C. L'ENTRÉE DANS LE MÉTIER, « MAILLON SOUFFRANT » DE LA CARRIÈRE D'ENSEIGNANT
Il existe un large consensus international pour considérer la formation d'un enseignant comme un processus graduel, étalé sur l'ensemble de la carrière, comprenant une formation initiale, une phase d'accompagnement et un perfectionnement professionnel continu 48 ( * ) .
Si la formation initiale des enseignants a été l'objet de nombreux débats et réformes ces dernières années, l'accompagnement des jeunes professionnels, pourtant tout aussi important, a fait couler moins d'encre et a relativement peu évolué.
1. La primo-affectation : mettre fin au « bizutage institutionnel »
Les deux premières années d'entrée dans le métier des jeunes enseignants sont aujourd'hui très largement marquées par la rupture et la discontinuité , en particulier dans le second degré 49 ( * ) . Les lauréats des concours nationaux sont répartis dans les académies pour leur année de M2 et de stage en fonction du concours obtenu (les agrégés étant prioritaires sur les certifiés), de leur classement et de leur situation familiale. L'année de stage accomplie, les néo-titulaires sont soumis une deuxième fois au mouvement, selon un barème différent de celui de l'année de stage, ce qui entraîne un changement d'académie pour la moitié d'entre eux.
La justification de ce système - ne pas réserver de postes pour préserver la fluidité du mouvement des titulaires - semble bien dérisoire devant ses conséquences : « outre le fait qu'il peut générer deux années consécutives de mobilité forcée , [il] est facteur d'inégalités territoriales car il concentre les néo-titulaires dans certains territoires très exposés à une forte rotation des équipes pédagogiques » 50 ( * ) . Il ne favorise pas non plus la continuité de l'accompagnement des professeurs débutants . Outre qu'il s'assimile au « bizutage institutionnel » décrit par Jean-Pierre Obin 51 ( * ) , il va directement à l'encontre d'objectifs affichés par le ministère que sont la professionnalisation des jeunes enseignants et la stabilité des équipes pédagogiques dans les zones difficiles.
L'ensemble des interlocuteurs de vos rapporteurs a estimé que cette rupture brutale entre le lieu de stage et le lieu de première affectation est très défavorable à la continuité de la formation : la formation professionnelle ne fait souvent que commencer et le jeune professionnel perd tout à la fois son lien avec l'ÉSPÉ et son lien avec son berceau de stage - et notamment le tuteur qui lui était affecté au sein de l'établissement. À ces difficultés s'ajoutent les questions matérielles, qu'il leur faut régler dans l'urgence entre l'annonce de leur affectation et la rentrée scolaire.
Les néo-titulaires font pour beaucoup leur première rentrée dans un nouvel établissement, souvent sur des postes délaissés par les enseignants plus chevronnés : en éducation prioritaire, qui concernait en 2015-2016 20 % des néo-titulaires du premier degré, 14 % du second, ou en zone rurale isolée, ainsi que sur des postes de remplaçants - qui concernaient un quart de la cohorte de néo-titulaires du second degré 52 ( * ) . Les jeunes enseignants sont également particulièrement exposés au risque d'être nommés sur des postes à services partagés ou fractionnés : en 2015-2016, près d'un tiers des professeurs des écoles néo-titulaires a été nommé sur un poste partagé entre deux écoles ou plus, parfois avec des niveaux différents.
Ces situations, qui ne sont pas marginales, sont très préjudiciables à une entrée sereine et accompagnée dans le métier . Comme l'ont reconnu des responsables académiques, le professeur débutant à qui l'on impose de jongler entre plusieurs établissements, plusieurs emplois du temps, plusieurs équipes pédagogiques, au final « n'est plus nulle part ».
L'institution met ainsi elle-même en difficulté ses jeunes professeurs . Vos rapporteurs proposent de renverser la logique actuelle, qui désavantage structurellement les jeunes enseignants et va à l'encontre des objectifs affichés de l'institution. Ils proposent à cet effet trois mesures :
- le calibrage académique des concours de recrutement des enseignants du second degré : les lauréats choisiraient, en fonction de leur classement et de leur situation familiale, leur académie (ou région académique s'agissant de l'Île-de-France) d'affectation ;
- une nomination unique pour l'année de stage et pour la première affectation de titulaire , sans passer par un mouvement national 53 ( * ) ;
- le maintien dans leur académie d'origine des enseignants contractuels lauréats de concours 54 ( * ) .
ð Recommandation : Calibrer les concours de recrutement des enseignants du second degré par académie (ou région académique s'agissant de l'Île-de-France). |
ð Recommandation : Revoir la procédure d'affectation des professeurs stagiaires et néo-titulaires du second degré pour assurer une continuité de l'affectation. |
ð Recommandation : Maintenir dans leur académie d'origine les enseignants contractuels lauréats de concours du second degré . |
2. Un accueil dans le métier qui laisse parfois à désirer
C'était l'un des constats forts du rapport de novembre 2016 du comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants et personnels d'éducation 54 ( * ) : « en France, lorsqu'un enseignant est recruté, il signe des documents de nature administrative, mais n'est formellement destinataire ni des attentes correspondant à son emploi, à son métier, ni des valeurs essentielles du système éducatif dans lequel il fait son entrée ». Il existe bien un référentiel métier mais sa connaissance par le nouvel enseignant est implicite et n'a pas valeur de contrat. C'est pourquoi le comité proposait que le nouvel enseignant reçoive un court texte rappelant ce que l'État attend de lui et explicite les attendus de sa nouvelle profession.
Même au niveau de l'académie et de l'établissement, peu de protocoles précis encadrent l'accueil d'un nouvel enseignant . L'étude TALIS de 2013 faisait apparaître que 34 % des enseignants exerçaient dans un établissement où n'existait aucun dispositif d'intégration formel. Les initiatives prises en ce sens, louables, sont souvent des initiatives individuelles du recteur ou du chef d'établissement.
Pourtant, des actions toutes simples pourraient être formalisées pour accueillir le nouvel arrivant sur son poste : visite de l'établissement, présentation du fonctionnement administratif de l'établissement, rappel des valeurs du service public d'éducation, présentation des aspects matériels de l'organisation du travail, rappel des droits et devoirs du fonctionnaire, présentation à l'équipe pédagogique, diffusion d'un vade-mecum d'aide à l'insertion, etc.
Les inspections générales constatent que l'accueil des néo-titulaires est particulièrement limité, surtout dans le second degré : aucun document à leur intention particulière ne leur est remis par l'institution - à la différence d'un livret d'accueil syndical cité en exemple « de seize pages, clairement structuré, très clair [qui] montre qu'il est possible d'apporter toutes les informations pratiques, tout en donnant du sens à ces informations dans une optique syndicale » 55 ( * ) . Elles recommandent à cet effet « une meilleure implication de l'institution dans l'accueil des néo-titulaires », en particulier par « une lettre personnalisée du recteur à chaque néo-titulaire du premier comme du second degré » et des livrets d'accueil .
Ces mesures ne relèvent pas uniquement d'une bonne intention : outre qu'elles constituent une marque de considération , elles participent de la bonne intégration du nouvel entrant dans l'institution. De la qualité de l'intégration dans son établissement dépend souvent la réussite de la professionnalisation du professeur débutant.
ð Recommandation : Formaliser un protocole précis d'accueil du nouvel enseignant au sein de l'éducation nationale et de son académie, définir une équipe d'accueil au sein de chaque établissement . |
3. Un accompagnement et une formation spécifiques à l'entrée dans le métier
De l'avis des inspections générales, l'accompagnement des néo-titulaires dans leur prise de poste est inégal : si, « dans le premier degré, l'accompagnement est plutôt efficace et relativement homogène entre les départements grâce aux équipes de circonscription », dans le second degré, cet accompagnement « reste très disparate, même au sein d'une académie et parfois au sein même d'une discipline et souvent peu adapté aux besoins des néo-titulaires » ; l'absence de conseiller pédagogique pour épauler les inspecteurs se faisant ressentir 56 ( * ) .
La formation des professeurs stagiaires semble avoir absorbé l'essentiel des moyens autrefois consacrés à la formation spécifique des professeurs néo-titulaires ; cette dernière n'est mise en oeuvre que dans certaines académies et départements, avec un succès variable - le reproche principal étant que certaines des formations proposées sont identiques aux formations dispensées en ÉSPÉ et correspondent peu aux besoins réels des professeurs débutants. L'association des ÉSPÉ à ces formations est aussi très variable.
Il semble indispensable pour vos rapporteurs d'assurer un accompagnement renforcé aux jeunes professeurs dans leurs premières années d'exercice. Il s'agirait d'inscrire cette formation dans le continuum décrit par le rapport de Daniel Filâtre au nom du comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants 57 ( * ) : l'institutionnalisation d'un accompagnement pour l'adaptation à l'emploi, qui constituerait le prolongement de la formation initiale et qui s'étendrait sur les trois premières années d'exercice (T1-T2-T3).
Cet accompagnement pourrait prendre plusieurs formes :
- la participation à des formations spécifiques répondant aux principales difficultés mises en avant par les néo-titulaires : la prise en compte de l'hétérogénéité des classes (qui constitue pour 70 % d'entre eux une des principales difficultés qu'ils rencontrent 58 ( * ) ), le rythme de la progression pédagogique, l'individualisation de l'enseignement, la gestion de classe, les relations avec les familles, etc. ;
- un soutien personnalisé au professeur débutant, construit en fonction de besoins de formation complémentaires déterminés à l'occasion de la titularisation et, chaque année, par des entretiens réguliers avec le chef d'établissement, l'IEN ou son conseiller pédagogique ;
- un tutorat au sein de son établissement d'affectation , de préférence auprès d'un collègue exerçant dans le même niveau ou la même discipline ; en effet, si les enseignants stagiaires sont accompagnés par un tuteur, c'est rarement le cas pour les néo-titulaires 59 ( * ) .
L'instauration d'un rendez-vous de carrière dès la troisième année d'exercice (T3) permettrait de sanctionner la fin de cette formation initiale continuée et de mettre en lumière, le cas échéant, d'éventuels besoins de formation .
ð Recommandation : Prolonger, pendant les trois premières années d'exercice, la formation initiale par un accompagnement de l'entrée dans le métier, qui comprend une formation spécifique, un soutien personnalisé et l'accompagnement par un tuteur . |
ð Recommandation : Instaurer un premier rendez-vous de carrière dès la troisième année d'exercice . |
L'idée d'une réduction du service des professeurs débutants 60 ( * ) - qui permettrait d'alléger la charge de travail considérable que constitue la préparation des premiers cours et qui donnerait le temps d'assister aux cours de collègues plus expérimentés - mériterait d'être étudiée, en dépit de ses conséquences budgétaires et des contraintes qu'elle ferait peser sur la ressource enseignante.
Les inspections générales relèvent que « dans la plupart des académies, l'ÉSPÉ n'est pas impliquée dans la formation des professeurs néo-titulaires » 61 ( * ) . Il conviendrait d'associer davantage des ÉSPÉ rénovées à cet accompagnement, selon des modalités prescrites par les autorités académiques et départementales, en proposant en particulier des analyses de pratique sur des situations concrètes.
* 48 Voir le rapport Eurydice de la Commission européenne qui développe la notion de « transition vers la profession enseignante », op. cit.
* 49 Dans le premier degré, en revanche, la nature académique des concours amène les lauréats à être affectés selon leur classement dans le département de l'académie où ils effectueront leur année de stage et où, dans leur grande majorité, ils exerceront les premières années de leur carrière.
* 50 IGEN et IGAENR, L'entrée dans la carrière des nouveaux enseignants , op. cit.
* 51 Jean-Pierre Obin, Enseigner, un métier pour demain , avril 2002.
* 52 IGEN et IGAENR, L'entrée dans la carrière des nouveaux enseignants , op. cit.
* 53 Idem.
* 54 Daniel Filâtre, Vers un nouveau modèle de formation tout au long de la vie , op. cit.
* 55 IGEN et IGAENR, L'entrée dans la carrière des nouveaux enseignants , op. cit.
* 56 Idem.
* 57 Daniel Filâtre, Vers un nouveau modèle de formation tout au long de la vie , op. cit.
* 58 Daniel Filâtre, Vers un nouveau modèle de formation tout au long de la vie , op. cit.
* 59 Dans le premier degré, les visites régulières des conseillers pédagogiques de circonscription seraient maintenues.
* 60 Pratiquée avant 2010.
* 61 IGEN et IGAENR, L'entrée dans la carrière des nouveaux enseignants , op. cit.