COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

Échange de vues sur la révision constitutionnelle

(29 mars 2018)

Présidence d'Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, il m'a paru souhaitable de débattre entre nous des pistes que nous pourrions envisager de porter ensemble dans le cadre des débats à venir sur la révision constitutionnelle.

Les pistes de réflexion dont nous devons décider pourraient tout d'abord concerner l'approfondissement de l'égalité entre femmes et hommes dans la Constitution.

Elles pourraient aussi, si je me réfère aux remarques que vous avez exprimées ces derniers temps, concerner l'avenir institutionnel et juridique de notre délégation, pour renforcer sa visibilité et son ancrage au sein du Sénat.

Le moment venu, nous pourrions peut-être récapituler ces réflexions dans un rapport.

Notre objectif, aujourd'hui, est d'avoir un échange entre nous pour définir les orientations générales de notre contribution au débat. À la fin de cette réunion, nous devrions avoir élaboré ensemble les contours de notre positionnement, sans entrer dans les détails de la mise en oeuvre juridique des orientations que nous allons esquisser ce matin.

La délégation ne peut s'exonérer de cette contribution au débat pour trois raisons.

Tout d'abord, une proposition de loi constitutionnelle a été déposée, le 8 mars 2017, par la présidente de la délégation, qui était alors Chantal Jouanno, pour que l'égalité entre femmes et hommes soit inscrite à l'article premier de la Constitution.

Ensuite, le Haut conseil à l'égalité (HCE), dans sa contribution à la prochaine révision constitutionnelle, recommande l'adoption de cette modification, comme d'ailleurs le Laboratoire de l'égalité : il faut noter que le HCE cite l'origine de cette proposition de loi, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque des initiatives sénatoriales inspirent d'autres auteurs.

Enfin, et c'est probablement la principale raison qui nous conduit à mon avis à participer à ce débat, le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle a tout récemment préconisé la parité au Gouvernement, qui fait partie des quarante propositions ainsi élaborées.

Il nous est donc difficile de ne pas nous inscrire dans le débat sur la révision constitutionnelle.

Dans un premier temps, nous allons parler des modifications de la Constitution qui peuvent approfondir le principe d'égalité femmes-hommes.

Nous devrions tout d'abord recommander que la révision constitutionnelle comprenne, dans l'esprit de notre proposition de loi constitutionnelle, la modification de l'article premier pour y prévoir le principe d'égalité entre femmes et hommes, à côté de l'objectif de parité qui y figure déjà.

Nous devons toutefois nous poser une question à cet égard, comme le suggère le HCE : une telle modification ne mettrait-elle pas en péril des mesures dites d'inégalité compensatrice, comme par exemple les lois sur la parité ? Faut-il donc prévoir dans la Constitution une disposition préservant ces mesures ?

Cela me semblerait étonnant, notamment parce que la modification que nous proposons dans la lignée de la proposition de loi constitutionnelle du 8 mars 2017 est avant tout symbolique, puisque le principe d'égalité entre les hommes et les femmes existe déjà dans le préambule de 1946, et que la jurisprudence du Conseil constitutionnel en a tiré les conséquences. De plus, la Constitution prévoit elle-même, au second alinéa de l'article premier, des mesures favorables à la parité.

On voit mal comment l'égalité devant la loi des femmes et des hommes, au motif qu'elle serait inscrite à l'article premier et non dans le préambule de 1946, rendrait inconstitutionnelles les lois Sauvadet et Copé-Zimmermann, qui résultent elles-mêmes de la Constitution ! On voit mal aussi comment cette modification de l'article premier pourrait mettre en cause, par exemple, la protection des salariées enceintes...

Je vous propose sur ce point de solliciter l'avis de spécialistes.

Qu'en pensez-vous ?

Françoise Laborde . - Cette proposition de loi constitutionnelle, nous sommes un certain nombre, à la délégation, à l'avoir cosignée. C'est une initiative importante pour nous : l'égalité femmes-hommes doit imprégner tous les textes législatifs, y compris lorsqu'elle induit les inégalités compensatrices dont vous avez parlé. Je suis d'accord avec notre présidente, la protection de la maternité ne saurait être affaiblie car on sait que le principe d'égalité n'empêche pas le législateur de régler de façons différentes des situations différentes. C'est précisément le cas pour la maternité !

Laurence Rossignol . - À mon avis, le problème ne se limite pas à l'égalité entre femmes et hommes. Il faut s'assurer que cette rédaction de l'article premier n'empêche pas des mesures de rattrapage au profit, par exemple, des quartiers. Il y a eu des précédents d'invalidations de telles mesures par le Conseil constitutionnel au nom du principe d'égalité, précisément.

En 1982, le Conseil constitutionnel avait ainsi, en se fondant sur le principe d'égalité, déclaré inconstitutionnelle la loi dont Yvette Roudy avait pris l'initiative pour favoriser l'élection de candidates aux élections municipales. Après la révision constitutionnelle de 1999, on a pu déroger au principe d'égalité pour favoriser l'accès des femmes aux mandats. Mais il a fallu que la Constitution le permette explicitement !

Françoise Laborde . - Il y a eu aussi l'épisode des retraites des mères de famille nombreuse... Mais l'opposition aux mesures qui leur étaient favorables est venue de Bruxelles...

Françoise Cartron . - Il est important que nous puissions recueillir l'avis de spécialistes.

Annick Billon, présidente . - Nous sommes donc d'accord sur ce point.

J'en viens à l'éventuel approfondissement du principe de parité, qui figure au second alinéa de l'article premier de la Constitution. Nous avons plusieurs pistes possibles. Le HCE propose que, au second alinéa de l'article premier, il soit écrit non pas que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux » etc., mais que « la loi garantit ». La délégation reprendra-t-elle cette suggestion ? L'accès imparfait des femmes aux responsabilités tient-il davantage aujourd'hui à des pratiques ou à une insuffisance des normes en la matière ? Ne risque-t-on pas, avec cette modification du second alinéa de l'article premier, d'altérer la portée de la loi face aux lacunes de la parité dans la pratique ? Par ailleurs, il y la question des femmes qui seraient réticentes à se porter candidates à ces élections... Je propose que, sur ce point aussi, nous prenions des avis, mais je vous donne la parole. Qu'en pensez-vous ?

Laurence Rossignol . - Le verbe garantir me va bien !

Françoise Cartron . - À moi aussi !

Dominique Vérien . - Je suis d'accord !

Laurence Rossignol . - Il y a un tel écart entre la parité, dont le principe est inscrit dans la Constitution, et la réalité, que nous ne risquons rien à opérer cette substitution.

Dominique Vérien . - Ce que l'on garantit, ce n'est pas la parité, ce n'est pas qu'il y ait le même nombre de femmes élues que d'hommes, c'est l'accès aux mandats ! Il y une nuance...

Annick Billon, présidente . - C'est vrai.

Laurence Rossignol . - En effet, la loi ne garantit pas l'égalité arithmétique, mais l'égalité de l'accès.

Françoise Laborde . - On oblige la loi à la prévoir.

Dominique Vérien . - On ne peut obliger les gens à nous élire !

Chantal Deseyne . - Ni les gens à être candidats et candidates...

Françoise Cartron . - La parité a pu devenir effective avec les listes paritaires. On pensait que l'on ne trouverait pas de femmes - je pense à la remarque de notre présidente - mais finalement les femmes sont là ! Le verbe favoriser a encouragé une certaine hypocrisie de la part de certains collègues masculins.

Annick Billon, présidente . - Quels peuvent être les effets concrets de cette modification ? Est-ce une démarche symbolique ? Certes, les symboles ont leur importance...

Dominique Vérien . - En « favorisant », on peut se dire que si on n'atteint pas la parité, ce n'est pas si grave. Nous devrions donc aller plus loin.

Laurence Rossignol . - Les modes de scrutin déterminent le respect de ce principe. Regardez ce qu'a permis, dans les départements, le binôme paritaire !

Le mode de scrutin proportionnel encourage la parité ; notre problème demeure le scrutin uninominal. Le meilleur exemple est celui des conseils départementaux qui, à la faveur du passage d'un scrutin uninominal à un scrutin binominal, a fait progresser la proportion de femmes dans les conseils départementaux de 14 à 50 %.

On parle de diminuer le nombre de députés (et de sénateurs) : je trouverais plus judicieux de diviser par deux le nombre de circonscriptions aux élections législatives, avec une solution de type binominale, pour que l'Assemblée nationale soit véritablement paritaire. C'est possible, puisque, je le rappelle, Françoise Gaspard avait imaginé le binôme paritaire pour les élections législatives. Cette formule a finalement été appliquée aux élections aux assemblées départementales, avec succès.

Je suis favorable à l'extension du mode de scrutin des élections départementales aux élections législatives.

Dominique Vérien . - L'Yonne, dont je suis élue, est le seul département à avoir une assemblée non paritaire au profit des femmes. Lors d'élections consécutives à la démission d'un conseiller, nous aurions dû avoir un homme d'élu, mais une femme s'est présentée : on ne pouvait l'en empêcher. Et elle a été élue ! Donc sur ce binôme, nous avons en réalité deux femmes...

Françoise Laborde . - Je regarde les synonymes du verbe favoriser. Je trouve aider, avantager, encourager, soutenir... Vous êtes-vous rendu compte que vous étiez avantagées, soutenues ? Le changement de verbe est donc pertinent !

Annick Billon, présidente . - Je ne suis pas certaine que le verbe garantir permette un meilleur accès des femmes aux exécutifs locaux...

Dominique Vérien . - On observe quand même que de nombreuses collectivités veillent à confier des responsabilités à un nombre accru de femmes !

Annick Billon, présidente . - Il y a donc un consensus sur l'emploi du verbe garantir au second alinéa de l'article premier de la Constitution.

J'en viens à la proposition du groupe de travail du Sénat : êtes-vous favorable à l'inscription dans la Constitution de la parité au Gouvernement ? Il me semble que la délégation ne peut qu'apporter son soutien à cette proposition. Sur le plan formel, il s'agit d'une position de portée générale et non, à ce stade, d'une proposition de rédaction qui s'intègre dans le texte de la Constitution. Qu'en pensez-vous ?

Chantal Deseyne . - Je suis favorable à ce que ce point soit inscrit dans la Constitution. Le principe de parité s'impose aux élections locales : il est logique qu'il s'applique aussi au Gouvernement !

Françoise Laborde . - C'est une proposition très positive.

Françoise Cartron . - Les derniers gouvernements ont appliqué cette règle de manière implicite.

Françoise Laborde . - Mais on ne peut demander au gouvernement d'être paritaire sans s'appliquer cette règle à soi-même...

Chantal Deseyne . - La parité au gouvernement n'est pas une garantie pour les femmes d'être chargées des portefeuilles les plus importants. L'égalité arithmétique ne signifie pas que les fonctions prestigieuses soient confiées aux femmes ministres !

Annick Billon, présidente . - Dans le Gouvernement actuel, une femme est garde des Sceaux.

Laurence Rossignol . - Et une femme est ministre des armées !

Marc Laménie . - C'est un sujet important. C'est normal que la parité soit appliquée au Gouvernement. C'est un gage de justice et d'efficacité.

Annick Billon, présidente . - Il semble en effet difficile de prôner la parité au Gouvernement sans la faire avancer dans une institution comme le Sénat, où la part des femmes progresse, certes, mais où l'accès des sénatrices aux responsabilités peut encore être encouragé. Ne pourrions-nous pas suggérer que le Sénat fasse progresser la parité au sein de son Bureau ? Ce serait un beau signal adressé par le Sénat. Faut-il toutefois le mettre dans la Constitution ? Cela relève-t-il des bonnes pratiques ? À ce stade, on peut s'interroger.

Françoise Cartron . - Les candidatures aux fonctions de vice-président, secrétaire et questeur sont déterminées par les groupes. On ne peut de toute façon assurer la parité au sein de chaque fonction : je pense aux questeurs, qui sont en nombre impair.

Annick Billon, présidente . - L'Assemblée nationale a un Bureau proche de la parité : rien ne s'oppose à ce que le Sénat y parvienne aussi.

Céline Boulay-Espéronnier . - Et s'il n'y a pas de candidates au Bureau ?

Annick Billon, présidente . - C'est une question que l'on ne pose pas à l'égard des hommes !

Laurence Rossignol . - Je suis d'accord avec notre présidente : la révision constitutionnelle est l'occasion d'exprimer des propositions. Je suis convaincue que le règlement de notre assemblée peut trouver des solutions aux difficultés pratiques exposées par Françoise Cartron.

Dominique Vérien . - Mais ne risquerait-on pas, avec la parité au bureau, de créer une inégalité de fait ? Nous sommes moins nombreuses...

Annick Billon, présidente . - C'est vrai, mais l'objectif de parité au sein du Bureau a été inséré dans le règlement de l'Assemblée en 2014, à une époque d'ailleurs où la proportion de députées était inférieure à celle qui résulte des dernières élections législatives. Du reste, on peut espérer que cette inégalité ne serait que transitoire et cesserait dès qu'il y aurait autant de sénatrices que de sénateurs. Je rappelle également que, si nous sommes moins nombreuses, c'est aussi en raison de listes dissidentes destinées à contourner l'obligation de parité. Cela contribue à ralentir la féminisation du Sénat. Les choses s'améliorent, toutefois, mais doucement.

Françoise Cartron . - Je persiste à m'interroger sur le fait que la parité des Bureaux des assemblées figure dans la Constitution.

Chantal Deseyne . - On peut être favorable à la parité, mais il faut respecter la liberté des groupes. Attention à ce qui pourrait relever d'une forme d'ingérence dans leurs choix.

Françoise Cartron . - Au groupe socialiste, nos vice-présidents sont élus au sein du groupe.

Chantal Deseyne . - Chez nous aussi !

Françoise Cartron . - Après le dernier renouvellement, nous avons décidé de faire en sorte que sur les trois vice-présidences qui nous étaient attribuées figure au moins une femme. Cela peut être compliqué, donc, de parvenir à la parité dans une telle instance. J'observe du reste que dans le règlement de l'Assemblée nationale, il est dit que l'élection des différents membres du Bureau s'efforce de respecter la parité, pas que celle-ci doit être arithmétiquement réalisée. Cette rédaction me convient.

Dominique Vérien . - Et s'efforcer, ce n'est pas garantir !

Annick Billon, présidente . - J'observe donc que, s'agissant de la parité au Bureau, les avis sont partagés, surtout en ce qui concerne le vecteur juridique, mais aussi en ce qui concerne l'application arithmétique de ce principe. Cela ne nous empêche cependant pas de lancer le débat.

J'en viens au point suivant. À l'heure actuelle, des voix s'élèvent pour faire figurer dans la Constitution le droit à la contraception et à l'avortement. Une telle mesure fait partie des propositions du HCE. Un débat sur le sujet de la « constitutionnalisation du droit à l'IVG » a été inscrit à l'ordre du jour du Sénat, la semaine prochaine, à l'initiative de nos collègues du groupe CRCE. À titre personnel, je suis défavorable à une telle modification de la Constitution. Je comprends que l'actualité internationale suscite une grande émotion dans ce domaine, mais je suis opposée au fait d'introduire la question de l'IVG dans un débat constitutionnel qui s'annonce pour le moins complexe. Qu'en pensez-vous ?

Françoise Laborde . - Je suis, moi aussi, réservée sur ce point.

Laurence Rossignol . - Moi également.

Céline Boulay-Espéronnier . - Je partage vos réserves.

Claudine Kauffmann . - Je n'y suis pas non plus favorable.

Laurence Rossignol . - Nous pouvons estimer que si le droit à l'IVG était remis en cause dans notre pays, la Constitution le serait aussi, alors...

Chantal Deseyne . - Cette recommandation n'a pas sa place dans la Constitution, n'est-ce pas?

Annick Billon, présidente . - Je considère donc que nous sommes d'accord.

Passons aux modifications terminologiques proposées notamment par le HCE, qui suggère :

- de remplacer le mot fraternité, dans la devise républicaine, par les termes de solidarité ou adelphité , jugés moins « sexués » ;

- d'insérer des éléments de mixité dans la dénomination de certaines fonctions (« ambassadeurs et ambassadrices » par exemple) ;

- de remplacer « droits de l'homme » par « droits humains ».

À ce sujet, on peut penser que la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen fait, elle aussi, partie de notre héritage historique. De toute façon, quand la Constitution s'y réfère, on ne peut en modifier l'intitulé !

Il faut que nous en débattions, mais il ne me semble pas que nous puissions être unanimes en faveur d'une modification de la devise républicaine et de la remise en cause du principe de fraternité, qui se confond avec l'histoire de la République. Une telle initiative ne pourrait que déplacer le débat juridique, qui doit rester celui de la révision constitutionnelle, vers des désaccords très lourds.

J'ajoute que le sacrifice du colonel Beltrame, mort pour avoir sauvé la vie d'une femme, a prouvé, si c'était nécessaire, que la fraternité n'exclut pas les femmes...

Laurence Rossignol . - C'est un débat compliqué dans notre pays, qui est le pays de la Déclaration des droits de l'Homme, mais pas pour autant celui des droits de l'Homme.

La Déclaration des droits de l'Homme n'est pas une déclaration des droits humains mais une déclaration des droits du mâle, car aussi bien dans son élaboration que dans sa mise en oeuvre, il n'y aucune prise en compte de la citoyenneté des femmes.

Les anglo-saxons usent de l'expression « human rights » sans l'ambiguïté que notre langue donne au mot homme qui peut tantôt désigner le mâle ou l'être humain.

Si conserver le talisman historique qu'est la déclaration des droits de l'Homme en l'état ne me choque pas, je le suis en revanche du refus de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) de se dénommer Commission consultative des droits humains.

Maryvonne Blondin . - J'abonde dans le sens des propos de Laurence Rossignol, les droits humains m'apparaissent en effet essentiels.

Il est vrai que le mot homme peut prêter à confusion selon le sens que l'on veut lui donner avec un h minuscule ou majuscule ; en témoigne une information radiophonique de ce matin qui annonçait la découverte d'un nouvel organe chez l'homme, le mésentère : il a cependant fallu qu'une journaliste demande si la femme en était aussi dotée pour que le doute soit levé sur sa présence chez tout être humain !

Françoise Laborde . - Je n'approuve pas un changement de la devise républicaine.

Si l'exemple de Maryvonne Blondin est très illustratif, je considère que la déclaration des droits de l'Homme fait partie de notre histoire et qu'elle est intangible.

Annick Billon, présidente . - Je crois que nous sommes unanimes sur la question de la devise républicaine, moyennant le souci exprimé par Laurence Rossignol de recourir de préférence, dans le langage, à l'expression « droits humains » plutôt que « droits de l'Homme ».

Chantal Deseyne . - Formulé sous forme de boutade, imagineriez-vous de substituer à notre devise républicaine, celle-ci : « Liberté, égalité, adelphité » ? Cette modification de notre devise ne serait pas comprise.

Laurence Rossignol . - On ne doit certes pas réécrire l'histoire ni la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, mais il faut user de l'expression « droits humains » quand on parle des droits de l'Homme. Il est faux d'avancer que l'élaboration de la déclaration des droits de l'Homme témoignait d'une compréhension générique du genre humain, d'autant qu'elle a été rédigée alors que n'étaient pas considérés comme doués de raison les fous, les femmes, les enfants et les réprouvés !

Maryvonne Blondin . - L'ONU utilise l'expression « human rights » ou droits humains. En anglais, il n'y a pas l'ambiguïté qui existe en français.

Annick Billon, présidente . - J'en viens au second temps de notre échange sur l'avenir institutionnel de notre délégation.

Notre délégation a été constituée en novembre 1999. Elle aura donc, comme celle de l'Assemblée nationale, 19 ans en novembre prochain.

Les deux délégations, de l'Assemblée nationale comme du Sénat, peuvent s'enorgueillir d'un véritable actif, tant dans le domaine législatif que pour favoriser la visibilité des thématiques concernant les droits des femmes et l'égalité.

Les délégations ont incontestablement acquis au fil du temps une place importante dans le paysage institutionnel des droits des femmes et de l'égalité.

Si notre délégation, et il faut s'en féliciter, a toujours pu bénéficier dans ses diverses initiatives du soutien de la présidence du Sénat, elle pourrait toutefois gagner encore en visibilité au sein de l'institution : il lui manque à certains égards un ancrage institutionnel fort.

Il demeure difficile en effet pour notre délégation de s'inscrire dans le débat législatif. Ce constat n'est d'ailleurs pas propre à notre délégation.

Quels leviers privilégier pour favoriser cette évolution, à condition toutefois que la délégation de l'Assemblée nationale soit d'accord ? Faut-il aller dans le sens de la transformation de notre délégation en commission ? Qu'en pensez-vous ?

À mon avis, la formule d'une commission permanente nous donnerait certes de la visibilité et garantirait notre participation au débat législatif et, en général, à la séance publique, ce qui actuellement n'est pas systématique. Mais cette hypothèse comporterait le risque d'un « entre soi » par rapport à la richesse que permet la double appartenance à une commission permanente et à la délégation. Il faut donc à mon avis écarter cette idée.

En revanche, ne pourrions-nous pas travailler à une commission qui serait sur le modèle de la commission des Affaires européennes ? Cette solution présente des avantages :

- elle favorise une plus grande visibilité pour les délégations au sein du Parlement (notamment par l'accès à la Conférence des présidents, où siègent les présidents des commissions aux affaires européennes) ;

- elle est compatible avec l'appartenance à l'une des commissions permanentes.

Elle est par ailleurs cohérente avec la logique de la « grande cause du quinquennat ».

Les commissions des Affaires européennes ont des compétences liées à l'examen des projets d'actes législatifs européens inscrits à l'article 88-4 de la Constitution.

Sur quelles missions spécifiques les nouvelles commissions des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes devraient-elles être assises ? On pourrait envisager qu'elles soient saisies pour donner leur avis sur tous les textes législatifs et propositions de résolution européennes ayant des incidences sur les droits des femmes. Leurs missions comprendraient aussi nos compétences actuelles en matière de contrôle et d'évaluation des politiques publiques dans le domaine des droits des femmes.

Parallèlement, nous pourrions envisager de proposer de modifier la loi organique du 15 avril 2009 pour y intégrer les études d'impact des projets de loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Ces études d'impact, à l'heure actuelle, relèvent d'une circulaire. Il est préférable de les consolider juridiquement. Ce point renforcerait l'ancrage de la future commission dans l'activité législative du Sénat.

Françoise Laborde, présidente . - Dans mes interventions extérieures au Sénat, j'énonce systématiquement l'intégralité de la dénomination de notre délégation : délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.

Les membres de notre délégation partagent aussi une convivialité et des convictions communes qui leur permettent de défendre les conclusions adoptées par la délégation sans être contraints par leur appartenance politique, faculté que ne permettrait pas une commission permanente.

Je ne suis pas non plus favorable à une transformation de notre délégation en commission permanente car, comme le disait notre présidente, la double appartenance est utile aux réflexions sur les droits des femmes, qui concernent tout le champ des politiques publiques et tout le spectre de l'activité législative. C'est une discipline transversale qu'il serait regrettable d'isoler.

En revanche, je ne suis pas opposée à une transformation en une commission fonctionnant selon les règles de la commission des Affaires européennes, dont les membres sont issus des commissions permanentes et apportent la richesse de l'éclairage des travaux auxquels ils participent dans ce cadre.

Laurence Rossignol . - Je suis aussi opposée à une transformation de notre délégation en commission permanente, mais j'adhère à l'idée d'une commission à l'image de la commission des Affaires européennes.

Une telle modification ne sera cependant pas facile à faire adopter ; il faudra s'attendre à affronter des résistances, comme celles qui se sont exprimées en 2008 lors de la création dans la loi constitutionnelle des commissions chargées des affaires européennes.

Françoise Cartron . - Je voudrais signaler que nous pourrions également invoquer le précédent de la commission pour le contrôle de l'application des lois, créée à l'époque de la présidence de Jean-Pierre Bel. Cette commission avait également un regard transversal, puisqu'elle traitait de l'application des lois dans son ensemble, en englobant le champ de compétences de toutes les commissions permanentes.

Marc Laménie . - Il me semblerait normal que la délégation aux droits des femmes, de par la transversalité de son champ de compétences, puisse évoluer dans le sens que vous proposez, en s'inspirant par exemple de la commission des Affaires européennes. Cela serait d'autant plus logique qu'elle existe depuis bientôt vingt ans. Une telle évolution permettrait à sa présidente d'avoir une place à la Conférence des présidents. Il est important que la délégation puisse faire entendre sa voix en séance publique sur les textes qui concernent les droits des femmes et l'égalité. Je pense par exemple à la proposition de loi sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs que nous avons examinée mardi. Nous avons tous regretté à cette occasion que la présidente de la délégation ne dispose que d'un temps de parole très limité dans la discussion générale.

Annick Billon, présidente . - Effectivement, bénéficier d'une visibilité en séance publique sur les textes concernant notre champ de compétences permettrait de gagner en efficacité.

Céline Boulay-Espéronnier . - Au-delà de la question du changement de statut de la délégation, je pense que nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur une évolution de son intitulé. Je proposerais par exemple de parler de commission de l'égalité. L'enjeu de la visibilité est essentiel.

Annick Billon, présidente . - Il faudrait en effet consacrer un temps de débat au sujet de notre nom, indépendamment de la question de notre statut. Je propose que nous organisions un échange informel dédié à cette question : qu'est-ce que cela signifie pour nous d'être membre de la délégation ? Quels messages voulons-nous adresser à nos collègues ? Réfléchissons-y.

Laurence Rossignol . - C'est un vrai débat et je souscris à l'idée d'organiser une réunion spécifique pour en discuter entre nous.

En ce qui me concerne, j'estime que la proposition centrale qui émerge de nos échanges est celle de l'évolution de la délégation vers une commission. Pour le reste, nous sommes plutôt dans l'ordre du symbole. Nous devons porter cette revendication, qui aura d'autant plus de poids si nos collègues de l'Assemblée s'en emparent aussi.

Annick Billon, présidente . - Je vous propose de clarifier quelques points avant de nous séparer.

En premier lieu, je suggère de mandater le secrétariat pour prendre contact avec des spécialistes afin de vérifier les points de droit que nous avons évoqués tout à l'heure.

Ensuite, il faudra prévoir d'informer le président Larcher du souhait de la délégation de s'inscrire dans le débat constitutionnel, le cas échéant par des amendements au projet de loi constitutionnelle cosignés par des membres de la délégation. Je propose que nous lui transmettions préalablement le compte-rendu de cet échange de vues.

Je suggère également de prendre contact avec mon homologue de l'Assemblée nationale pour que les deux délégations se concertent.

Enfin, êtes-vous d'accord pour que, si notre participation au débat constitutionnel prend la forme d'un rapport d'information, ce soit moi qui le porte ? Nous confirmerons officiellement ce point de procédure le moment venu.

Laurence Rossignol . - Il me semble important que nous relayions aussi ces propositions dans nos groupes respectifs, pour qu'elles puissent y être appuyées.

Annick Billon, présidente . - Vous avez raison, chère collègue.

Je vous propose, le moment venu, de publier un communiqué de presse annonçant le fait que la délégation va s'inscrire dans le débat constitutionnel à travers différentes propositions. Qu'en pensez-vous ?

Céline Boulay-Espéronnier . - Pourquoi ne pas faire une tribune ? Il me semble que cela aurait plus de poids, car cela permettrait de parler du fond, mais aussi d'associer des sénateurs et sénatrices qui ne sont pas forcément membres de la délégation.

Annick Billon, présidente . - Je trouve que c'est une excellente idée. Toutefois, ce serait peut-être prématuré. Il me paraît préférable de rencontrer tout d'abord le président Larcher.

Françoise Laborde . - Je suis d'accord.

Laurence Rossignol . - Le moment venu, nous pourrions également prendre attache avec la Garde des Sceaux et la Secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. L'idéal serait que le projet de loi constitutionnelle intègre la disposition transformant la délégation en commission.

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, notre réunion touche à sa fin. Avant de nous séparer, je voudrais remercier Laure Darcos de m'avoir suppléée au cours de la réunion du 22 mars. Je voudrais également vous remercier tous et toutes pour le succès de la journée du 8 mars. Je n'ai entendu que d'excellents retours de la part des participants.

Enfin, je voudrais vous dire un mot sur le déplacement que j'ai fait à la session de mars 2018 de la commission de la condition de la femme de l'ONU (CSW) pour présenter notre rapport sur les agricultrices, dans le cadre de l'Union interparlementaire (UIP). J'étais accompagnée de notre collègue députée Sophie Errante. J'ai bénéficié d'un temps de parole de cinq minutes, ce qui était inespéré dans une telle instance... La présentation de notre rapport a été très appréciée ; j'ai eu l'occasion de distribuer les exemplaires de notre rapport que j'avais apportés avec moi, et je sais que le secrétariat a été approché pour envoyer le lien vers tous les documents qui s'y rapportent, y compris le compte-rendu du débat en séance publique du 20 février 2018.

Un mot sur l'agence ONU femmes , qui est la seule agence de l'ONU créée au XXI e siècle. Les droits des femmes sont devenus un sujet majeur à l'ONU. Il y a une prise de conscience de la condition de la femme dans le monde et du fait que les femmes seront les principales victimes du réchauffement climatique. Être femme, pauvre, en milieu rural n'ouvre pratiquement aucune perspective pour sortir de sa condition. D'où, entre autres sujets, l'importance de l'éducation.

De ce séjour à New-York, je retiendrai que la parole de la France reste pour l'instant très écoutée, mais que les moyens budgétaires ne suivent pas, ce qui pourrait finir par porter atteinte à la crédibilité de notre pays. La communication ne doit pas être l'alpha et l'oméga, il faut aussi du concret. Il y a ainsi un énorme décalage entre notre contribution au budget d' ONU femmes et celles, bien supérieures, d'autres pays donateurs, notamment la Suède.

Table ronde sur les conditions d'exercice des mandats locaux par les élues

(24 mai 2018)

Présidence de Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales, et d'Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales . - Il me revient d'ouvrir cette table ronde, organisée en commun avec la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur les conditions d'exercice des mandats locaux par les élues.

Lors de la deuxième Conférence nationale des territoires, le 14 décembre dernier, le président Gérard Larcher a souhaité que le Sénat engage un travail sur le statut des élus locaux. Ce travail est conduit par la délégation aux collectivités territoriales. Il devrait déboucher en juillet prochain sur un rapport d'information, puis sur une proposition de loi.

Dès le début de nos travaux, nous avons rencontré la question des conditions d'exercice des mandats locaux par les femmes élues.

Une consultation que nous avons diffusée à l'ensemble des élus et qui a reçu 17 500 réponses a, dès l'abord, confirmé l'existence d'obstacles à l'accès des femmes aux mandats locaux, puisque seulement 37,75 % des répondants ont été des femmes, et puisque les réponses nous montrent que celles-ci partagent avec les salariés du secteur privé et avec les moins de trente-cinq ans la palme de la difficulté à s'inscrire sur une liste de candidats à un mandat local. Ce sont autant d'indices d'une situation objectivement défavorable à la prise de responsabilités politiques locales par les femmes.

Cette situation, qui porte atteinte à la plénitude de la démocratie locale, est certainement liée au fait que les femmes subissent plus fortement que les hommes les imperfections de ce que l'on appelle le statut des élus locaux. L'exercice des mandats locaux est certainement plus compliqué pour les femmes, exigeant de leur part un surcroît d'abnégation.

Nous souhaitons approfondir cette question et envisager les remèdes de la façon la plus concrète et la plus pertinente possible. C'est pourquoi nous avons proposé à la délégation aux droits des femmes d'organiser ensemble cette table ronde, et je remercie vivement sa présidente Annick Billon d'avoir accepté cette démarche commune.

Participeront à nos travaux : le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, l'Association des maires de France, l'Assemblée des communautés de France, France Urbaine, l'Assemblée des départements de France et le réseau Élueslocales.fr .

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - Je remercie Jean-Marie Bockel, président de la délégation aux collectivités territoriales, d'avoir ouvert cette table ronde à notre délégation.

La question de l'adaptation du statut des élus à des assemblées largement féminisées, voire paritaires pour certaines, intéresse tout particulièrement la délégation aux droits des femmes, de même que l'accès des femmes aux responsabilités en général.

Le 8 mars dernier, la délégation aux droits des femmes a organisé une rencontre avec des élues locales qui a constitué, pour nous, un grand moment de cette session, dont on parle encore à nos collègues de la délégation aux droits des femmes dans leurs territoires. Les échanges qui se sont alors très spontanément instaurés ont souligné l'importance, pour les élues locales, quel que soit leur mandat, des réseaux de femmes élues.

Cette rencontre a également souligné l'intérêt de la formation, dont les femmes élues sont nombreuses à ressentir le besoin pour acquérir confiance en soi et faire évoluer un milieu politique longtemps marqué par des codes masculins.

Tout ce qui permet d'accompagner la féminisation des assemblées politiques, où la présence d'élues est une exigence démocratique, intéresse de près la délégation aux droits des femmes, de même que toutes les initiatives qui favoriseraient la participation des femmes à la vie politique et à l'exercice de responsabilités, à égalité avec les hommes.

Je suis heureuse, mesdames, de vous accueillir, vous qui avez accepté de participer à cette table ronde. Je salue également Julia Mouzon, fondatrice du réseau Élueslocales.fr , dont la participation à notre événement du 8 mars a été très remarquée.

Nous accueillerons tout à l'heure la présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, Danielle Bousquet, dont l'expertise concernant les questions de parité est toujours stimulante.

Cécile Gallien, maire de Vorey, coprésidente du groupe de travail égalité dans les exécutifs locaux de l'Association des maires de France (AMF) . - Lors du 100 e congrès des maires, quelques femmes maires, membres du comité directeur de l'AMF, ont proposé un focus sur la place des femmes qui a connu un grand succès. Le 7 mars dernier, l'AMF a créé un groupe de travail intitulé « Promouvoir les femmes dans les exécutifs locaux ». Ce groupe de travail s'est fixé quatre objectifs :

- tout d'abord, connaître la situation et la faire connaître. Nous avons envoyé un questionnaire, l'idée étant de faire témoigner, lors de notre 101 e congrès des maires français, femmes ou hommes, mais également européens. Nous voulons traiter du sujet de la parité, y compris en milieu rural, en soulevant notamment la question du mode de scrutin. Nous souhaitons travailler sur l'appréhension des politiques publiques : doivent-elles être genrées ou non ?

- nous voulons ensuite lever les verrous juridiques et politiques. Le taux de femmes présidentes dans les exécutifs, notamment intercommunaux, est malheureusement passé depuis 2017 de 8,5 % à 7,5 %. Depuis les fusions, la présence des femmes dans les exécutifs a donc diminué ;

- comme vous, nous souhaitons renforcer le statut de l'élu et soulever la question de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Nous nous interrogeons aussi sur les commissions d'investiture des partis politiques et sur les affectations, les femmes étant souvent cantonnées aux questions sociales ou scolaires et les hommes aux finances et à l'urbanisme. Nous aimerions qu'une loi soit proposée en fin d'année sur la parité dans les exécutifs, communaux ou intercommunaux ;

- par ailleurs, il nous paraît utile de lutter contre les stéréotypes : ainsi, la femme dirigeante serait autoritaire... Nous souhaitons travailler également sur la mixité dans la gouvernance et associer les hommes à ce changement. Pour finir, nous voulons conforter les solidarités, c'est-à-dire réfléchir à la notion de sororité, au regard des femmes sur les femmes politiques elles-mêmes, et travailler à la transmission. Il importe de promouvoir et d'inciter des candidatures féminines pour les prochaines élections.

C'est un vaste chantier et nous n'y arriverons pas sans obligations paritaires. Aujourd'hui, notre pays compte 16 % de maires femmes : c'est insuffisant !

Marie-Line Pichery, maire de Savigny-le-Temple, vice-présidente de l'agglomération Grand Paris Sud en charge de la politique de la ville, du renouvellement urbain et de l'accès à la santé, membre de France Urbaine . - Je partage le constat de non-parité dans l'exécutif des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Je suis maire d'une commune de 30 500 habitants depuis 2011. Je suis arrivée en cours de mandat, succédant à un élu en place depuis trente-cinq ans et qui avait mis son empreinte sur la ville : ça a été une révolution ! J'avais à l'époque quarante-six ans, contre près de 70 ans pour le maire sortant. Je devais aussi m'occuper de mes filles, nées en 1992 et en 2000. Le premier étonnement pour mes administrés a été de voir le maire dans sa fonction de mère, par exemple au supermarché ! J'avais néanmoins eu la chance, en 2001, d'être premier adjoint chargé des finances. J'ai donc été accompagnée avec bienveillance, notamment par des hommes qui pensaient que les choses devaient évoluer.

Je retiens de mon parcours qu'il n'y a pas suffisamment de femmes maires, en particulier dans les grandes villes. Mais je retiens également la nécessité d'une complémentarité dans la gouvernance, car hommes et femmes n'ont pas forcément la même appréhension des sujets. Une ville doit avoir des ambitions non seulement en matière de développement et de construction, mais aussi au niveau du quotidien.

Le bureau municipal de ma ville respecte la parité, les délégations sont distribuées en fonction des compétences et non du genre. J'ai conservé les finances et mon premier adjoint s'occupe de l'urbanisme.

Je relève également que certaines femmes s'autocensurent en estimant qu'elles ne sont pas capables d'occuper certains postes parce qu'elles ont des enfants, de la famille, etc. En ce qui concerne Grand Paris Sud, le renouvellement urbain étant l'un des grands sujets, peu de femmes sont présentes.

Bref, nous avons des enjeux à relever, ce qui permettrait d'apporter une grande complémentarité, mais il reste du travail !

Bénédicte Thiébaut, présidente de la communauté de communes du Grand Roye, administratrice de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) . - Je préside la communauté de communes du Grand Roye depuis 2012, ce qui était une première puisqu'il s'agit d'un territoire très rural. Sur quatre-vingt-quatorze personnes, dix femmes siègent au conseil communautaire. Leur présence apporte une autre vision et permet d'aborder différemment certaines problématiques.

Nous avons essayé de respecter la parité tout en respectant la sensibilité et les intérêts de chacun. La voirie et l'urbanisme ont été laissés aux hommes pour ne pas bouleverser les habitudes.

Notre préoccupation principale est de nous projeter dans l'avenir et de nous agrandir, raison pour laquelle nous nous sommes rattachés au syndicat mixte du Pays du Grand Amiénois.

Michelle Berthy, vice-présidente du conseil départemental du Val-d'Oise, membre de l'Assemblée des départements de France (ADF) . - Les départements étaient réputés pour être les plus mauvais élèves de la classe politique. Avant la loi de 2013 qui a imposé le binôme, seulement 14 % des conseillers généraux étaient des femmes. Dorénavant, la parité est de mise, avec 50 % d'élus femmes. Preuve que les lois sur la parité étaient nécessaires, même si elles ont parfois été comparées aux quotas laitiers !

L'ADF a réalisé un rapport sur les changements induits par le binôme. Il en ressort que si les exécutifs sont paritaires, il reste des progrès à accomplir en matière de présidence puisque seuls douze départements sont présidés par une femme. C'est le cas du Val-d'Oise...

À mon sens, il ne faut pas être dogmatique en ce qui concerne la répartition des attributions entre les femmes et les hommes au sein de l'exécutif, ni trop regretter que certains domaines soient davantage réservés aux femmes : le secteur social n'est-il pas le budget le plus important au niveau des départements ? Mettons plutôt l'accent sur les compétences et tâchons d'éviter toute dérive.

Les femmes engagées en politique doivent donner aux autres femmes l'envie de s'engager également. Des outils « pratico-pratiques » doivent notamment être mis en place, par exemple pour la garde des enfants, mais j'espère qu'ils serviront également aux hommes !

Le fonctionnement des binômes dépend beaucoup des départements. Certes, tous les binômes ont fait campagne ensemble, mais leur vie peut ensuite redevenir autonome au sein d'un même territoire qu'ils se partagent. C'est surtout le cas en régions, quand les cantons sont vastes.

J'insiste également sur la formation des élus. Il est important d'encourager les femmes à se former pour les inciter à se lancer en politique. L'ADF s'engage aux côtés de l'Institut pour la formation des élus territoriaux (IFET) afin de promouvoir de façon transpolitique les formations efficaces. La limitation à trois mandats successifs me paraît également être une avancée politique : elle permettra non seulement le renouvellement, mais aussi l'engagement des femmes. Dix-huit ans de mandat, ça suffit. Je dis souvent que lors du premier mandat, on découvre et on apprend ; lors du deuxième, on met en place des projets ; lors du troisième, on transmet !

De nombreux partis politiques disent vouloir la parité mais regrettent l'absence de candidates. Or force est de constater qu'à droite comme à gauche, on les dissuade de se présenter ! La mise en place d'amendes est insuffisante à faire évoluer les pratiques. Un gros travail de pédagogie reste à réaliser.

Pour finir, permettez-moi une digression en tant que présidente du Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED). Les départements ont la charge de la protection de l'enfance. Le Sénat examinera prochainement le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. L'article 2 fait l'objet d'un débat car il pose problème. Je vous demande solennellement de bien vouloir retravailler cet article. Je compte sur vous !

Julia Mouzon, fondatrice du réseau Elueslocales.fr . - Je remercie les deux délégations organisatrices de nous avoir invitées. Le réseau Élueslocales.fr est le premier réseau de femmes élues locales en France, qui réunit plusieurs milliers de femmes sur tout le territoire, participant à nos formations, aux événements que nous organisons et qui sont actives au sein de nos réseaux locaux. Nous organisons deux types d'actions : formations dans toute la France et les métropoles, principalement sur la thématique de l'exercice du mandat (communication politique, leadership au féminin, codes du pouvoir, budget) et des journées régionales de femmes élues. De semblables événements ont eu lieu en Occitanie, dans le Grand Ouest, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, dans le Grand Est... Nous organisons aussi à Paris la journée nationale des femmes élues, juste après le congrès des maires de France. J'ai pris l'initiative de créer Élueslocales.fr en 2012, au moment des élections législatives et présidentielle. Plusieurs voix féminines s'étaient alors élevées, à droite comme à gauche, pour regretter le manque de parité. On se souvient que l'UMP avait renoncé d'emblée à présenter autant de femmes que d'hommes, se privant ainsi d'une partie de financement public, et que le parti socialiste, après avoir annoncé un engagement paritaire des candidatures au niveau départemental, s'est finalement contenté de réaliser la parité des candidatures à l'échelle nationale. Le parti socialiste a présenté plus d'hommes que de femmes dans les circonscriptions gagnables, et plus de femmes dans les circonscriptions non gagnables, ce qui a abouti à seulement 39 % de femmes députées au sein du groupe socialiste... Le parti EELV pour sa part a obtenu une représentation paritaire au sein de son groupe à l'Assemblée nationale, en appliquant strictement le principe de parité, quel que soit le statut de la circonscription (gagnable ou pas, « un peu gagnable » et « a priori non gagnable »).

J'ai donc voulu que toutes ces femmes élues, qui vivent des situations très différentes au sein de leurs partis politiques et dans leurs commissions d'investiture, puissent se rencontrer, échanger et partager sur leurs parcours d'élues.

Je ne suis pas élue moi-même mais, en tant que citoyenne, j'ai envie d'être représentée dans les assemblées politiques. Je souhaite que la vie politique soit un espace où les femmes puissent apporter leur contribution, notamment sur leurs expériences de vie, différentes de celles des hommes. Un exemple typique : quand on construit des logements, on est obligé de prévoir un certain nombre de places de stationnement, mais pas de places de crèche !

Élueslocales.fr est présente dans tous les départements, avec un maillage de 40 réseaux locaux d'associations de femmes élues.

Les hommes sont bien sûr les bienvenus à tous nos événements. Les retours de nos membres rejoignent les témoignages entendus ce matin. En ce qui concerne le mandat, il existe des différences importantes entre les élues des grandes collectivités, qui vont davantage se consacrer à des missions stratégiques, des questions de management ou de tactique politicienne, et ceux des petites communes rurales qui vont s'impliquer par nécessité dans des problématiques de gestion du quotidien. La maire de Saint-Pierre-Quiberon a, par exemple, vendu elle-même des places de concert ; une autre, dans les Vosges, a fait des CV vidéo... On est dans le très opérationnel !

Quant aux retours dont nous avons connaissance sur des questions relevant du statut de l'élu, comme les dispositifs de formation et les crédits d'heures attribués aux élus dans le cadre de leur mandat, qui ici connaît le crédit d'heures pour les élus dans les villes de plus de 3 500 habitants et de moins de 10 000 habitants ?

Jean-Marie Bockel, président . - La question était posée dans notre sondage : environ 20 % des élus y avaient déjà eu recours.

Julia Mouzon . - C'est un dispositif très complexe ; ainsi, pour les villes de plus de 3 500 habitants et de moins de 10 000 habitants, c'est un crédit trimestriel sur la base de 10h30. Quand la formation se fait au sein de leur collectivité, un budget est voté : il n'y a pas d'heures et le dispositif fonctionne comme un droit de tirage, un élu pouvant consommer la totalité du budget à lui seul. Les crédits ne peuvent être alloués à un organisme en particulier. Or les élues s'entendent souvent répondre qu'il n'y a plus de budget pour la formation qu'elles souhaitent suivre, ce qui est faux ; qu'il faut se tourner exclusivement vers tel ou tel organisme de formation, ce qui est faux ; ou que le budget est strictement divisé entre tous les élus, et donc très faible... Et même si la formation est accordée, les démarches administratives sont très lourdes, voire décourageantes. Bref, ces dispositifs d'une grande complexité, qu'il s'agisse du crédit d'heures, du statut de salarié protégé ou du droit individuel à la formation (DIF), conduisent souvent à des négociations avec ceux qui ont la décision. Conclusion : ceux qui en bénéficient sont souvent ceux qui peuvent se permettre de perdre du temps pour mener à bien ces négociations, ce jeu de tactique politique ou pour comprendre les enjeux de tous ces dispositifs !

En ce qui concerne le mandat de l'élu, un audit sur l'avis des maires sur leur mandat a été réalisé par la délégation aux collectivités territoriales auprès de plusieurs dizaines de milliers d'élus locaux, mais il manque une partie factuelle : à partir de quelle taille de collectivité l'élu réalise-t-il des missions opérationnelles ou stratégiques ?

Sur le statut, que voulons-nous ? Voulons-nous que le maire fasse office de médiateur dans une ville de 200 habitants ? Voulons-nous maintenir de la proximité dans les communes rurales ? Voulons-nous conserver des communes de quelques dizaines d'habitants ou voulons-nous au contraire, comme le fait la loi NOTRe, favoriser l'hyperconcentration ? Il y a eu des réformes, des mesures techniques, mais personne ne s'est posé la question de savoir ce que l'on voulait pour nos élus, et donc pour nos territoires. J'engage donc vos deux délégations à porter la réflexion sur cette question, les femmes étant emblématiques et leurs problèmes finalement symptomatiques des problèmes de la vie politique actuelle !

Jean-Marie Bockel, président . - Vos propos sont fort intéressants.

Longtemps maire d'une grande ville et président de l'ancienne association des maires des grandes villes, j'avoue que je ne me retrouve pas dans le distinguo que vous faites entre le stratégique et l'opérationnel. Pour ma part, je consacrais environ 50 % de mon temps à la stratégie et au management, et 50 % aux réunions de quartier et déplacements en ville, à me soucier des nids de poule, de la propreté et de la sécurité du quotidien.

Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) . - Merci de votre invitation et bravo pour cette initiative conjointe. Il y a beaucoup à dire sur l'exercice des mandats locaux par les femmes élues. Le Haut conseil à l'égalité, que je préside, a bien entendu travaillé sur ces questions. La commission Parité du HCE s'est penchée sur cette épineuse question de la parité au niveau local. Nous avons remis en février 2017 à Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, un rapport sur ce sujet intitulé « Parité au niveau local : en l'absence de contraintes légales, le partage des responsabilités s'arrête aux portes du pouvoir ».

Avant d'examiner les conditions d'exercice des mandats locaux par les élus, je rappelle qu'une intervention de l'État et la fixation de règles sont indispensables pour que les femmes puissent exercer ne serait-ce qu'un mandat local. La parité, c'est le partage à égalité entre les femmes et les hommes du pouvoir de représentation et de décision dans toutes les sphères de la vie citoyenne ; c'est le partage des places, mais aussi des responsabilités.

Malgré des progrès indéniables, nous sommes encore loin du compte. Quinze ans après les premiers dispositifs paritaires, on constate que là où il y a des contraintes, la parité est une réalité, y compris au sein des exécutifs : 50 % de femmes dans les assemblées et les exécutifs des conseils départementaux, conseils régionaux et conseils municipaux des villes de plus de 1 000 habitants. En complément des réformes constitutionnelles, des lois d'application ont ainsi prévu des listes paritaires par alternance pour toute élection au scrutin de liste, ou un scrutin binominal pour les élections départementales.

Mais, dès lors que les règles ne sont qu'incitatives ou qu'il n'existe pas de véritable contrainte paritaire, la part des femmes reste faible. Dans les collectivités locales, le numéro un reste un homme. Huit régions sur dix sont présidées par un homme, neuf départements et intercommunalités sur dix, et 84 % des maires sont des hommes. Même chose pour le numéro deux : 72 % des premiers vice-présidents de région sont des hommes, 65,3 % des premiers vice-présidents de département, 80 % des premiers vice-présidents d'intercommunalité, 71,5 % des premiers adjoints dans les communes.

La fusion des intercommunalités, prévue par la loi NOTRe, représente une opportunité mais aussi un risque majeur pour la parité, comme le souligne notre rapport de février 2017 intitulé « Quel partage entre les hommes et les femmes au niveau local ? ». Grâce à la loi du 17 mai 2013, qui prévoyait des dispositifs paritaires du fait de l'instauration du scrutin de liste paritaire pour l'élection des conseillers municipaux, la part des femmes dans les conseils communautaires était passée, lors des élections de 2014, de 20 % à 34 % ; un progrès relatif, donc. Mais au-delà d'un meilleur partage des places, le pouvoir reste masculin : 80 % des vice-présidents et 92,3 % des présidents d'EPCI sont des hommes...

Depuis les fusions d'EPCI, la part des femmes dans les conseils communautaires est passée de 32 à 31 % ; 92,5 % des EPCI sont présidés par un homme, contre 91,5 % auparavant... Moins d'un EPCI sur dix est dirigé par une femme. Il faut donc des règles paritaires pour permettre l'accession des femmes à la tête des intercommunalités.

Il faudrait que la distorsion entre les assemblées locales et les conseils communautaires en termes de représentation des femmes fasse l'objet d'une loi organique avant mars 2019, dans la perspective du prochain scrutin municipal.

Les recommandations du HCE s'organisent autour de trois axes. D'abord, le renforcement des règles paritaires dans les communes, pour agir indirectement sur les intercommunalités ; ensuite, l'instauration de règles paritaires aux élections des conseils communautaires, en agissant sur les modalités électorales : scrutin de liste intercommunal paritaire ? Proposition paritaire et tirage au sort si nécessaire ? Devant la spécificité des groupements de communes, il faut poursuivre la réflexion pour garantir la parité au sein des conseils et des exécutifs ; enfin, le contrôle et le suivi de la mise en oeuvre des règles paritaires. Nos travaux sont en cours et nous rendrons notre avis en septembre 2018.

L'égalité d'accès entre les femmes et les hommes est, il faut le rappeler, un principe constitutionnel. Il faut accélérer le partage du pouvoir. Nous plaidons pour faire progresser la part des femmes dans la sphère citoyenne et harmoniser les dispositifs paritaires, afin que les règles soient communes et lisibles.

Première piste : l'élection d'un binôme paritaire à la tête de toutes les collectivités locales. Placer davantage de femmes en numéro deux est un levier à terme, car le premier adjoint succède souvent au maire. Nous proposons en conséquence que l'exécutif local soit élu au scrutin de liste.

Autre recommandation : la limitation du cumul des mandats dans le temps à trois mandats d'un même type. Je sais que le sujet est sensible, mais la forte homogénéité du profil des élus n'est pas représentative de la diversité de la société.

Partant, il faut un statut de l'élu rénové qui permette de rentrer dans la vie politique, de consacrer un temps à l'engagement citoyen. Un mandat, c'est une étape dans une vie, et non une carrière. Il faut pouvoir rebondir, ce qui implique une valorisation des acquis de l'expérience, un droit à la formation pour acquérir de nouvelles compétences, y compris non liées à l'exercice du mandat.

Enfin, la loi doit tenir compte des charges afférentes à la réalité vécue par les femmes : faire garder ses enfants ou un parent âgé pour se consacrer à son mandat a un coût. Il faut inscrire une prise en charge dans la loi car, humainement, il n'est pas facile pour les élues d'obtenir des aménagements.

Jean-Marie Bockel, président . - J'ai côtoyé Danielle Bousquet sur les bancs de l'Assemblée nationale il y a une vingtaine d'années : elle n'a rien perdu de son tonus et de sa force de conviction !

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Il est important qu'il y ait davantage de femmes dans les commissions d'investiture.

La transmission des savoirs vaut pour les hommes comme pour les femmes, d'où l'importance de l'accès des élus à la formation, qui fait trop souvent défaut dans les collectivités.

Pour moi, l'investissement des femmes dans un mandat repose avant tout sur l'envie de s'engager. Comment leur donner envie de s'investir, en sus des charges qu'elles assument dans leur vie personnelle ? Je crois beaucoup à la culture de l'exemple. Directrice commerciale, j'ai longtemps travaillé dans un milieu d'hommes, cela n'a jamais été un problème. Que les femmes cessent de se juger illégitimes et elles trouveront naturellement leur place ! Élue il y a dix-huit ans, je ne me suis pas retrouvée cantonnée au social ni au secteur de la petite enfance ; j'ai été d'emblée chargée de l'urbanisme, dans une ville de 14 000 habitants, avec des projets lourds de Zone à défendre (ZAD) et de Zone d'aménagement concerté (ZAC). N'ayant pas à cette époque de compétences particulières en la matière, je me suis formée. Donnons envie aux femmes, et donnons-leur les moyens de leurs ambitions et de leurs envies.

Je ne pense pas que l'on puisse consacrer son premier mandat à découvrir et apprendre : si l'on prétend être réélue, il faut avoir apporté quelque chose !

Beaucoup de maires sortants ne vont pas se représenter. Il faut que les femmes aient envie d'être candidates, qu'on les y aide. Plutôt que de multiplier les règles contraignantes, souvent inefficaces, je compte sur l'effet domino : plus il y aura de femmes maires, plus il y en aura dans les intercommunalités.

Quant à la question des crèches, elle ne concerne pas que les femmes ! Là encore, je plaide pour la culture de l'exemple.

En améliorant le statut de l'élu, la formation et les conditions d'accès aux mandats, en donnant envie aux femmes de s'engager, on améliorera la condition de tous les élus, hommes et femmes.

Michelle Gréaume . - Il est d'autant plus important d'aider les femmes élues à concilier leur mandat avec leur vie familiale que 70 % des tâches domestiques et parentales leur incombent encore... Le partage des responsabilités reste à gagner. Les femmes sont trop souvent cantonnées à des responsabilités subalternes dans l'exercice de leur mandat mais aussi, plus généralement, dans leur vie professionnelle : bas salaires, précarité, horaires décalés, temps partiel subi, etc. Cumuler les deux, c'est la double peine !

La loi peut faire évoluer les choses. On le voit, la parité est totale lorsqu'elle est obligatoire, pas quand les mesures ne sont qu'incitatives. Il faut avant tout faire évoluer les mentalités.

Laurence Cohen . - Cette réunion est fort riche. Je salue le travail transpartisan du HCE, qui nous fournit toujours des éléments importants pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes. La qualité des travaux du HCE plaide par elle-même en faveur d'une structure qui a su très vite se faire sa place dans le paysage institutionnel !

Nous devons être vigilants : la formation destinée aux élus ne doit pas s'adresser uniquement aux femmes, au risque de laisser penser que celles-ci seraient moins compétentes que les hommes ! Interprétation que notre société patriarcale serait prompte à faire...

En politique, les femmes doivent sans cesse faire leurs preuves, tandis que l'on ne demande pas aux hommes de justifier leur compétence. La question est bien celle du partage du pouvoir. Or nos institutions ne s'y prêtent guère. C'est pourquoi nous voulons les transformer - mais c'est un autre débat !

La formation de toutes et tous doit permettre la progression de toutes et tous. Faute de femmes mais aussi de diversité sociale, les élus ne sont pas à l'image de la société. Notre groupe a toujours été présidé par une femme, c'est le seul au Sénat ! Quand elle a été élue au Sénat, notre camarade Annie David était ouvrière ; quel travail va-t-elle retrouver, maintenant qu'elle a quitté son mandat ? Ses nouvelles compétences ne sont pas reconnues... Voilà la réalité du terrain ! D'où l'importance du statut de l'élu. Quand on se bat pour les droits des femmes, on fait évoluer la société dans son ensemble : cela profite aussi aux hommes.

Les pénalités pour non-respect de la parité sont insuffisantes et les règles trop faciles à contourner : lors des élections sénatoriales, on voit ainsi apparaître des listes conduites par un homme, ce qui maximise les chances de faire élire des hommes ! La loi ne fait pas tout, mais elle cadre et elle oblige.

Dominique Vérien . - Mon département de l'Yonne n'est pas paritaire, puisqu'il compte deux femmes de plus que d'hommes ! En effet, un binôme élu du Front national s'étant dissous et le suppléant de l'élu masculin refusant de siéger, une élection a été organisée et une femme a été élue : constitutionnellement, un homme ne pouvait être le seul candidat. C'est donc un binôme de femmes qui a été élu dans ce canton. En outre, sur les cinq parlementaires du département, trois sont des femmes, une députée et deux sénatrices, et elles représentent plus de 20 % des maires. Moi-même j'ai été présidente de l'Association des maires ruraux ; c'est une femme qui m'a remplacée. Cela devient de plus en plus naturel. Pourquoi en zone rurale ? Il y a beaucoup de travail à fournir et moins de gloire à recueillir et l'on trouve beaucoup de femmes pour s'y coller.

Dans ma commune de 9 500 habitants, celle de l'écrivaine Colette, j'ai souhaité une liste paritaire. Nous avons changé notre façon de recruter en ne choisissant les gens que sur leurs compétences : telle personne pour tel domaine. Nous sommes donc allés chercher les candidates. Sans difficulté, nous avons pu avoir huit candidates et sept candidats. Le passage au scrutin de liste n'est donc pas obligatoire ; en revanche, on pourrait obliger un maire homme à avoir une première adjointe, et inversement. Si une vraie volonté se manifeste, on peut avancer.

Maryvonne Blondin . - Je fais miens les propos de Laurence Cohen : transformation de la société, partage des pouvoirs, création de listes alternatives aux sénatoriales menées par un homme. En 2018, la parité n'est pas automatique ! Je salue le travail de Danielle Bousquet au HCE.

Dans le Finistère, les femmes avaient l'habitude de devoir remplacer les hommes partis en mer. Cela implique probablement une attitude particulière à l'égard des femmes en responsabilité. À Douarnenez, Joséphine Pencalet, qui avait participé à la révolte des sardinières, a été élue conseillère municipale dès 1925. En 2001, lorsque j'ai été élue, mon département était le plus féminisé de France, qu'il s'agisse des élus mais aussi des directions de service. À ce jour, il est d'ailleurs présidé par une femme.

Un groupe de femmes constitué au sein de l'association départementale des maires assure depuis des années des formations régulières.

Depuis la loi de 2014, il est obligatoire pour les communes et les EPCI de plus de 20 000 habitants d'avoir un rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, ce qu'on a tendance à ignorer.

Marie-Pierre Monier . - La rencontre du 8 mars dernier a connu un grand succès qui se poursuit dans les territoires ; ainsi demain, dans la Drôme, nous organisons, avec Laurence Rossignol, une réunion avec des femmes élues, sur les stéréotypes et la place des femmes en politique.

Je remercie les intervenantes de leurs remarques et de leurs propositions.

Ce matin, il y a deux sujets : la parité et le statut. Sans la loi, nous ne parviendrons pas à la parité. Nous en sommes encore loin : 39 % de femmes à l'Assemblée nationale, 29 % au Sénat. Puisqu'il est question de réforme constitutionnelle, pourquoi ne pas prévoir, lors des prochains renouvellements, des binômes de députés et des binômes de sénateurs ?

Quand j'ai rejoint mon intercommunalité, en tant que maire, on m'a suggéré de me charger de la petite enfance. À ce jour, l'EPCI ne compte qu'une seule femme vice-présidente. Interrogé à ce sujet, le président a expliqué qu'il y avait très peu de femmes maires. Comment inciter les femmes à se présenter comme maires ? Pourquoi pas des binômes effectivement ?

Il faut également s'interroger sur le statut de l'élu local pour éviter le désengagement de certains. Selon la consultation que j'ai menée dans mon département, ce sont le statut pénal de l'élu et les exigences accrues de nos concitoyens qui inquiètent. De surcroît, il est plus difficile pour les femmes de concilier mandat électif et vie personnelle.

Comme on l'a vu avec le rapport « Femmes et agriculture », la présence de femmes permet des avancées bénéfiques également pour les hommes.

Laure Darcos . - Madame Bousquet, votre proposition sur les conseils communautaires m'a aussi été suggérée par beaucoup d'élues. C'est le dernier « trou dans la raquette » s'agissant de la place des femmes dans les collectivités territoriales. J'ai vu beaucoup d'adjoints hommes être « fléchés » à la place de femmes.

L'idée d'un scrutin de liste par binôme pour les élections municipales est très intéressante, sachant qu'il sera de plus en plus difficile de trouver des maires pour se représenter. Faut-il obliger les hommes qui se présentent comme maire à choisir une femme premier adjoint pour qu'ensuite, elles puissent leur succéder ?

Enfin, honte à ma famille politique s'agissant de la parité. Ayant siégé dans les commissions d'investiture, je peux en témoigner, d'autant que les pénalités financières n'ont aucun effet. À quand une véritable obligation de parité dont on ne pourrait se dédouaner simplement en présentant des femmes ? Avec la diminution prévue du nombre de sénateurs, j'ai quelques craintes : devrons-nous toutes nous présenter individuellement, ce qui serait dommage ?

Marc Daunis . - Dans quelques décennies ou quelques siècles, on aura du mal à comprendre cette absurdité de l'inégalité entre les hommes et les femmes.

Élu local depuis 1989, je n'ai jamais rencontré de difficultés pour faire figurer des femmes sur les listes aux élections municipales, cantonales ou régionales. Dans ma commune, dès 1989, nous avons assuré la parité, y compris au sein de l'exécutif. J'avais tenu à ce que ma première adjointe s'occupe de l'urbanisme, des travaux et de la sécurité.

J'ai constaté que, contrairement aux hommes, les femmes avaient tendance à se sous-évaluer. En revanche, même s'il existe des femmes de pouvoir qui n'ont rien à envier aux hommes, elles prennent leurs responsabilités plus à coeur. Dans l'exercice de celles-ci, la pression de l'entourage a été le problème numéro un. Je me souviens encore de ce mari interrompant un bureau municipal pour appeler sa femme. C'est donc un combat de société à mener collectivement.

Le problème central est celui du statut de l'élu. Souvent, les femmes hésitent à prendre des responsabilités car leurs autres occupations pèsent lourdement sur leurs épaules.

Enfin, je ne suis pas favorable à une loi imposant la parité au sein des intercommunalités. Les précédentes lois ont débloqué la situation, elles étaient nécessaires ; il ne faudrait pas qu'elles desservent la cause. J'espère ne pas avoir tort.

Antoine Lefèvre . - Je rejoins Laure Darcos au sujet de notre formation politique. Avec le binôme, sur lequel j'étais initialement très dubitatif, les partis politiques traditionnels n'ont plus eu d'excuses, et de nombreuses femmes ont pu s'engager.

En 2001, lorsque j'ai été élu maire, les listes étaient paritaires mais la parité ne s'imposait pas aux exécutifs. Quand je l'ai imposée, les machos m'ont rappelé que je n'y étais pas obligé ! Celui qui m'a succédé en octobre dernier, qui avait des compétences en matière environnementale, était devenu conseiller délégué et non pas adjoint. Quand je proposais un poste d'adjoint à une femme, elle me demandait si elle en serait capable ; un « mec » ne se pose pas la question de sa compétence ! Or une femme peut parfaitement occuper une fonction technique et ne doit pas s'autocensurer.

Les mentalités peuvent également évoluer grâce à l'éducation, à travers la publicité ou des téléfilms.

Éric Kerrouche . - Les études sur les législatives de 2012 montrent que les résultats des femmes sont meilleurs que ceux des hommes quand elles ne sont pas dans une mauvaise circonscription.

Grâce à la loi sur la parité de Lionel Jospin, notre pays a beaucoup progressé, même quand on le compare à d'autres démocraties occidentales. Il faut continuer à légiférer, notamment sur les intercommunalités, pour éviter ce « réinvestissement » par les hommes.

Au-delà de la question du genre, certaines catégories sociales sont sous-représentées parmi les élus. Cette question doit être traitée par un statut de l'élu.

Enfin, je crains que la future réforme constitutionnelle n'induise un risque pour la diversité et le pluralisme politique et ne constitue une attaque contre la parité, qui est favorisée par les scrutins de liste. Avec un seul sénateur ou un seul député par département, la parité reculera.

Charles Guené . - Élu depuis trente-cinq ans, j'ai suivi l'évolution des choses. Même si le caractère militant peut parfois irriter certains hommes, je témoigne que la présence des femmes améliore la qualité de la vie politique.

Il me semble difficile d'aller plus loin sur le plan législatif, sauf à en venir à des systèmes de désignation. En revanche, on pourrait rendre plus coercitives certaines sanctions.

Plus généralement, il faut faire évoluer les moeurs pour que les femmes aient envie de s'investir, en particulier dans les communes rurales. Les maires sont fatigués, c'est le moment pour elles d'en profiter.

Une pierre d'achoppement : les intercommunalités, surtout en milieu rural, où les scrutins de liste ne sont pas possibles. Prévoir un scrutin de liste pour une intercommunalité tuerait la commune et serait source de clivage. Un moindre mal serait peut-être d'étendre le scrutin de liste aux petites communes, ce qui permettrait de faire avancer les choses dans le temps. Cependant, attention à ne pas remplacer un clivage homme-femme par un clivage rural-urbain, qui ne serait pas mieux.

Enfin, on peut aussi intervenir sur les problématiques d'organisation générale. Si une quarantaine de départements ne comptent plus qu'un seul sénateur, le seul moyen pour assurer la parité sera de faire un scrutin régional.

Josiane Costes . - Une loi sur la parité dans les intercommunalités me paraît indispensable. Par ailleurs, il faut donner aux femmes l'envie de se présenter, et l'éducation est essentielle à cette fin. Je suis assez optimiste car les choses changent dans l'Éducation nationale : les manuels scolaires, autrefois très genrés, évoluent dans le bon sens. Dans quelques années, les petites filles devenues femmes auront envie de se présenter aux élections. Enfin, il faut améliorer la sortie du mandat électif pour ne pas dissuader certaines femmes, notamment celles qui ne sont pas fonctionnaires, de se présenter.

Victoire Jasmin . - En matière de formation des élus, hommes et femmes, il faudrait une valorisation et une reconnaissance des parcours à travers la validation des acquis de l'expérience, pour faciliter les reconversions. Cela concerne plus particulièrement les jeunes élus.

Christian Manable . - L'exemple des départements et des régions le prouve : la parité passe par la loi. Si l'on avait attendu l'évolution des mentalités pour abolir la peine de mort, la guillotine fonctionnerait encore !

On a beaucoup vanté le statut de l'élu pour favoriser la place des femmes en politique. Tout le monde en parle, mais on ne le voit jamais ! Depuis que je suis élu, aucun gouvernement n'a jamais rien fait. Je suis même assez pessimiste, dans le contexte actuel de populisme et de rejet du politique : il faudra beaucoup de courage pour y arriver.

François Bonhomme . - La parité a été pour moi une entorse au principe d'égalité, car on a confondu représentativité sociale et représentation politique. J'en prends acte. Mme Bousquet, qui, je l'imagine, surveille mes propos, va-t-elle au bout de sa logique et propose-t-elle que le Président de la République soit élu dans le cadre d'un binôme ?

Cécile Gallien. - L'AMF souhaite que l'on légifère. Faut-il exiger la parité dans les communes de moins de 1 000 habitants ? Contrairement à ce qu'on peut dire, je pense que l'on trouvera des candidates dans les communes rurales. Notre bureau en discute. Faut-il de la parité au sein des intercommunalités ? L'AMF considère qu'un EPCI n'est pas une collectivité et nous ne souhaitons pas qu'il le devienne : priorité donc aux maires dans les intercommunalités. En revanche, on pourrait imposer une plus forte parité au sein des exécutifs intercommunaux. Nous travaillons sur des solutions qui ne sont pas forcément celles que propose le Haut Conseil.

Bénédicte Thiébaut. - Plusieurs difficultés ont été mises en exergue : la difficulté pour une femme d'exercer un mandat, de voir son statut reconnu, car elle met généralement sa vie professionnelle entre parenthèses. Pour qu'elle puisse rebondir par la suite, pourquoi ne pas envisager une validation des acquis de l'expérience ? Plus généralement, la formation de l'élu est très importante. Enfin, il faut promouvoir la parité au sein des intercommunalités.

Marie-Line Pichery. - Étant donné que 84 % des maires sont des hommes, on comprend que les exécutifs intercommunaux, où siègent les maires, soient constitués essentiellement d'hommes. Certes, les EPCI ne sont pas des collectivités d'un point de vue juridique, mais, à terme, ils auront de plus en plus de pouvoir. Les choses doivent donc évoluer. Certes, il est indispensable que les femmes aient envie d'être maire, mais on peut élargir le propos : souvent, les exécutifs locaux sont loin de refléter la réalité. Cessons de dévaloriser en permanence la fonction de maire si l'on veut que les femmes y accèdent. Enfin, s'agissant du statut de l'élu local, comment s'organise la vie après le mandat ? La règle des trois mandats maximum nécessite de la sécurité.

Michelle Berthy. - Effectivement, en l'absence de loi, il n'y aurait pas eu de parité. Lorsque je représentais l'ADF au HCE, c'est moi qui ai alerté sur le problème des EPCI. Je n'ai pas la solution mais je n'adhère pas forcément à l'idée d'un tirage au sort. Le département étant peut-être appelé à disparaître, le mauvais élève qu'il était en matière de parité devenu bon élève va donc lui aussi disparaître. Les maires perdant une partie de leur pouvoir, tout se concentrera sur les EPCI. Par exemple, à partir de 2020, les maires perdront la compétence sur les plans locaux d'urbanisme ; ils ne célébreront plus que les mariages.

Jean-Marie Bockel, président . - Même si elle n'est pas au coeur de notre réunion, cette question du statut de l'élu nous intéresse beaucoup.

Julia Mouzon. - Nous sommes l'un des pays les plus avancés en matière de parité politique. Même le Québec, très en avance en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, est en retard par rapport à nous sur la question de la parité en politique. Nous faisons même mieux que la Suède, avec 48 % de femmes élues dans les villes de plus de 1 000 habitants. Il faut en être fier, c'est admirable et je pense que vous pouvez l'être aussi car vos travaux de ces dernières années ont permis d'aboutir à cette égalité. Il subsiste néanmoins des bastions, mais je fais confiance à l'AMF pour proposer des solutions réalistes et ambitieuses. Enfin, j'espère que vous serez amenés à légiférer sur le statut de l'élu pour aboutir à des solutions simples et claires qui aideront les femmes à s'engager. Pour conclure, j'ajoute que nous sommes très favorables à la constitution d'un binôme pour l'élection à la présidence de la République !

Danielle Bousquet. - L'égal accès aux responsabilités politiques est un principe constitutionnel. Il est possible partout, sauf dans les intercommunalités, étant donné que 84 % des maires sont des hommes. Pourquoi ne pas imaginer que les communes de moins de 1 000 habitants soient elles aussi soumises à un scrutin de liste ? Le président de l'Association des maires des petites communes n'y voyait aucune objection. En matière d'accès à l'égalité, il n'y a pas de mouvement naturel ; seule la loi fait avancer les choses. Si l'on compte sur la bonne volonté, il faudra 220 années pour arriver à l'égalité. Il faut donc passer par la loi pour que la parité progresse dans les intercommunalités !

Je comprends que l'AMF soit attachée à ce que le maire représente sa commune au sein de l'intercommunalité, mais, encore une fois, les maires sont des hommes. De fait, deux principes s'opposent : le principe de parité et le principe de réalité. Prévoyons donc un scrutin de liste paritaire pour les intercommunalités. Cette proposition n'est pas figée ; en septembre, nous formulerons d'autres propositions plus élaborées.

Jean-Marie Bockel, président . - Le travail de notre délégation sur les conditions d'exercice du mandat local ne traitera pas toutes les questions que vous avez soulevées ; nous ne faisons pas un travail sur la parité. Mais ce sont des questions voisines, d'autant que la question du statut de l'élu local peut être un puissant vecteur de progrès.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Je remercie une nouvelle fois Jean-Marie Bockel de nous avoir invités à cette réunion, qui a permis à nos deux délégations de créer des synergies nouvelles et a suscité des débats qui renouvellent nos approches de ces sujets. Je vous remercie aussi, chacune d'entre vous, mesdames, pour votre participation.

Oui, la loi est nécessaire pour avancer, je rejoins Danielle Bousquet sur ce constat. Pourtant, la loi ne fait pas tout : Sylvie Pierre-Brossolette, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, nous disait récemment que nous étions l'un des pays les plus avancés en matière de législation relative à l'égalité entre les hommes et les femmes, mais l'un des moins avancés dans les faits. Pour ma part, je crois à la culture de l'exemple et à la formation. Il est important que l'égalité entre les hommes et les femmes soit portée à la fois par les hommes et les femmes, chacun à leur manière.

Alors que le Parlement va engager un débat sur la révision constitutionnelle, je voudrais rappeler la proposition de loi constitutionnelle déposée le 8 mars 2017 par Chantal Jouanno, alors présidente de la délégation aux droits des femmes, cosignée par quarante-cinq sénateurs, dont environ 35 siègent encore aujourd'hui, visant à inscrire l'égalité entre les hommes et les femmes dans la Constitution. À un moment donné, il faut envoyer des messages à la société. Inscrire l'égalité au coeur de la Constitution est un symbole important. Les inégalités coûtent cher à la société : travaillons à l'accès des femmes aux mandats et à l'accès des hommes et des femmes à la formation.

Audition de M. Ferdinand Mélin-Soucramanien,
professeur de Droit public à l'Université de Bordeaux

(5 juillet 2018)

Présidence d'Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la révision constitutionnelle avec l'audition de M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de Droit public à l'Université de Bordeaux, que je remercie de s'être rendu disponible pour nous éclairer.

Vous savez tous et toutes que notre délégation défend, depuis novembre 2016, l'inscription, dans l'article premier de la Constitution, de l'égalité entre les citoyens « sans distinction de sexe ». Cette demande a pris la forme, le 8 mars 2017, d'une proposition de loi constitutionnelle que j'ai pour ma part co-signée, comme d'ailleurs un certain nombre de membres de la délégation.

Je rappelle qu'en 2016-2017, nous avions fait observer que le préambule de la Constitution de 1946, qui a posé pour la première fois le principe d'égalité devant la loi entre les hommes et les femmes, était rédigé d'une manière désormais datée 180 ( * ) . Ce constat a conduit notre délégation à considérer que l'égalité entre femmes et hommes méritait de se situer au coeur de notre texte constitutionnel, même s'il ne s'agit que d'une modification à portée symbolique.

Les travaux universitaires de M. Mélin-Soucramanien portent précisément sur le principe d'égalité : il était donc particulièrement indiqué que nous l'entendions.

À la faveur de l'actuelle révision constitutionnelle, le principe que nous étions alors seuls à défendre en 2016 ne semble plus faire débat à l'Assemblée nationale, et il faut s'en réjouir, même si personne ne semble aujourd'hui se souvenir de l'antériorité de l'engagement de notre délégation à cet égard...

Il y a quelques semaines, le 29 mars 2018, nous avons eu un débat entre nous sur ces questions et nous avons ensemble pris le parti de soutenir à nouveau cette proposition.

Nous avons également décidé, au cours de cette même réunion, que le second alinéa de l'article premier de la Constitution, relatif au principe de parité, devait être modifié pour que la loi « garantisse » (ou « assure »), et ne se contente plus de « favoriser » l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et responsabilités électives ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales.

Je m'adresse donc à vous, monsieur le Professeur.

D'une part, nos propositions risquent-elles de fragiliser les mesures spécifiques en faveur des femmes, que le législateur a élaborées au fil du temps ? Nous ne le pensons pas, mais le Haut conseil à l'égalité a estimé qu'il fallait compléter l'article premier de la Constitution pour autoriser expressément (je cite) « des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à assurer concrètement une pleine égalité ou à compenser des avantages subis par le sexe sous-représenté ou discriminé ». Cette objection est-elle d'actualité ?

D'autre part, quelles seraient les conséquences pratiques de nos demandes si elles étaient adoptées ? Sont-elles seulement de l'ordre du symbolique ? Je pense notamment au verbe « garantir » en matière de parité : est-ce une modification qui peut vraiment changer la donne ?

Enfin, peut-être pourriez-vous nous rappeler la place de l'égalité entre les femmes et les hommes dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Monsieur le Professeur, je vous donne la parole sans plus tarder.

Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de Droit public à l'Université de Bordeaux . - Je vous remercie pour votre invitation. Je voudrais commencer mon propos en rendant hommage à Simone Veil. Hasard du calendrier, la toute première intervention publique que j'ai prononcée, alors jeune professeur de droit, était sous sa présidence, et en anglais ! Une langue qu'elle parlait d'ailleurs parfaitement, je l'ai appris à cette occasion. Cela portait déjà sur la question de l'égalité entre les sexes et la parité. Ce fut pour moi un moment inoubliable.

Vous avez rappelé l'origine du débat qui nous occupe ce matin et l'engagement de votre délégation en faveur de l'inscription dans la Constitution du principe de l'égalité des sexes, à l'article premier. Une telle disposition a été adoptée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 27 juin dernier, et s'est accompagnée de la suppression du mot « race » au même article, sur laquelle je reviendrai peut-être tout à l'heure.

Je dirai quelques mots sur le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, avant de me concentrer sur le principe d'égalité entre les femmes et les hommes, ce qui me permettra de répondre aux questions très précises que vous m'avez posées.

Le principe d'égalité est le pilier de notre ordre juridique constitutionnel. Il s'inscrit dans une longue tradition historique, depuis la Révolution française et la nuit du 4 août, fondées sur cet idéal. Je n'y reviens pas. Ce principe induit des conséquences juridiques concrètes. Bien qu'il n'y ait pas de hiérarchie explicite parmi les droits fondamentaux garantis par notre Constitution, le principe d'égalité est celui qui est le plus souvent cité - 15 fois - dans la Constitution, ce qui en fait un principe prééminent, presque incantatoire, au statut particulier. C'est un droit fondamental que je qualifierai de « surplombant ».

Cela dit, s'il est appliqué à la lettre, le principe d'égalité peut être dévastateur, puisque toute norme contient forcément des différenciations de traitement. Les juridictions qui mettent en oeuvre le principe d'égalité, au premier rang desquelles les juridictions constitutionnelles, ont donc établi des distinctions au sein de ce principe, pour en moduler l'application et les effets. D'ailleurs, par le passé, la plupart de ces juridictions étaient réticentes à mettre en oeuvre le principe d'égalité, redoutant des effets pervers s'il était appliqué de façon absolue.

Comment cela se passe-t-il concrètement ? Dans le cas français, le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État distinguent traditionnellement deux formes d'égalité. Cela peut paraître un peu fruste, au regard des cinq degrés de contrôle que distingue par exemple la Cour suprême des États-Unis, liés à son histoire. Elle joue son rôle depuis plus de deux siècles et a pu raffiner le contrôle qu'elle exerce en ce domaine.

La première forme d'égalité contrôlée par la jurisprudence constitutionnelle française est ce qu'on peut appeler l'égalité indéterminée, c'est-à-dire l'égalité en général, celle qui ne met pas en jeu l'un des motifs de discrimination expressément cités dans la Constitution, par exemple l'origine ou l'égalité entre les sexes.

Dans le cadre de ce contrôle, le Conseil constitutionnel vérifie simplement que le législateur justifie bien la différence de traitement. Le principe d'égalité indéterminée n'est en rien absolu, et le juge constitutionnel s'assure que la différenciation de traitement repose sur une différence de situation préexistante ou, plus rarement, sur une raison d'intérêt général prééminente. De surcroît, dans les deux cas, le juge vérifie que la différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi. C'est une sorte de contrôle de la rationalité du choix du législateur.

Concrètement, le Conseil constitutionnel validera des différences de traitement, dès lors qu'un motif de discrimination prévu par la Constitution n'est pas en jeu. On constate très peu d'annulations de dispositions législatives prises sur le fondement du principe d'égalité en général. Lorsque cela arrive, cela s'explique par l'absence de rapport entre la différence de traitement et l'objet de la loi.

Les domaines de prédilection de ce contrôle sont par exemple en matière d'urbanisme ou en matière fiscale, qui établissent des catégories et induisent par définition des différences de traitement. Dans ces situations, on ne peut pas avoir un contrôle strict du principe d'égalité.

La deuxième forme d'égalité que contrôle le Conseil constitutionnel, et qui nous intéresse au premier chef ce matin, est celle que l'on pourrait appeler l'égalité déterminée. Dans ce cas, la différenciation de traitement repose sur l'un des critères de discrimination expressément interdits par la Constitution. Vous les connaissez, ils figurent à l'article premier : l'origine, la « race » - pour le moment du moins -, la religion, les croyances, motifs auxquels s'ajoute l'égalité entre les sexes mentionnée à l'alinéa 3 du préambule de la Constitution de 1946.

D'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notre Constitution interdit donc expressément cinq motifs de discrimination - peut-être bientôt plus que quatre si on ne remplace pas par autre chose le mot « race » qui vient d'être supprimé par la commission des lois de l'Assemblée nationale, ce qui me semblerait aussi hasardeux que dangereux.

Cela peut paraître peu, par rapport à certaines constitutions qui vont beaucoup plus loin. Je pense notamment à celle de la République sud-africaine qui, marquée par l'histoire de l'apartheid, interdit une vingtaine de motifs de discrimination. Y figurent notamment le sexe, l'orientation sexuelle, le genre, voire les caractéristiques génétiques.

Aux États-Unis, la protection de l'égalité repose sur le XIV e amendement qui est très général, et c'est donc la jurisprudence de la Cour suprême qui a établi la liste des discriminations expressément interdites. La jurisprudence américaine parle de « classifications suspectes » : l'expression est intéressante.

Ce type de liste étendue se retrouve également en droit européen, par exemple dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Quelles sont les conséquences juridiques de cette catégorisation ?

Le Conseil constitutionnel, dans l'hypothèse où la différence de traitement concerne l'un de ces cinq motifs, met en oeuvre un contrôle strict en apparence, et fatal dans les faits. Par exemple, il a censuré une différence de traitement fondée sur l'origine géographique - cas assez rare -, dans sa décision du 9 mai 1991 sur le peuple Corse.

Une autre décision me paraît intéressante : il s'agit de la décision du 15 novembre 2007 à propos d'une loi sur l'immigration. Le Conseil a censuré une disposition qui, pour lutter contre les discriminations, prévoyait la possibilité de constituer des fichiers contenant des statistiques ethniques, avec la mention de l'origine ou de la « race ». C'est la seule fois que le Conseil constitutionnel a censuré une différence de traitement fondée sur l'origine ou la « race ». Il a d'ailleurs utilisé ce terme controversé dans sa décision.

En résumé, le Conseil constitutionnel a une jurisprudence constante sur les différences de traitement fondées sur les critères de discriminations énumérés par la Constitution. Il applique invariablement dans ces situations un contrôle strict.

S'agissant de sa jurisprudence au regard des différences de traitement fondées sur le sexe, même si l'égalité entre les sexes n'est pas mentionnée à l'article premier de la Constitution, le juge constitutionnel a également toujours mis en oeuvre le même type de contrôle exigeant sur ce motif, depuis sa première décision sur le sujet, le 18 novembre 1982, à propos des quotas par sexe aux élections. Il y a notamment une série de décisions en 2000.

On peut aussi plus particulièrement citer une décision du 19 janvier 2001, postérieure à la révision constitutionnelle de 1999, qui a censuré l'introduction d'un principe de parité pour les nominations au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). La loi constitutionnelle de juillet 1999 concernait uniquement le domaine des élections politiques. En 2001, le gouvernement a voulu aller au-delà du cadre politique et étendre la parité aux élections professionnelles, mais le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, en adoptant une interprétation stricte du principe d'égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi de la dérogation prévue par la Constitution. Il en fut de même en 2006, toujours à propos d'élections professionnelles.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel s'en tient donc à une interprétation stricte du principe d'égalité entre les femmes et les hommes, tel qu'il figure à l'alinéa 3 du préambule de la Constitution de 1946, et de la dérogation inscrite dans la Constitution depuis 1999. Cela explique qu'en 2008, la révision constitutionnelle ait étendu la dérogation - ou la discrimination positive, n'ayons pas peur des mots - aux responsabilités professionnelles et sociales, tout en la rehaussant d'un cran, de l'article trois à l'article premier, alinéa 2, de la Constitution. L'intention du législateur constitutionnel à l'époque était claire.

Pour autant, la formule retenue à l'époque est quelque peu ambiguë, puisqu'il est prévu que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales », alors que l'objectif est bien de favoriser les femmes.

Vous me demandez s'il est utile de consolider les acquis de 1999 et 2008, et si, en consolidant cet acquis, on ne risquerait pas de rigidifier le système, et partant, de le fragiliser.

Pour ce qui concerne la disposition votée en commission à l'Assemblée nationale à l'article premier, j'y suis tout à fait favorable. Je sais que beaucoup déplorent que la Constitution puisse être parfois un texte d'affichage. Je ne pense pas que ce soit le cas ici. En effet, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le fait de nommer dans le texte de notre Constitution les motifs de discrimination expressément interdits a une portée juridique précise, au regard du degré du contrôle juridictionnel mis en oeuvre par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État.

Il est vrai que la « relégation » de ce principe dans le préambule de la Constitution de 1946 est sans doute insuffisante, d'autant plus que la formule élaborée à l'époque était à l'image des concessions ou des droits « octroyés » dans des textes anciens.

Cet article premier est vraiment très important. Cela fait maintenant plus de vingt ans que j'enseigne le droit constitutionnel en première année, depuis cette rencontre avec Simone Veil que j'ai évoquée tout à l'heure. J'ai coutume de dire à mes étudiants que c'est un peu la « carte d'identité constitutionnelle de la France ». Ainsi, le Conseil constitutionnel, pour marquer la singularité de notre Constitution par rapport au droit européen, utilise cette notion « d'identité constitutionnelle » en se référant à l'article premier, qui énumère les caractéristiques de la République française : elle est indivisible, laïque, démocratique et sociale ; elle respecte l'égalité des citoyens devant la loi et, bien sûr - point important pour le Sénat -, son organisation est décentralisée.

Quand on lit cet article, on sait déjà beaucoup de choses sur ce qu'est la République française et sur ses spécificités par rapport à des pays comme l'Italie, l'Espagne, la Turquie ou d'autres.

Pour toutes ces raisons, inscrire « sans distinction de sexe » dès l'article premier de notre Constitution est un bon combat, pas simplement symbolique ou de l'ordre de l'affichage, mais qui emporte aussi des conséquences juridiques réelles.

Il faut savoir que jusque dans les années 1980-1990, la doctrine s'interrogeait sur un contrôle strict de la différence de traitement fondée sur le sexe, certains auteurs éminents estimant que le fait que ce principe figure dans le préambule de la Constitution de 1946 ne lui donnait pas tout à fait le même statut qu'aux différenciations fondées sur l'égalité en raison de l'origine ou de la « race ». Ce débat appartient théoriquement au passé, mais il pourrait refaire surface. Voilà une raison supplémentaire d'inscrire le principe d'égalité femme-homme à l'article premier de la Constitution.

J'en viens à la seconde question : la consolidation du principe d'égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution ne risque-t-elle pas de rigidifier et, finalement, de fragiliser cet édifice patiemment bâti ?

Je vais répondre en adoptant le « principe de précaution » et en faisant le tour des difficultés qui pourraient surgir : il y en a une que vous n'avez pas évoquée. Elle tient aux critiques formulées dans la logique de la « théorie du genre », qui se sont exprimées depuis le vote intervenu à la commission des lois de l'Assemblée nationale. Selon eux, cette disposition accréditerait l'idée de différences entre les sexes. Je n'approfondirai pas ce point, mais je signale que ces critiques existent et risquent de prospérer.

Inscrire à l'article premier de la Constitution que l'on prohibe les discriminations entre les sexes peut-il porter atteinte aux politiques qui créent des inégalités compensatrices au profit des femmes, ou non ?

Pour ce qui existe déjà (protection des salariées enceintes, parité...), je pense que le risque est nul, parce que les dispositions existant à l'alinéa 2 de l'article premier couvrent ces cas de figure. Cette protection constitutionnelle est un « cliquet anti-retour » qui garantit à mon avis l'absence de toute régression en ce domaine. Le Conseil constitutionnel ne permettrait pas un retour en arrière sur ce type de dispositions qu'il a déjà validées sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article premier de la Constitution.

En revanche, la difficulté pourrait se poser pour l'avenir, si l'on envisageait de mettre en oeuvre de nouvelles politiques publiques instaurant des inégalités compensatrices au profit des femmes. Dès lors, l'interdiction de toute discrimination entre les sexes pourrait-elle créer, finalement, un obstacle infranchissable ? La question mérite d'être posée.

Pour autant, je pense que, à droit constitutionnel constant, les risques sont quasiment inexistants en raison de la formulation actuelle de l'alinéa 2 de l'article premier. On pourrait même mobiliser d'autres dispositions telles que l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, qui évoque la protection, en matière de santé, de sécurité matérielle, de repos et de loisirs garantie aux mères (ainsi qu'aux enfants et aux vieux travailleurs).

Cela dit, pour sécuriser totalement l'adoption de futures dispositions au profit des femmes, on pourrait envisager de modifier légèrement la rédaction de l'alinéa 2 de l'article premier, par exemple en changeant le verbe. On peut à cet égard s'interroger sur les termes : faut-il choisir le verbe « garantir », « favoriser », « assurer » ? Vous travaillez sur les termes « assurer » ou « garantir », qui sont intéressants.

Je relève par ailleurs que les domaines visés par cet alinéa ne posent pas de problème. En effet, la rédaction est assez large et permet de couvrir à peu près toutes les situations.

La difficulté tient plutôt au verbe « favoriser », même si ce terme me convient assez ; je sais qu'il ne fait pas consensus et a suscité beaucoup de débat à l'époque. Pour moi, ce verbe, effectivement un peu « faible », a un sens particulier : il induit l'idée de faveur ou d'action, il a une connotation positive.

En réalité, ce qui pose problème, c'est plutôt ce qui suit : « l'égal accès des femmes et des hommes ». Je suggèrerais donc bien une autre possibilité, sans doute beaucoup moins consensuelle, qui consisterait à maintenir le verbe « favoriser », tout en supprimant la référence à « des hommes » à l'alinéa 2 de l'article premier de la Constitution.

Dominique Vérien . - Il me semble que cela limiterait la pertinence de la disposition constitutionnelle dans le temps, car nous espérons bien parvenir à l'égalité dans tous les domaines ! Il faudrait alors modifier la Constitution une fois que nous y serions parvenues...

Maryvonne Blondin . - Nous espérons en effet y arriver !

Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Dans tous les cas, vous avez deux options pour sécuriser la rédaction de l'alinéa 2 de l'article premier de la Constitution : soit vous conservez la référence aux femmes et aux hommes, et vous choisissez un verbe plus contraignant, par exemple « garantir », soit vous rayez la mention aux hommes, en conservant le verbe « favoriser ». Cette deuxième solution a ma préférence, car elle dit clairement les choses : on affirme l'égalité entre les sexes, tout en considérant qu'il peut y avoir une dérogation particulière, qui peut être temporaire, à visée compensatrice.

Le pouvoir constituant en France est souverain. Lorsqu'il doit interpréter strictement une dérogation à l'égalité, le Conseil constitutionnel ne crée pas un obstacle infranchissable. Il incite simplement les pouvoirs publics à passer par la loi constitutionnelle plutôt que par la loi simple. On appelle cela la « théorie de l'aiguilleur ». C'est peut-être difficile à défendre, mais le constituant peut parfaitement l'écrire.

On a déjà rencontré ce genre de situation : par exemple, l'article premier de la Constitution affirme que la République est indivisible, mais que son organisation est décentralisée. On a ce balancement. C'est exactement pareil, sauf qu'on nomme les choses dans le texte constitutionnel.

Or en 1999 et 2008, on n'a pas voulu nommer les choses à l'alinéa 2 de l'article premier de la Constitution. On a mentionné les « femmes et les hommes », pour éviter de nommer les choses directement, alors que chacun sait que cet alinéa est là pour autoriser des dérogations au principe d'égalité en faveur des femmes, pour compenser des inégalités.

Je vous remercie de votre attention.

Annick Billon, présidente, rapporteure . - Merci pour ces explications.

Vous avez suggéré la suppression de la mention « et des hommes » dans l'article premier de la Constitution ; cela risquerait de conduire à un blocage, les assemblées parlementaires étant majoritairement constituées d'hommes ; je pense qu'il vaut mieux envisager d'autres solutions !

Bien que vous jugiez quasi-inexistants les risques liés à l'inscription du principe d'égalité entre les femmes et les hommes à l'article premier de la Constitution, quels seraient-ils cependant, selon vous ?

Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Je ne perçois pas de risques, car la formule de l'alinéa 2 de l'article premier me semble couvrir tous les domaines possibles : le Conseil constitutionnel a en effet déjà jugé que cet alinéa couvrait des politiques compensatrices, en matière élective, professionnelle et sociale.

Même s'il me semble juridiquement juste, le codicille formulé par le HCE à l'égard de l'inscription de l'égalité de sexe à l'article premier de la Constitution me paraît superfétatoire car je crains qu'il n'aboutisse à agiter des chiffons rouges et ne soit en définitive politiquement contreproductif.

Claudine Lepage . - Merci de votre très intéressant exposé. Pourriez-vous nous préciser pourquoi vous estimez qu'il serait dangereux de supprimer le mot race de l'article premier de la Constitution ?

Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Cette question doit être examinée à l'aulne de ce que je vous ai précédemment exposé : l'interdiction de discriminer en fonction de la « race », originellement introduite dans la Constitution des États-Unis par voie d'amendement, juste après la guerre de Sécession vers 1870, a été ensuite largement reprise dans tous les textes internationaux relatifs à l'égalité et à la lutte contre les discriminations, ainsi que dans la très grande majorité des textes constitutionnels.

Je suis favorable à la suppression du mot « race » de la Constitution mais, en revanche, j'estime que laisser inoccupé l'espace ainsi libéré est dangereux et envoie un très mauvais signal ; j'appelle au remplacement du terme « race » par une autre expression, telle qu'une interdiction de discriminer fondée sur le racisme et l'antisémitisme.

En effet, les races humaines n'existant pas biologiquement, on ne peut donc pas définir une catégorie juridique sur cette base ; en revanche, le racisme et l'antisémitisme existent, même s'il ne s'agit que d'un sentiment subjectif.

La commission des lois de l'Assemblée nationale, en adoptant le 27 juin 2018 la suppression du terme « race » dans l'article premier de la Constitution de 1958, à mon avis, joue avec le feu. Par ailleurs, le terme de « race » existe dans le préambule de la constitution du 27 octobre 1946, partie intégrante du bloc constitutionnel !

Ce sujet a déjà donné lieu à de nombreux débats et publications par le passé. En 1990, l'Unesco a voulu, sans y parvenir, supprimer le terme de « race » de tous ses textes et le remplacer par la notion de racisme. Le même débat a ressurgi, sans toutefois encore aller jusqu'à son terme, en raison de l'opposition de certains pays membres, au moment de l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La France a donc une chance historique d'introduire dans sa Constitution cette interdiction de toute discrimination fondée sur le racisme, en même temps qu'elle supprime le terme « race ».

Maryvonne Blondin . - Je reviens sur la classification des personnes en deux sexes - masculin et féminin - à la naissance, sur la base de caractères sexuels précis.

Or, cette catégorisation binaire ignore les personnes intersexes ainsi que le genre, c'est-à-dire l'identification d'une personne dans la société par son comportement social et culturel.

D'importants débats ont eu lieu sur l'identité de genre et l'identité de sexe, notamment aux États-Unis, où un garçon avait été élevé par sa famille comme une fille après une circoncision ratée, alors qu'il se considérait comme un garçon.

En France, ces personnes, nées « intersexes », sont néanmoins obligées de s'identifier à l'un des deux sexes reconnus - homme ou femme - et connaissent des parcours de vie très difficiles. Il me semblerait donc utile de profiter de cette révision de la Constitution pour y inclure le genre et une définition du sexe moins restrictive, comme c'est le cas dans d'autres constitutions.

Dans la même logique, j'observe que la reconnaissance des langues régionales mentionnée à l'article 75-1 se voit opposer l'article 2 de cette même Constitution qui précise que la langue de la République est le français...

Marie-Pierre Monier . - Vous nous avez indiqué que les textes européens distinguent de nombreux autres motifs de discrimination, notamment en ce qui concerne l'orientation sexuelle. Pourriez-vous développer ce point ?

Ferdinand Mélin-Soucramanien . - La Constitution de la République sud-africaine comporte un grand nombre de motifs de discrimination et les textes européens, dont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ou la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, incluent des listes étendues et précises de discriminations expressément interdites.

L'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a donné lieu à d'intenses débats sur l'article 20, qui affirme un principe général d'égalité - une égalité indéterminée -, et l'article 21, qui définit une identité déterminée par une liste des motifs de discrimination, dont ceux d'orientation sexuelle et de genre.

Les promoteurs de cette charte relevaient que, sur ce point, le droit européen allait plus loin que le droit interne ; la France est aujourd'hui en deçà des standards européens, ce qui est paradoxal au regard de notre histoire et de notre rapport particulier à l'égalité.

Maryvonne Blondin . - Le Conseil de l'Europe a bataillé pour cette reconnaissance de l'orientation sexuelle.

Annick Billon, présidente, rapporteure . - Quel regard portez-vous sur cette révision constitutionnelle ? Qu'en attendez-vous ?

Un député me faisait part de sa déception sur les débats et les propositions d'amendements au texte de la Constitution, dont il ressort une impression de fourre-tout et d'altération des principes fondamentaux pérennes.

Ferdinand Mélin-Soucramanien . - Il est difficile de donner un sens général à ce projet de loi constitutionnel qui agrège le recyclage d'anciennes dispositions proposées depuis longtemps par des majorités de droite et de gauche, et auxquelles je suis, par ailleurs, très favorable (suppression de la Cour de justice de la république, amélioration à la marge du CSM, etc.), avec de nouvelles propositions qui s'orientent vers une nette réduction des pouvoirs du Parlement : baisse du nombre de parlementaires, transformation de la procédure parlementaire...

Si elle était votée en l'état, notamment la disposition portant procédure de « dernier mot automatique » au profit de l'Assemblée nationale, elle signifierait de fait la fin du bicamérisme !

À titre personnel, étant attaché à la République parlementaire, je ne porte pas un regard très positif sur ces nouvelles dispositions, d'autant que c'est la première fois qu'une révision importante de la Constitution n'a pas été préparée en amont : François Mitterrand, Nicolas Sarkozy et François Hollande, avaient en effet mis en place des comités préparatoires à leur projet de révision. Même si on peut discuter de leurs apports, ces comités avaient permis un débat d'idées. En 2018, rien de tel.

Maryvonne Blondin . - Les juristes opposent régulièrement des motifs d'inconstitutionnalité à nos propositions fondées sur le bon sens et motivées par l'intérêt général...

Annick Billon, présidente, rapporteure . - Je vous remercie de ce très intéressant exposé. Votre regard extérieur éclaire nos positions, notamment la proposition défendue par Chantal Jouanno en 2017, lorsqu'elle était présidente de cette délégation.

Cette révision constitutionnelle nous laisse réservés et inquiets, non pas tant sur la réduction du nombre de parlementaires, mais surtout concernant le rôle futur du Parlement et la représentation du Sénat.

L'Assemblée nationale va aussi se trouver rapidement confrontée à une situation fort complexe, d'autant plus que nombre de nouveaux députés élus en 2017 ont quitté une carrière professionnelle pour se consacrer à leur mandat. Il y a un vrai risque de désenchantement de la vie politique, de difficulté à s'engager en raison de la stigmatisation permanente du politique et des parlementaires et d'une agitation populiste qui détourneront les Français de la vie politique, de l'intérêt général et de la vie citoyenne, exacerbant les individualismes !

Cette révision ne doit pas être résumée à la réduction du nombre de parlementaires, mais il faudrait aussi que le Parlement puisse travailler dans de bonnes conditions, ce qui n'est pas forcément le cas...

Vous avez rappelé que, pour la première fois, une révision constitutionnelle n'a pas fait l'objet de comité préparatoire, ce qui va aboutir à l'agrégation de diverses dispositions qui peuvent apparaître difficilement compréhensibles aux yeux des Français.

En tout état de cause, l'adoption d'une disposition claire et précise portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes, à l'article premier de la Constitution, nous paraît essentielle. Ce qui me semble certain, c'est que ce n'est pas cette disposition qui va alimenter le plus de discussions...

Je remercie une nouvelle fois Monsieur Mélin-Soucramanien pour l'éclairage qu'il nous a apporté.

Chères collègues, je vous remercie pour votre contribution active à nos débats.


* 180 Cette disposition prévoit que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».

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