III. UN PROCESSUS LABORIEUX DE RÉCONCILIATION
A. LE PROCESSUS MIS EN OEUVRE PAR LES NATIONS UNIES
Le processus mis en oeuvre par les Nations unies a connu un tournant en 2015 avec la signature de l'accord politique libyen à Skhirat (2015). Cet accord a procédé à un réarrangement institutionnel pour une période de transition qui devait durer deux ans à l'origine.
La phase transitionnelle initiée par l'accord de Skhirat se poursuit encore en 2018. En septembre 2017, un nouveau processus de réconciliation a fait l'objet d'un plan présenté par Ghassan Salamé. Ce processus s'appuie sur l'accord politique de 2015, qui reste le seul cadre viable à ce jour.
Le nouveau plan d'action comprend plusieurs axes parallèles mais qui ont tous un objectif : finaliser la transition politique avant 2019. L'échéancier est cependant très optimiste compte tenu des difficultés d'ordres politiques, sécuritaires, économiques et juridiques que rencontre la Libye.
1. Skhirat ou le compromis fondateur
a) Les bases de l'accord de Skhirat
Le 17 décembre 2015 à Skhirat (Maroc), Hamed Ali Chouaïb et Saleh Mohammed al-Mekhzoum, respectivement chef de la Chambre des représentants installée à Tobrouk et vice-président du Congrès général national signaient un accord politique. Conclu sous l'égide des Nations unies grâce aux efforts des représentants Bernardino Léon et de son successeur, Martin Köbler, ce nouvel accord a été endossé par la résolution 2259 (2015) du Conseil de sécurité. Il est venu mettre un terme à plusieurs mois de négociations, qui se sont déroulées en Libye et dans son voisinage.
Le principal objectif de cet accord était de mettre un terme aux rivalités politiques : à la suite des élections annulées par le Cour suprême mais reconnues par la communauté internationale, deux gouvernements et deux parlements rivaux se faisaient concurrence, conduisant à une profonde fracture de la vie politique libyenne. Pour sortir de cette impasse, dont profitaient les groupes armés et qui rendait plus difficile l'action internationale dans la lutte contre le terrorisme, faute d'un pouvoir stable installé, un arrangement institutionnel était indispensable .
Cet accord, dont l'enthousiasme était mesuré au moment de son adoption, avait comme objectif de relégitimer la Chambre des représentants, tout en permettant aux membres du Congrès national général de poursuivre leurs activités au sein d'un nouvel organe, le Haut conseil d'État. Seront également instaurés un nouveau Gouvernement d'entente nationale (GEN) ainsi qu'un nouvel exécutif organisé au sein d'un Conseil présidentiel, composé de neuf ministres . Fayez el-Serraj est nommé aux fonctions de Premier ministre et de président du Conseil présidentiel (voir annexe p. 181).
Sources: Mattia Toaldo « Political actors » in « A quick guide to Libya's main players » (c)ECFR 109 ( * )
Le pouvoir exécutif sera détenu, pour un an, par un Gouvernement d'entente nationale dirigé par un Conseil présidentiel . L'organisation d'élections est annoncée au terme d'une période de transition qui ne doit pas excéder deux ans. Le Conseil Présidentiel reflète les équilibres politiques et régionaux. Il comprend neuf personnalités dont le Premier ministre, Fayez el-Serraj (CDR, originaire de Tripoli), lequel est entouré de cinq vice-présidents : Ahmed Meitig (Misrata, CGN), Fathi Mejbari (CDR, force de protection de sites pétroliers), Musa Kuni (Touaregs) et Abdelsalamm Kajman (Frères musulmans) et Aly Algatrany (ANL) et de trois ministres Omar Aswad de Zintan, Mohammed Ammari, (CGN) et Ahmed Mahdi. L'Accord confère un pouvoir étendu au Haut Conseil d'État dans la désignation et révocation du Premier ministre et du gouvernement, et dans la nomination de hauts fonctionnaires. Son avis doit être recueilli sur toutes les lois et la recherche d'un accord, favorisé. Ses 145 membres sont issus du CGN élu en 2012 (au besoin complété sur la base de listes des candidats non élus). |
La composition du Gouvernement d'entente nationale résulte d'un savant dosage politique, tribal et régional et traduit les efforts déployés par la mission onusienne pour agréger et combiner une multitude de courants libyens , aux rivalités parfois exacerbées depuis l'éclatement de la révolution et aux agendas bien souvent contradictoires. Pour autant, il ne pourra s'installer que sous la protection des milices de Tripoli qu'en mars 2016 et ne sera jamais investi par la Chambre des représentants de Tobrouk. L'Accord lui-même n'a pas été accepté par les deux assemblées parlementaires. |
b) Un accord cadre contesté
Dès son adoption, l'accord politique a été contesté et une série de failles s'est progressivement révélée . Certaines composantes n'avaient pas participé à son élaboration, la question des groupes armés était éludée et la création du Haut Conseil d'État sous la pression des membres du Congrès national général et semblerait-il de la mouvance des Frères musulmans, conduisait dans les faits à créer une deuxième chambre au sein du Parlement.
Le nouveau Gouvernement s'est retrouvé impuissant tant sur le plan militaire que politique . Fayez el-Serraj ne doit finalement son installation à Tripoli au mois de mars 2016 qu'à un accord tacite avec les groupes armés contrôlant la capitale, faisant de lui un otage aux mains de puissantes milices. Sa légitimé sera encore plus affaiblie, puisque la Chambre des représentants ne lui a jamais accordé la confiance au Gouvernement d'entente nationale, pourtant prévue dans l'accord .
Pendant deux ans, cet accord a laissé s'installer un statu quo politique, n'offrant aucune véritable perspective de transition . Le 17 décembre 2017, le général Haftar le dénonça, se prévalant de son expiration, puisque qu'originairement prévue pour une période de deux ans. Le Conseil de sécurité, anticipant une telle déclaration, avait annoncé le 14 décembre 2017, le caractère non fatidique de la date du 17 décembre 2017, soutenant qu'il s'agissait du seul cadre viable actuel : « l'Accord politique libyen demeure le seul cadre viable pour mettre un terme à la crise politique en Libye et qu'il est fondamental de l'appliquer en vue de la tenue des élections et de l'aboutissement de la transition politique. Il souligne la continuité de l'Accord politique tout au long de la période de transition dans laquelle la Libye est engagée et rejette les délais erronés qui ne font que saper le processus politique mené sous les auspices de l'ONU » 110 ( * ) .
En définitive, bien que l'accord signé à Skhirat ait permis de clarifier le cadre institutionnel, il s'est avéré insuffisant pour mener à bien la transition politique libyenne. Il n'a pas permis d'exclure la solution militaire, que le général Haftar semblait encore privilégier avant la rencontre organisée à la Celle-Saint-Cloud le 25 juillet 2017.
En revanche, bien que la mise en oeuvre ait été incomplète, il reste un compromis fondateur sur lequel compte s'appuyer Ghassan Salamé jusqu'aux prochaines élections pour éviter tout effondrement de l'État libyen.
Il ne faut donc ni surestimer la portée du compromis atteint à Skhirat qui est fragile et partiel, ni la sous-estimer. C'est une feuille de route commune a minima , qui n'a pas, loin s'en faut, mis un terme à tous les contentieux politiques libyens ni résolu tous les problèmes du pays.
Mais elle constitue une avancée majeure qui :
• a permis de faire acter par une majorité de parties prenantes le primat de la solution politique,
• a contribué à abaisser le niveau de tension,
• sert encore de base pour la poursuite du processus de réconciliation engagée sous la direction des Nations unies,
• et a redonné espoir à la population et remobilisé les partenaires régionaux.
2. Le processus de réconciliation actuel
Le 20 juin 2017, le Conseil de sécurité approuvait Ghassan Salamé comme nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations unies (RSSGNU) pour la Libye. Il succédait ainsi à Martin Köbler et devenait le cinquième représentant pour la Libye depuis 2011, ce qui témoigne de la difficulté rencontrée par ses prédécesseurs pour mettre en place une stratégie de sortie de crise.
Ø Ghassan Salamé : depuis le 20 juillet 2017 Ø Martin Köbler : 1 er octobre 2015 - 20 juillet 2017 Ø Bernardino Leon : 1 er septembre 2014 - 1 er octobre 2015 Ø Tarek Mitri : 17 octobre 2012- 1 er septembre 2014 Ø Ian Martin : 11 septembre 2011-17 octobre 2012 |
Tableau des représentants spéciaux du secrétaire général des Nations unies en Libye
Le 20 septembre, Ghassan Salamé présentait un nouveau plan d'action à l'occasion d'une réunion de haut niveau sur la situation en Libye, en marge de la 72 ème Assemblée générale des Nations unies. Le 10 octobre 2017, le Conseil de sécurité approuvait ce nouveau plan qui devrait conduire à finaliser la transition politique d'ici la fin de l'année 2018.
L'originalité et la pertinence de ce nouveau plan résident dans l'association des approches top-down et bottom-up : en favorisant la fluidité du dialogue entre les représentants politiques d'une part, et rendant le processus plus inclusif en invitant la population à y contribuer, d'autre part . Son action se démarque ainsi de son prédécesseur à qui il était reproché une approche purement institutionnelle.
Ghassan Salamé fournit d'importants efforts pour posséder une bonne compréhension du terrain et des conséquences socio-économiques de la crise. Depuis mars 2018, la mission de la MANUL est désormais installée à Tripoli et une antenne pourrait être installée prochainement à Benghazi, tandis que la situation sécuritaire dans le Sud ne permet pas encore d'envisager une représentation dans cette région.
Ce nouveau plan s'articule autour de plusieurs axes qui ne constituent pas forcément des étapes successives, bien qu'un certain calendrier se dessine . La tactique consiste à avancer de manière simultanée sur plusieurs dossiers, permettant ainsi au processus onusien de se poursuivre quand bien même l'un des canaux de négociations serait bloqué et de maintenir une pression sur les partisans du statu quo .
Ce plan d'action, qui prévoit l'organisation des élections à la fin de l'année 2018, comme rappelé le 29 mai 2018 dans la déclaration de Paris, a été critiqué pour son trop grand optimisme. Pourtant, s'adressant à un hebdomadaire français le 21 mars 2017, Ghassan Salamé avait tenu les propos suivants : « Je n'ai jamais pensé boucler mon programme en un an. Si j'ai fixé cette échéance, c'est dans le but de mobiliser les esprits » 111 ( * ) . Il bénéficie du soutien unanime des membres du Conseil de sécurité.
a) Amender l'accord politique inter libyen de Skhirat du 17 décembre 2015
L'amendement de l'accord signé le 17 décembre 2015 était l'une des priorités du plan d'action de Ghassan Salamé. L'idée étant que, bien qu'imparfait, cet accord permettait toutefois d'établir un cadre institutionnel et éviterait ainsi un vide qui serait fort préjudiciable pour la Libye. Cependant, certaines de ses dispositions étaient imparfaites et méritaient d'être modifiées dans l'optique d'un rééquilibrage des forces.
Parmi les principaux amendements discutés, figuraient le passage des membres du Conseil présidentiel de neuf à trois, en s'assurant que chacune des trois grandes régions soit représentée et que le président du Conseil ne cumule pas la fonction de Premier ministre comme c'est le cas depuis la signature des accords et Fayez el-Serraj titulaire des deux fonctions. L'article 8 était également visé, notamment la disposition donnant au président du Conseil le pouvoir de désigner l'ensemble des hauts représentants de l'État.
Cette initiative n'a finalement pas abouti mais elle n'est pour autant pas stérile . Le 21 mars 2017, Ghassan Salamé avait annoncé devant le Conseil de sécurité qu'il lançait une dernière tentative pour amender cet accord. Une dernière tentative infructueuse, comme il l'a rapporté le 21 mai 2017 devant ce même conseil, mais pour autant pas inutile. En effet, la question de la modification de cet accord a contribué à la détente progressive de la polarisation politique entre la Chambre des représentants , notamment grâce à la mise en place du Joint Drafting Committee , comité rassemblant des membres des deux chambres. Ce processus a notamment permis à ce que les deux chambres reconnaissent de facto l'accord politique interlibyen.
C'est un échec relatif pour Ghassan Salamé, selon lequel « plus la Libye se rapproche des élections, moins ces modifications sont dignes d'intérêt » 112 ( * ) .
b) Le processus constitutionnel
La transition politique suppose l'adoption d'une Constitution. La question de savoir si celle-ci devrait être adoptée avant ou après les élections n'a pas encore été éludée. La déclaration de Paris du 29 mai précise qu'une base constitutionnelle devrait être mise en place d'ici le 16 septembre 2018, soit avant les élections parlementaires et présidentielles , programmées pour le 10 décembre 2018 : « Les parties se sont engagées à mettre en place leur base constitutionnelle pour les élections [...] d'ici le 16 septembre 2018 » 113 ( * ) . L'expression « base constitutionnelle » soulève néanmoins des interrogations et il n'est à ce jour pas clairement défini ce à quoi elle renvoie.
Une assemblée constituante, la Constitutional Drafting Assembly , avait été élue au suffrage universel direct en février 2014. Le 29 juillet 2017 et ce après trois années de travaux, elle adoptait un projet de Constitution. Ce projet a été contesté pour plusieurs raisons : en théorie, l'assemblée constituante avait un mandat limité dans le temps à 18 mois et lors de l'adoption du projet, des violences avaient éclaté. Sur le fond, plusieurs articles font l'objet de désaccords, notamment du côté des partisans du maréchal Khalifa Haftar, tels que les articles 99 et 178 : le premier dispose qu'un candidat double-national ne peut pas concourir à l'élection présidentielle, tandis que le second interdit aux militaires de briguer la fonction présidentielle s'ils n'ont pas quitté leur fonction militaire moins d'un an au préalable. Khalifa Haftar, militaire de carrière détiendrait également la double nationalité libyenne et américaine.
Dans ce contexte, la Cour de Beïda avait saisi la Cour suprême afin que le projet de Constitution soit déclaré invalide. La probabilité que le projet soit invalidé était réelle (dépassement du mandat dans le temps, adoption du projet entachée de violences...). La Cour suprême a finalement écarté ce recours pour vice de recevabilité : la Cour de Beïda n'était pas compétente pour attaquer le projet constitutionnel.
Les divergences visant le fond du projet de constitution demeurent et le risque qu'un référendum conduise à un rejet est réel. Ce résultat conduirait à enrayer le processus onusien, raviver les antagonismes et profiterait aux partisans du statu quo qui invoqueraient le calendrier fixé par la déclaration politique du 29 mai afin que les élections soient repoussées .
Pour éviter un tel scénario, une autre piste serait envisagée. La base constitutionnelle pourrait être la déclaration provisoire constitutionnelle adoptée en 2011 par le Conseil national de transition . Un amendement de 2014 prévoyait que le nouveau président devrait être élu au suffrage universel direct. Eu égard au contexte, cet amendement n'a finalement jamais été adopté. Il serait essentiel dans la perspective des élections. Pour l'adopter, un vote à la majorité simple de la Chambre des représentants serait suffisant.
Un amendement à la déclaration provisoire constitutionnelle suffirait à ce que l'État libyen se dote d'une base constitutionnelle, condition sine qua none à la tenue des élections. Une nouvelle Constitution pourrait être adoptée à la suite des élections.
c) Le processus électoral
Le processus électoral constitue la pierre angulaire du plan d'action de Ghassan Salamé . Les élections, programmées depuis la déclaration de Paris du 29 mai 2018 à la date du 10 décembre 2018, devraient mettre un terme à la période transitionnelle. La déclaration du 6 juin 2018 du président du Conseil de sécurité des Nations unies salue les efforts qui ont conduit à l'adoption de la déclaration politique de Paris, sans pour autant rappeler la date des prochaines échéances, laissant supposer qu'il n'existe pas un consensus sur celles-ci.
L'organisation des élections suppose, au préalable, l'enregistrement des électeurs. Cette mission a été confiée à la Haute commission électorale. La phase d'enregistrement a débuté le 6 décembre 2017 et s'est achevée à la mi-mars. Plus de 2,5 millions d'électeurs ont été enregistrés, sur un corps électoral estimé à 4,5 millions de personnes. La Mission d'appui des Nations unies en Libye a réalisé un important travail pour convaincre les membres de certains groupes et tribus, qui étaient restés en retrait de la vie politique depuis 2011, de s'enregistrer. Dans la déclaration de Paris tout comme dans les dernières interventions de Ghassan Salamé devant le Conseil de sécurité, un appel à une nouvelle phase d'enregistrement a été lancé.
L'enregistrement des électeurs soulève, malgré les bons résultats et l'enthousiasme qu'il suscite, plusieurs interrogations quant aux consignes données par certains groupes politiques de s'inscrire massivement.
À l'enregistrement des électeurs, devrait succéder l'adoption d'ici le 16 septembre 2018, d'un projet de loi électorale.
Une série de conditions préalables devrait ainsi être vérifiée préalablement à l'organisation des scrutins du 10 décembre 2018. Un niveau de sécurité suffisant ainsi qu'un accord entre les acteurs politiques visant à accepter les résultats sortis des urnes constituent des conditions essentielles pour éviter que le précédent de 2014 ne se reproduise.
Les élections municipales qui se sont déroulées le 12 mai dernier à Zawiya, quatrième ville du pays, ont fait office de tests non seulement pour la prochaine série d'élections municipales à venir, mais aussi pour les scrutins présidentiels et parlementaires. Le taux de participation était de 62 % des électeurs enregistrés, avec cependant une importante disparité puisque parmi les votants, 74 % étaient des hommes contre seulement 24 % de femmes. Les élections avaient été annulées en 2014, mais cette fois-ci aucun incident majeur ne s'est produit.
Le processus électoral fait cependant l'objet de critiques, en particulier au regard du calendrier fixé par la déclaration politique de Paris. L'opiniâtreté à vouloir organiser des élections le plus rapidement possible peut s'expliquer par des facteurs objectifs : plus le processus s'éternise, plus les milices renforcent leur mainmise. En revanche, précipiter de telles échéances, cruciales pour l'avenir de l'État libyen, ne devrait pas conduire à revivre le scénario des élections de 2014, qui a plongé le pays dans une nouvelle crise. D'autant plus que la Libye n'a jamais élu de président. L'alternative serait de travailler à ce que les conditions sine qua none, notamment sur le plan sécuritaire, soient réunies, avant de fixer des dates précises pour la mise en place de bases constitutionnelles, l'adoption d'une loi électorale et la tenue des élections .
d) Le processus inclusif d'accompagnement
L'originalité du plan d'action de Ghassan Salamé tient notamment à la conférence nationale inclusive, qui devrait être organisée d'ici la fin du mois de juin 2018. En organisant cette conférence, qui s'inscrit dans un processus plus large, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies a pour projet d'ouvrir le jeu politique, en y faisant participer les citoyens libyens et de s'assurer que les principaux acteurs reconnaissent les résultats des prochains scrutins.
Ce processus inclusif dit « bottom-up », est appelé à prendre la forme d'une grande conférence nationale inclusive. Les contours de cet évènement restent à définir : Où et quand va-t-il se tenir ? Quels seront les participants ? Quels seront les grands thèmes discutés ?
Cette conférence devait à l'origine être organisée au mois de février 2018, avant qu'elle ne soit repoussée à plusieurs reprises. Selon les dernières indications, elle devrait finalement se dérouler à la fin du mois de juin. Elle viendra alors conclure une série de consultations populaires qui a débuté le 5 avril 2017 avec le soutien du Centre Henry Dunant pour le Dialogue Humanitaire, mandaté spécialement par Ghassan Salamé. La mission de cette ONG est de mener un processus préparatoire, avec une série de conférences publiques sur les questions de gouvernances, de sécurité, de structures gouvernementales et de processus constitutionnel et électoral. À la mi-juin 2018, plus de quarante réunions dans 27 localisations différentes avaient été organisées.
3. Monitoring économique (FMI, Banque mondiale, UE, autres pays)
La Libye fait face à des déficits jumeaux abyssaux. La baisse des recettes en raison de la dépendance au secteur des hydrocarbures, a entraîné un déficit budgétaire évalué à 7,5 milliards de dollars en 2017. La dette publique avoisine les 100% du PIB et accroît ainsi le risque souverain.
Un « dialogue économique » a été initié à Londres à l'initiative des États-Unis en novembre 2016 afin de réconcilier les deux parties, ce qui a permis l'élaboration d'un budget 2017 de manière concertée, le premier depuis quatre ans 114 ( * ) .
Ghassan Salamé a fait état d'une rencontre à Washington en avril 2018, en marge des réunions de printemps, entre les autorités libyennes et les institutions de Bretton Woods dans l'optique de les aider à gérer leur politique budgétaire et monétaire. Une rencontre a été organisée au mois de mai 2018 entre la Banque centrale libyenne et la Banque mondiale implantée en Tunisie. L'objet de cette rencontre était d'évaluer le secteur financier libyen. Les discussions se sont conclues par l'adoption d'un programme (qui n'a pas été publié) pour répondre à la crise économique et financière que rencontre le pays.
Le World economic Outlook publié en avril 2018 par la Banque mondiale rappelle que le cadre macroéconomique libyen est intenable. Cependant, le premier défi est de rétablir la paix pour une stabilité macroéconomique. En effet, il est indispensable d'avoir des institutions unifiées et suffisamment puissantes pour défier les intérêts personnels et pour lancer d'importantes réformes. Dans le moyen terme des réformes structurelles devront être mises en place.
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Depuis la signature de l'accord politique libyen de 2015, la Libye est entrée dans une nouvelle phase. Ce compromis signé à Skhirat devait conduire à finaliser la transition en deux ans. Or, le constat est clair : plus de deux ans et demi après cet accord, la transition s'est enlisée. Pour sortir de cette crise, le nouveau représentant Ghassan Salamé a élaboré une nouvelle stratégie qui devrait conduire à l'organisation d'élections présidentielles et parlementaires d'ici la fin de l'année 2018.
Le processus actuel de réconciliation des Nations unies doit surmonter plusieurs défis tels que l'élaboration d'une base constitutionnelle et l'organisation d'une conférence nationale inclusive pour aboutir à des élections. La stratégie de Ghassan Salamé est pertinente mais elle est sujette à des blocages, comme en témoigne l'échec rencontré pour amender l'accord de Skhirat.
La question économique est également centrale. Or, malgré les rencontres organisées entre les autorités libyennes et les institutions de Bretton Woods, les Nations unies ne semblent pas assurer un monitoring suffisant. Pourtant, la conjoncture actuelle et l'économie de prédation supposerait un soutien renforcer des institutions onusiennes dans ce domaine.
* 109 http://www.ecfr.eu/mena/mapping_libya_conflict
* 110 Déclaration du Président du Conseil de sécurité sur la situation en Libye, CS/13120, 14 décembre 2017.
* 111 « Ghassan Salamé : `la Libye n'a jamais élu de président' », L'express, 21 mars 2018.
* 112 Rapport du secrétaire général sur la MANUL, S/PV.8211, 21 mars 2018.
* 113 Déclaration politique sur la Libye, 29 mai 2018.
* 114 La DG Trésor a soutenu activement ce processus de dialogue économique libyen engagé au niveau technique à Londres le 31 octobre 2016 par la diplomatie américaine avec l'appui de l'Italie, du Royaume Uni et de la France afin de rétablir le dialogue entre le Premier ministre libyen et le gouverneur de la banque centrale de Tripoli. Cette initiative, appuyée par l'ONU, le FMI et la Banque mondiale a été suivie de 9 réunions techniques qui ont débouché entre autres sur la nomination d'un ministre des finances, l'adoption d'un budget d'urgence pour 2016 et d'un budget pour 2017. La DGT suit, le travail des institutions financières internationales en matière de gouvernance économique pour rétablir les fondamentaux économiques de la Libye.