B. LE NUMÉRIQUE DANS LA GESTION DE CRISE : UN DÉFI À RELEVER, UNE CHANCE À SAISIR
1. Un nouveau paramètre à prendre en compte : rumeurs et « fake news » d'une ampleur décuplée
Sans relayer ici les nombreuses rumeurs qui ont pu voir le jour, notamment sur la sécurité, relatives aux évasions de la prison de Sint-Maarten ou encore aux membres du corps préfectoral, il convient de souligner que celles-ci ont alimenté un climat d'angoisse dans une population désemparée et quasiment coupée du monde ; elles ont accru les peurs des proches et des familles dans les îles voisines ou dans l'hexagone.
Ces fausses informations ont également complexifié l'intervention des secours et forces de sécurité. La ministre des outre-mer, Annick Girardin, expliquait ainsi devant la délégation en novembre 2018 74 ( * ) les nécessaires déplacements de la gendarmerie et services de secours sur des lieux de faits annoncés, afin de pouvoir infirmer nombre de rumeurs.
Les rumeurs et messages de désinformation ou « fake news » ne sont pas un phénomène nouveau en tant que tel, et se retrouvent dans toute crise. Pour autant, leur impact prend une nouvelle dimension du fait de la viralité des messages sur les réseaux sociaux notamment, et à l'heure d'une présence et d'audience forte des chaînes d'information en continu . Le constat mené lors des ouragans de septembre 2017 a montré la nécessité d'une réponse organisée, continue et réactive de la part des autorités. Plus récemment, ces mêmes situations se sont retrouvées lors de la crise des séismes en essaim à Mayotte depuis mai 2018, rendant plus délicates les campagnes de communication de la préfecture.
2. Un levier d'action important
Si le numérique offre une audience extrêmement large à des messages toxiques, il peut surtout être un levier pour l'information des populations par les cibles qu'il peut atteindre très largement et très rapidement . Cette communication numérique s'appuie sur les sites internet des services préfectoraux et gouvernementaux, mais surtout sur les comptes de ces services sur les réseaux sociaux, essentiellement Facebook et Twitter - avec les comptes du Gouvernement (@gouvernementFR) et du ministère de l'intérieur (@place_Beauvau), qui ont une audience très importante.
Dans le cas d'Irma, ces médias ont assuré des diffusions rapides et massives des messages des autorités.
Les médias numériques et réseaux sociaux, massivement utilisés durant Irma Les comptes des préfectures et des services ministériels ont été particulièrement actifs sur les réseaux sociaux, ces publications ayant de plus été massivement reprises par la presse locale et nationale. Sur Twitter Pour la préfecture de Guadeloupe, 200 tweets ont été publiés , générant 7 700 000 vues , soit une audience considérable pour ce compte. Une augmentation du nombre de vues de 7 000 %, du nombre de visites sur le profil de 11 670 % et 4 000 abonnés supplémentaires ont été constatés. Pour les comptes du Gouvernement, du ministère de l'intérieur, plus de 70 tweets ont été publiés - point de situation, information à la population, déploiement du dispositif de sécurité, pour plus de 8 millions de vues et impressions. Sur Facebook , 60 posts ont généré plus de 3 millions de vues. Twitter a eu un rôle particulièrement important : sur le tweet le plus vu , 1 420 000 vues et 61 300 partages ont été décomptés. La présence sur Facebook a également été importante : la préfecture a publié 170 posts qui ont généré 80 000 vues et, par rebond, touché 1 600 000 personnes ; l'audience a augmenté de 1 942 % avec 8 000 « amis » supplémentaires. Sur Facebook La préfecture de Guadeloupe a publié 170 posts qui ont généré 80 000 vues et, par rebond, touché 1 600 000 personnes ; l'audience a augmenté de 1 942 % avec 8 000 « amis » supplémentaires. À Saint-Martin, 99 posts ont été publiés par le compte de la préfecture, générant 3 300 000 vues et 1 600 000 personnes par rebond. On note ici un taux d'engagement moyen très performant, 4,5 % sur la période, ainsi qu'une augmentation de plusieurs centaines d'abonnés. Sur le site internet Plus de 92 000 visites ont été comptabilisées sur le site de la préfecture de Guadeloupe, et plus de 211 000 pages parcourues, soit une augmentation de 640 % de la fréquence. |
Source : Audition des représentants du SIG et de la DICOM le 13 mars 2018
3. Les médias sociaux en gestion de l'urgence : outils au service de l'information de crise
La nécessité d'une information certifiée est extrêmement forte en temps de crise, afin d'assurer le bon déroulement des opérations pour les services de l'État d'une part et, d'autre part, donner à la population une vision claire de la situation afin d'éviter des paniques supplémentaires, voire des comportements dangereux.
À ce titre, les « médias sociaux en gestion de l'urgence » (MSGU) jouent un rôle de plus en plus déterminant. L'association Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel ( VISOV) est particulièrement active dans ce domaine et son président, M. Thomas Loison, a été entendu par la délégation 75 ( * ) . Lors de l'ouragan Irma, l'investissement de VISOV a représenté 700 heures de mobilisation, autour de 50 bénévoles, avec notamment 5 jours de présence quasi sans interruption. La mission de l'association a été essentiellement de relayer des informations fiables émanant de comptes gouvernementaux certifiés, d' aider à combattre les fausses nouvelles et de rassurer les citoyens, par le biais d'incitations à se déclarer à l'abri par exemple.
VISOV, partenaire numérique au service de la gestion de l'urgence Association créée en 2014 à partir d'un noyau d'équipe formé en 2012, « Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel » (VISOV) participe de la dynamique des « médias sociaux en gestion de l'urgence », qui a pris pied notamment après le séisme de Christchurch en Nouvelle-Zélande et les inondations du Queensland en Australie en 2011. Elle compte aujourd'hui plus de 150 volontaires bénévoles. VISOV s'organise autour de trois principales missions, que sont : - l'appui et le renfort technique et méthodologique via de la veille internet ; - l' assistance aux sinistrés via les médias sociaux, en interface avec les autorités ; - la diffusion de la culture de sécurité civile sur les médias sociaux. L'association VISOV est conventionnée avec plusieurs préfectures et SDIS dans l'hexagone, et avec la préfecture de Guadeloupe outre-mer. Ces partenariats efficaces sont à soutenir afin de s'appuyer davantage sur des volontaires fiables et réactifs, compléments des services publics, à qui il convient de garantir des moyens. Si elle ne participe pas directement aux cellules de crise, l'association entretient des liens étroits avec le COGIC au sein de la direction générale de la sécurité civile. |
Source : Audition du 12 avril 2018
Recommandation n° 56 : Promouvoir les partenariats des préfectures et services de sécurité civile avec l'association Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (VISOV). |
4. Un potentiel de nouveaux outils utiles à toutes les étapes des crises
Durant leurs échanges et auditions, les rapporteurs ont pu constater l'existence de divers projets numériques utiles à différentes étapes de la gestion de crise. Utilisant des données ouvertes , ils permettent par exemple de rendre plus efficace la localisation des déchets en sortie de crise.
Le ministère de la transition écologique et solidaire a lancé l'initiative GreenTech verte, dont une des dimensions, l'accès aux données, sert cette vocation, permettant l'émergence de projets innovants. Malheureusement, les moyens contraints du ministère conduisent à une stricte sélection des projets soutenus. Aussi, alors même que le ministère a organisé avec Etalab 76 ( * ) un hackathon dédié aux risques en 2016 (#Hackrisques), aucune section, réflexion ou « défi » n'a été consacré aux spécificités ultramarines. Il est nécessaire, dans le cadre de telles initiatives, de soutenir des projets innovants sur les risques outre-mer.
« Nous devons être capables de faire des catastrophes naturelles un terreau d'innovations ! » insistait M. Gaël Musquet, président fondateur de l'association « Hackers against natural disasters » (HAND), très active durant Irma pour un rétablissement rapide des connexions 77 ( * ) .
L'association HAND, au coeur de la préparation des populations Hackers against natural disasters est une association créée par M. Gaël Musquet, regroupant des citoyens, professionnels, militaires ou sapeurs-pompiers, tous bénévoles. L'association entend accroître la préparation des populations face aux risques naturels en l'impliquant directement. Elle participe à des exercices comme Caribe Wave. Les responsables de HAND entendent veiller à la prise en compte des vulnérabilités parfois moins visibles, comme la multi-insularité à Marie-Galante ou La Désirade en Guadeloupe, zones parfois également moins bien connectées aux réseaux de communication. HAND est résolument tournée vers l'innovation, s'appuyant fortement sur le numérique et les nouvelles technologies comme leviers de réponses face aux risques. Elle promeut cependant aussi le recours à des moyens simples et accessibles : VHF et radioamateurisme sont ainsi valorisés. |
Source : Audition du 12 avril 2018
Selon M. Gaël Musquet, les technologies, comme les projets, existent : il manque cependant les commandes et financements pour les réaliser : « ce n'est pas un problème technologique, mais un problème de conduite des politiques publiques industrielles ». L'association HAND vise à accroître la préparation face aux crises, à améliorer leur gestion et ainsi à en réduire les impacts par le biais de solutions technologiques . M. Gaël Musquet expliquait « travailler avec des interlocuteurs divers, journalistes, radioamateurs, des sociétés de cartographie et de nombreux partenaires locaux », notamment des start-up et fab-labs , « qui sont légitimes pour porter des stratégies de résilience ».
Recommandation n° 57 : Lancer un appel à projets visant à faire émerger des initiatives numériques innovantes en matière de gestion de crise répondant aux spécificités ultramarines, comme les projets menés par l'association Hackers against natural disasters (HAND). |
* 74 Audition du 23 novembre 2018.
* 75 Audition du 12 avril 2018.
* 76 La mission Etalab fait partie de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC) au sein des services du Premier ministre.
* 77 Audition du jeudi 12 avril 2018.