B. PISTES ET PROPOSITIONS
C'est au cours des débats parlementaires que la notion de faute caractérisée a été ajoutée par la loi du 10 juillet 2000 au texte de l'article 121-3 du code pénal, afin que restent punissables des comportements particulièrement choquants mais qui ne seraient pas analysables comme des fautes délibérées, aucun texte n'ayant été violé.
L'interprétation de la faute qualifiée, qu'il s'agisse de la faute délibérée ou de la faute caractérisée, pose effectivement question. Lors du colloque organisé au Sénat en mars 2006 sur la mise en oeuvre de la loi du 10 juillet 2000 cinq ans après, Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, avait estimé : « la régulation par le droit pénal commande que les concepts soient connus, maîtrisés et stabilisés pour permettre aux personnes concernées de mesurer l'impact de leur responsabilité et pour adapter les comportements, évitant ainsi la survenance d'un dommage. Sur ce point, la notion de faute caractérisée reste peut-être à parfaire. » On peut y voir une piste d'évolution, peut-être même la reconnaissance implicite de ce que la jurisprudence tend à la reconnaissance de culpabilité à partir d'éléments essentiellement matériels. Est-ce par référence implicite à ce jugement et à cette ouverture que la réponse de la DACG au questionnaire transmis dans le cadre de la préparation du présent rapport confirme le caractère sommaire de la définition de la faute caractérisée : « en l'absence de définition légale précise, la jurisprudence a précisé les contours de la faute caractérisée. Celle-ci peut être non seulement une faute de commission mais aussi une faute d'abstention ou d'omission. Dans tous les cas, elle doit présenter un certain degré de gravité, impliquant une défaillance inadmissible qui rendait le résultat prévisible. » ?
Une clarification semble donc nécessaire.
Il serait, dans ces conditions, peut-être prématuré de s'engager dans de nouvelles modifications législatives qui toucheraient l'ensemble des justiciables au-delà des élus locaux. Vos rapporteurs jugent plus pertinent de proposer le lancement d'un travail approfondi sur la notion de faute caractérisée et sur sa mise en oeuvre par la jurisprudence pénale. Au vu des conclusions de ce travail, des propositions consensuelles d'évolution des textes en vigueur pourraient éventuellement être élaborées. Ces propositions couvriraient bien évidemment l'ensemble du champ d'application de l'article 121-3.
Bien entendu, le fait que les élus locaux ne bénéficient pas d'un régime ad hoc de responsabilité pénale pour les infractions non intentionnelles rend plus complexe la recherche d'évolutions législatives adaptées à la spécificité de leurs missions. Les raisons, évoquées ci-dessus, de maintenir à ce dispositif son caractère de législation d'application générale n'en prévalent pas moins sur une éventuelle tentation de le différencier en fonction des spécificités des différentes catégories de justiciables.
Ce principe s'applique au traitement d'une question apparue à l'occasion de la discussion du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.
L'article 13 de ce texte supprime la Cour de justice de la République. Il propose par ailleurs de remplacer les articles 68-1 à 68-3 de la Constitution par un unique article 68-1 dont le deuxième alinéa énonce que les membres du Gouvernement « sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis » et précise : « Leur responsabilité ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable ». Dans son avis du 3 mai 2018 sur le projet de loi constitutionnelle, le Conseil d'État, tout en approuvant l'insertion dans la Constitution de cette disposition tenant compte de ce que « les actes accomplis dans l'exercice de fonctions gouvernementales s'inscrivent parfois dans des processus complexes de choix de politiques publiques, susceptibles d'être constitutifs d'infractions involontaires » (point 55 de l'avis), préconise l'extension de cette mesure aux autres décideurs publics exposés à des difficultés comparables, en modifiant en conséquence l'article 121-3 du code pénal.
La tendance à la croissance des contentieux liés à l'inaction alléguée des décideurs publics justifie cette nouvelle modalité d'encadrement de la répression pénale dans ce domaine, quel que soit, lors de la procédure en cours de modification de la Constitution, le sort réservé à la disposition constitutionnelle visant les membres du Gouvernement.
Vos rapporteurs envisagent donc avec faveur l'introduction dans l'article 121-3 du code pénal d'une disposition ne permettant la mise en cause d'un décideur public en raison de son inaction que si le choix de ne pas agir lui est directement et personnellement imputable. Sous réserve d'une étude approfondie de ses incidences, cette innovation devrait en principe ne concerner que les personnes physiques. La question de son application aux décideurs privés (ceux-ci sont inclus, comme on l'a mentionné plus haut, dans le champ d'application de l'article 121-3 du code pénal) devra faire l'objet d'une réflexion spécifique, ainsi que le note l'avis du Conseil d'État.