B. ALERTER EFFICACEMENT : UN IMPÉRATIF D'IMMÉDIATETÉ MALGRÉ DES MOYENS INSUFFISANTS, PARFOIS INDIGENTS VOIRE INEXISTANTS
Les rapporteurs insistent particulièrement sur la nécessité d'une diversité de canaux d'alerte alors que l'épisode Irma a montré combien les réseaux de communication pouvaient être fragiles.
Le système d'alerte et d'information des populations comprend deux aspects : l'alerte par les sirènes de nouvelle génération et un volet numérique. Il apparaît très lacunaire outre-mer.
1. Un réseau de sirènes « de base » presque inexistant
Le SAIP a été initialement conçu comme le successeur du réseau national d'alerte de l'État (RNA) , hérité de l'après-guerre sur les bâtiments de défense de l'État et les mairies, et non présent outre-mer. Son déploiement dans les territoires ultramarins n'était ainsi pas prévu initialement.
Si celui-ci prévoit notamment le déploiement de sirènes de nouvelle génération, le constat outre-mer est accablant : avant de concevoir la mutation vers un système de nouvelle technologie, il faut reconnaître la vacuité du réseau et l'absence de couverture des territoires par des sirènes classiques ; celle-ci s'explique historiquement par le non-déploiement du réseau national d'alerte. Seules quelques sirènes avaient été installées à l'initiative de responsables locaux - c'est notamment le cas des collectivités du Pacifique et de la Martinique.
Il convient de préciser que, comme dans l'hexagone, parmi les sirènes existantes certaines appartiennent aux collectivités locales - essentiellement les communes - quand l'essentiel dépend du réseau de l'État ; ces deux réseaux sont par ailleurs souvent peu intégrés.
Expression des besoins en sirènes avec prise en compte des sirènes existantes dans les zones d'alerte
Source : Étude Deloitte sur l'adaptation du SAIP outre-mer de 2012
La Polynésie française est aujourd'hui dotée de 188 sirènes, dont la fiabilité est cependant réputée discutable.
En Nouvelle-Calédonie , les sirènes de l'État ont été transférées aux communes, que celles-ci ont aujourd'hui transmises à la Nouvelle-Calédonie. Deux à trois sirènes supplémentaires complètent chaque année le réseau d'aujourd'hui 59 sirènes. Cependant, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie estime que seulement 50 % de la population menacée par un tsunami est actuellement couverte .
Les îles Wallis et Futuna disposent de sirènes tsunami, 9 à Futuna et 7 à Wallis.
Les sirènes sont un moyen incontournable de l'alerte de masse. Surtout, il ne dépend pas de la couverture en réseaux numériques ou des équipements des populations et de leur disponibilité - les outils numériques étant par ailleurs vulnérables en termes d'énergie. Les sirènes doivent être au coeur des systèmes d'alerte et les territoires ultramarins doivent en être dotés. Si le sénateur Jean-Pierre Vogel considérait en 2017 48 ( * ) que la priorité ne devait pas être donnée aux sirènes, ce constat ne peut être repris outre-mer.
2. À quand le déploiement de la nouvelle génération de sirènes ?
Une étude avait été commandée 49 ( * ) pour étudier l'adaptation du SAIP dans les outre-mer : elle s'intéresse aux cinq départements et régions d'outre-mer. Un des obstacles relevés était notamment l'absence du réseau d'infrastructure nationale partageable des transmissions (INPT), système radio permettant le déclenchement. Le rapport proposait de s'appuyer sur un réseau INPT aux Antilles, en le déployant dans ces territoires, de passer par un réseau GSM en Guyane et à La Réunion et de s'appuyer sur le réseau de mosquées à Mayotte.
Les outre-mer n'ont donc pour l'heure pas bénéficié du déploiement des sirènes de nouvelle génération , prévu au départ à compter de 2016, lors d'une deuxième vague de financements pilotée par la direction générale de la sécurité civile du ministère de l'intérieur (DGSCGC). Les difficultés techniques rencontrées par le développeur du système central de déclenchement des sirènes et les contraintes budgétaires pesant sur le programme 161 de la DGSCGC auraient généré un retard important selon le ministère, qui précise que les crédits alloués au projet ont divisés par deux. Un déploiement au cours de la deuxième vague du SAIP, à savoir en 2022, était envisagé.
Le ministère des outre-mer indique que l'enjeu principal se situe aux Antilles , territoires les plus tsunamigènes à l'échelle nationale. Aussi, selon les estimations fournies, un déploiement sur ces territoires représenterait un coût de l'ordre de moins d'un million d'euros, limité au regard des montants investis pour l'hexagone. Il serait finalement prévu, selon le ministère, d'y installer dans un premier temps une quinzaine de sirènes dans les Antilles dès 2019 ; cette première vague d'installation est estimée à 800 000 euros. Des expertises sont en cours avec la direction des systèmes d'information et de communication du ministère de l'intérieur et le développeur Airbus pour établir les modalités de raccordement.
Dans le cadre du projet EXPLOIT mené aux Antilles, les rapporteurs ont pu observer à Saint-Barthélemy l'expérimentation, lors d'exercices, de sirènes de nouvelle technologie IP permettant la diffusion de messages vocaux et donc davantage de précisions sur la nature du danger, son imminence et la réaction à adopter.
Recommandation n°28 : Engager un « plan sirènes outre-mer », en priorité dans les territoires des Antilles et du bassin Pacifique. |
Le deuxième volet de développement du SAIP - le développement d'une application d'alerte sur téléphones portables - ne présente aujourd'hui, selon le ministère de l'intérieur, pas de particularités pour les outre-mer. En effet, ceux-ci sont également concernés par l'abandon du projet réalisé en juin 2018 après les multiples difficultés rencontrées.
3. Un recours aux alertes téléphoniques à calibrer selon le contexte territorial
Le ministère de l'intérieur indique que le dispositif national SAIP devait à l'origine être constitué d'un volet d'alerte et d'information via les téléphones mobiles reposant sur la technologie de la diffusion cellulaire ( cell broadcast ). À l'issue d'une phase d'études et d'analyse et de négociations avec les opérateurs, cette faculté a été abandonnée au plan national. Il n'y a donc pas eu d'expérimentation du cell broadcast menée par l'État en France métropolitaine ou outre-mer et le ministère de l'intérieur indique qu'à cette heure aucune expérimentation n'est en cours.
À Wallis-et-Futuna , un système d'alerte et d'information des populations via un système de messagerie par téléphonie mobile a récemment été mis en place. Ce système local est cependant jugé fragile par l'administration supérieure qui ne le contrôle pas. Des messages-types préformatés pour chaque événement particulier et limités en nombre de caractères ont été rédigés par les services du cabinet du préfet. Ils sont adressés au chef du service des télécommunications qui les envoie aux abonnés, soit à Wallis, soit à Futuna, soit vers les deux îles.
Un système d'appels automatisés sur lignes fixes a été mis en avant à Saint-Barthélemy , permettant une diffusion de messages pré-enregistrés avec des rappels automatiques tant que le message n'a pas été signalé comme écouté par son destinataire. Cependant, ce système d'appels de masse peut vite être à saturation selon la population et le territoire, comme l'expliquait le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises devant la délégation 50 ( * ) . De plus, il nécessite une inscription sur la liste d'appels au préalable, donc une démarche volontaire.
La technologie de la diffusion cellulaire ( cell broadcast) paraît être un bon outil pour certains outre-mer, dans la mesure où de nombreuses zones demeurent non couvertes par des réseaux mobiles numériques notamment.
Recommandation n°29 : Étudier la pertinence et les conditions d'un déploiement de la diffusion cellulaire outre-mer. |
4. Une mission parfois assurée au niveau international : le cas des alertes ascendantes tsunamis
La France est concernée par le risque tsunami dans l'ensemble des bassins océaniques ; elle doit traiter ce sujet au sein d'une collaboration internationale (Unesco) pour tout ce qui concerne la partie ascendante du dispositif - observation, veille, diagnostic, avis aux autorités - et améliorer au plan national ce qui touche à la partie descendante, à savoir l'alerte et la protection des populations. L'alerte descendante demeure bien de la compétence de chaque État. Des centres d'alerte tsunami sont en place depuis les années 1960 dans le Pacifique, et depuis les années 2010 dans les bassins océan Indien, Méditerranée et Caraïbes.
Pour le bassin Pacifique , le système d'alerte aux tsunamis mis en place en 1965 repose sur la participation de 26 États dont les centres nationaux travaillent en coordination. Le centre d'alerte des tsunamis dans le Pacifique ou Pacific Tsunami Warning Center (PTWC) est basé à Hawaï. Le Centre polynésien de prévention des tsunamis (CPPT), centre d'alerte régional basé à Tahiti et géré par le Laboratoire de détection et de géophysique (LDG) du CEA, alerte les îles polynésiennes de la génération éventuelle d'un tsunami. Ce système ne prenait cependant pas en compte les alertes pour la Nouvelle-Calédonie - notamment les îles Loyautés -, Wallis-et-Futuna ou encore certains États : Tonga, Samoa, Vanuatu et Îles Salomon. Un travail a donc été mené en ce sens depuis 2007 et a permis l'installation de stations sismiques, de marégraphes et de sirènes dans les différentes îles.
Dans la zone de l'océan Indien , le système est opérationnel depuis le 1 er mars 2013 et trois centres d'alerte sont en place. Ils sont gérés par l'Inde, l'Australie et l'Indonésie. À la suite du tsunami de décembre 2004, un important travail a été réalisé avec le CEA pour la préfecture de La Réunion. Ainsi, les dispositions spécifiques ORSEC tsunami ont été approuvées en 2008. À ce jour, la préfecture reçoit les alertes via le centre H24 de la direction de Météo France La Réunion. Les temps de trajet d'un tsunami pour La Réunion sont compris entre 6 et 8 heures suivant le lieu du séisme.
Dans les Antilles, le système d'alerte aux tsunamis de la Caraïbe (SATCAR) est géré également par le centre américain d'Hawaï . Les messages d'alerte sont reçus par les préfectures via les systèmes de Météo France dans la zone.
Enfin, il faut noter que la possibilité d'extension des compétences du Centre national d'alerte aux tsunamis (CENALT) à certains territoires d'outre-mer est à l'étude, certaines préfectures souhaitant un service plus personnalisé que ce qui est offert actuellement par nos partenaires internationaux.
Dans une même visée de collaboration d'alerte internationale, Saint-Pierre-et-Miquelon souhaite développer un partenariat avec le Canada dans le but de définir un schéma d'alerte sur la surcote particulièrement. La coopération entre la collectivité et le Canada, avec l'appui de Météo France en local, semble à ce jour au point mort.
* 48 Rapport d'information n° 595 (2016-2017) « Le système d'alerte et d'information des populations : un dispositif indispensable fragilisé par un manque d'ambition » fait au nom de la commission des finances par M. Jean-Pierre Vogel, rapporteur.
* 49 Étude réalisée par le cabinet Deloitte pour le ministère de l'intérieur de 2012.
* 50 Audition de M. Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du 30 janvier 2018.