C. UNE EXIGENCE DE LISIBILITÉ ACTUELLEMENT INSUFFISAMMENT REMPLIE

1. Lors de crises « classiques » : l'exemple de La Réunion

Les lacunes de lisibilité et d'intelligibilité des niveaux d'alerte à La Réunion ont été largement reconnues.

Pour rappel, le dispositif de vigilance météorologique entraîne la communication aux autorités et au grand public d'un risque de survenance d'événements météorologiques dangereux dans les prochaines 24 heures, et ce indépendamment de la question d'un éventuel risque cyclonique. Il s'agit ainsi soit de fortes pluies, soit de vents forts, soit de fortes houles ou d'orages. Il y a à La Réunion deux niveaux de vigilance, avec des codes couleur inspirés de ceux de l'hexagone : la vigilance - couleur orange - et la vigilance renforcée - couleur rouge.

M. David Goutx, directeur interrégional pour l'océan Indien de Météo France, reconnaissait 51 ( * ) que, sur la vigilance, « les deux notions ne sont pas immédiatement compréhensibles pour tout le monde. Le code couleur a pour objectif de donner l'idée de la gravité de la situation que le simple terme de vigilance renforcée ne suffit peut-être pas à signaler ». Il soulignait également que, si ce dispositif est décliné par des mesures de gestion de crise prises à l'échelon communal par le maire ou à l'échelon départemental par le préfet, existent parfois « des difficultés dans la compréhension des mesures prises parce que la plupart des réunionnais connaissent mieux l'alerte cyclonique que la vigilance météorologique ».

L'alerte cyclonique se distingue ensuite. Elle s'applique, elle, sur tout le département, sans échelon infra-départemental : Météo France justifie cela par l'impossibilité lors de tels risques de discerner au sein du département des zones qui pourraient être à l'abri pendant toute la durée de l'événement. L'alerte cyclonique est de la responsabilité du préfet de La Réunion et comprend quatre couleurs ; son déclenchement suspend la production des cartes de vigilance.

L'alerte cyclonique à La Réunion

L'alerte cyclonique est exclusivement dédiée au risque de « vents cycloniques ». Elle est symbolisée par quatre couleurs :

- jaune clair pour l'état de « pré-alerte cyclonique » : il faut suivre les bulletins d'informations, ne pas entreprendre de longues sorties. Elle est mise en place en cas de menace potentielle dans les jours à venir (plus de 24 heures, usuellement 72 heures). 3 jours avant un soupçon de risque cyclonique, Météo France propose au préfet de déclencher la pré-alerte cyclonique ;

- orange pour l'alerte orange cyclonique : elle implique la fermeture des établissements scolaires, la suspension des transports scolaires, la mise à l'abri d'un certain nombre d'opérateurs électriques et des organismes qui ont un rôle important dans la vie collective et doivent résister au passage du cyclone ; cependant, l'activité économique continue. Cette alerte est mise en place en cas de danger dans les 24 heures ;

- rouge pour l'alerte rouge cyclonique : il faut regagner son domicile, ne sortir en aucun cas de chez soi. Les services de secours ne doivent sortir qu'en cas d'extrême nécessité et si les conditions ponctuellement sont assez raisonnables. Elle est mise en place en cas de danger imminent (préavis de 3 heures avant le dépassement du seuil de 150 km/h) ;

- bleue pour la phase de sauvegarde cyclonique. Elle signifie que la menace cyclonique est écartée mais qu'il reste des dangers. Cette phase permet de libérer progressivement la population et des portions du territoire après vérification.

Source : Déplacement à Météo France

Les deux dispositifs, vigilance et alerte, ont des logiques différentes et s'accompagnent d'un grand nombre d'interactions entre Météo France, les autorités locales, les médias et d'autres acteurs de la gestion de crise. Si Météo France considère que les dispositifs s'articulent de manière fluide, le ressenti que peuvent avoir d'autres acteurs et les constatations auprès de la population laissent penser qu'ils méritent d'être modifiés. Surtout, les rapporteurs ont constaté que la complexité de lecture des deux dispositifs et l'accumulation de codes couleurs aux significations différentes nuit à la lisibilité et à l'efficacité du dispositif.

Dans le cas réunionnais, des lacunes dans le déclenchement du dispositif d'alerte cyclonique sont dénoncées. En effet, les fortes pluies et la houle ne sont aujourd'hui pas prises en compte : il est nécessaire que les dispositifs propres à chaque risque soient cohérents et coordonnés.

La ministre des outre-mer l'a elle-même affirmé, le schéma réunionnais doit être revu ; le Livre bleu des outre-mer le mentionne également. La préfecture du département conduit ce travail actuellement, la ministre souhaitant aboutir avant la prochaine saison cyclonique, c'est-à-dire janvier-avril 2019, le risque le plus élevé se concentrant sur le trimestre janvier-mars.

Une préoccupation de précision plus fine des alertes a également été soulevée, des alertes sur des zones infra-territoriales étant parfois souhaitées.

Recommandation n° 30 : Pour chaque type d'aléa, assurer la lisibilité des différents niveaux d'alerte utilisés et la cohérence des codes entre eux ainsi que leur articulation avec les dispositifs de vigilance territoriaux ; améliorer le dispositif existant à La Réunion. Envisager, selon les risques, les possibilités de différenciation des niveaux d'alerte dans des zones infra-territoriales.

2. Lors de crises importantes : vers une déclaration de l'état d'urgence ?
a) La nécessité d'un échelon clair d'urgence absolue

Lors de crises majeures comme ont connu les Antilles en 2017, il est nécessaire que les messages des responsables des opérations - préfets, hauts-commissaires, gouvernement local - soient entendus et leur autorité respectée. Le non-respect de consignes strictes - de sorties sur les plages par exemple - conduit à des interventions supplémentaires des services de secours et perturbe le bon exercice de la mission des services de gestion de crise.

Il serait souhaitable d'envisager un dispositif exceptionnel d'état d'urgence face à une menace particulièrement grave et imminente , signifiant le caractère hors normes du phénomène en cours ou approchant. Le but de ce dispositif serait d' amplifier fortement la conscience de la population de la nécessité de respecter les restrictions décidées par les responsables d'opérations et de se mettre en sécurité à tout prix.

b) L'expérience d'exemples étrangers

De telles applications d'un état d'urgence se retrouvent dans différents pays, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada ou les États-Unis.

L'état d'urgence : un schéma classique d'action dans de nombreux pays

Les exemples retenus ci-après montrent des cas de dispositifs d'état d'urgence existant dans différents pays. Pour autant, si ce dispositif a vocation à être un échelon particulièrement élevé de gestion de crise, les spécificités juridiques ou institutionnelles ainsi que les schémas d'organisation de crise de ces États ne sont pas développés ici.

L'exemple de la Nouvelle-Zélande

L'état d'urgence peut être déclaré en Nouvelle-Zélande au niveau local par les représentants des autorités locales, les maires ou le ministre de la sécurité civile. Celui-ci peut également décréter un état d'urgence national, pour 7 jours au maximum, renouvelable une fois.

Il peut être déclaré en amont d'une catastrophe naturelle pour garantir la sécurité des populations, comme ce fut le cas avant le passage du cyclone Gita en février 2018 dans 7 conseils régionaux du pays. Les autorités peuvent alors confiner ou évacuer les populations mais aussi réquisitionner du matériel et collecter des produits de première nécessité. La décision de déclarer l'état d'urgence en février a été vivement critiquée par une partie de la population, le cyclone ayant impacté de manière très inégale les territoires concernés.

Un rapport publié par le ministre de la sécurité civile ( Minister of civil defense ) en janvier 2018 a mis en lumière le manque de cohérence dans les déclarations d'état d'urgence pour faire face à des catastrophes naturelles ces dernières années. Le rapport note que l'augmentation de l'attention médiatique portée à ces sujets incite de plus en plus les autorités à déclarer l'état d'urgence dans la précipitation. Le rapport préconise donc la possibilité de déclarer un « incident majeur », avec des pouvoirs spéciaux moins étendus, plutôt que l'état d'urgence.

L'exemple des États-Unis

L'état d'urgence peut également être déclaré en cas de catastrophe naturelle aux États-Unis. Cette mesure permet de pré-positionner des moyens supplémentaires en amont de l'événement.

Il avait par exemple été déclaré en Louisiane en août 2017 avant le passage de la tempête Harvey qui a ravagé le Texas. Quelques jours avant le passage d'Irma, l'état d'urgence a été décrété en Floride, aux îles Vierges et à Puerto Rico.

Les déclarations d'état d'urgence en réaction à des catastrophes naturelles sont principalement prises au niveau des États fédérés ; les modalités de ce processus sont propres à chaque État, chaque déclaration devant préciser le périmètre ainsi que la durée d'application.

Le gouverneur de l'État touché par la catastrophe doit déclarer l'état d'urgence et solliciter du Président des États-Unis l'assistance de la FEMA ( Federal Emergency Management Agency ), dont la mission consiste à coordonner les opérations de gestion de crise.

La déclaration doit, selon les cas, indiquer les règlementations levées durant cette période. Selon les États, une autorisation parlementaire peut être nécessaire pour maintenir l'état d'urgence au-delà de la date limite stipulée dans la déclaration ou l'ordre exécutif. Le déclenchement de l'état d'urgence permet d'activer les accords d'assistance mutuelle entre États. Les grands principes de l'assistance du gouvernement fédéral aux États fédérés en cas de catastrophe naturelle sont prévus par le Stafford Act .

L'état d'urgence pour motif de calamités publiques se retrouve également dans d'autres États ou provinces insulaires de la Caraïbe, à la Jamaïque par exemple, ou encore à Sint-Maarten . Il a ainsi été déclaré six fois en Jamaïque depuis 1962, dont deux fois en raison de catastrophes naturelles - les ouragans Ivan en 2004 et Dean en 2007 -, permettant des évacuations massives et l'intervention de l'armée pour assurer l'application des restrictions décidées.

Une expérience limitée lors d'Irma sur Sint-Maarten

Le droit existant

Conformément à l'article 1 du Coordination of Exceptional Situations Act , l'état d'urgence peut être déclaré par décret royal en cas de catastrophe naturelle majeure, sur demande du Premier ministre.

Le Safety Region's Act de 2010 donne un rôle prépondérant aux régions dans la gestion de crise, mais le Gouvernement peut tout de même, par la voix du gouverneur, donner des consignes aux autorités locales. L'article 103 de la Constitution permet, lorsque l'état d'urgence est déclenché, de suspendre certains droits fondamentaux pour une durée limitée.

L'application lors d'Irma

Le 8 septembre 2017, au lendemain du passage d'Irma, le gouvernement a déclaré l'état d'urgence sur Sint-Maarten, partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin. Le régime de l'état d'urgence autorise l'armée à utiliser tous les moyens nécessaires pour stopper les activités illégales. La marine s'est cependant plainte de ne pas avoir pu agir plus vite, faute de confirmation écrite de la déclaration d'état d'urgence. Un couvre-feu a été instauré à partir du 5 septembre, 3 jours avant le passage de l'ouragan, et s'est étendu jusqu'à la fin de l'état d'urgence, le 10 octobre. En conséquence, les résidents ne pouvaient pas sortir entre minuit et 6 heures du matin.

c) Vers un dispositif nouveau, à distinguer de l'état d'urgence et de l'état de catastrophe naturelle

Les dispositions relatives à l'état d'urgence prévues dans le droit en vigueur en France et applicables sur l'ensemble du territoire national, permettent la déclaration de l'état d'urgence dans le cas de « calamité publique » . Ce critère n'a jamais été utilisé depuis 1955, ni dans l'hexagone ni dans les territoires ultramarins. Ce dispositif a été exclusivement utilisé dans des cas d'atteintes à l'ordre public et de menaces importantes pour la sécurité.

Article 1 er de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence

« L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. »

Cependant, la connotation nouvelle que revêt aujourd'hui l'état d'urgence, conçu non pas comme un signal fort mais comme une faculté large donnée au Gouvernement de restreindre certaines libertés , ne permet que difficilement d'envisager ce recours dans ce type de situations. Le dispositif d'état d'urgence résultant des modifications réalisées à la suite des attentats terroristes de 2015 et 2016 en France emporte des mesures non nécessaires à la gestion de crise liées à un phénomène naturel.

Aussi, alors que les préfets peuvent aujourd'hui déjà prendre des mesures de restriction de certaines libertés en cas de menace d'aléa naturel, telles des restrictions des circulations par exemple, l'enjeu est ici de conforter l'autorité en place et de rendre l'exercice des prérogatives exceptionnelles plus acceptables, comme des ordres d'évacuation , reconnues et surtout mieux respectées par la population .

Le dispositif proposé ne doit pas non plus être perçu comme une déclaration anticipée de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Il est en effet bien pensé comme le dernier échelon de l'alerte et ne serait en aucun cas un préalable ou une condition suffisante au déclenchement d'un mécanisme assurantiel , qui suppose des faits établis après l'aléa et un zonage précis. Ce cas précis se retrouve en Australie par exemple, où déclaration de l'état d'urgence ( State of emergency ) ou état d'alerte ( State of alert ) est sans lien avec celle de l'état de catastrophe naturelle ( State of natural disaster ) qui permet d'activer le NDRRA ( Natural Disaster Relief and Recovery Arrangements ) et d'indemniser les victimes.

Aussi, il est nécessaire d'insister sur le caractère exceptionnel de l'utilisation de cet outil : il ne doit pas être une tentation de facilité des responsables d'opération, ni être pris sous la pression médiatique, au risque d'en affecter la crédibilité et l'utilité ; cela se conçoit tant sur l'opportunité de son déclenchement que sur son moment et la durée d'activation.

Il convient donc de créer un échelon d'alerte absolue : l'état d'urgence calamité naturelle . Celui-ci pourrait être pris par décret du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer sur demande du représentant de l'État dans le territoire, et ce à l'approche d'un aléa majeur ou durant une crise liée à une catastrophe naturelle en cours. Il aurait vocation à être levé rapidement dès le niveau de danger redescendu, ou à durer jusque dans les jours suivant la crise selon la gravité des dégâts et de la situation sécuritaire. D'un point de vue opérationnel , ce dispositif conforterait les pouvoirs de police du préfet en termes de capacité de restrictions de la circulation, d'ordres d' évacuation ou encore de confinement et couvre--feu.

Recommandation n° 31 : Pour renforcer le respect des consignes de sécurité et l'autorité du représentant de l'État lors d'événements majeurs, créer un « état d'urgence calamité naturelle » qui serait décrété conjointement par le ministre de l'intérieur et le ministre des outre-mer. Ce décret n'engagerait pas la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur le périmètre, celle-ci se faisant a posteriori


* 51 Déplacement à Toulouse le 9 mars 2018.

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