B. LA LOI DU 12 JUILLET 1999 ET LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES DU SÉNAT
En 1999, l'adoption d'une proposition de loi a permis la création, à l'Assemblée nationale et au Sénat, de délégations intitulées « aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ». Ces deux délégations disposent donc d'une base légale : l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
1. Le contexte de 1999 : la nécessité d'accompagner le passage de l'égalité formelle à l'égalité réelle
Fruit d'initiatives conjointes 148 ( * ) de députés et de sénateurs, la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 149 ( * ) a mis en place, dans chaque assemblée, une délégation aux droits des femmes. La rapporteure du Sénat au nom de la commission des lois, Dinah Derycke, qui par la suite fut la première présidente de la délégation sénatoriale, définit ainsi les missions des délégations 150 ( * ) : « veiller au respect de l'objectif d'égalité des chances entre les hommes et les femmes » et « informer chaque assemblée de la politique suivie par le gouvernement dans l'ensemble des domaines intéressant les droits des femmes et l'accès à l'égalité, notamment professionnelle ».
Selon Hélène Luc, auteure de l'une des propositions de lois ayant conduit à la création des délégations, la mise en place de celles-ci avait paru la conclusion naturelle de la Conférence internationale de l'ONU sur les droits des femmes, à Pékin, en 1995, à laquelle avaient assisté des parlementaires français.
La discussion de ces propositions de loi a également été marquée par le débat sur la révision constitutionnelle de 1999, qui est intervenu quasiment simultanément 151 ( * ) et qui a mis en évidence la quasi absence des femmes de la vie politique française - comme cela a été souligné précédemment - et avait inspiré une réflexion sur la place et le rôle des femmes dans notre société.
Lors de la discussion générale de ces propositions de loi au Sénat, le 20 mai 1999, la rapporteure, Dinah Derycke, a également commenté le paradoxe de la situation des femmes en France qui, en cette fin du XX e siècle , justifiait la création d'instances parlementaires spécialisées dans les droits des femmes :
- l'égalité entre femmes et hommes est en théorie garantie par la Constitution et par la législation ; « le code civil a progressivement placé les hommes et les femmes sur un plan d'égalité » ; la législation française reconnaît aux femmes la maîtrise de leur fécondité ;
- néanmoins, « ces principes n'ont pas permis de parvenir à une égalité réelle, à une égalité concrète, à une égalité de fait ».
Les intervenants ont évoqué les nombreuses manifestations des inégalités entre hommes et femmes, à un moment où, rappelons-le, on ne comptait que 11 % de femmes députées et 6 % de sénatrices :
- dans le secteur professionnel : avec un taux d'activité quasiment équivalent à celui des hommes, les femmes sont surreprésentées parmi les ouvriers et employés ; trente métiers seulement sont alors ouverts aux femmes, comme l'a précisé Yvette Roudy, alors députée, à l'Assemblée, le 11 février 1999 ; bien que l'on compte 57 % de femmes fonctionnaires, il y a alors seulement 13 % de femmes dans la haute fonction publique ; la proportion de femmes parmi les magistrats est de 52 %, mais elle tombe à 4 % parmi les plus hauts gradés de la magistrature ; l'écart salarial s'élève à 22,5 % aux dépens des femmes ; la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée pèse essentiellement sur ces dernières ;
- sur le plan social, le chômage menace davantage les femmes, de même que la précarité, avec 90 % de femmes chargées de familles monoparentales, 74 % de femmes parmi les emploi-jeunes alors créés dans l'Éducation nationale, tandis que les femmes constituent 80 % des travailleurs à temps partiel.
Parmi les exemples d'inégalités persistantes entre les sexes, Nicole Péry, secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la formation professionnelle, lors de la discussion du texte au Sénat, a évoqué le chômage, l'orientation scolaire et professionnelle des jeunes filles, un accès très insuffisant des femmes à la formation continue et, enfin, les violences conjugales. S'agissant des violences faites aux femmes, elle a rappelé « les images terribles concernant les femmes afghanes ou pakistanaises » ainsi que la « brutalité décuplée lors des guerres » dont les femmes sont les premières cibles, mentionnant sur ce point la guerre en ex-Yougoslavie, alors toute récente.
La nécessité de passer d'une égalité formelle à une réelle égalité des chances avait paru la conclusion logique de ces débats. En d'autres termes, il s'agissait de « construire ensemble cette société d'égalité », ainsi que l'a exprimé le rapporteur de l'Assemblée nationale.
En définitive, selon Nicole Péry, secrétaire d'État aux Droits de femmes et à la formation professionnelle, l'objectif était, par ces délégations, de doter le Parlement d'« instances qui apportent aux travaux parlementaires l'éclairage spécifique d'une analyse centrée sur l'égalité des chances entre les hommes et les femme s ».
2. Les délégations aux droits des femmes : des structures originales par rapport aux autres délégations parlementaires
Actuellement le Sénat compte six structures assimilables à des délégations .
Alors que le nombre de commissions permanentes est limité par la Constitution et que leurs périmètres sont définis par le règlement de chaque assemblée, les délégations diffèrent en fonction du texte qui les a créées, de leur composition et de leurs compétences.
a) Le fondement législatif des délégations aux droits des femmes
Lorsqu'une délégation est créée en vertu d'une loi , le texte qui la fonde figure à l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Les délégations peuvent aussi être mises en place en vertu de textes internes aux assemblées (au Sénat, leurs règles de fonctionnement résultent de l'Instruction générale du bureau).
L'existence de l' Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques résulte d'une loi , comme celle des délégations aux droits des femmes : ainsi l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires traite-t-il spécifiquement de l'OPECST (loi n° 83-609 du 8 juillet 1983 portant création d'une délégation parlementaire dénommée Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques). L'existence de l'OPECST est donc antérieure à celle des délégations aux droits des femmes.
La délégation sénatoriale aux Outre-mer a dans un premier temps été mise en place au Sénat en 2011, puis à l'Assemblée nationale en 2012. D'abord fondée sur un arrêté du Bureau 152 ( * ) , elle a eu comme support juridique l'Instruction générale du Bureau (IGB). Puis la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a inséré une disposition sur les délégations parlementaires aux Outre-mer dans l'ordonnance du 17 novembre 1958 (article 6 decies ).
On notera que cette loi de 2017 a prévu l'existence de deux délégations « jumelles » dans chaque assemblée : c'est là un point commun avec les délégations parlementaires aux droits des femmes.
Les autres délégations sénatoriales présentent l'originalité d'avoir été créées en vertu de textes internes au Sénat (en l'occurrence des arrêtés du Bureau) et non de lois :
- en avril 2009 pour la délégation aux collectivités territoriales et la délégation à la prospective ;
- en novembre 2014 pour la délégation aux entreprises .
À chacune de ces délégations correspond un article spécifique de l'IGB.
La délégation à la prospective et la délégation aux entreprises constituent des originalités sénatoriales , à la différence des délégations aux droits des femmes, aux Outre-mer et aux collectivités territoriales qui existent dans les deux assemblées.
Du fait de la disparition de la délégation parlementaire pour la radiodiffusion française et de la délégation parlementaire pour la planification 153 ( * ) , puis de la transformation des délégations européennes (devenues des commissions ad hoc en 2008) et de la suppression des délégations créées en 1996 154 ( * ) , les délégations aux droits des femmes et l'OPECST sont désormais les structures de ce type les plus anciennes .
b) La composition des délégations aux droits des femmes : représentation proportionnelle des groupes politiques et représentation équilibrée des commissions permanentes ainsi que des hommes et des femmes
Toutes les délégations sont, comme c'est la règle au Parlement, composées de manière à assurer une « représentation proportionnelle des groupes politiques ». Elles doivent également assurer une représentation équilibrée des commissions permanentes (article XVII bis de l'Instruction générale du Bureau). Ces points concernent aussi la commission des affaires européennes, si l'on se réfère à l'article 73 bis du règlement du Sénat.
Outre ces règles communes, certaines délégations obéissent à des règles de composition spécifiques.
L' OPECST présente pour sa part la particularité d'être une structure conjointe aux deux assemblées et de compter, outre les 18 sénateurs et députés qui le composent, un conseil scientifique de 24 personnalités « choisies en fonction de leurs compétences dans les domaines des sciences et de la technologie » (article 6 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958).
Les délégations aux Outre-mer ont pour originalité de compter autant de sénateurs et sénatrices ultramarins que de représentants de la métropole , les élus ultramarins en étant membres de droit.
Quant aux délégations aux droits des femmes, elles sont constituées de manière à assurer une « représentation équilibrée » des hommes et des femmes (article 6 septies de l'ordonnance du 17 novembre 1958).
À cet égard, force est de constater que cet objectif n'est pas atteint puisque que l'on ne compte actuellement que 8 hommes sur 36 membres depuis le renouvellement sénatorial de septembre 2017 (10 sénateurs et 26 sénatrices entre 2014 et 2017).
c) Les compétences des délégations aux droits des femmes : l'information de chaque assemblée sur les droits des femmes, le suivi des politiques publiques et la participation au débat législatif dans leur domaine de compétences
(1) L'information des assemblées et le suivi des politiques publiques
Les missions définies par l'article 6 septies de l'ordonnance de 1958 précitée concernent tout d'abord le suivi des politiques publiques dans leur domaine de compétences, ainsi que celui de l' application des lois . Ces attributions relèvent de « [l'information des] assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes » prévue par l'article 6 septies de l'ordonnance de 1958.
L'article 6 ter de l'ordonnance de 1958 prévoit à l'égard de l'Office une disposition comparable 155 ( * ) , de même que l'article 6 decies concernant les délégations aux Outre-mer 156 ( * ) . Une mission similaire d'information du Sénat se retrouve dans le XVII bis de l'IGB s'agissant des délégations aux collectivités territoriales et aux entreprises. L'évaluation des politiques publiques fait également partie des missions des délégations aux Outre-mer 157 ( * ) .
Relevons que, parmi les moyens impartis aux délégations aux droits des femmes par l'ordonnance de 1958 figure l' audition des ministres (de même que pour les délégations aux Outre-mer). La délégation aux droits des femmes observe toutefois que de telles auditions demeurent rares.
(2) Compétences « législatives »
L'article 6 septies de l'ordonnance de 1958 prévoit la saisine des délégations aux droits des femmes sur des projets ou propositions de loi, qui dépend de fait de la commission compétente. Compte tenu des prérogatives imparties aux commissions par les effets combinés des articles 43 et 44 , l'ordonnance de 1958 précise que la mission législative des délégations s'exerce « sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des affaires européennes ».
Cette mission est également prévue par le XVII bis de l'IGB à l'égard :
- de la délégation aux entreprises, « compétente pour examiner les dispositions des projets et des propositions de loi comportant des normes applicables aux entreprises » ;
- de la délégation aux collectivités territoriales, « compétente pour examiner les dispositions des projets et propositions de loi comportant des normes applicables aux collectivités territoriales ».
Quant à l'article 6 decies de l'ordonnance de 1958 relatif aux délégations aux Outre-mer, il ne se réfère pas à l'intervention de ces délégations dans le champ législatif.
3. Forces et faiblesses des délégations aux droits des femmes
Dinah Derycke, rapporteure des propositions de loi de 1999 et première présidente de la délégation sénatoriale, avait avec humour conclu son propos en séance, lors de l'examen de ces textes, par le voeu « que cette délégation devienne très vite sans objet », avec la réalisation, dans notre pays, de l'égalité réelle.
Dans le cadre des débats sur la future loi créant les délégations parlementaires aux droits des femmes, Catherine Tasca, alors présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, estimait que chaque délégation devait être dans son assemblée « le veilleur, l'aiguillon et l'initiateur » des mesures nécessaires pour faire progresser les droits des femmes.
Gérard Larcher, président du Sénat, confirmait lors de la rencontre avec des élus locales, organisée le 8 mars 2018 par la délégation, que celle-ci « (bousculait le Sénat) hors des chemins habituel s » et conduisait des « projets (...) utiles et salutaires pour la vie de nos institutions et pour la vie de tout le pays » 158 ( * ) .
À l'aune des constats établis par la délégation dans les domaines des violences, de l'accès aux responsabilités ou des inégalités professionnelles, il semble que ces délégations, près de vingt ans après leur création, soient réellement installées dans la durée...
Depuis 1999, le bilan de l'action de la délégation sénatoriale comporte des réussites incontestables, mais ce bilan globalement positif ne tient pas vraiment à son rôle dans le débat législatif, qui reste modeste. Ce bilan en demi-teinte tient-il aux limites du statut de délégation ?
a) Les contreparties positives de l'autonomie et de la souplesse liées au statut de délégation
(1) Une autonomie appréciable dans la définition de son programme et de ses méthodes de travail
Au sein des compétences définies par la loi de 1999, les délégations aux droits des femmes organisent leur programme de travail de manière autonome, comme l'illustre la diversité des sujets retenus par la délégation du Sénat au cours des dernières années.
La délégation a en effet choisi de travailler sur des sujets de société (comme par exemple la situation des femmes dans l'agriculture, ou les stéréotypes dans les manuels scolaires). Elle joue régulièrement le rôle de lanceur d'alerte , si l'on se réfère à ses travaux sur les viols de guerre, sur les femmes victimes de la traite des êtres humains ou à sa réflexion sur les femmes et la laïcité.
Son implication dans le suivi de politiques publiques s'est plus particulièrement exercée à l'égard de la lutte contre les violences faites aux femmes .
Elle a également souhaité investir le domaine événementiel , organisant en 2014 un colloque sur les résistantes, à l'occasion de la première Journée nationale de la Résistance, célébrant en 2015 le premier vote des femmes (aux élections municipales de 1945), et prenant l'initiative d'une manifestation dédiée aux femmes dans la Grande Guerre, prévue en octobre 2018, dans le cadre du Centenaire de 1914-1918.
Elle a également décidé de rendre hommage à des femmes exceptionnelles : les femmes militaires, en mars 2015, puis les élues locales, à travers une rencontre avec des élues des territoires, le 8 mars 2018.
Quand elle intervient dans le cadre de textes législatifs, la délégation a la faculté de définir le champ de son analyse . Ainsi a-t-elle choisi, en 2014, d'aborder la proposition de loi sur la prostitution sous l'angle de la prévention, de manière à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes, dès le plus jeune âge, et la nécessité de lutter contre l'influence des codes de la pornographie. Dans le même esprit, elle a souhaité, en 2016, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la santé, procéder à un bilan global sur la santé des femmes.
Tous ces événements et travaux donnent lieu à publication de rapports d'information , dont la plupart (sauf les actes des colloques) sont assortis de recommandations .
(2) Un consensus politique à préserver
Depuis 2014, la délégation a coutume de travailler dans le consensus le plus large .
Afin de montrer l'implication de ses membres, par-delà leurs appartenances politiques, dans la défense des droits des femmes, il lui arrive régulièrement, pour soutenir ses rapports d'information, de constituer des équipes de rapporteurs reflétant l'ensemble des familles politiques représentées au Sénat.
Le bilan de cette formule, qui demeure relativement originale, est positif, qu'il s'agisse de l'hommage aux femmes militaires 159 ( * ) , du bilan de dix ans de lutte contre les violences au sein des couples 160 ( * ) , de la traite des êtres humains 161 ( * ) , des agricultrices 162 ( * ) ou, plus récemment, des violences faites aux femmes 163 ( * ) .
(3) Des conclusions non limitées par le champ de compétences du législateur
Les conclusions des rapports d'information publiés par la délégation présentent l'avantage, comme pour tous les rapports d'information parlementaires, de ne pas être soumises au respect du champ de compétences du législateur ni aux irrecevabilités qui affectent les initiatives parlementaires.
Ses recommandations peuvent permettre à la délégation d'exposer des principes, de présenter des constats généraux, d'exprimer son approbation ou ses préoccupations, ainsi que son soutien aux acteurs de terrain dont il est important de saluer l'engagement.
La diversité des conclusions susceptibles d'être présentées par la délégation illustre la marge de manoeuvre appréciable liée à une approche spécifique par rapport aux travaux législatifs des commissions.
***
En définitive, le bilan de la délégation est positif quant à la visibilité des thématiques relatives aux droits des femmes et à l'égalité entre hommes et femmes , qu'elle contribue incontestablement à mettre en valeur. Comme le soulignait votre rapporteure lors de l'échange de vues du 29 mars 2018 sur la révision constitutionnelle 164 ( * ) , « Les délégations ont incontestablement acquis au fil du temps une place importante dans le paysage institutionnel des droits des femmes et de l'égalité ».
Elles ont acquis une légitimité forte aux côtés du Service des droits des femmes et des déléguées départementales et régionales à l'égalité, des grandes associations et d'instances comme le Haut conseil à l'égalité et le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), tout en préservant les spécificités liées à leur statut parlementaire .
La délégation sénatoriale est par ailleurs régulièrement sollicitée par les sénateurs et sénatrices qui souhaitent, dans leur territoire, rassembler les acteurs de la lutte pour les droits des femmes autour de manifestations spécifiques (par exemple, à l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, ou du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes).
On voit alors combien nos collègues tiennent, dans ces circonstances, à valoriser les travaux de la délégation dans leur département et à montrer l'implication du Sénat dans l'égalité entre les femmes et les hommes qui, avant d'être la « grande cause du quinquennat », doit constituer un sujet de préoccupation largement partagé.
Le bilan de la délégation n'est toutefois pas si clairement positif en ce qui concerne la participation de la délégation aux débats législatifs concernant son champ de compétences.
b) Les difficultés liées à l'exercice de ses compétences législatives par la délégation
(1) La saisine obligatoire par la commission compétente
Aux termes de l'article 6 septies de l'ordonnance de 1958, les délégations doivent être saisies de projets ou de propositions de loi par les commissions permanentes ou spéciales, ou par le Bureau de l'assemblée. À ce jour, les saisines ont été le fait de commissions et non du Bureau. Concrètement, elles prennent la forme de lettres du président de la commission à la présidente de la délégation.
Depuis 2010, la délégation n'a jamais reçu de saisine spontanée d'une commission : elle a à chaque fois dû solliciter la lettre de saisine .
Même si aucun refus n'a jamais été opposé à une demande de saisine, l'obligation de la requérir n'est pas compatible avec l'importance des sujets liés aux droits des femmes.
Certes, rien n'empêcherait la délégation aux droits des femmes, face au refus éventuellement opposé par une commission, d'entreprendre un rapport d'information sur un texte de loi et de publier des conclusions dont certaines pourraient prendre la forme d'amendements.
De surcroît, les délégations aux droits des femmes, dont les compétences ont été définies par la loi , ce qui devrait souligner leur légitimité , semblent en définitive, et de façon paradoxale, davantage contraintes dans leur travail que les structures dont l'existence tient à l'Instruction générale du Bureau (IGB), puisque ces dernières ne sont soumises à aucune saisine : ce décalage ne peut qu'étonner.
Ce qui était une avancée en 1999, lors de la création des délégations aux droits des femmes, peut être considéré comme une sorte de frein pour les délégations aux droits des femmes et comme une asymétrie problématique par rapport aux autres délégations.
(2) Des freins incontestables à la participation des délégations aux débats législatifs
Les délégations aux droits des femmes, comme d'ailleurs les autres délégations, n'ont pas la capacité de déposer des amendements collectivement , prérogative réservée aux commissions et au Gouvernement.
Leurs recommandations, quand elles sont susceptibles de revêtir une forme législative, ne peuvent donner lieu qu'à des amendements déposés à titre individuel par leurs membres , et éventuellement cosignés . Cette contrainte limite leur participation aux débats législatifs qui les concernent .
Un autre obstacle, s'agissant de la délégation sénatoriale, tient aux modalités de la prise de parole en séance publique .
Il est d'usage au Sénat d'attribuer au représentant de la délégation aux droits des femmes un temps de parole spécifique pour présenter le travail de la délégation, effectué dans le cadre de la saisine de la commission compétente conformément à la procédure définie par la loi de 1999.
Ce temps de parole est désormais de cinq minutes , pour les représentants des délégations comme pour ceux des commissions saisies pour avis .
Encore ce temps de parole paraît-il subordonné, du moins pour ce qui concerne la délégation aux droits des femmes, au fait que celle-ci intervienne dans le débat pour porter un travail réalisé spécifiquement sur le texte débattu. Dans ces circonstances, le représentant de la délégation intervient avec les orateurs institutionnels (ministre, rapporteur(s) de commission(s), etc.), en dernière position . Le dérouleur précise que ce sénateur (ou sénatrice) intervient au nom de la délégation, en tant que rapporteur ou que présidente.
Dans certaines circonstances, un temps de parole a été attribué à la présidente de la délégation sans que cette intervention vise à présenter un rapport d'information de la délégation. Le cas s'est présenté lors de la discussion de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles 165 ( * ) , le 27 mars 2018.
Le rapport d'information sur lequel travaillait la délégation sur l'ensemble des violences faites aux femmes n'était pas abouti à cette date, mais compte tenu du sujet, un temps de parole a été attribué à la présidente de la délégation dans la discussion générale.
Ce temps de parole a toutefois été imputé sur celui de son groupe . La Conférence des présidents ayant été sollicitée, il a été admis que la qualité de présidente de la délégation figurerait cependant sur le dérouleur et qu'elle interviendrait avec les orateurs institutionnels . Cette formule était très appréciable pour la délégation.
En définitive, la présidente de la délégation n'est cependant pas intervenue avec les orateurs institutionnels et a de surcroît vu son temps de parole limité à trois minutes , ce qui a affecté la visibilité de la délégation .
Ce précédent illustre les difficultés de la prise de parole en séance publique lors de discussions législatives , pour une structure comme une délégation, qui ne dispose pas de la même assise institutionnelle que les commissions , a fortiori dans le débat législatif.
À cet égard, le travail réalisé en commun par la délégation aux droits des femmes, la commission des lois et la commission des affaires sociales en 2012, après l'annulation par le Conseil constitutionnel de la loi sur le harcèlement sexuel reste unique , et il faut le regretter. Les conclusions du groupe de travail 166 ( * ) alors constitué ont donné lieu à la publication d'un rapport d'information qui, cosigné par les présidents de ces trois instances , a permis de définir les contours du futur texte 167 ( * ) .
On peut déplorer que cette formule exemplaire n'ait pu être réactivée en vue de la préparation du débat sur les violences sexuelles faites aux mineurs, le groupe de travail de la commission des lois ayant été mis en place, après le renouvellement sénatorial de 2017, à une date où la délégation n'avait pas été reconstituée.
Les récents débats sur le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes ont par ailleurs illustré combien la difficulté, pour une délégation, de trouver sa place par rapport à la commission pour défendre une position spécifique.
L'exemple du travail conjoint réalisé en 2012 sur le harcèlement sexuel devrait donc être encouragé afin que notre assemblée puisse porter une parole cohérente sur les sujets auxquels le législateur ne peut qu'attacher une grande importance.
En conclusion sur ce point, les difficultés que rencontre la délégation aux droits des femmes du Sénat dans son activité législative sont paradoxales : alors même que les délégations aux droits des femmes ont été créées en 1999 pour éclairer leurs assemblées respectives lors de l'examen de lois concernant leur domaine de compétences , c'est précisément dans le cadre de cette activité que se rencontrent les obstacles les plus importants.
Pour autant, les contraintes auxquelles elle est confrontée, notamment en séance publique et pour faire valoir une voix originale par rapport aux commissions , ne sont pas propres à la délégation aux droits des femmes .
Ce constat rend légitime la réflexion que la délégation du Sénat a engagée sur son avenir, dans la perspective d'une réforme de ses statuts. Le besoin, pour la délégation, de « gagner encore en visibilité au sein de l'institution » et de renforcer son « ancrage institutionnel » avait été souligné par votre rapporteure lors de l'échange de vues du 29 mars 2018 sur la révision constitutionnelle.
* 148 L'une des propositions de loi de l'Assemblée nationale était de Laurent Fabius ; l'une des propositions de loi sénatoriales était signée par Hélène Luc, alors présidente du groupe communiste, l'autre par Danièle Pourtaud, ancienne sénatrice, membre du groupe socialiste.
* 149 Cette loi a inséré dans l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires un article 6 septies concernant les deux délégations aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
* 150 Rapport de Dinah Derycke au nom de la commission des lois sur la proposition de loi tendant à la création de délégations aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, n° 354, 1998-1999.
* 151 Les propositions de loi ont été discutées le 11 février 1999 à l'Assemblée nationale et le 20 mai 1999 au Sénat ; la révision constitutionnelle a été discutée en première lecture le 15 décembre 1998 à l'Assemblée et le 26 janvier 1999 au Sénat, en seconde lecture le 16 février 1999 et le 4 mars 1999, puis par l'Assemblée le 10 mars 1999. Ce texte a été soumis au Congrès le 28 juin 1999.
* 152 N° 2011-282 du 16 novembre 2011.
* 153 Cette délégation avait été créée par la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification.
* 154 L'Office parlementaire d'évaluation de la législation, créé par la loi n° 96-516 du 14 juin 1996 tendant à créer un Office parlementaire d'évaluation de la législation (article 6 quater de l'ordonnance de 1958) et l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, créé par la loi n° 96-517 du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques (article 6 quinquies de l'ordonnance de 1958).
* 155 L'information de chaque assemblée sur les enjeux des choix de caractère scientifique et technologique.
* 156 Informer les assemblées sur la situation des collectivités ultramarines et sur toute question relative aux Outre-mer.
* 157 Article 6 decies de l'ordonnance de 1958.
* 158 Voir les actes de cette rencontre, publiés dans Le 8 mars 2018 au Sénat : honneur aux élues des territoires , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Annick Billon, n° 480 (2017-2018).
* 159 Des femmes engagées dans la défense de notre pays , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno, Françoise Laborde et Vivette Lopez, n° 373 (2014-2015).
* 160 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Chantal Jouanno, Christiane Kammermann et Françoise Laborde, n° 425 (2015-2016).
* 161 Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineur-e-s, premières victimes , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno et Mireille Jouve, n° 448 (2015-2016).
* 162 Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Annick Billon, Corinne Bouchoux, Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Didier Mandelli et Marie-Pierre Monier, n° 615 (2016-2017).
* 163 Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Laurence Cohen, Nicole Duranton, Loïc Hervé, Françoise Laborde, Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol, n° 564 (2017-2018).
* 164 Voir en annexe le compte rendu de cette réunion.
* 165 N° 84, Sénat, 2017-2018.
* 166 Groupe de travail sur le harcèlement sexuel, Rapport d'information fait par Mmes Annie David, Brigitte Gonthier-Maurin et M. Jean-Pierre Sueur au nom de la délégation aux droits des femmes, de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, n° 596 (2011-2012).
* 167 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.