les trente forces mobiles de Notre-Dame-des-Landes, on l'a vu à Saint-Martin, il arrive un moment où surgit un problème de mécanique que le tissu local ne peut pas prendre en charge. On se rend compte qu'il est indispensable de projeter, au-delà des personnes déployées sur place, une capacité.

Si le modèle futur tend vers une externalisation du soutien automobile, ce qui peut s'entendre, nous devrons préserver une capacité, qu'il faut objectiver : la capacité permettant d'être projeté, par exemple, en Nouvelle-Calédonie. Si nous envoyons près de dix escadrons sur place, il faudra également envoyer le personnel pour entretenir les véhicules. Cela ne signifie pas que nous ayons besoin de tous les mécaniciens dont nous disposons aujourd'hui, il suffit d'avoir la taille optimale, laquelle s'objective. On peut considérer approximativement que 20 % des effectifs doivent suffire, mais cela mérite d'y réfléchir encore. Sans plaider pour demain, je veux dire que les crises sont devant nous, notamment dans les outre-mer, où il faut garder cette capacité de pouvoir répondre rapidement.

Mme Sylvie Vermeillet . - Merci aux intervenants pour la qualité de leurs propos. Une question courte à M. le directeur général de la police nationale et à M. le major-général de la gendarmerie : la réforme annoncée des retraites complique-t-elle les recrutements pour les 10 000 nouveaux postes auxquels notre rapporteur spécial a fait allusion ?

M. Jérôme Bascher . - Je saisis l'occasion de cette audition pour remercier M. le directeur général de la police nationale d'avoir affecté cet été, dans le département de l'Oise, des forces supplémentaires sur la zone de Creil, qui est tout à fait particulière.

S'agissant des véhicules, je constate que les besoins exprimés depuis le terrain sont souvent infinis. Sans avoir de doute sur le caractère raisonnable des uns et des autres, force est de constater que la notion de besoins est parfois un peu compliquée.

Sur les garages, je constate les miracles accomplis par le garage de la gendarmerie, qui parvient à désosser trois voitures pour en faire une opérationnelle. En vérité, je me désole qu'on soit obligé de désosser trois voitures pour essayer d'en faire une qui marche, et c'est bien là le problème ! C'est là où le bât blesse ! En effet, on parle de véhicules neufs, en oubliant de mentionner qu'on a choisi de couper, peut-être un peu trop, les crédits consacrés à l'entretien, jadis en progression eu égard à l'âge des véhicules. Sous le discours selon lequel « on a des véhicules neufs », il reste que le parc moyen, lui, demeure très vieux et je crains, pour ma part, une grande difficulté opérationnelle. J'en appelle donc aux magistrats de la Cour des comptes et au rapporteur spécial pour veiller à un bon équilibre.

M. Thierry Carcenac . - En matière de mutualisation des achats, le rapport évoque un potentiel à mieux exploiter avec les forces armées et les douanes et il mentionne quelques catégories d'équipement. Au-delà de la direction des achats de l'État, comment envisagez-vous d'aller pour aller plus loin dans le cadre de cette mutualisation ?

M. Yannick Vaugrenard , rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Aujourd'hui, le moral des troupes semble quelque peu atteint dans la police et dans la gendarmerie. Cet élément d'information est, selon moi, assez déterminant dans nos raisonnements et réflexions.

Premier point, vous avez souligné qu'un effort de financement important - presque un triplement - avait été fait depuis 2012, tout au moins, après les attentats ; vous avez indiqué qu'il serait peut-être judicieux de prélever ces moyens de financement sur le titre 2. Il me paraîtrait intéressant, avant de faire des propositions sur la réduction des sommes inscrites au titre 2, de savoir quel serait le montant du financement idéal pour un vrai renouvellement du matériel. Pour ma part, j'inciterais plutôt à la prudence. Quel serait ce montant selon vous ?

Il reviendrait ensuite au Gouvernement et à la représentation nationale d'établir l'effort nécessaire au sein même du budget de la sécurité nationale ; ou de se prononcer sur la réduction budgétaire d'autres postes. Raisonner uniquement de manière interne n'est pas forcément judicieux.

Deuxième point, il me semble qu'il y a un partage sur le diagnostic élaboré par la Cour des comptes, ce qui est en soi intéressant. J'aimerais savoir si vous partagez les recommandations de la Cour.

Enfin, une question qui est peut-être de simple bon sens : lorsque se posent des problèmes urgents de mécanique dans la police ou la gendarmerie, est-il imaginable de faire appel aux forces armées, qui peuvent avoir des mécaniciens disponibles ? Cette idée vous paraît-elle ubuesque ?

J'ai été surpris par la différence entre les doctrines. S'il existe une telle différence d'appréciation et d'approche, il importe de s'y pencher, au nom de l'efficacité, car il y a manifestement quelque chose à faire : appartient-il aux politiques d'intervenir ?

Pour finir, je regrette, comme le rapporteur spécial, que nous ne puissions pas avoir suffisamment d'éléments de comparaisons internationales, car celles-ci sont toujours utiles. Pour s'inspirer des bons exemples, ou se réjouir de notre exemplarité !

M. Jean-Michel Lair, conseiller maître à la Cour des Comptes . - En effet, en l'absence de comparaisons internationales établies, nous avons essayé de faire au mieux. Les éléments que nous avons recueillis étaient intéressants, mais ils sont tout à fait insuffisants pour produire des enseignements précis. On connaît bien la difficulté de cet exercice. Nous avons en France une police et une gendarmerie, ce qui n'est pas le cas partout. Nous avons des traditions historiques assez fortes. Nous avons une préfecture de police. La Cour des comptes s'aperçoit parfois, lorsqu'elle recueille des informations à l'étranger, que la réalité ne correspond pas tout à fait aux propos tenus par les personnes consultées - en l'espèce, le réseau des attachés de sécurité. Pour obtenir des éléments utiles, il faudrait envoyer sur le terrain des spécialistes capables d'approfondir l'analyse, dans des pays comparables au nôtre dans leur organisation.

J'en viens aux véhicules, point très important compte tenu des enjeux financiers. La Cour des comptes note que de très larges réflexions sont engagées à partir des analyses des missions, pour déterminer les besoins et dégager la meilleure façon d'y répondre, sans aucun tabou, y compris si nécessaire par la location de véhicules.

Monsieur le rapporteur spécial, vous avez évoqué la question de l'UGAP, sujet assez délicat. L'UGAP offre un certain nombre d'avantages. On voit bien, à l'expérience, qu'il y a quelques inconvénients et certains coûts d'intermédiation : délais de livraison manifestement excessifs et insupportables, absence de visibilité sur le calendrier des livraisons... Le ministère de l'intérieur représente une part extrêmement importante des acquisitions de véhicules. Son retrait du dispositif déstabiliserait l'ensemble du système au détriment des autres acheteurs publics - hôpitaux, administrations... Ce sujet très délicat nécessite une discussion interministérielle.

La question de l'habillement est également abordée sur le terrain. Nous ne pouvons pas savoir exactement l'importance du problème : combien d'agents achètent eux-mêmes une partie de leur équipement ? Ce que nous notons, c'est qu'avec l'amélioration du dispositif du compte à points et les normes de confort unifiées entre la police et la gendarmerie, on devrait aboutir à une plus grande satisfaction des besoins. Pour la police, les habillements - en particulier les chaussures utilisées - avaient été testés par des groupes d'agents qui avaient rendu des conclusions positives. Cela montre bien que les consultations ne sont pas toujours très significatives.

J'aborde maintenant les pistes de mutualisation. Nous mentionnons tout au long de notre rapport de nombreux chantiers sur lesquels il faut progresser. Rien n'est jamais gagné - on le voit bien sur les achats. L'avancée n'est pas linéaire : il y a eu un recul sur certains types de produits. Il faut en permanence consolider ce mouvement.

M. Éric Morvan . - On a évoqué tout à l'heure le fait qu'il faut parfois désosser deux voitures pour permettre à une troisième de fonctionner. En soi, ce n'est pas dramatique, c'est même plutôt vertueux, y compris pour le développement durable. Un problème se pose si les deux épaves ne sont pas remplacées. Nous en revenons à la question du renouvellement automobile.

Sur la réforme des retraites et le recrutement, ce que nous redoutons, c'est que l'annonce d'une réforme des retraites emporte assez souvent un effet d'accélération des départs à la retraite. En effet, les personnes concernées demandent à partir en retraite sur la base du cadre juridique qu'ils connaissent, considérant que le prochain sera moins favorable. Nous redoutons cette situation et nous anticipons le fait que des personnes qui ne souhaitaient pas forcément partir rapidement à la retraite le fassent dès maintenant. La conséquence serait de gonfler nos besoins de recrutement pour être en capacité de remplacer l'excédent générationnel dont nous serons privés. Nous ne pouvons pas procéder à un chiffrage faute de connaître le contenu de la réforme qui sera proposée.

La mutualisation au-delà de la police et de la gendarmerie, c'est une chose que nous faisons déjà avec les douanes, sur l'armement, les protections, les munitions... Nous avons une réflexion pour massifier et obtenir des conditions d'achat plus avantageuses sur un certain nombre d'articles : pourquoi pas avec les polices municipales, sans parler forcément de l'armement, qui est un sujet de débat plus récent ? La situation est plus compliquée du fait du principe de libre administration des collectivités territoriales, mais nous sommes tout à fait ouverts.

L'UGAP est un vrai sujet. Si l'on est égoïste et que l'on regarde les choses à l'aune du ministère de l'intérieur, à certains égards, on a intérêt à ne pas passer par l'UGAP. Toutefois, nous sommes son premier client. Sortir de ce dispositif poserait un problème à d'autres ministères, qui n'auront pas la même puissance d'achat et profitent de la nôtre. C'est un sujet interministériel. Nous pourrions avoir une approche égoïste et ne plus passer par l'UGAP.

Les différences de doctrines ont été évoquées. Cela n'est pas choquant et cela s'explique par des « terrains de jeux » un peu différents, si vous me permettez cette trivialité. Intervenir dans un tissu urbain peu dense ou dans une cité difficile de la région parisienne n'implique pas les mêmes postures opérationnelles. Cela peut conduire, au-delà de la culture des forces inscrite dans l'histoire, à des doctrines différentes, mais cela n'est pas systématique.

M. Christian Rodriguez a parlé des stands de tir. C'est un vrai sujet, y compris immobilier puisqu'il faut les construire et les entretenir. La police et la gendarmerie n'ont pas les mêmes doctrines en matière d'utilisation des stands de tir privés. Ainsi, la gendarmerie accepte que ses gendarmes tirent dans des stands agréés par la Fédération française de tir, alors que la police nationale exige une double certification, qui fait intervenir une commission spécialisée.

Je pense, comme de M. Rodriguez, que nous aurons besoin de garder une capacité interne d'entretien des véhicules, notamment outre-mer.

M. Christian Rodriguez . - La gendarmerie nationale suit de très près le dossier des retraites. Nous craignons des départs qui nécessiteraient des recrutements. Nous avons nommé un « monsieur retraite », un colonel de gendarmerie qui suit attentivement ces sujets. Il peut être sollicité par qui le souhaite. Nous avons mis en ligne un calculateur de la retraite. La communication est très intense auprès des personnels. Ce sujet est bien évidemment leur première préoccupation.

J'en arrive aux véhicules. Nous avons préservé les niveaux d'entretien. Mais vous n'empêcherez pas les gendarmes de bricoler deux voitures pour en faire une troisième. Aujourd'hui, 3 100 brigades couvrent 95 % du territoire. La moyenne de la superficie d'une communauté de brigade est supérieure à celle de Paris et il n'y a pas de métro ! La voiture est un vrai besoin. Les gendarmes veillent à être capables de se déplacer.

M. Éric Morvan a évoqué les éventuelles mutualisations. Au-delà de l'UGAP, on peut se poser la question concernant les véhicules, les hélicoptères,... Des blindés datant de mai 68, cela commence à dater ! Nous travaillons sur le sujet avec les armées depuis le début des années soixante-dix. La coopération avec les armées se fait très naturellement, notamment outre-mer. Ce sont les armées qui ont les moyens de projection, on l'a vu au fil des crises successives. En métropole, les bases militaires sont beaucoup moins nombreuses qu'auparavant. Il est compliqué d'obtenir un mécanicien.

Une externalisation plus poussée éviterait de déplacer trop loin les véhicules à entretenir ; il faudrait aussi faire en sorte d'améliorer l'entretien pour les véhicules de gamme classique. Si les réflexions aboutissent à un dispositif plus performant, tant mieux !

S'agissant des polices municipales, je rejoins ce qu'a dit M. Éric Morvan. On a ainsi expérimenté le prêt de postes radios pour garantir une interopérabilité entre des polices municipales et des forces de sécurité. Je crois que cette forme d'interopérabilité peut convenir. Dès lors que dans certains endroits, des polices municipales sont fortes et très équipées, il faut conventionner. Les mentalités sont prêtes. Les personnels travaillent de plus en plus ensemble au quotidien. Cela permettra, de proche en proche, de surmonter les difficultés.

La doctrine est très liée à la culture et aux facteurs d'identification de chacune des forces. L'exemple des armes chambrées ou pas est très intéressant. Sur les armes de poing, on disait auparavant : « Vous allez sur le terrain, votre arme doit être chambrée, c'est-à-dire que vous devez avoir engagé une cartouche. » Il faut savoir qu'en engageant une cartouche, le chien reste à l'arrière et il suffit d'une infime pression sur la détente pour que le coup parte. C'est arrivé, et cela aurait pu être dramatique. Nous avons senti que cette règle mettait les personnes en difficulté. Par conséquent, la consigne a été modifiée. Nous avons opté pour une responsabilisation des utilisateurs, qui apprécient le moment opportun pour tirer.

M. Vincent Éblé , président . - Cette affaire ne renvoie pas seulement à la géographie, mais aux situations et aux contextes des opérations. Si vous êtes dans une situation sensible, vous faites en sorte de pouvoir réagir dans les délais les plus brefs.

M. Christian Rodriguez . - La doctrine est la conséquence d'un certain nombre de facteurs, parmi lesquels la culture, l'identification à la force, les modes d'action. Ce sont des sujets sur lesquels nous devons converger davantage. La résistance interne a diminué ces dernières années. Il faut continuer à travailler sur le sujet. Faisons confiance aux directeurs généraux s'agissant de la doctrine !

M. Vincent Éblé , président . - Je propose que la commission autorise la publication de cette enquête en application de l'article 58-2 de la LOLF.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Philippe Dominati.

ANNEXE : COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES

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* 1 Philippe Dominati, Rapport général Tome III Annexe 28 Volume 1.

* 2 Plan de lutte antiterroriste.

* 3 Pacte de sécurité publique.

* 4 Les dépenses de fonctionnement (titre 3) incluent : les dépenses relatives à la formation, à l'alimentation et aux déplacements des personnels, le carburant, les achats de matériels d'équipements, les effets d'habillement, les matériels informatiques et bureautiques, les loyers budgétaires et de droit commun ainsi que les dépenses d'action sociale.

Les crédits d'investissement (titre 5) regroupent principalement l'acquisition des moyens mobiles (véhicules légers et parc lourd) ainsi que les projets immobiliers et informatiques.

* 5 Ces matériels et équipements ont fait l'objet, en 2017, d'une enquête de la Cour des comptes effectuée à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20170215-rapport-police-technique-scientifique.pdf

* 6 Cour des comptes, référé au Premier ministre du 13 mars 2018 sur les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

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